15. Lucie Cichlidé

  C'est le blitzkrieg dans la tête de Johan. Il se réveille avec une trace blanchâtre qui s'allonge du haut de son nombril jusqu'au fin fonds de son short de sport – parce qu'il n'avait pas eu l'énergie de chercher un pyjama la nuit dernière. Au début, il songea à de la colle avant de se rappeler qu'il s'était endormi après avoir rentabilisé les clichés qu'il avait pris de l'interview d'Eilynn.

  Il entend sa mère l'appeler. Difficile de faire semblant de ne pas avoir entendu lorsque sa chambre ne tenait qu'à deux recoin de murs et seule un encadrement de porte vide le séparait de la chambre de sa mère. Où était-elle passée, la porte ?

  Johan en avait la rage en repensant au fait que sa grand-mère avait eu la brillante idée, peu de temps avant qu'ils ne reviennent emménager dans le quartier de la Queue du Hareng, de prendre les portes et le plafond de la maison pour en faire du feu de bois à l'un des nombreux plans barbecue qu'organisaient ses amies de longues dates sans importances.

  Oui, l'idée pouvait sembler farfelue mais c'était la seule explication qu'elle avait donné à sa fille et ses petits-enfants lorsqu'ils ont emménagés ici et qu'ils leur ont demandé où avaient bien pu passer ces fichues portes. Johan savait que sa grand-mère n'était qu'une menteuse. À la façon dont son grand-père fuyait du regard au moment où sa mère avait posé la question, il en savait beaucoup. Johan était même prêt à parier que sa grand-mère lui avait fait juré de se taire sur les véritables raisons.

  Quoiqu'il en soit, sans portes pour séparer et fermer les chambres, Johan devait redoubler de vigilance lorsqu'il s'adonnait à des plaisirs assez personnels. Il n'y avait pas que les loups-garous qui attendaient la pleine lune. En sachant que c'était le seul moment de la soirée où il était sur sa sœur ronflait au salon sur son clic-clac – parce qu'il n'y avait que deux chambres et qu'elle avait alors décidé de s'y vautrer seule avec son fils – et que sa mère en faisait de même dans la chambre d'en face.

  Il n'y avait aucun couloir entre les deux chambres, juste le cadre d'une porte fantôme. Cela rendait les choses encore plus compliquées pour Johan lorsqu'il devait se stimuler. Les ronflements de sa mère coupaient littéralement la circulation sanguine vers son entrejambe. La seule stratégie qu'il avait trouvé était de garder des écouteurs dans ses oreilles et de mettre une playlist d'Ariana Grande. 34+35 avait le don de l'exciter en l'espace d'une milliseconde. Rien qu'à sa belle voix suave, sa verge devenait aussi droite et dure qu'un piquet. Le seul bémol, si grave qu'il était peu négligeable : sa mère avait le sommeil léger et pouvait alors se réveiller à n'importe quel moment et pour n'importe quel bruit.

  Johan n'avait jamais été pris en flagrant délit de masturbation, mais, en écoutant sa Déesse Grande, il y avait des chances qu'il manque de peu le grincement du lit qui faisait office d'alarme à chaque fois que sa mère se levait pour aller pisser ou s'assurer que la chaise était bien coincée contre la porte d'entrée – parce qu'il n'y avait même plus de serrure pour cette maisonnette abimée.

  — J'arrive, matriarche à la con... marmonna le garçon en cherchant à tâtons un t-shirt pour masquer la trace blanche qui avait séché sur son ventre.

  « La vache ! J'étais tellement crevé que j'avais oublié de m'essuyer, putain... »

  — Qu'est-ce qu'il y a ?! demanda-t-il, d'un ton agressif, sans même prendre la peine de dire bonjour.

  — Il faut que tu ailles chez ta tante Marie-Lise pour me prendre des vivaneaux. C'est un de nos cousins qui lui a fraichement rapporté ça de la pêche, elle m'a fait un petit sachet.

  — Tu pouvais pas envoyer ta fille plutôt que d'me réveiller pour ça ? demanda Johan en sachant pertinemment qu'il parlait dans le vent et qu'il allait tout de même devoir s'exécuter.

  — Elle s'occupe de son fils, répondit Christine d'un ton ferme. Elle n'a pas de temps à perdre en passant ses journées à dormir, comme le font certains.

  — Mais c'est les vacances de Noël, bordel ! Si je peux même pas me reposer après la fin de mon premier semestre, bah merde, quoi ! vociféra Johan en cherchant ses claquettes en-dessous de son lit.

  — J'attends de voir ton relevé de notes pour savoir si tu mérites de glander autant, lui souffla sa mère. Maintenant qu'on a emménagé ici, pourquoi tu n'essayerais pas de sortir un peu plus, faire connaissance avec la famille.

  — Attends, tu me parles comme si je chiais encore dans des couches et que je prenais des petites briques de jus à seize heures devant les Minijusticiers ? T'es sérieuse, là, maman ?

  — Non, mais je dis juste que c'est dommage de passer tes journées dans une maison à ne rien faire, alors que tu pourrais très bien aller à la plage ou faire des petites activités avec les autres cousins du quartier.

