Chapitre 6 : Vivre le chaos
L'obscurité avait remplacé la lumière chatoyante de la Chapelle du grenier de Monsieur Benicio, dont le corps n'avait pas encore été retrouvé. Les conversations s'étaient raréfiées, les torrents de larmes et les hurlements désespérés avaient fini par se transformer en chuintements sourds, expression d'une immense souffrance totalement explicable.
Le moment précédant la crise, Yona avait entouré ses bras autour de ses genoux et avait hurlé de toutes ses forces, exultant toutes les larmes de son corps, jusqu'à l'épuisement. Elle avait fini par s'endormir. Hélas, dès qu'elle ouvrait les yeux, celle-ci ne pouvait s'empêcher de pleurer, de gémir, et n'arrivait point à calmer ses soubresauts. Et ce, même avec le soutien de ses trois compagnons non-humains.
Durant les jours qui suivirent cette perte considérable, cette perte de trop, la petite brune esseulée s'était réfugiée sous la couette avec la volonté inlassable de ne pas en sortir. Si elle n'avait plus la force ou l'énergie à exprimer avec intensité sa peine immense, ses cris et ses pleurs étaient devenus des gémissements progressivement à peine perceptibles. Ainsi, ses compagnons s'étaient tus, n'osant plus parler à haute voix. Seuls leurs chuchotements semblaient encore apporter de la vie à ce lieu. Si bien que de l'extérieur, les démons pensaient peut-être que ce lieu était vide de toute vie.
Yona passait le plus clair de ses rares temps sans dormir à se reprocher son laxisme, de n'avoir pas su être suffisamment ferme pour empêcher ses amis de causer l'irréparable. Si elle avait exprimé une plus grande dureté, peut-être que ses amis seraient encore en vie... et que Jona n'aurait pas eu à se sacrifier pour elle. Elle ne voulait plus vivre dans ce monde, elle préférait se réfugier dans ses rêves où ses proches étaient encore en vie. Elle avait la sensation qu'ils vivaient encore ainsi, grâce à la vitalité de ses souvenirs – même si parfois, l'arrivée des démons et surtout la pétrification de Jason revenaient régulièrement perturbées ses songes idylliques... et comme le cerveau faisait bien les choses, les scènes apparaissaient encore plus horribles que dans la réalité.
Par ailleurs, si Yona saisissait encore les nuances de son monde, actuellement, celle-ci ne faisait plus aucune différence entre le jour et la nuit, ainsi emmitouflée dans la couette, non-désireuse et surtout incapable de faire face à la réalité. Ce sentiment fut encore pire au fur et à mesure qu'elle passait son temps à dormir, préférant se laisser dépérir plutôt que d'affronter ce qu'elle ne pouvait encore surmonter.
Le golden retriever commençait lui aussi à déprimer, à force que l'on réprime ses envies de jouer, partageant la peine de la jeune femme. Le robot, soutenu par l'énergie psychique de l'esprit, s'était tenu à continuer de le nourrir, récupérant même les vivres « réservées » aux humains pour éviter qu'elles ne soient gâchées.
Toutefois, la situation devenait désespérante. Ray ne savait que faire pour secourir son amie et Fínis commençait à s'enraciner. L'inaction la rendait malade, si livide qu'on croirait qu'elle allait disparaître. Il fallait agir et vite, sinon ils ne repartiraient jamais.
L'esprit devait faire quelque chose sinon elle pouvait dire adieu à son serment et seules les divinités pouvaient savoir ce qui lui arriveraient. Quelqu'un possédant un artefact aussi impressionnant ne pouvait être aussi décevant, elle devait en tirer quelque chose. Sa mission en dépendait, fondamentalement.
La sirène spirituelle et l'intelligence artificielle volante décidèrent d'une stratégie pour la sortir de ce cercle qui n'était vertueux pour personne.
Alors, un jour que Yona se réveillait d'une de ses siestes toujours plus longues, perceptible par ses petits chuintements réprimant son malheur d'être réveillée, Ray s'approcha d'elle, avec sa joie habituelle.
- Yona, je t'ai préparé un bon repas. J'ai réussi à dégoter des spaghettis à la sauce bolognaise, comme tu les adores. Et je t'ai même concocté du thé glacé, comme tu les aimes.
- Mais... Ray, je t'ai dit que j'ai pas faim, s'enquit-elle, comme si parler et surtout répéter les choses lui étaient atroces.
Hélas, face à l'odeur remplissant ses draps, son ventre se mit à gargouiller.
