Chapitre 8 : Les Remerciements de Liliane


Ravie de son travail, Liliane admira un instant son œuvre.

Les plants récoltés deux jours plus tôt avaient enfin été mis en terre. Elle avait ensuite paillé tout ça, donné un brin de magie pour améliorer l'implantation des racines, étalé de l'engrais et arrosé le tout.

La parcelle minable de plantes médicinales mortes commençait enfin à avoir fière allure. Elle avait hâte de voir l'amélioration, demain déjà. Les avantages avec la magie, c'était que vous pouviez accélérer les choses de façon drastique.

Toute guillerette, elle avisa Herald. Rétabli de façon exceptionnelle grâce à ses soins, il semblait tout de même souffrir de la chaleur. Oups. Quelle heure était-il ? Midi passé ? S'excusant envers le blessé, elle le conduisit dans les cuisines, où il s'écroula avec un râle, en acceptant une carafe d'eau de la part de la cuisinière. Cette dernière semblait avoir un petit faible pour le beau chevalier.

Acceptant elle aussi un verre, Liliane remarqua qu'il y avait un sacré remue-ménage à l'intérieur de la demeure Macklar. Intriguée, elle laissa Herald derrière elle, pour voir de quoi il en retournait.

Des meubles étaient transportés, aurait-on dit. Mais que se passait-il ? À la façon dont on les montait à l'étage, c'était comme si quelqu'un emménageait. Qui cela pouvait-il bien être ? En apercevant mademoiselle Arlette... Enfin, le Marquis sous sa forme de femme, elle trottina vers lui. Au pied des marches du grand hall d'entrée, il supervisait les choses, de sa voix ferme et douce. Douce...

Elle se retint de pouffer, mais dut échouer, car Arlette se tourna aussitôt vers elle. Pour avoir l'air passablement irrité.

-Si vous vous foutez de moi à chaque fois, je sens que ça va être compliqué.

-Je ne vous pensais pas capable de vous faire une queue de cheval.

-J'ai déjà eu les cheveux longs en tant que... plus jeune, rétorqua-t-il avec ses lèvres pulpeuses. Et j'en faisais à mon frère aussi, quand il les portait jusqu'aux épaules.

-Le Marquis ? Ainsi ? Oh, je serais curieuse de voir cela, fit Liliane, songeuse. Vous êtes tellement viril, je me demande si ça adoucit vos traits ou accentue votre air sauvage.

-Qu'est-ce que j'en sais moi ? marmonna-t-il.

-Mademoiselle Arlette !

Le timbre guilleret d'Herald les fit se tourner toutes deux vers le chevalier. Un grand sourire aux lèvres, il s'inclina devant ce qu'il prenait pour une damoiselle, tout en saisissant ses doigts pour... pour un baisemain.

Liliane se retint difficilement d'éclater de rire, tant l'expression d'Arlette-Logan valait le détour. Il était hérissé au possible !

-Vous êtes resplendissante, comme toujours.

-Ça me fait une belle jambe.

Coutumier de son humeur de chacal, désormais, il ne se laissa pas démonter.

-Je dois dire que je suis impressionné : le Marquis m'a dit que vous aviez poursuivi l'ennemi dans la forêt. Il faut un grand courage pour cela !

Arlette coula un regard à Liliane, de type « arrêtez-le ou je le tue », qu'elle connaissait assez bien pour l'avoir régulièrement pratiqué avec Liam.

-À vrai dire, Herald, le Marquis les avait déjà tous tués. Elle était donc en sécurité, rassurez-vous.

-Ah ? Mais tout de même.

-N'en avez-vous pas tué quatre vous-même ?

-Heu... Oui, mais j'ai été blessé.

-Rares sont les hommes à revenir d'un affrontement intact, déclara Arlette. Bien, maintenant, si vous permettez, j'ai des choses à faire.

Elle disparut, fuyant très clairement la cour du chevalier, qui la regarda partir avec des yeux admiratifs. Liliane, elle, se dit qu'elle portait merveilleusement bien les pantalons. Chemin faisant, elle se souvint de son physique de femme dans la rivière, et...

-Oh bordel.

L'esprit parfaitement clair, cette fois-ci, elle se souvint y avoir fait allusion sans réellement réaliser ce que cela impliquait.

Mais dans la rivière... Arlette... C'était le Marquis. Et... Liliane était complètement nue, alors.

-Mademoiselle ? fit Herald. Tout va bien ?

