Chapitre 7 : La Malédiction de Macklar


Il était mortifié.

Allongé sur le dos, les bras bloqués au-dessus de sa tête par cette maudite corde, Liliane de Karth en chemise de nuit à califourchon sur lui, Logan avait envie de disparaitre. Rien n'allait, dans cette situation !

-Comment est-ce possible ? souffla la magicienne en prenant son visage entre ses mains, pour le regarder de plus près. Je n'avais jamais entendu parler d'une telle malédiction !

-Ouais, je sais, râla-t-il. Mais mademoiselle, je...

-Je comprends mieux pourquoi vous ne vouliez pas en parler ! Dans notre société où tout est régi par la masculinité, cela serait considéré comme un handicap chez vous ! Au fait, vous êtes un homme ou une femme, à l'origine ?

-Un homme, bordel ! rugit-il, la faisant sursauter sur lui. Mademoiselle, détachez-moi, maintenant !

-Pour que vous puissiez vous enfuir ? Certainement pas ! J'ai bien l'intention d'en profiter !

Quoi ?

En la voyant faire sauter les boutons de sa chemise pour dévoiler son torse, il crut que son cœur allait jaillir de sa poitrine. Se rendait-elle compte de la situation, au moins !? Elle était à califourchon sur lui, en petite tenue, et elle le mettait à poil !? Il était un homme mor...

-Tu peux me dire ce que tu fais ? fit une voix doucereuse, directement dans le creux de l'oreille de mademoiselle Liliane.

Cette dernière devint livide en découvrant son frère, accroupi à côté d'eux. Qui souriait d'un air un peu trop aimable pour être vrai à sa sœur. Soeur qui était, au demeurant, toujours à califourchon sur lui, les mains sur son torse à nu.

Heu...

Accroupi, sa tenue blanche constellée de sang séché, sa cape étalée autour de lui, le Duc de Karth irradiait d'une colère difficilement contenue.

-Je peux tout t'expliquer, couina Liliane. Ce n'est pas de sa faute.

-Si je n'avais pas été là pour te voir l'attacher, je l'aurais probablement tué, susurra Liam en coulant un regard assassin au Marquis.

Mais il y était pour rien, lui ! Attendez... Il l'avait vu l'attacher ? Mais alors... Logan laissa retomber sa tête en arrière, avec un gémissement désespéré. Deux témoins d'un coup, c'était trop pour ses nerfs.

-Maintenant, tu vas me faire le plaisir de dégager de sur lui, et tu vas le détacher.

-Oui, chef !

Sauf qu'elle ne fit pas les choses dans l'ordre. Se penchant en avant, toujours à cheval sur lui, elle entreprit de tirer sur la corde, solidement attachée. Et le Marquis se retrouva, de fait, quasiment le nez dans ses seins.

Il détourna rapidement la tête, cramoisie, avec un esprit en ébullition qu'il mata sans merci.

Qui se figea lorsqu'il croisa le regard de Liam de Karth.

C'était de la pitié qu'il voyait dans ses yeux, ou quoi ? Non. C'était bien ça. De la pitié mêlée à de l'amusement et de la colère. Quand il forma silencieusement le mot « puceau » de ses lèvres, ce dernier compris soudain l'origine de sa pitié.

-Mais pourquoi me faites-vous un doigt d'honneur !? s'exclama Liliane.

-Navré, ce n'était pas pour vous.

-Liam, qu'as-tu donc fait ?

-Moi ? Mais rien, voyons.

-Ça y est, vous êtes détaché, fit enfin la jeune femme en posant les mains sur ses hanches, très fière d'elle.

-Fantastique, marmonna le Marquis.

Se redressant sans lui laisser le temps de se pousser, il l'embarqua avec lui, la soulevant du sol des deux mains sur sa taille. Ah... Elle avait la peau chaude, et en glissant vers le parquet, elle se retrouva les seins plaqués contre lui. La sensation moelleuse était...

Il rougit en reculant précipitamment, sous le regard assassin du Duc de Karth.

-Bien, fit ce dernier, bras croisés sur son torse rougi. Que s'est-il passé ?

-C'est un peu compliqu... Liam !? Pourquoi tu as du sang sur toi !?

-C'est maintenant que tu t'en rends compte ?

-Tu es blessé ?

-J'ai l'air incompétent au point d'être blessé ? gronda-t-il.

-Ah, ça va, alors, souffla mademoiselle Liliane en tapotant l'épaule de son frère.

Se frottant les poignets, Logan se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche. Il était épuisé, soudain. Il sentait que la nuit allait être longue. Très longue.