- Ce n'est pas ce que ton ventre me dit, eh eh, lança le robot, taquin. Tu n'as peut-être pas l'envie de te sustenter mais ton ventre et le reste de ton corps ne sont pas de cet avis. Regarde même triste, Sol mange !
Vaincue, la jeune femme daigna à sortir de la couette, la dévoilant évidemment sous son meilleur jour avec ses yeux bouffis et ses traits creux, et... elle s'assit sur le matelas et commença à caresser le chien. Il jubila, sautilla auprès d'elle, doucement, pour lui faire la fête, heureux d'avoir enfin un contact de sa part et se remit à manger avec plus de vigueur, sa queue frétillant. Ray crut voir un léger mouvement sur ses lèvres quand elle vit Sol se nourrir. Elle prit le verre et le porta à ses lèvres. Le thé glacé semblait lui apporter une fraîcheur que l'eau ne lui apportait pas, que Ray parvenait déjà à lui faire boire régulièrement. Enfin, elle prit les couverts, avec une certaine maladresse, et elle enroula ses premières pâtes.
Comme un événement impressionnant, Ray restait attentif à chacun de ses gestes, la fourchette arrivant jusqu'à sa bouche, les commissures de ses lèvres s'élargirent positivement et... elle en reprit une bouchée et encore une autre. Elle mangea super vite et même si elle ne termina pas son assiette, elle semblait rassasiée.
Ensuite, Yona s'allongea de nouveau dans son lit, Sol osant quelques contacts avec elle. Si elle n'y répondit pas en jouant, elle y réagit positivement en le prenant dans ses bras. Le chien doré posa sa tête sur ses jambes et elle le caressa avec une attention soutenue. Elle s'intéressa davantage à la physionomie du canidé. Elle trouvait cela admirable que l'animal réussisse à vivre sans nulle difficulté avec ses trois pattes mais sûrement que lui considérait cela normal comme il avait toujours vécu de cette manière. Ses doigts rencontraient des parties plus rêches dans son pelage, remarquant ainsi leur rougeur. Elle remarqua avec effroi que son oreille gauche avait disparu, pour ne pas dire arracher en vue de l'impression des traits. Comment n'avait-elle pas pu faire attention à ça avant ?! Monsieur Benicio les avait prévenus que son chien avait été maltraité par ses anciens propriétaires à cause de son anomalie génétique, expliquant ainsi de faire attention à certains contacts. Les êtres humains étaient cruels ! quel dégoût.
Yona se disait qu'elle s'était recentrée trop longtemps sur son nombril. Il était temps qu'elle s'intéresse à d'autres êtres qu'elle-même. Monsieur Benicio avait su offrir une vie de rêves au chien délaissé, elle devait en faire de même. Elle commença à rejouer avec lui, décrochant parfois quelques sourires.
- Fínis, apostropha la jeune femme.
L'esprit, animée par des émotions contraires, apparut.
- Oui ? Nous existons maintenant ?
- Vous avez toujours existé. C'est même grâce à vous que Sol et moi-même avons pas dépéri. Je vous remercie infiniment avec Ray.
Lorsqu'elle émit sa gratitude, ses lèvres s'élargirent totalement.
- Mais, je voulais savoir. Y'a-t-il vraiment aucun moyen de dépétrifier les humains ?
La sirène spirituelle semblait grincer des dents.
- Il y a bien un moyen, mais extrêmement risqué.
- Dis toujours. On a pas le choix.
Un air satisfait apparut sur l'esprit.
- Il faut que tu retrouves les Sceaux primordiaux pour voir émerger Enez'Tonkadür de sous les abysses, en Bretagne. Attirer Bellum et la Tárăką sur le cercle des Menhirs en son sein et lui extraire ses pouvoirs pour inverser le processus.
- Quel genre de Sceaux primordiaux ? questionna la jeune femme, tâchant de prendre les informations au fur et à mesure pour ne pas paniquer de la charge à accomplir.
- Crann Bethadh, la Vouivre, le Triskèle, les deux Croix, l'Awen... Par ailleurs, il est possible que tu possèdes déjà l'Awen originelle mais qu'il faille que tu la réveilles, explique-t-elle, en jetant un regard appuyé sur son bijou ancien. Mais, il est possible que je me trompe.
Yona regarda sa bague avec attention, sous toutes les coutures, assimilant les informations envoyées. Et, elle se remit à pleurer, face à la difficulté du travail à accomplir.
- Mais... j'y arriverai jamais ! C'est beaucoup trop ! Trop, trop dangereux !
