14. Le secret des Blobfish

  Les ivrognes de l'épiceries se levèrent en désordres de leurs chaises, renversant d'autres chaises au passage.

  Elle s'avança vers eux et se mit dans le dos de Samson. Les spectateurs ne voyaient plus que la masse épaisse que formait Marie-Lise engloutir les deux autres hommes sur le sol. Ainsi, elle attrapa Samson par les épaules avant de le projeter sur sa droite – précisément sur le comptoir d'Ariette. Celle-ci se mit à pousser un hurlement strident en voyant le corps de Samson voler droit sur elle. Elle se baissa pour éviter le projectile humain. Puis, elle se demanda même est-ce que Marie-Lise ne l'avait pas fait exprès, jurant en brandissant un doigt d'honneur qui dépassait le comptoir.

  — Tu n'aurais jamais dû sortir de chez toi pour t'excuser auprès de tous ces gens ! dit Marie-Lise en soulevant presque Hector du sol. Tu sais très bien qu'il ne faut pas écouter cette grande famille d'imbécile lorsqu'elle commence à dire des choses blessantes à ton sujet.

  — Pour cette fois, je peux les comprendre. Mes fils ont mal agi.

  — Qu'est-ce que ça change réellement d'habitude ? demande-t-elle sur une question rhétorique. Ils trouveront toujours un moyen de t'invectiver, c'est comme ça.

  — J'espère que Samson me pardonnera.

  Lorsque Hector se baissa pour récupérer sa canne, il fit pleurer la petite fille qui lui faisait face. Elle se mit à chanceler en scrutant son visage.

  « Déjà qu'il ressemblait à un crapeau avec une calvitie, maintenant, même ses batards de fils ne vont pas le reconnaître ! » fusa un éclat de voix grasse. « Maintenant, on peut dire qu'il a eu le même tarif que son deuxième rejeton ! » ricana un suivant. « La famille Blobfish est tellement laide qu'ils peuvent remercier qu'on leur refasse le portrait. Finalement on les rends plus beaux ! »

  Hector adopta sa posture ordinaire. C'est-à-dire le dos voûté, avec sa canne. Il se dirige au comptoir d'Ariette pour demander un sac de glaçons.

  — Faites vite de régler ! gronda discrètement une jeune femme d'environ une vingtaine d'années. Votre visage fait peur à mon bébé.

  Le nourrisson qu'elle portait dans ses bras, l'observait avec un regard pale par-dessus son épaule. Ses yeux devinrent bientôt rouge et il se mit à déchirer les brouhaha des ivrognes avec ses sanglots terrifiés.

  — Allons-y, Hector, disait Marie-Lise pendant qu'elle observait Samson dans le coma sur une pile de bouteilles de lait. Rien ne peut être pire qu'ici.

  « Tu regretteras de t'enquiquiner avec ce monstre, Marie-Lise ! Un jour il va faire une poupée vaudou d'une vache et mettre ton âme dedans pour te torturer » hurlait l'un d'entre eux.

  — Répète-moi ça !!! s'écria-t-elle en se retournant vers le groupe.

  Celui qui venait de proliférer ces dernières paroles comprit qu'il avait tout intérêt à se taire s'il ne voulait pas finir comme Samson.

  Après avoir quitté l'épicerie, Hector accepta finalement de rentrer dans la voiture de Marie-Lise.

  — Tu peux me déposer chez moi ? demanda-t-il.

  — Pourquoi tu l'as laissé faire ? Tu avais largement les moyens de te défendre.

  — Maintenant que je le sais soulagé de s'être « défoulé » sur moi, je pourrais probablement dormir plus sereinement, disait-il alors qu'il observait l'œil au beurre noir qui venait de former une bosse mauve sur son visage. Parfois, il suffit d'être le martyr du monde pour que ce même monde se sente mieux.

  La voiture longe la route qui descend l'épicerie. Juste en face, on pouvait apercevoir le point de ravitaillement des pêcheurs. Elle tourne à gauche, sur un chemin qui mène sur une pente. Bientôt, le paysage commence à s'assombrir, les arbres de l'allée commençant à faire de l'ombre sur le sillage. Il y avait un air frais différent du climat ensoleillé de la ville du Hareng. Le vent sifflait dans leurs oreilles, bien que les fenêtres étaient montées et que Marie-Lise avait pris le soin de mettre la climatisation à bord de sa voiture.

  À mesure qu'elle s'enfonce dans le chemin sinistre, les arbres commencent a revêtir une robe grisâtre, maigres et ratatinés par l'absence de feuillages.