-Tout va bien ? s'enquit Liliane en posant une main sur son front, en se penchant vers lui.

Il se crispa en se retrouvant nez à nez avec son décolleté. Bordel de merde, il allait perdre dix ans de sa vie, à ce rythme ! Surtout avec le Duc qui semblait clairement vouloir le tuer !

-Mademoiselle, fit-il en fermant les yeux. Allez vous habiller, s'il vous plait.

-Mmh ?

Elle baissa la tête vers sa chemise de nuit, avant de hausser les épaules.

-Oh, ça va. Vous m'avez déjà vue nue.

Oh bordel.

Au regard du Duc, il était mort.

*

Il avait bien fallu dix minutes à Liliane pour calmer son frère. Ce dernier hurlait si fort que les gardes arrivèrent, pour tomber sur une scène saugrenue : la jeune femme s'interposait devant le Duc de Karth, protégeant le Marquis qui se massait les tempes d'un air exaspéré.

C'est ce dernier qui finit par mettre tout le monde dehors, ordonnant à la magicienne d'aller s'habiller et au frère de se calmer, avant de sauter à des conclusions hâtives. Peu habitué de se faire remettre à sa place ainsi, le Duc se retrouva donc dans le couloir avec Liliane, complètement médusé. Il se fit enguirlander par sa sœur pour son manque de retenue, ce qu'il le fit exploser de nouveau. Comment pouvait-il réagir autrement après ce qu'il venait d'entendre !?

Une heure plus tard, en apprenant que c'était encore Liliane qui avait mis le Marquis à nu en le forçant à aller dans la rivière sous sa forme de femme, il poussa un profond soupir las.

Elle était irrécupérable.

Et il commençait à plaindre le Marquis, qui résistait visiblement de toutes ses forces pour ne pas commettre de faux pas.

Tout cela, dans son innocence, Liliane n'en avait pas conscience.

Vêtue de façon descente, elle était d'ailleurs en train d'examiner le visage du Marquis de prés, les deux mains plaquées sur ses joues, à le bouger dans tous les sens.

-Mais bon sang, que cherchez-vous à voir, ainsi !? s'exclama-t-il enfin.

-Je suis épatée par le changement, avoua-t-elle. Vous êtes si belle en femme et si virilement beau en homme, comment est-ce possible ?

Il eut un instant de pause, les yeux écarquillés. Avant de grimacer.

-Par pitié, ne me dites plus jamais que je suis belle en femme.

Liliane battit des paupières, avant d'arborer un sourire narquois. Elle commençait à mieux comprendre le comportement d'Arlette, depuis leur arrivée ici.

-Combien de personnes sont-elles au courant ? s'enquit-elle en le lâchant enfin.

De toute façon, elle aurait besoin de l'examiner en entier. Mais avec son frère qui ne la lâchait pas du regard, elle ne pouvait clairement pas lui demander de se déshabiller. Quoique, ne devrait-elle pas le faire en sa présence, justement ? Cela éviterait les quiproquos malheureux, non ?

-Mes parents étant morts, il ne reste plus qu'Alfred, soupira le Marquis.

-Le majordome ?

-Il était le serviteur de ma mère, il connait toute notre vie. Les domestiques et les chevaliers, en revanche, sont dans l'ignorance. Pour eux, je suis simplement incapacité au lever du jour, et ma sœur est... la fille illégitime de feu mon père, arrivé du jour au lendemain.

Le voir si généreux en explications la changeait, tient ! Grignotant des encas apportés par Alfred, elle observait le Marquis comme un chat une souris. Il en avait conscience, aussi évitait-il son regard, mal à l'aise. Il n'avait clairement pas l'habitude de parler de cela.

Cela la rendit triste.

-Vous avez dû vous sentir bien seul, souffla-t-elle en prenant sa main dans la sienne.

Il haussa un sourcil en la regardant enfin dans les yeux. Contre toute attente, il serra ses doigts, avant de la relâcher.

-C'est une habitude à prendre, déclara-t-il finalement.

-Depuis combien de temps êtes-vous maudit ? s'enquit le Duc.

-Mes quinze ans. Et oui, je suis un homme à la base.

-Vu votre comportement en tant qu'Arlette, c'est évident. Ça vous arrachait la gueule de vous comporter comme une femme.

-Il est vrai que vous êtes très mauvais acteur, concéda Liliane.

Le Marquis grommela un juron tout bas, tout en se réinstallant dans son siège. Il était visiblement très, très mal à l'aise avec cette conversation. À n'en pas douter, il aurait préféré se retrouver sur n'importe quel champ de bataille que dans son propre bureau, en cet instant.