Finalement, se laisser dépérir dans sa cage dorée n'était peut-être pas une si mauvaise idée. Hélas, le regard cruel de la sirène spirituelle lui retira cette idée. Elle sortit son portable chargé à bloc et elle se décida à chercher de l'aide avec la seule personne qui pourrait la soutenir. Yona avait besoin de réponses alors elle mit toutes les chances de son côté, priant pour que le pire ne soit pas encore arrivé. Direction l'application de messagerie, elle envoya un mail à sa grand-mère, plus susceptible qu'elle le voit, si ses parents n'avaient daigné raconter son histoire rocambolesque. Grand-mère Melwyn saurait, aurait même déjà pressenti le Mal se répandre, elle saurait quoi faire.
Ray revint auprès d'elle et s'apprêta à lui dévoiler quelque chose qui pourrait lui remonter le moral.
- Yona, j'ai enregistré un message de la part de Kenneth. Il aurait aimé que tu le visionnes.
Elle acquiesça. L'écran de ses yeux se changea en une ligne ressemblant à un électrocardiogramme, l'audio adapterait les courbes en fonction de la voix et des intonations.
- « Ray, retrouve Yona. Sauve-la et préserve-la des dangers. Elle avait raison, jamais on aurait dû essayer cette Planche antique. On aurait dû lui faire confiance, maintenant... s'il y a bien quelqu'un qui peut nous sauver du chaos, c'est bien elle. Elle a toujours su nous sauver des situations critiques. Melwyn peut être fière de sa petite-fille. Et moi, Yona, j'attends ton retour, mais si tu dois choisir... sauve les autres, avant moi. »
Les mots du Créateur lui réchauffèrent le cœur. Fidèle à lui-même, doux et amical, reconnaissant que sa soif des savoirs avait été trop grande cette fois-ci. Il était d'un altruisme sous l'une de ses formes les plus pures. Il était la personne où elle se sentait le plus proche sur cette Terre, après Amy. Ses mots la remplirent de détermination.
- Yona... Maintenant, que fait-on ? Que fais-tu ? rappela Fínis, imperturbable. Je ne peux me lancer dans cette quête de longue envergure sans toi.
Yona ne pouvait plus fuir. Elle ne pouvait revenir se cacher sous la couette, ayant commencé à faire les efforts pour vivre. Sa cage dorée n'était pas la solution. Elle commença à écrire tout ce dont elle savait, tout ce dont elle avait besoin, tout en discutant stratégie avec l'intelligence artificielle et l'esprit. Comprenant un problème, Ray, malgré son intelligence hors-norme, ne parvenait pas à dialoguer sur le même canal que Yona et la sirène spirituelle.
L'esprit cartésien de Kenneth l'avait empêché de se renseigner sur les sujets en lien avec les mythes et les croyances. Il fallait remédier à ce problème, en vue du monde où ils allaient devoir survivre.
- Ray, en vue des pouvoirs qui me sont conférés et dans l'optique de t'adapter au monde dans lequel on vit, je souhaite accéder à tes paramétrages et supprimer l'un de tes blocages. Je souhaite que tu aies accès aux mythologies et à la théologie, que tu assimiles tout ce que tu sauras sur les croyances celtiques, les savoirs des druides, déclara-t-elle d'une voix forte, marquant ce côté décisif, qui ne manqua pas de surprendre le robot, avant de se radoucir. Si cela semble plus facile pour toi, tu peux séparer les informations en deux systèmes, avec d'un côté tout ce qui touche à la communauté des sciences et de l'autre tout ce qui touche aux légendes, à l'ésotérisme, les cultures religieuses, etc. Et comme ça, tu pourras switcher comme bon te semble, sans que les informations soient mélangées.
- J'avais un peu peur, débuta l'IA sur la réserve. Mais de cette manière, cela me rassurerait dans l'organisation. Je dois m'assurer de ce qui est fondamentalement vrai ou approuvé et ce qui ne touche que les choses inexplicables qui peuvent être contestées. Mais, ce qui veut dire que je vais pouvoir apprendre plein de choses nouvelles !
Sans attendre, il se mit dans un coin et se mit au travail. Des tonnes d'images et de textes passaient devant ses yeux, Yona pourrait presque croire qu'il était en veille si elle ne le connaissait pas assez. Elle s'en voulait un peu de changer le robot de son ami, mais comme elle en avait les accréditations, elle en profitait. Elle expliquera à Kenneth que c'était pour la bonne cause, pour les secourir.