  — Le terrain familiale des Blobfish me fait froid dans le dos, avait-elle pensé un peu trop haut. C'est quand même dommage que les patriarches de l'époques vous ait attribué cette partie là du quartier.

  — Oh, ne t'en fais pas, ricane Hector. Les gens pensent que c'est un coin lugubre ou la végétation dépérit mais en réalité c'est un bon petit coin tranquille. Il n'y a jamais de bruit bizarre, par ici.

  « Pas de bruit, tout court » songea -t-elle. Après tout, personne ne rendait visite à la branche familiale des Blobfish. Personne n'habitait à côté des Blobfish. Personne ne parlait avec les Blobfish. Ils ne sont pas nombreux et ont toujours été mis à l'écart par le reste de la population.

  La BMW s'arrête dans un sans issue, face à un cabanon dont la construction asymétrique faite en bois se faisait ronger par les termites. Il restait environ un ou deux averses de pluies avant que la toiture ne soit trouée et ne laisse échapper de l'eau à l'intérieur de la maison. La porte n'avait pas de serrures, simplement un morceau de corde lié entre la poignée et l'une des fenêtres cassés à son dessus.

  — Merci, dit-il avec sa voix, aussi fragile que les ailes d'un papillon.

  — Il n'y a pas de quoi, Hector. Il faut que tu te reposes.

  — Au fait, je suis désolé pour ce qui s'est passé avec Olive.

  — Ne t'en fais pas, c'est déjà pardonné. Et puis, ce n'est pas toi qui a eu des gestes déplacés envers ma fille.

  — Je m'en veux terriblement. Je me demande bien pourquoi il a fallu qu'ils aient ce genre d'attitude. C'est la première fois qu'ils me font quelque chose pareille.

  — Ça ne change absolument pas la vision que j'ai de toi, Hector, dit-elle en posant sa main sur la sienne comme pour le rassurer.

  — E-et ta fille ? Comment elle va ? répondit Hector, comme pour tenter de changer de sujet afin de dissiper les larmes qui commençaient à étreindre sa gorge.

  — Oh, pour le coup, je ne sais pas trop. Quand elle ne sort pas, madame passe son temps à dormir. Et à vrai dire, ça n'a pas changé d'habitude depuis l'incident de la soirée.

  Il observe Marie-Lise perplexe, puis pose une main sur la portière, s'apprêtant à ouvrir.

  — Si tu as besoin de quoi que ce soit, Marie-Lise n'hésite pas.

  Elle l'observe sans rien dire.

  — Tu es la seule cousine éloignée que j'ai qui me considère réellement comme un membre de sa famille. La branche familiale des Blobfish doit une fière chandelle à celle des Cichlidé.

  — Ne t'en fais pas, j'en pense réciproquement la même chose.

  Il ouvre la porte et adresse un dernier signe de tête à la grosse dame avant de marcher jusqu'à son cabanon. Hector reste face à la porte, gardant une oreille attentive sur le bruit du moteur.

  À mesure qu'il entendait le vrombissement s'éteindre, il se rapprochait de sa porte à grande vitesse. Bientôt, lorsque ses vieilles oreilles inaudibles n'entendaient plus la voiture de Marie-Lise, il se retourna pour être bien sur qu'elle soit partie.

  « Me voilà soulagé... à vrai dire, je n'avais pas envie de l'effrayer »

  Soudain, sa canne se mit à briller comme un amas d'étoiles dans le ciel. Elle devint subitement aussi longue qu'une porte. Son bois demeurait d'autant plus robuste et affichait à son bout une tête de blobfish gravé de marbre.

  Après avoir observé que la BMW ne figurait plus dans l'allée, Hector donna un grand coup de sa gigantesque canne sur le sol. Il ressentit une intense chaleur qui lui parcourait le visage. Les hématomes commencèrent à se dissiper. Sa vieille peau se remis à flétrir comme ce fus le cas avant que Samson ne vienne lui refaire le portrait.

  Il se mit à soupirer un grand coup. Un vent d'air frais venait rafraîchir son visage. La bosse qui venait de gonfler son œil – ironiquement à l'instar d'un blobfish – avait disparu.

  « Voilà qui est mieux » dit-il, tout sourire. La porte se mit à grincer, presque à hurler quand il la poussa puis se fit ronger par l'ombre qui plongeait l'ensemble du cabanon dans l'obscurité la plus totale.

  « Ça manque de lumière ici, non ? » 

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