Elle comprenait mieux pourquoi elle, enfin, il avait lutté de toutes ses forces pour ne pas la regarder ! Son âme de gentleman l'y interdisait, et en dépit de tous ses efforts, dans sa stupidité, elle avait tenté de la mettre à l'aise en... de le mettre à l'aise en... oh bon sang ! Son cerveau se faisait des nœuds à tenter de faire la traduction entre le masculin et le féminin ! Mais concrètement, il n'y avait qu'une seule bonne écriture dans le cas de Macklar : le il.

Car il était le Marquis, sous forme d'Arlette ou non.

Et elle, elle s'était exhibée totalement nue devant lui !

-À ta tête, tu viens de réaliser toutes les âneries que tu as pu faire.

Bras croisés, le Duc de Karth la fixait de son regard taciturne. Mais terriblement perspicace.

-Ah ? fit Herald, sans comprendre.

-Je ne vois pas de quoi tu veux parler.

Un sourire moqueur étira les lèvres de son frère.

-Je plains ce pauvre Marquis.

-Hein ? Pourquoi ?

-Pour rien. Liliane, je dois retourner au duché immédiatement.

Déjà ? La magicienne haussa les sourcils, avant de hocher la tête. Elle comprenait de quoi il en retournait. Avec l'attaque de Finiance sur sa personne, plus ceux que son frère avait exécutés durant son absence, il était clair que les choses n'étaient pas finies. Il devait impérativement s'assurer que tout allait bien chez eux, pour prendre des mesures drastiques. L'Empereur de Kashar lui avait donné toute latitude pour s'occuper de cette affaire.

Il fallait dire qu'il n'était pas fou. Il avait tué un Roi pour sa sœur, il pouvait très bien en faire de même avec un Empereur. Même si ce dernier était réputé pour être d'une puissance terrifiante. L'esprit protecteur impérial, qui lui prêtait ses pouvoirs, n'était pas le premier venu.

-D'accord. Soit prudent.

-Toi aussi. Herald, je vous confie la sécurité de ma sœur.

-Ne vous en faites pas. Je veillerai sur elle.

Le Duc de Karth hocha la tête.

-Le Marquis aussi. Je lui fais confiance, Liliane.

Alors ça... Le chevalier et elle-même en restèrent la bouche ouverte. Liam ? Faire confiance au Marquis ? Ils ne pouvaient pas se supporter ! Et ce depuis des années ! Ils étaient ennemis héréditaires ! Oui, enfin, techniquement, Liliane aussi, mais elle, elle s'en moquait.

-Ne faites pas cette tête, grommela le Duc. Quoi qu'il en soit, essaie de reste sage, petite sœur.

-Je suis toujours sage.

-Mais oui, c'est ça.

Ils l'escortèrent jusqu'à son cheval, qui l'attendait déjà avec le reste de ses hommes. Seul Herald resterait sur place. C'était dire à quel point il faisait confiance au Marquis ! Car en vérité, ce que Liliane ne savait pas, c'était l'efficacité de ce dernier. Ses hommes avaient localisé et retrouvé les suppôts de Finiance, pour les exécuter dans la plus grande discrétion. S'il avait laissé le Duc gérer cette histoire de prime abord, il avait fait surveiller la situation. C'était pour cela qu'il s'était trouvé dans la forêt avec elle, ce jour-là. Car, il savait que sa vie risquait d'être mise en danger, sans en connaitre la raison.

Or, maintenant que le premier coup avait été porté, il avait la possibilité de fermer et contrôler ses frontières comme il le souhaitait, sans risquer de crise diplomatique.

En tant que Marquis, il avait la liberté de prendre des décisions de ce type sans attendre l'accord de l'Empereur, ou même de lever une armée le cas échéant. Or, on ne plaisantait pas avec le Chevalier Sanglant.

La riposte avait été violente.

Et le Duc respectait cela.

-Je t'enverrais une lettre à mon arrivée, déclara Liam.

-Essaie d'écrire mieux que la dernière, que je réussisse à te relire !

-Vous pouvez parler, toi et tes pattes de mouches !

Son frère parti, elle eut un petit pincement au cœur. Ils étaient très proches, tous les deux. Certes, pour les guerres et ses obligations ducales ils étaient souvent séparés, mais cela lui faisait bizarre. Ils avaient toujours compté l'un sur l'autre.

-Êtes-vous triste du départ de votre frère ? s'enquit le Marquis le soir même.

-Mmh ? Pourquoi me demandez-vous cela ?

-Vous êtes étrangement silencieuse. Je n'ai pas l'habitude.

Installée sur le canapé de son bureau, elle grimaça à cette remarque. Souriant d'un air amusé, l'imposant Marquis lui avait tout de même posé une question sincère. Il méritait une réponse qui l'était tout autant.

-Je ne suis pas triste, je sais que je vais le revoir. Néanmoins, je suis toujours anxieuse lorsque nous sommes séparés.