Reprenant une vie plus active, reprenant soin d'elle-même, se préparant des provisions, quitte à faire quelques excursions dans son ancienne maison où elle ne fut aucunement dérangée, elle s'apprêtait pour le grand voyage de son existence. Durant quelques jours, elle avait jugé préférable de se préparer, laissant Ray assimiler ces nouvelles informations et ainsi la renseigner sur les symboles celtiques pour favoriser les chances de les retrouver... même si elle devait reconnaître que certains semblaient très métaphoriques, théoriques, pour pouvoir avoir une existence propre, à l'inverse de la Vouivre ou l'Arbre de Vie par exemple.
Yona apprit alors que les Celtes ne provenaient pas seulement de Bretagne et des Îles britanniques, mais que ce peuple avait aussi habité en Europe de l'Est, et qu'il était plutôt originaire d'Europe Centrale, entre l'actuel Suisse et l'Autriche. Elle espérait que les lieux primordiaux de leurs cultes n'étaient justement pas au cœur de leur noyau central... n'ayant aucunement la foi de se lancer dans un aussi grand voyage, seule. Enfin... sans aucun autre être humain.
Ray la rassura en disant que les cultures encore majoritaires restaient bien dans les premiers lieux cités. Toutefois, elle ne put s'empêcher de se plaindre de la route à parcourir depuis Tarnos jusqu'à des sites chargés d'histoire celtique, comme la région de Carnac.
Fínis lui rappela que c'était sa mission, que ce n'était pas un hasard si sa Grand-mère était une gardienne du savoir inexplicable, alors elle devait cesser de se plaindre à chaque difficulté. Pour autant, l'esprit apprit également des choses : ce qu'elle décrétait comme ses codes absolus, son monde et ses lois, appartenaient donc partiellement à la culture celtique. Si certains termes concordaient, d'autres avaient leur existence propre dans l'Éthernium, le potentiel Sidh des Celtes, l'Autre Monde, leur monde des défunts. Ou alors, des Celtes s'étaient rendus dans l'Éthernium, expliquant les termes communs et ceux ne l'étant pas.
Une fois qu'elle se sentit fin prête, ne transportant que le strict minimum de survie dans son' sac ainsi que des provisions, que Sol était bien entraîné à être le plus efficient et que Ray bien formaté pour ne sortir aucune anecdote de Culture G lorsque des démons étaient dans le périmètre, elle décida de mettre les voiles. Lors de son dernier passage au sein de leur maison de vacances, elle jura : « Les amis, je m'en vais vous sauver. Faites-moi confiance. »
Grâce à Fínis, son âme était dissimulée aux yeux des esprits malfaisants. Avançant courbée, d'une démarche furtive, regardant à chaque croisement, Yona avait l'impression d'être dans une mission commando. Elle ne devait pas émettre de sonorités et en même temps, elle ne devait pas être vue.
Par chance, elle remarqua que les démons n'étaient plus très nombreux par ici. Seulement quelques petits esprits qui erraient, inlassablement, en quête de la moindre petite vie humaine à dévorer. Ainsi, leur nombre était leur force. Il était aisé de les faire déguerpir grâce à l'influence que Fínis exprimait autour d'elle, mêlée à la présence du chien qui n'était même pas obligé de grogner fortement – le but n'étant pas de rassembler les démons de Tarnos, qui là, pourraient la mettre à mal.
Toutefois, Yona fut arrêtée dans sa course lorsqu'elle arriva au niveau du corps en pierre de Jona... Elle ne put retenir un sanglot. Si Ray compatit, que Sol se frotta à sa jambe, l'esprit tenta de la remotiver à partir. Si les lieux paraissaient sans danger, la réalité n'était rien : il en était le parfait exemple. S'il fallait être suffisamment près d'un démon pour l'entendre grogner, le reste du temps, les rues semblaient désertes, complètement vides... comme si le néant avait frappé les lieux. La non-vie était devenue maîtresse de l'endroit, démolissant les moindres signes de vitalité.
Grâce à ses pouvoirs, la sirène spirituelle la retint de partir l'enlacer et ainsi se mettre à découvert.
Le but de cette expédition était simple pour un commencement d'une quête impossible. Yona voulait retrouver l'oncle de Jona, Tarry, au sein d'une maison à quelques rues de là. Si elle savait que traverser la route était risquée, elle allait devoir le faire.
- Tu te souviens Yona, on choisit un endroit plutôt boisé, avec pas mal de véhicules, rappela l'entité de l'Éthernium.