-Vous en avez de bonnes, vous. Vous savez à quel point c'est difficile de se couler dans la peau d'une femme et d'accepter des compliments sur sa beauté alors que l'on est un homme et que l'on est content d'être un homme ?

-C'est vrai que si vous n'avez jamais voulu changer de sexe, c'est compliqué.

-Je n'ai jamais voulu changer de sexe ! explosa le Marquis. Je suis un homme de naissance et j'aime ça ! Je suis hétérosexuel qui plus est, alors recevoir des compliments d'autres hommes sur la rondeur de son cul, la beauté de ses seins ou la finesse de sa taille !? Putain, vous n'imaginez même pas combien de fois j'ai dû me retenir de tuer des gens !

Liliane se retenait difficilement de rire. Depuis combien de temps gardait-il tout cela en lui, au juste ? Elle le voyait mal s'énerver ainsi devant Alfred.

-Je vous parle même pas de la condescendance des hommes face à une femme, dans le monde de l'aristocratie, râla-t-il en se passant une main dans les cheveux. Le savoir est une chose, y être confronté directement en est une autre ! Je devais continuer mon travail malgré tout, alors j'ai été obligé de faire des choses sous mon apparence d'Arlette. C'est comme si j'avais perdu toute mon intelligence à leurs yeux, simplement parce que je n'avais pas de pénis ! Bordel ! Je suis compétent, quelle que soit ma forme !

Il s'arrêta, essoufflé par sa tirade. Frère et sœur se jetèrent un regard en coin, sans intervenir alors qu'il reprenait :

-Le pire c'est quand on me met la main au cul alors que je suis à la capitale ! J'en peux plus ! Ça, plus toutes les promesses de mariage ! Je ne veux pas me faire courtiser par des hommes, bordel ! Même les vieux schnocks de la cour m'ont fait des propositions ! Vous imaginez ce que c'est que d'être courtisé par une bande de vieux libidineux !?

-Oui, je le sais, gloussa Liliane.

-Alors, être courtisé par une bande de vieux libidineux dans mon cas !? Bordel ! Si j'avais le tempérament de ma mère, ils seraient déjà tous morts ! Mademoiselle, je ne sais pas comment vous faites pour supporter toute cette connerie misogyne !

-Je n'ai pas le choix, moi, je n'ai pas d'alter ego masculin.

-Pas faux, grommela-t-il. Enfin, bref. Cette malédiction me pourrit la vie depuis un moment. Mais je m'y suis fait, depuis le temps. Alors, ne vous en faites pas pour moi.

Un petit gâteau à la main, Liliane haussa un sourcil.

-Ça veut dire quoi, ça ? "Je gère, donc retournez chez vous et abandonnez-moi à mon sort" ?

-Vous ne m'abandonnerez pas, puisque je n'ai rien demandé à la base.

-Monsieur, vous m'avez sauvé la vie par deux fois. Croyez-vous vraiment que je vais vous laisser seul dans votre marasme, à vous laisser vous faire tâter le cul par les vieux schnocks que vous abhorrez tant ?

Le Marquis plissa les yeux d'un air menaçant à ses paroles, tandis que Liam étouffait un rire.

-Laissez mon cul en dehors de cela, voulez-vous ?

-C'est vous qui l'avez mentionné en premier, monsieur. Je ne l'ai certes jamais vu sous votre forme masculine, mais je dois avouer que celui d'Arlette est très beau.

La volée de jurons que lui valut cette remarque la fit éclater de rire.

-Vous n'avez rien d'une dame, vous !

-Effectivement, je m'en flatte assez souvent. Dois-je vous dire que vous avez de beaux seins, pour me laisser vous aider ?

Cette fois-ci, Liam plaqua ses mains sur les oreilles de sa sœur, tant le Marquis explosa. Elle ricana face à cette mauvaise humeur évidente. Les yeux verts de Macklar la fusillèrent sur place alors qu'il se calmait enfin.

-Bon ! Je crois que nous avons assez discuté pour ce soir ! J'ai du travail à faire, étant donné que j'ai passé ces derniers jours à veiller sur vous, petite ingrate !

Oups. C'était vrai qu'Arlette et monsieur Logan s'étaient relayés à son chevet, d'après Herald. De fait...

-Attendez, fit-elle soudain. Mais à quel moment avez-vous dormi, vous ?

-Je dors le matin, pour votre gouverne. Du moins en temps normal. Car depuis votre arrivée, vous mettez ma vie sens dessus dessous !

