11. L'interview

  Il jette un dernier coup d'œil au GPS alors que la voiture est garée à la fin de l'itinéraire. Johan observe l'allée : au vu du fourgon ATV posté à son bout, suivi d'autres voitures de fonctions timbrées du même sigle sur les capots et portières arrières, il avait pris la bonne destination.

  Ce type, au costard-cravate, donnait l'allure du beau gosse de journaliste complètement à la ramasse. Johan ne pouvait le dévisager plus longtemps tellement il l'avait en horreur. Combien de petites salopes martiniquaises rêvaient de se le faire ? Il y en avait pléthores. Que ce soit à l'université, à chaque fois qu'il allait dans un lieu public ou encore au MacDo. À chaque fois, il entendait des filles faire des débats sur sa beauté ou des pronostics douteux sur la taille de son pénis et ses aptitudes sexuelles.

  Comme il s'agissait ici de femmes, bien évidemment, tout le monde trouvait « normal » et pas du tout dégradant. Johan savait qu'il en jouait, de cette réputation, même s'il ne s'exprima jamais sur le sujet. Pas même lorsqu'une belle curly l'avait identifié sur un tweet en écrivant explicitement « mange-moi ».

  Le voir ici, bientôt pénétrant la maison d'Eilynn Daucy le mettait hors de lui. « Heureusement, elle n'est pas comme ça » se disait-il. Il faut dire que c'était une fille assez prude, dans ses souvenirs.

  Il ouvre la porte se enfile la casquette ATV qu'il avait réussi à se dégoter dans l'un des nombreux bazars de la Capitale. D'abord, il avait songé à sortir de la voiture avec un calepin, mais cela sonnait beaucoup trop « stagiaire » et pas assez « professionnel » pour lui. Il fallait quelque chose de plus sérieux, comme un grand classeur, par exemple.

  Johan ferme la voiture à distance et appuyant sur le bouton de verrouillage puis s'élance avec la même démarche précipité que celle des hommes aux trépieds et aux outils qui suivaient le présentateur comme des chiens épieux de leur maître. Il se range derrière eux, comme si de rien n'était tout en prenant le soin d'éviter tout contact visuel. Et si cela devait se produire, il ne devait pas être celui qui tourne le regard en premier, au risque d'éveiller des soupçons.

  — Mademoiselle – euh, pardon, Madame Daucy...

  — Ne vous inquiétez pas, vous pouvez m'appelez Mademoiselle, ça me convient très bien, aussi.

  « Comment une grande féministe comme toi a pu laisser passer une erreur aussi grossière ? C'est typiquement le genre de chose sur lesquelles tu n'aurais pas hésité à me terminer, lorsque nous étions au lycée. Ton indulgence n'est pas très bon signe... »

  Johan retient la porte derrière lui pour éviter qu'elle ne claque. Il ne fallait pas se faire remarquer alors que l'interview venait à peine de commencer. Les monteurs se mirent en place dans la seconde qui suivit. Ils savaient ce qu'ils avaient à faire et ne perdirent pas une seule seconde à tout mettre en place.

  Le salon imposant devait faire minimum quatre fois la maison de Johan. Les divans qui cerclaient un poste télé Sony auraient pu estimer leurs valeurs autour des mille euros et quelques. Johan avait presque envie de s'y poser mais ce n'était clairement pas le moment.

  Les expositions reposèrent comme étant la raison première de la visite de monsieur Alandore. Après le bac, Eilynn avait finalement décidé de se lancer dans l'art. La peinture. Elle peint pour vivre, se disait Johan en se réprimant de rire. Cette voie était sans aucun doute l'une des plus risquées – bien plus que les dealeurs qui se lançaient dans le rap après avoir été déscolarisées ou après être tombés dans la drogue et ses attrayants trafics. Cependant, la beauté sans égale que Johan lui trouvait servait presque de pare-feu à quelconque moquerie à son égard.

  « Tu n'as toujours pas changé » marmonnait-il en s'assurant de garder une distance de sécurité correcte pour ne pas qu'elle arrive à déchiffrer les traits de son visage ombragés par la casquette qui les surplombait.

  Coiffée d'un chignon impeccablement fait – aucun cheveu ne dépassait – et marié de la petite natte qui tombait sur la partie gauche de son front. Cette façon de se coiffer, c'était sa marque de fabrique. Une marque qui provoquait toujours autant de palpitations dans le cœur de Johan.

  Caché par un parapluie parabolique, il en profite pour se pencher en avant et plisser des yeux. « Toujours ce petit bijoux d'oreille que tu portes depuis la pré-rentrée de seconde. Parfait. » frissonnait-il. Lorsqu'il remarqua l'un des collègues de Alandore le scruter dans son dos, il fit mine et tâtonner le parapluie – comme s'il était mal réglé. Par chance, sa petite comédie fonctionna : le gars venait de tourner le regard vers Eilynn.

  « Tu vois, Eilynn. Contrairement à ce connard de Harry, je n'ai jamais oublié tous ces petits détails qui te rendent si unique... et ce n'est encore rien de ce qui te distingue réellement des autres filles... ».