- Oui, et j'y vais étape par étape. Je commence par le trottoir et quand je suis sûr... je marche avec de grands pas. J'ai que quelques secondes pour traverser et me baisser, compléta la jeune femme, fière de réciter sa leçon.
Désormais, il était temps de le mettre en pratique. Elle inspira profondément et traversa le trottoir, avant de se baisser entre les deux voitures. Elle regarda plus longuement pour la route, jusqu'où sa vue pouvait voir, et elle se lança. Yona élança ses jambes, amortissant chacun de ses pas, oubliant tout autour d'elle, déconnectant de la réalité.
Une fois arrivée de l'autre côté, dissimulée par les voitures, elle commença à se détendre quand... des formes apparurent dans son champ de vison et se jetèrent sur elle. Elle retint un cri avant de se mettre à courir. En un regard avec l'esprit, elle sut ce qu'il lui restait à faire : se cacher.
Courir était inutile face à des démons. Se planquer comme ils étaient incapables de lire son aura était une bien meilleure idée.
Ils tournèrent dans le jardin et par chance, maison du Sud, le jardin était fleuri et luxuriant. Encore mieux, ce jardin était une véritable jungle environnante, pour qu'aucun vis-à-vis ne vienne déranger l'occupant, impossible de voir ce que faisait les voisins. Yona décida donc, courant à en perdre haleine, de se planquer dans un amas de buissons et de s'y laisser oubliée dès que l'esprit l'enveloppa de son pouvoir. Si Ray était silencieux, elle devait calmer Sol pour qu'il ne les dénonce pas.
Les petits faisceaux colorés erraient dans le jardin avant de la maison, cherchant la moindre trace, le moindre bruit, pouvant leur indiquer où était leur proie. Mais rien ne se produisit et ils rebroussèrent chemin, à l'écoute d'un grand « boum » quelques rues plus bas.
Par sûreté, Yona préféra attendre quelques dizaines de secondes avant d'oser mettre le pied dehors. Elle n'attendit pas pour s'enfoncer dans le jardin et ainsi ne plus risquer d'être repérable par un fantôme provenant de la rue, camouflée par la Jungle fleurie. Elle devait trouver un moyen d'entrer. Elle chuchotait en exposant ses idées, dépassa une fenêtre fermée où elle voyait une plante dans un coin, plutôt imposante, deux vieux canapés d'un rouge délavé en face à face avec un meuble télé en bois, exposant un grand post télévision écran plat dérogeant au mode de l'endroit. Elle l'ignora pour se diriger vers l'autre, entre-ouverte, donnant sur une salle à manger, avec une longue table en bois, quelques meubles façonnés dans le même acabit, de vieilles peintures sur les murs, conjointe au salon télé. Et sans attendre, elle tira de toutes ses forces la fenêtre légèrement ouverte pour permettre un passage décent. Elle ne voulait quand même pas risquer de se casser en trois pour entrer !
Yona tira vers elle, usant de toute la puissance toute relative qu'elle possédait, se mordant les lèvres à s'en faire gémir sous l'effort, les veines ressortant de ses tempes. On lui tapota l'épaule, tandis que le robot volant se dirigea à l'opposé.
- Hum, hum. On est pas seuls, Yona, précisa l'esprit, d'une voix basse.
Stoppée dans son élan, la jeune s'arrêta immédiatement, les yeux exorbités. D'une délicatesse presque irréelle, elle détacha ses doigts et recula légèrement. Effectivement, à quelques mètres d'eux, partiellement dissimulé par les plantes comme pour profiter de l'ombre, un fantôme rouge aux yeux globuleux était entouré autour de lui, dormant au sol, dans la même position qu'un chien. Par instinct, le golden retriever se mit à grogner légèrement, causant un soulèvement encore plus important chez le fantôme.
- Yona, cache-toi ! murmura Fínis d'une voix forte, en la poussant hors de son champ de vision.
Un petit bruit de surprise l'alerta sur le réveil du fantôme, qui ne tarda pas à faire face à Soleado. Sans attendre, il jappa d'une petite voix mais ce fut entièrement suffisant pour que celui-ci ne s'enfuit. Yona réapparut et le chien se jeta dans ses bras, lui signalant que la menace avait été écartée.
Durant ce temps, un bruit clair et furtif retentit et la fenêtre fermée s'ouvrit d'un seul coup. La jeune femme remarqua seulement le bras de Ray se ranger auprès de lui.