-Cela explique votre sale gueule, glissa Liam.

-Ah, vous, ça va, hein !

-Ah ah, monsieur le Marquis, je n'ai pas fini d'égayer votre vie ! chantonna Liliane en sautant de son siège, pour se diriger vers la porte. Maintenant, excusez-moi, messieurs, mais je dois aller voir si mon chevalier se remet de sa blessure !

-Ne lui dites rien à mon sujet !

-Je serais une tombe, fit-elle en lui envoyant un baiser depuis la porte, qu'elle claqua derrière elle avec un rire cristallin.

Un brutal silence s'abattit sur le bureau, au départ de la tornade. Le Marquis se laissa retomber dans son siège, totalement épuisé. Elle allait être encore plus infernale, maintenant qu'elle savait. Avec un soupir las, il se demanda comment il allait pouvoir la gérer. Foutu Josepho... Qu'avait-il donc fait pour contrarier l'Empereur à ce point, hein !?

-Elle est toujours comme ça ? s'enquit-il.

-Mmh ? Oui, elle a toujours été allumée.

Au moins était-il réaliste sur l'attitude de Liliane.

-Elle ne dira rien ?

-Non. Elle et moi sommes des personnes de confiance, Macklar. Mais je dois avouer qu'elle vous a bien eu, sur ce coup-là.

Logan sourit pour lui-même, les yeux rivés à la porte. Oui. Elle l'avait bien eu. De toutes les personnes venues percer le mystère de sa malédiction, elle était bien la seule à être parvenue à identifier de quoi il en retournait.

-S'il n'y avait pas eu cette attaque, j'aurais pu la faire tourner en bourrique un peu plus longtemps, je pense.

-Sans nul doute. Mais, dites-moi... j'ai cru comprendre que vous avez fait face, seul, à six mercenaires.

-Ah, oui. C'est vrai. Ils n'ont pas fait état de leurs intentions, mais à la façon dont on lui a tiré dessus à l'arbalète, il était clair qu'ils voulaient sa mort. La tiennent-ils pour responsable de votre trahison ?

Un point sensible. Sombre, le Duc de Karth se passa une main sur la mâchoire, tout en avisant le Marquis. Pesant le pour et le contre dans ses prochains propos. Finalement, il dut se dire qu'avoir découvert le secret du Chevalier Sanglant impliquait une certaine réciprocité.

-J'ai du mal à parler de trahison quand ce sont eux qui ont tenté de s'en prendre à ce qui m'est de plus cher, confessa-t-il. Pour tous, je me suis rallié à l'empire Kashar par opportunisme. Alors que cette alliance est simplement accidentelle.

Logan hocha la tête. Il pouvait comprendre.

-J'ai entendu votre histoire. Tout le monde en parle, à la cour : on dit qu'en découvrant l'état de votre sœur, vous avez pris les armes dans la seconde, vous rendant à la cour de Finiance. Pour tuer tous ceux qui s'y trouvaient.

Et il le croyait aisément. C'était lui, après tout, qui avait conduit Liliane jusqu'à lui, cette fameuse nuit pluvieuse. Il avait vu son expression, alors qu'il découvrait sa sœur. Qu'il comprenait ce qu'il s'était passé.

Son regard, alors, était une promesse de mort pour tous les responsables.

-Pas tous, malheureusement, fit le Duc d'une voix aigre. Seulement ceux qui étaient directement impliqués dans l'emprisonnement de Liliane.

-Cela concernait tout de même le roi et une bonne partie de ses conseillers, non ? Ça faisait combien de personnes ? Dix ? Vingt ?

-Mmh, vingt-cinq. Monsieur Macklar...

Le ton soudain solennel fit hausser un sourcil au Marquis. Le Duc riva son regard au sien. Ses yeux, d'un bleu pâle identique à ceux de Liliane, respiraient la sincérité.

-Je vous remercie. Je vous dois la vie de ma sœur. Par deux fois. Alors... Merci.

Un instant silencieux, Logan finit par hocher la tête.

-Protéger mademoiselle Liliane est un honneur.

-Tous ne diraient pas cela, rit le Duc. Mais, voyez-vous, je sais maintenant comment vous remercier pour tout cela.

-Ah ?

-Je tiendrais ma langue, mademoiselle Arlette.

Pris de cours, le Marquis se mit à l'insulter alors qu'il disparaissait déjà dans le couloir, aussi vif que sa sœur. Ces deux-là... Pas un pour rattraper l'autre !


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