12. Le pari
« Tu ne portes que des petites ficelles que tu attaches autour de ton pied. C'était au mieux le seul artifice que tu te permettais et c'est justement ça qui faisait ton charme. Est-ce que tu aurais fait exprès de le remplacer par des chaines de chevilles en or qui se chevauchent aux parties inférieurs et supérieures de ta rotule pour ne pas que cet enfoiré te prenne pour une junkie ? Au cas où il regarderait tes pieds ? Déjà même, pourquoi il ferait ça ? Il n'est pas assez raffiné pour t'observer dans les moindres détails comme je le fais si bien. »
Une idée lui traversa l'esprit. Il l'observa pendant encore deux minutes pour confirmer son doute.
« Putain de merde. Bien sûr, il n'y a que toi qui aurait fait attention à ce genre de moindre détail. Depuis ta coiffure impeccable jusqu'aux bouts de tes orteils. Si je pouvais encore comprendre que tu voulais faire bling-bling devant le cadrage du caméraman, le fait que tu aies pris le soin de faire ta pédicure et d'y ajouter des artifices que tu n'arborais pas habituellement me laisse supposer que ce n'est ni pour l'interview, ni pour les caméras que tu t'es faite belle. »
— Eh, le stagiaire ! On a plus besoin des costumes ! C'est un meeting de quarante minutes !
Johan écarquille des yeux et manque de trébucher sur la penderie. L'un des mecs qui s'occupait du cadrage venait de remarquer sa présence.
— Ah, oui, oui, excusez-moi... marmonna Johan, d'un ton agacé.
— Rentre-moi ça dans le fourgon !
— Oui, oui, une petite minute !
Étrangement, Eilynn et Alandore ne prirent pas à la peine de réagir à l'altercation. Ils étaient enfermés dans cette espèce de connexion intime qui allait bien au-delà de l'interview qu'ils étaient en train de passer. Même l'équipe du son s'était retourné par réflexe sur Johan.
« Ils sont vraiment dans leur bulle ! » Johan serre les poings. Ses ongles menacèrent de transpercer le verre trempé de son iPhone tant il n'arrivait pas à calmer son emprise.
« Peut-être que je n'aurais pas du prendre de Monster avant de venir. Ça me rend encore plus nerveux que je le suis déjà »
Il secoue sa tête, comme pour reprendre ses esprits et plonge à nouveau son regard dans la fente que costumes.
« Je n'ai pas fait tout ce chemin pour rien. Il me suffit d'attendre qu'elle arrête de bouger ses pieds et le tour est joué »
— ALORS, LE STAGIAIRE ?! TU TE LA TOUCHES, OU QUOI ?!
« Merde ! Il fout un pressing de baisé, l'autre connard. Pas grave, je vais passer en mode vidéo. Et puis, ça sera plus authentique. »
Sans perdre une minute de plus, Johan tend l'objectif de l'appareil entre les deux costumes. Il prend le soin de désactiver le flash, la lumière blanche dont le hall s'imprégnait faisait naturellement l'affaire. Il fixe la caméra sur les pieds de la jeune fille. Quelque chose bouillonne en lui.
« Bien cambrés sur la partie inférieure de la chaise haute. Exactement la position que j'adore. »
On entendit bientôt un CLACK sonore d'éteindre sur les carreaux. Eilynn lâcha l'une de ses sandales sur le sol. Laissant l'un de ses pieds, celui cambré en avant et qui servait de butée à l'autre derrière lui, complètement à nu.
« C'est parfait... »
— MAIS QU'EST-CE QUE TU FOUS, BORDEL ?!
« Encore quinze petites secondes. On ne sait jamais si le trac de l'inverwiew la force à jouer avec ses pieds pour la canaliser »
— EH OH, TU M'ÉCOUTES ?!
« Deux secondes... oui, elle a bougé. Ses chaînes de pieds aussi... D'habitude, je ne crois pas en toi, mais merci, Seigneur. »
— STAGIAIRE !!!
— J'arrive !!!
Johan prend un recul discret – comme s'il voulait s'effacer du champ de vision – et entraine la penderie mobile avec la même démarche voûté de tout à l'heure.
Bientôt, on le vit que simplement passer la porte du hall avec la garde-robe portative de Alandore. Ils entendirent simplement le bruit d'une Fiat 500 vrombir son moteur et on ne le revit jamais.
***
— À cause de ce dégénéré, y a masse de bateaux qui attendent.
L'autre type, avec sa combinaison sous-marine, s'approche du quai et balance ses bras en l'air. Les bateaux se comptaient par dizaines aux abords du quai. Ils cernaient tellement qu'il était impossible de voir ne serait qu'une goute d'eau autour de celui-ci.