-Pourquoi cela ?

Refermant son livre, elle pencha la tête de côté. Installé à son bureau, monsieur de Macklar l'observait, attentif.

-Probablement parce qu'il est mon protecteur de toujours.

-Votre protecteur de toujours ?

-Oui. Enfants, c'était lui qui me protégeait. Nous avons été élevés par notre grand-père et il était... pour le moins sévère. Liam s'interposait souvent au détriment de sa propre santé.

Elle sourit au Marquis, qui fronça les sourcils. Pourquoi souriait-elle ? Un réflexe ?

-Enfin, j'imagine que j'ai toujours un sentiment d'insécurité quand il s'éloigne. Et avec l'histoire de la guerre, cela a renforcé cette sensation. Vous avez des frères et sœurs, monsieur ?

-Hormis Arlette ? ricana-t-il en prenant une gorgée d'eau. Non. Ma mère a décrété qu'un seul enfant, c'était bien suffisant. Elle a failli mourir en couche.

-Oh. Je peux comprendre que cela ôte toute envie de procréer.

-Oui. Mademoiselle Liliane... Je ne prétendrais pas être votre protecteur, mais sachez qu'à mes côtés, vous êtes en sécurité. D'accord ?

Étrangement, elle se sentit rassurée par ses propos. Peut-être était-ce parce qu'il l'avait déjà sauvée par deux fois ? Quoi qu'il en soit, elle hocha la tête avec reconnaissance.

Ils passèrent le reste de la soirée ainsi, l'une à lire, l'autre à travailler. Et comme toutes les autres fois, elle s'endormit sur le canapé, en toute innocence. En la portant jusqu'à son lit, ni Logan ni Herald ne pensèrent à râler. Cela menaçait de devenir une habitude.

Elle, en revanche, se dit le lendemain matin qu'elle devrait faire un peu plus attention.

Profitant de l'absence du Marquis, qui dormait à cette heure du jour, elle lut toute la matinée dans son bureau des ouvrages sur la magie. Absorbée, elle ne perçut pas le remue-ménage à l'extérieur de la pièce. Herald, ravi de pouvoir se reposer après ces jours passés à cavaler après sa maitresse, faisait une bonne sieste sur le canapé. Alfred vint leur proposer un repas, qu'elle prit sur place. Ce fut donc ici que le Marquis la retrouva, à la nuit tombée, avec un chevalier qui commençait à s'ennuyer ferme.

-Bonsoir, mademoiselle. Herald.

-B'soir.

-Bonsoir, monsieur. Allez-vous bien ?

-À merveille. Avez-vous déjà diné ?

-Oui, Alfred s'est occupé de nous, répondit Liliane avec un sourire .

-Parfait. Dans ce cas, suivez-moi.

Intriguée, elle jeta un coup d'œil à son chevalier, qui haussa les épaules en signe d'ignorance.

Emboitant le pas au Marquis, elle lui demanda de quoi il en retournait, mais il secoua la tête. Il ne dirait rien. Légèrement frustrée, elle lui posa pléthore de questions, auxquelles il ne répondit pas plus. Cet homme pouvait être énervant, quand il s'y mettait !

Néanmoins, ce sentiment s'évanouit lorsqu'il la fit entrer dans une pièce chargée de livres, dotée d'un bureau, de fauteuils et d'une cheminée dans laquelle ronflait un feu. Tout d'abord, elle ne comprit pas où elle se trouvait. Jusqu'à ce qu'elle ressente les reliquats de magie. La salle des mages !

Bon sang, elle avait bien changé !

-Pourquoi...

-Vous êtes une magicienne, non ? fit-il en faisant signe à Herald de rester dehors, derrière la porte close.

-Heu oui. Mais...

-Vous allez être amenée à rester ici un peu plus longtemps que ce que je pensais. Alors, autant que vous ayez des locaux à la hauteur de vos fonctions.

Il s'assit à demi sur le bureau, les bras croisés. La lumière chaleureuse du feu de cheminée illuminait son visage barré d'une profonde cicatrice. Souriante, Liliane regarda autour d'elle.

-Je ne suis pas votre magicienne, pourtant.

-C'est tout comme. Maintenant que vous savez la vérité, autant que je vous laisse faire ce que vous souhaitez.

-Vous allez vous montrer docile, alors ? le taquina-t-elle en haussant un sourcil.

-Ça, je ne peux pas le promettre ! rit-il. Néanmoins, je tenterais d'être plus coopératif.

Hochant la tête, Liliane promena son regard sur la pièce. Il y avait même un établi de préparation, dans un coin, ainsi que des alambics ! Fantastique ! Il avait vraiment pris les choses au sérieux !