  — La dernière fois, tu m'as envoyé chercher du poulet-frite dans le snack en face de la maison. J'ai vu des loulous avec des grosses chaines en or complètement défoncés sous le kiosque du port de pêche. Tu trouves que ces sous-merdes sont intéressantes, peut-être ?

  — Si tu avais leurs noms, je les aurais dénoncé à leurs parents ! gronda Christine.

  — Franchement, maman, ça me les brises qu'on soit parti d'Améthyste. C'est ici qu'on a battu nos premières viandes ensembles, moi et mes potes. Je connais personne dans ce quartier où ça pue tout le temps le poisson ! Et j'ai vraiment l'impression qu'il y a beaucoup de pingouins qui n'arrive à glisser le long de la banquise, si tu vois ce que je veux dire.

  — C'est de tes cousins que tu es en train de parler comme ça ! s'exclame Christine. Ne sois pas si fermé.

***

  « Voilà pourquoi j'aurais dû fermer ma gueule. J'ai pris un monologue dans la tronche et le temps que j'ai perdu à l'écouter déblatérer de la merde, je serais déjà sur le chemin du retour. »

  Johan souffle en levant les yeux au ciel, comme s'il croyait subitement en la puissance de Dieu. Qu'il aurait pu le délivrer de sa tâche. À mesure qu'il longue le trottoir et monte l'allée, son cœur cogne dans sa poitrine.

  « Pourquoi je me sens aussi bizarre ? »

  Ses mains devenaient moites. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Était-ce du trac ? On dirait bien. Cela lui faisait exactement le même effet que son premier jour au lycée ou à l'université. Mais c'était aussi le même point qu'il sentait s'enfoncer dans son thorax quand il avait dû avouer à Audrey les sentiments qu'il éprouvait à son égard, en sixième, et que tous ses camarades de classes l'observaient faire. Aussi la fois où, en troisième, Lydie Roselini était venue le voir pour lui avouer qu'elle n'avait pas réellement envie de sortir avec lui et que tout ceci n'était qu'un pari monté de toute pièce par sa pote, Loïs.

  « Putain, mais calme-toi, espèce d'enfoiré ! »

  Johan s'arrête en face de la barrière de Marie-Lise. Il avale difficilement sa salive et prend son portable pour prévenir, retenu par la peur, qu'il attendait devant la barrière.

  « J'ai pas leurs numéros, c'est vrai ! Fais chier ! Je fais comment pour rentrer, moi ?! »

  — J'ai juré, t'es un détraqué !

  Son cœur manque un battement. Il reçoit comme une série de couteaux s'insérer en lui quand il sursaute. En faisant un bref volte-face, il tombe nez-à-nez avec la fille du réveillon de Noël. L'ado avec le costume de policière. Sauf qu'elle avait juste un mini short et un croc-top qui laissait entrevoir un petit piercing au nombril. Son ventre était plat, lisse et sa peau noire douce en apparence.

  Quand Johan comprit qu'il se focalisait un peu trop sur son accoutrement, il se mit à secouer de la tête en regardant Lucie dans les yeux. Les sourcils froncés, comme pour tenter de regagner sa concentration. Il n'avait pas eu le temps d'aller jusqu'en bas, là où il aurait pu jauger la beauté de ses pieds. Étaient-ils aussi raffinés que ceux de sa sœur ?

  — C'est pour le poisson ! balbutia Johan, qui ne savait plus où donner de la tête.

  Étrangement, voir le garçon perdre son langage eu le don d'assigner à Lucie une sorte de petit sourire en coin, comme si elle se délectait de la situation.

  Sa manucure était bien faite, se disait Johan en observant ses mains. Elle tenait un sachet Victoria Secret. Peut-être que c'était justement les vêtements très légers qu'elle portait à l'heure actuelle. Johan avait scruté Lucie, Lucie le savait, et Johan savait que Lucie savait. Il aurait suffit d'une seule réaction ambiguë pour semer le doute dans l'esprit de la jeune fille – ou confirmer quelque chose. Et il rentra la tête la première dans le piège, s'en rendant compte bien trop tard.

  — Quel poisson ? demanda-t-elle d'une voix un peu moins agressive.

  Johan avait l'impression que Lucie lisait dans ses pensées. C'est son regard qui le trahissait, il venait de valider sa tenue à partir du moment où il avait longer son mini-short jusqu'à son croc-top. Fuir le contact visuel revenait à dire « j'aime bien tes vêtements », et ça, Lucie l'interpréta sans doute en ce sens.

  — Est-ce que je peux rentrer avec toi ? Je prends juste le poisson dont ma mère m'a parlé et je retourne chez moi.

  — Oh, mais il n'y a pas de soucis, le cousin, disait-elle avec une pointe de moquerie dans le ton de sa voix.

  Elle passe étrangement près de Johan pour ouvrir. En le contournant d'aussi près, elle avait par inadvertance frotté ses fesses contre son entrejambe. Le tout avait duré l'espace d'une seconde. Suffisant pour ne pas que cela paraisse suspect mais assez pour que Johan sente son afflux sanguin lui jouer des tours. 34+35 n'avait qu'à bien se tenir.

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