— VOTRE ATTENTION ! LE POINT DE RAVITAILLEMENT VA BIENTÔT OUVRIR. D'SOLÉ POUR L'ATTENTE, HEIN !
Bientôt, des hommes sortaient de leurs petits carrées exiguës qui servaient alors de timoneries et commençaient à monter le quai.
— Ça fait des heures que ma titine est marrée ! Qu'est-ce qui s'est passé, han ?! tonitruait l'un des pêcheurs dont le marcel autrefois blanc était devenu aussi gris que les morues qu'il trainait dans un filet verdâtre, putréfié par les sargasses.
— Vous ne me croirez jamais ! disait l'autre l'homme qui venait à peine d'ouvrir le cabanon central. C'est ce vieux fou qui est venu m'voir ce matin !
Tous les bateaux émanèrent un concert de hurlement. Ils bringuebalaient tant les marins se roulaient dessus, emportés par des fous rires.
— MAIS POURQUOI ?! hurlait l'un d'entre eux, à l'autre bout du quai.
— J'sais pas trop. C'est ma femme qui a tout écouté, elle adore les milans ! De c'que j'ai compris, ses fils ont fait des trucs bizarres à une soirée sur la Plage de Pêche et il essayait de les excuser de j'sais pas trop quoi. En fait, j'men fout ! Il m'a juste fait perdre un temps de baisé, ce connard !
— Allons dans son marais pour l'attraper et le donner en appâts aux requins de Barbade !
Tous les autres pêcheurs poussèrent des cries d'approbations, brandissants leurs mains vers le ciel.
— Mauvais idée, les gars. Vous savez bien qu'il serait capable lui-même de se changer en requin pour tous nous bouffer.
S'en suivit un autre tonnerre de ricanements. Le type qui gérait le ravitaillement n'arrivait même plus à respirer tant il riait. Bientôt, il se mit à tousser, songeant à toutes les fois où sa femme lui ordonnait d'arrêter la cigarette.
— Si vous le voyez dans le quartier en train de faire du porte à porte jusqu'à chez vous comme un témoin de Jéhovah, filez-lui une bonne balayette dans le tibia. P't'être qu'il va s'arrêter, un moment.
— Ça s'trouve, il fait du porte à porte pour lancer des pichons sur nos kays ! s'écria le pêcheurs aux vivaneaux. Eh, eh, eh, laissez-moi renter pour que je lui mette un coup de harpon dans le visage, hein !
— Ouvre la station d'essence pour moi, Hervé ! hurlait un autre pêcheur. J'ai ma Marinade à recharger avant d'aller au tournoi de volley de ma fille. Je veux pas la laisser faible comme ça sur l'eau.
Il s'exécute et fait le tour du point de ravitaillement avant d'inviter tous les pêcheurs à disposer de tous les cabanons.
— Oh, oh, oh ! maronna l'un d'entre eux. Ça me fait penser que je n'ai toujours pas fini l'inscription de Ruben pour l'épreuve de pêche.
— Que tu le mettes ou pas, qu'est-ce que ça va changer ? Dis à ton fils qu'on sera tous fière de lui s'il ramène au moins deux petites sardines de chez Carrefour, hein ! renchéri l'autre en hurlant de rire.
— Mais oui, mais oui, puisque tu crois que Mario va ramener autre chose qu'un poisson pané à la fin de l'épreuve ! L'enfant est plus bête que ses deux pieds, j'ai hâte de voir comment il va s'y prendre pour tricher, cette fois.
— Mon fils n'est pas un tricheur ! vocifère l'ancien pêcheur moquer, dont le visage amusé venait de devenir aussi flamboyant que celui d'un poisson-clown.
— Les paris sont lancés, les gars ! Pas la peine d'aboyer plus ! C'est sur l'eau qu'on verra qui est le meilleur !
— C'est les fesses de ta fille que je mets en jeu si Ruben gagne cette épreuve, Hervé ! Rappelle-toi bien de ce que je viens de dire ! Depuis qu'il est tout petit, il rêve de l'exploser ! Ça sera SON moment ! Le filet de Ruben est rempli, les fesses de ta fille sont de mise !
— Comme je sais qu'il va perdre, ça ne me dérange pas. Par contre, si ton fils perd, tu me devras ton pick-up ! Je préviens : c'est pas la peine de te plaindre pour me dire que tu mets tous tes poissons dedans, que c'est ton outil de travail, et gngngngneuh ! Un pari reste un pari, je m'en fiche que les pertes vous fasses chier ou non !
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