-Je vais avoir du pain sur la planche, dans ce cas. Il y aura quelques préparatifs à faire, mais je pourrais étudier la question de votre malédiction plus sérieusement, maintenant.

-Ne vous surmenez pas trop, tout de même. En parlant de cela... Je dois aller travailler, marmonna-t-il.

Hochant la tête, elle admira les lieux, quand soudain elle s'exclama :

-Monsieur ! Attendez !

La main sur la poignée de la porte, il se tourna vers elle, surpris.

Il le fut davantage lorsqu'elle l'attrapa soudain par son veston, pour le tirer en avant, tandis qu'elle se dressait sur la pointe des pieds. Quand ses lèvres rencontrèrent les siennes, elle ne se dit pas que son comportement était indécent ou inapproprié. Chastement, elle l'embrassa, avant de le relâcher avec un grand sourire.

-Je ne vous avais pas encore dument remercié pour votre sauvetage, monsieur.

*

Il était heureux qu'il fasse nuit.

Car cela lui épargna d'expliquer à Herald pourquoi il était tout rouge en sortant de la salle des mages.

Bon sang ! Le Duc avait eu raison de le traiter de puceau ! Il réagissait comme un jeune premier ! Surtout que c'était, quoi ? Un chaste baiser ? Juste ses lèvres contre les siennes ! Pourquoi réagissait-il ainsi, hein !?

Le cœur battant la chamade, il se réfugia dans son bureau, où il tenta de ressembler ses esprits.

Mais qu'est-ce qui lui était passé par la tête, bon sang !? Pourquoi l'embrasser ainsi !?

-Monsieur ? Tout va bien ? s'enquit Alfred, son plateau de thé à la main.

-Oui. Oui, tout va bien.

Le majordome n'insista pas, sans omettre pourtant de hausser un sourcil. Voilà longtemps qu'il n'avait plus vu son maitre ainsi agité. Que s'était-il donc passé avec la damoiselle de Karth pour le mettre dans un tel état ?

Il eut un mal de chien à travailler.

Les rapports étalés devant lui, des images de Liliane dans la rivière ne cessaient de lui revenir. La fin de cette escapade avait été malheureuse, mais... Il ferma les yeux, en repensant à ces instants. S'il avait été homme, à ce moment-là... Il aurait cédé à la tentation, c'était certain. Mais d'un autre côté, s'il avait été homme, il ne se serait jamais retrouvé dans ladite situation.

Poussant un profond soupir, il se dit qu'il devait se rendre à l'évidence : innocente comme elle l'était, Liliane ne devait voir dans ce baiser qu'un simple remerciement de sa part. Elle ne pensait probablement pas plus loin.

Et lui finissait perturbé au possible !

Bordel ! Il avait connu son comptant de femmes ! Alors pourquoi... Cela devait faire trop longtemps qu'il n'avait fréquenté personne, justement. Il devrait faire un tour en ville pour... non. Simplement satisfaire des besoins primaires ne l'intéressait pas, en cet instant.

Confus, il chassa toutes ces considérations de son esprit, pour se plonger dans le travail.

Seul, dans le cœur de la nuit, il alla tout de même vérifier vers deux heures du matin où en était la magicienne. Comme il s'y attendait, elle s'était endormie dans le canapé, devant la cheminée, au milieu d'un tas de livres.

Avec un soupir, il la prit en poids, passant devant un Herald dodelinant de fatigue, pour aller la coucher. Quand elle se blottit contre lui, la tête dans le creux de son cou, il pria tous les saints de la création pour rester un gentleman exemplaire.

Une fois loin de cette tentation roulée en boule sous les couvertures, il reprit son travail, jusqu'à l'aube. Épuisé, il se dit qu'il devait aller se coucher, lorsque son majordome revint. Lui avait dormi, et était pimpant.

-Tenez, monsieur. Votre tisane pour vous aider à dormir.

Avec tous ses changements d'horaires, depuis l'arrivée de Liliane, il se faisait penser à un grand-père. Obligé de boire une tisane pour trouver le sommeil en plein jour...

-Merci, Alfred, soupira-t-il.

Lui souriant, le vieil homme se figea en lui tendant sa tasse.

-Alfred ? s'inquiéta le Marquis.

Faisait-il une attaque ?

-Mo... Monsieur...

-Oui ? Quoi ?

Incapable d'en dire plus, le majordome désigna la fenêtre. Le soleil pointait le bout de son nez, par-delà la ligne d'horizon. Oui, il faisait jour et... Logan baissa le regard vers ses mains couturées de cicatrices, les yeux ronds.

Pourquoi était-il toujours sous sa forme masculine, alors qu'il faisait jour !?


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