Chapitre 5 : Le Trouble d'Arlette
-Vous êtes étonnamment prude, pour une femme si belle.
-Je ne suis pas prude, râla Arlette, dos à elle. Je suis raisonnable, voilà tout !
Barbotant joyeusement, Liliane en profita pour se mouiller la tête, tout en riant de la raideur de sa compagne de baignade. Assise dans la rivière, refusant catégoriquement de la regarder, mademoiselle Macklar était tendue comme une corde d'arc. La frondaison des arbres projetait des ombres douces sur la rivière, allégeant la lourdeur de la chaleur estivale. Herald devait surveiller les alentours un peu plus loin, tout en luttant contre ses envies de voyeurisme.
-Nous ne devrions pas nous trouver nues ensemble.
-Oh, mademoiselle, vous avez passé trop de temps en la seule compagnie de votre frère, je crois. Vous parlez comme un homme !
-Heu...
Nageant jusqu'à elle, Liliane découvrit qu'elle avait une main sur ses yeux, l'autre sur sa hanche. Elle semblait en pleine lutte interne.
-Mademoiselle, ne vous en faites pas. Entre femmes, nous avons bien le droit de nous baigner nues.
Surprise de l'entendre devant elle, Arlette ouvrit les yeux. Pour les refermer aussitôt avec un juron bien senti.
-Vous avez été élevée par votre père uniquement ? s'enquit Liliane. J'ai remarqué également qu'il y avait bien peu de femmes parmi vos domestiques.
-C'est parce que le Marquis fait peur aux femmes.
Cette fois-ci, ce fut elle qui resta coite. Pour quelques secondes à peine.
-Le Marquis ? Faire peur ? Mais il est adorable !
Mademoiselle Arlette fronça les sourcils, les yeux toujours cachés.
-Adorable ? C'est une blague ?
-Non. Il est gentil avec moi, et je vous jure que je le pousse dans ses retranchements pour avoir des informations sur sa malédiction. Mais, dites-moi, vous ne m'avez pas répondu.
-Ah. Non, j'ai été élevée par mon père et ma mère. Néanmoins, ma mère n'était pas un modèle de douceur.
-Oh... Désolée.
-Pourquoi ? J'adorais ma mère, même si elle était une brute de décoffrage. Mon père, feu le Marquis, était d'une grande douceur, en revanche. Quel dommage que cette malédiction ait fini par faire lâcher son cœur...
Soucieuse, Liliane s'assit à son tour au fond de la rivière, pour faire face à Arlette. Son ton n'était pas triste. Pourtant...
-La malédiction a tué votre père ?
-Mmh ? Pas à proprement parler. C'est le chagrin de voir son fils devenir...
Elle se figea... pour exploser de colère en la fusillant du regard.
-Bon sang, Liliane, je vous ai dit que je ne parlerais pas !
Pour rougir instantanément en réalisant que la Liliane était toujours aussi nue, et face à elle, qui plus était. La magicienne crut qu'elle allait s'évanouir tant elle piqua un fard. Adorable.
-Ne rougissait pas, rit Liliane en lui attrapant les mains, pour l'empêcher de se cacher de nouveau les yeux. Nous sommes toutes les deux des femmes, il n'y a rien de grave.
-Vous, gronda-t-elle en détournant le regard. Vous ne comprenez pas.
-Vous êtes attirée par les femmes ?
-Évidemment, bordel !
Liliane sursauta face à son cri.
-Ce n'est pas une évidence, je vous signale !
-Je... s'il vous plait, mademoiselle Liliane, vos seins me perturbent.
Oh.
Elle n'eut pas le temps de regarder en direction de sa poitrine qu'Arlette fuyait déjà vers la berge. Avec un rire léger, elle la rejoignit. Absolument pas gênée par sa nudité, elle rejoignit la jeune femme, qui enfilait son pantalon à la va-vite.
-Je suis navrée, je n'aurais pas dû insister. Je n'avais pas compris.
-Vous n'avez toujours rien compris, je vous rassure, marmonna Arlette en se tournant vers elle. Maintenant, je vais devoir vous quitter. Il va bientôt faire nuit, je dois rentrer de toute urgence.
-Je vous ai blessée à ce point ? s'inquiéta Liliane en enfilant sa robe.
Boutonnant son pantalon, toujours à moitié nue, la sœur du Marquis haussa un sourcil.
-Vous ne pouvez pas me blesser pour ce genre de choses.
-Mais...
-Je dois y aller, mademoiselle. À demain.
Pourquoi partait-elle donc avec une telle précipitation ? Inquiète, Liliane la vit se saisir de sa chemise, tout en cherchant son épée du regard. Elle culpabilisait. Elle aurait dû se rendre compte de la situation, elle aurait dû...
Lorsque Arlette releva soudain les yeux vers elle, elle sentit son cœur se serrer. Son expression était froide, une aura létale semblait l'environner. Oh, non, elle l'avait vraiment blessée....
Du moins, c'était ce qu'elle pensait, jusqu'à ce qu'elle lui saute dessus.
Littéralement.