- Et voilà, la fenêtre est ouverte, déclara-t-il, en l'invitant à passer. L'autre étant bloquée, cela nous aurait davantage mis en difficulté de l'ouvrir. Et imagine qu'on y parvienne mais qu'il s'avère impossible de la refermer.
Yona acquiesça, résignée – l'intelligence artificielle avait raison – et elle entra. Se pliant en quatre, tâchant de faire le moins de bruit possible, elle se glissa difficilement dans l'ouverture, s'ensuivit de Ray et Fínis. Elle aida ensuite Sol à entrer, qui ne put s'empêcher de visiter l'endroit avec une certaine vivacité. Ray se hâta de refermer la fenêtre.
Dès les premiers regards, elle comprit immédiatement qu'elle était bien chez Tarry, l'oncle de Jona. Sa veste déposée à la va-vite sur le dossier de la grande table en désordre, sa sacoche à entrouverte avec son contenant qui sortait à moitié et... des paquets d'Oréo dont un ouvert. Tarry adorait ces gâteaux plus que tout au monde ! Yona ne put s'empêcher de foncer dessus et d'en picorer quelques-uns, pendant qu'elle regardait la décoration de la maison en location. Par rapport à eux, où la maison était grande, spacieuse et moderne, la sienne était petite, vieillotte, avec un style naturel, entre les meubles en bois ou apparence bois et les vieilles peintures sur les murs. Toutefois, la maison comportait elle-aussi un étage, dont l'escalier aux petites marches rapprochées se trouvait sur le mur entre le salon et la cuisine. Peut-être qu'Oncle Tarry s'était réfugié à l'étage ? Peut-être dormait-il ? S'il avait un mode de vie plutôt actif de manière générale, se levant tôt, faisant toujours plein de choses et toujours en train de rencontrer du monde ; il préférait lézarder lorsqu'il était en vacances loin de chez lui et en faire le moins possible.
Néanmoins, un bruit l'attira vers la pièce à gauche de l'escalier du coin de l'œil, dont la porte d'entrée faisait la jonction entre la salle à manger et la fameuse cuisine. En à peine quelques pas, la lumière du frigidaire grand ouvert lui parvint. Ce son ne pouvait venir que de là. Mais ce n'était pas tout... Même si Oncle Tarry était parfois maladroit et tête en l'air, cela ne lui viendrait jamais à l'esprit de laisser le frigo ouvert ! Il... il avait dû arriver quelque chose.
Oh non ! Rapidement, Yona remarqua une forme solide derrière la porte de ce dernier. Un homme, plutôt bien conservé pour son âge, aux courts cheveux presque chauves par endroits, était étendu sur le sol, figé dans la pierre. Ses yeux étaient écarquillés, sa bouche grande ouverte, les traits de son visage conservaient la frayeur que les démons lui avaient aspiré avant de lui dévorer son énergie vitale. Même lui, les fantômes l'avaient eu. Lui, cet homme drôle, toujours prêt à les accompagner dans leurs bêtises, leur chaperon par excellence, l'oncle de Jona mais aussi de toute la bande. Toujours drôle, même si ses blagues pouvaient être grinçantes parfois, et prêt à relever les plus grands défis, et pourtant, il parvenait à avoir des moments de lucidité ou de maturité qui leur rappelaient son âge. Lui aussi, ils l'avaient eu... Pourquoi ? Il ne le méritait pas.
Yona mit ses mains devant sa bouche, aucun son n'arrivant à sortir, aucune larme ne parvenant à se nicher dans ses yeux. Elle se mit à trembler avec intensité. Ça recommençait : elle avait perdu ses amis un par un, Jona l'avait quittée en se sacrifiant, et son dernier repère venait de lui être retiré. Elle était de nouveau toute seule, au sein d'une atmosphère qui pouvait la réduire à néant à chaque instant, où elle ne savait comment s'en défaire. Enfin... elle avait ses amis particuliers, mais la compréhension et la communication n'étaient pas forcément optimales, et surtout : elle avait l'impression que l'avenir du monde pesait sur ses épaules.
Grand-Mère Melwyn ne lui avait pas répondu. Il était peut-être déjà trop tard pour elle aussi. Cette pensée termina de la briser. Perdue, sans repère, vivant dans un monde mortel, missionnée pour une quête impossible... Elle craqua. Ses hurlements, digne de l'expression d'une profonde folie retenue bien trop longtemps, dépassaient l'entendement. Son mal-être état plus grand que la perte de celui qu'elle aimait. Cette fois-ci, c'était le désespoir qui l'animait. Plus rien ne la retenait.
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