  Johan cherchait un moyen de se rapprocher davantage. Il sort son iPhone 13 de sa poche et regrette de ne pas avoir économiser davantage pour la version Pro. La caméra, en fixant l'objectif précis, ce pourquoi il avait fait tout ce chemin, n'affichait que pixels qui bougeait dans tous les sens sur l'écran. Il aurait aimé prolongé le zoom de sa caméra, tordant le plus que possible son pouce sur toute la surface de l'écran. Rien n'y faisait. Johan mourut d'envie de fracasser son portable au sol en voyant qu'il venait d'atteindre sa limite.

  « Comment faire »

  Quelque chose trainait sur le carrelage blanc mat du hall d'exposition. Ça ne grinçait pas mais roulait. Johan tord son cou.

  « Mais voilà ! »

  Une penderie mobile se déplaçait dans la pièce. Elle roulait à toute vitesse sous l'impulsion d'un des membres de l'équipe en place.

  — Laisse ! Je m'en charge ! s'écria Johan, qui réagit à la seconde où son regard se posa que les diverses tenues de Alandore.

  « Il n'y avait aucun doute, c'était bel et bien sa penderie », se disait-il en survolant les pièces de costumes. « Combien de ses nombreux maxi-pétasses paieraient pour mettre la main dessus. Je suis sûr qu'il y en a dans le tas qui serait capable d'imprégner toutes ses manchettes avec de la cyprin, tellement elles sont tarées ».

  Le type fait rouler la penderie jusqu'à lui. Toujours la tête baissée, pour ne laisser voir que le logo ATV qui figurait sur sa casquette, Johan l'arrête du pied. Il se vouta suffisamment le dos pour que seuls ses pieds puissent dépasser de la penderie et se met à raser l'ombre du parapluie parabolique.

  « Son odeur de cannelle... j'y suis. Elle est là. »

  Il n'arrivait à contrôler les cognements dans sa poitrine et prit une pause pour se calmer. Toujours immobile, Johan pénétra sa main dans la penderie et l'oscilla entre deux costumes. Il y forma une minuscule fente qui faisait office de champ de vision tout en gardant un œil attentif sur les crochets des cintres : s'ils venaient à grincer sur la partie supérieur de la penderie, ça serait la fin pour lui.

  Il enfonce son œil dans la fente. Ils étaient là, l'un assis en face de l'autre sur des chaises hautes d'une couleur identique à celle du mobilier blanc qui gardait le hall.

  « Comment une fille aussi sensible et raffinée que toi peut dévorer cet enfoiré du regard ? S'il n'y avait pas le caméraman, tu aurais pu lui bondir dessus ! » Les yeux d'Eilynn ne clignaient pas une seule fois. Pendant qu'il les observait, Johan songea que Alandore faisait en réalité parti d'une théorie du complot et qu'il aurait le pouvoir d'hypnotiser les gens afin de les manipuler, tel un bon reptilien.

  « Mais comme tu n'es pas une pétasse, tu vas simplement de contenter de jouer avec le bracelet que tu portes à ta main gauche pour calmer tes pulsions. Non. Au lycée tu refusais de perdre ta virginité avec les chiens en ruth qui te couraient après. Tu n'étais pas comme les autres filles, à vouloir baiser pour dire que tu as baisé. Tu es sur la retenue, tu es distinguée. Jamais tu ne le laissera aller plus loin que cet interview débile »

  Johan regarde une dernière fois les tableaux qui servaient de gardes-fou aux quatre coins du hall.

  « Tu fais ça pour la passion de la peinture. Tu es une artiste avant tout le reste, j'en suis convaincu. Ça pourrait être Roger, quarante cinq ans, bide à bière, tu aurais quand même acceptée cette interview parce que tu as besoin de te faire connaître. Tout ça n'a rien à voir avec ce journaliste de merde qui pense qu'il a toutes les filles à ses pieds »

  Johan essayait de tendre l'oreille pour écouter plus attentivement l'interaction entre les deux individus mais ne parvenait pas à se concentrer.

  « Tes pieds... ils sont incroyablement bien fait. » Il en était tellement stupéfait que son corps fouilla sa poche droite et se saisit du portable sans même qu'il ait besoin de le commander à son cerveau.

  « Je savais bien que je n'avais pas fait le déplacement pour rien. Je pourrais parier toutes les prostituées du monde que ta pédicure serait bien faite. Attends une minute... il y a une couille dans la story. OK, ça me plait de voir que tu prends autant soin de toi. Pourtant, je te connais par cœur, Eilynn. Tu es une fille discrète, qui ne fait pas tout comme les autres. C'est idem pour tes pieds. Tu les laisses toujours au naturel, sans bijoux de pieds et sans pédicure – après je peux reconnaître qu'ils embellissent. »

  Johan fronce des sourcils et cligne deux fois des yeux pour être sûr qu'il avait bien vu et que tout ceci n'était pas le fruit de son imagination.

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