Plaquée au sol d'un coup, Liliane écarquilla les yeux, cherchant à comprendre... Lorsqu'elle entendit un bruit sourd, dans l'arbre sur lequel elle s'appuyait tantôt pour enfiler ses chaussures. L'écorce avait explosé sous l'impact d'un carreau d'arbalète. Que...
Elle n'eut pas le temps de formuler une pensée cohérente qu'elle se retrouvait de nouveau sur pieds, Arlette la plaquant contre elle, un bras autour de sa taille. Étant donné qu'elle était plus grande qu'elle, Liliane avait quasiment la tête dans ses seins, dans cette position.
Mais ce n'était pas le plus gros problème.
Car face à elles, six hommes s'avançaient, l'épée au clair, tandis qu'un septième jetait son arbalète de côté pour dégainer. Qu'est-ce que...
-On change de plan, les gars. On les tue toutes les deux.
-Des sbires de Finiance, souffla Liliane en s'agrippant au poignet de la demoiselle Macklar. Nous devons fuir !
-Fuir ? grogna-t-elle. Pour qu'il vous tire dans le dos pour vous éliminer ? Et puis quoi, encore ?
Les yeux rivés aux soudards qui traversaient lentement la rivière vers elle, elle semblait étudier la situation. Liliane, elle, était sur le point de céder à la panique.
-Herald est attaqué non loin, lâcha-t-elle.
-Vous avez l'ouïe fine.
-Indispensable en forêt. Dites-moi, ils ont envoyé pas mal de personnes pour vous tuer, mademoiselle. Car vous êtes leur cible, à n'en pas douter.
-Je...
-Vous m'expliquerez plus tard. En attendant, fermez les yeux.
-Quoi !?
Stupéfaite, Liliane les leva vers la belle rousse, qui ne lâchait pas l'ennemi du regard.
-Faites-moi confiance. Fermez les yeux.
Même Liam ne lui avait jamais fait le coup, dans les moments les plus désespérés ! Pourtant, terrorisée, elle ferma les yeux, s'en remettant entièrement à cette femme qu'elle connaissait à peine.
Poussée contre le tronc de l'arbre, elle se roula en boule, le cœur battant la chamade. Elle avait peur. Très peur.
Lorsque la présence d'Arlette disparue de son côté, elle sentit une chape d'angoisse s'abattre sur elle. C'était comme lors de la guerre.
Le bruit de l'acier rencontrant l'acier. Les halètements des combattants. L'odeur de la transpiration se mêlant à celle du sang, tandis que des cris de douleurs retentissaient le long de la rivière. Les os qui craquaient, le sang qui coulait, la souffrance...
Prenant sa tête entre ses mains, Liliane tenta de se calmer. Elle n'était pas à la guerre. Elle n'y était pas. Elle n'était pas non plus en prison. Elle n'y était plus. Elle n'y était plus grâce au Marquis, elle était en sécurité, elle...
Une main poisseuse de sang se saisit de son poignet, lui faisant ouvrir brusquement les yeux. Sur le visage borgne d'un homme qui s'apprêtait à lui planter sa dague dans le cœur, les traits déformés par la rage... Lorsqu'une lame se ficha dans son crâne, transperçant son dernier œil en l'arrachant de son orbite.
Avec un cri horrifié, elle se dégagea de la prise du mort, qui tomba sur le côté.
-Liliane !
Hyperventilant, les yeux écarquillés par la terreur, elle tenta de chasser les images du passé qui lui revenaient. La pluie. La nuit. Il faisait nuit, il...
-Liliane !
La voix perça son voile de panique, tandis que des bras se refermaient sur elle. La chaleur l'enveloppa d'un coup dans cette étreinte puissante, repoussant l'angoisse. Haletante, elle tenta de faire le point. Mais la terreur était en train de gagner. Ses pensées se faisaient confuses. Oscillant entre passé et présent, elle était noyée dans la terreur.
-Liliane, regardez-moi, ordonna-t-on, en glissant une main ferme sous son menton.
Forcée de relever la tête, elle découvrit deux yeux verts inquiets. Le... Marquis ? Il fut soudain comme un point d'ancrage dans la réalité. C'était lui. Lui qui l'avait sauvée.
-Liliane, tout va bien. Vous êtes en sécurité.
L'odeur du sang. Horrifiée, elle découvrit le sang poisseux couvrant le torse de Macklar. Son cœur allait de plus vite en plus vite, menaçant d'éclater dans sa poitrine.
-Blessé... Vous êtes blessé...
-Je vais bien, fit-il d'une voix ferme. Je vais bien et vous aussi, Liliane.
-Je... Je...
*
En la sentant s'affaisser contre lui en perdant connaissance, Logan se dit que c'était pour le mieux. D'une part, parce qu'elle n'aurait pas à voir les cadavres autour d'eux. D'autre part, cela lui permettrait de trouver une explication plausible.
-Mademoiselle ! Oh bon sang, que s'est-il passé !?
La magicienne dans ses bras, il avisa Herald qui arrivait en courant. Lui aussi couvert de sang, il semblait avoir été blessé lors de son propre affrontement.
-Marquis ? s'étonna le chevalier. Mais que...
-Ma sœur est en train de pourchasser les derniers attaquants, fit-il d'une voix posée.
-Je vais l'aider.
-Inutile. Elle est capable de gérer la situation toute seule.
-D'accord... D'accord... Heu... Je vais ramener mademoiselle à votre demeure.
-Vous êtes blessé. Je m'en occupe. Par contre, venez avec moi.
Prenant la demoiselle de Karth dans ses bras, le Marquis se redressa. En simple pantalon et torse nu, il fut ravi que le chevalier ne lui posa pas la moindre question sur son accoutrement. Il semblait secoué par son inquiétude pour sa maitresse.
Sur le qui-vive, il les escorta jusqu'à la demeure, où le garde de faction pâlit en le voyant arriver.
-Monsieur !
-La clairière près de la rivière, fit-il d'une voix calme. Dégagez-moi tout ça.
-Bien, monsieur.
Le garde partit en courant, pour aller chercher des collègues. Le chef de ses chevaliers, qui venait faire son rapport comme à chaque début de nuit, écarquilla les yeux en le voyant.
-Monsieur !
-Je veux deux équipes pour ratisser les environs. Sécurisez la demeure. Personne n'entre ou ne sort sans que je sois au courant. Compris ?
-Bien, monsieur.
-Demain à l'aube, envoyez six hommes en ville pour trouver d'autres sbires de Finiance. Qu'ils ne les tuent pas. Ils me les ramènent. Et prévenez le Duc de Karth, où qu'il soit.
-Oui, monsieur.
-Vous pouvez disposer.
-Bien, monsieur.
Laissant le chevalier partir distribuer ses ordres, Logan se tourna vers celui de mademoiselle Liliane. Souffrant en silence, il saignait abondamment du ventre. Mmh...
-Alfred.
Le majordome, arrivé dès qu'il avait entendu la voix de son maitre dans le hall, hocha la tête.
-Monsieur Herald, voulez-vous bien me suivre ?
-Non, je dois veiller sur mademoiselle.
-En mourant à ses pieds ? gronda le Marquis. Ça lui fera une belle jambe, à son réveil.
Vaincu par cet argument, de plus en plus livide, Herald finit par suivre Alfred. Ce dernier était un très bon soigneur pour les plaies de ce type. Il était habitué à soigner les Macklar depuis si longtemps... Combien de fois l'avait-il vu rafistoler sa mère, à chaque fois qu'elle revenait d'un affrontement ?
Enfin...
Liliane toujours dans ses bras, il monta droit vers la chambre de cette dernière, pour la déposer délicatement dans le lit. Autour de lui, les deux femmes de chambre s'agitaient avec empressement, inquiètent de voir, d'une part, leur maitre à moitié nu et couvert de sang, et d'autre part, de voir cette dame si gentille avec elles dans les vapes.
-Mettez-la en tenue de nuit, ordonna-t-il. Je reviens dès que vous avez fini.
Il en profita pour se lever du sang qui couvrait son torse, avant d'enfiler une tenue propre. Sur quoi il vérifia auprès de son chevalier l'avancée des choses, s'assura qu'Herald était bien soigné, avant de retourner auprès de mademoiselle Liliane.
Toujours inconsciente.
Les femmes de chambre renvoyées pour la nuit, Logan prit la main de la jeune femme, comme pour la rassurer dans les mauvais rêves qu'elle était en train de faire. Agitée dans son sommeil, elle fronçait les sourcils, en proie à une peur certaine.
Il serra ses doigts entre les siens.
Pourquoi s'inquiétait-il tant pour elle ? Cela relevait du mystère. Néanmoins, il ordonna à Alfred de lui apporter son travail dans cette pièce, afin qu'il puisse veiller sur son invitée. Il se sentait responsable de la situation, quand bien même le Duc de Karth aurait dû le prévenir qu'une tentative d'assassinat sur sa sœur était à envisager.
Mais pourquoi s'en prendre à une femme si lumineuse ?
En la voyant se crisper dans son lit, il posa une main sur son front, comme son père l'avait souvent fait pour lui les jours de forte fièvre. Elle s'apaisa sous la chaleur de sa paume, avant d'enfin se détendre.
Il avait une idée de ce qui la terrorisait dans ses songes.
Même si cela faisait plusieurs mois, il était impossible qu'elle se soit déjà remise de son emprisonnement dans ce campement de Finiance. Qu'elle se soit remise de la tentative de viol et de meurtre.
Silencieux, il serra la mâchoire, tout en caressant délicatement la chevelure sombre de la jeune femme.
Son seul regret était de ne pas pouvoir tuer à nouveau les chiens qui avaient tenté d'abuser d'elle. Mais il savait aussi qu'il devrait s'estimer heureux d'être arrivé à temps pour empêcher l'innommable.
Considérant le profil désormais détendu de Liliane, il se dit qu'il comprenait très bien son frère, à présent.
Il comprenait pourquoi le Duc de Karth avait tué la famille royale de Finiance.
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