Chapitre 4 : Les Mensurations de Macklar
Il frappa deux coups brefs à la porte. Pour que demoiselle Liliane l'ouvre brusquement, en râlant :
-Herald, je t'ai déjà dit que j'allais bien, alors...
Elle se figea en constatant que l'importun n'était autre que le Marquis. Les bras croisés, appuyé d'une épaule au chambranle, il haussa un sourcil en la découvrant toujours dans sa robe de tantôt. Néanmoins, elle avait désormais les cheveux défaits. Cette chevelure châtain qui s'étalait sur ses épaules tel un voile soyeux soulignait la délicatesse de ses traits.
Et lui faisait penser à son visage pivoine lorsqu'elle avait fui le terrain d'entrainement.
-Que puis-je pour vous, monsieur le Marquis ? se reprit-elle, en détournant aussitôt le regard.
-Je me demande si vous êtes malade, fit-il doucement.
-Hein ? Pourquoi ?
-Parce que j'ai bien compris que vous n'étiez pas du genre à abandonner une proie aussi facilement. Pourquoi ne pas m'avoir rejoint dans mon bureau, aujourd'hui ?
Surprise, elle le regarda de nouveau dans les yeux, avant de détourner les siens, avec une grimace.
-Allons bon, vous avez quitté votre travail pour une raison aussi triviale ? Je pensais que mon absence serait une bouffée d'air frais pour vous.
-Vous êtes mon invitée, rien n'est plus important que votre bien-être. Ce qui me conduit ici. Alors, que vous arrive-t-il, mademoiselle de Karth ?
Elle considéra ses pieds, avant de prendre une moue boudeuse.
-Je suis fatiguée.
-Vraiment ? Je vous trouvais plutôt en forme, quand vous avez déboulé sur le terrain d'entrainement tout à l'heure.
Le juron qu'elle lâcha lui fit hausser un sourcil. Joli.
-Vous ne pouvez pas être moins observateur, dites ?
-Alors que vous m'avez très clairement reluqué à moitié nu ? J'aurais été aveugle de ne pas le voir.
-Oh... J'ai été un instant décontenancée, voilà tout. Vous êtes plus maigrelet que mon frère.
Ah, la peste !
-Vraiment ? susurra-t-il en se penchant vers elle. Dans ce cas, j'imagine que si vous devez me faire mon examen physique ce soir, vous ne serez pas troublée ?
Elle releva aussitôt la tête, les yeux ronds, les oreilles rouges.
-Que... Vous acceptez !?
Rien que pour le plaisir de vous embêter, oui.
-Pourquoi pas ? Mon physique n'a rien à cacher, mademoiselle Liliane.
La magicienne ouvrit la bouche, la referma, avant de trottiner dans sa chambre pour se saisir de son cahier et de ses lunettes, puis revenir se poster bien droite devant lui.
-Je suis prête.
Un demi-sourire aux lèvres, il hocha la tête, avant de lui faire signe de le suivre.
Étant donné le propos de leur conversation, il était heureux qu'Herald ne se trouva pas dans le coin. Ainsi, il n'aurait pas à ôter sa chemise devant deux personnes. Songeur, il ouvrit la porte de son bureau en invitant la jeune femme à entrer. Ce qu'elle fit avec un dos très raide, qui l'amusa énormément. Visiblement, l'avoir vu torse nu tantôt l'avait sacrément perturbée.
-Bien, fit-il en refermant le battant derrière lui. Qu'attendez-vous de moi, mademoiselle ?
Remontant ses lunettes sur son nez, elle retourna à la première page de son cahier.
-Tout d'abord, je souhaiterais prendre vos mensurations.
-Mes mensurations ? Tiens donc. Et je dois me dévêtir de combien pour cela ?
Même si elle rougit, elle se contint en prenant un air agacé.
-Je vous dirai bien volontiers de vous mettre en caleçon, mais si Herald nous découvre seul tous les deux dans cet accoutrement, mon frère me tuera. Et vous aussi par la même occasion.
-Je suis curieux de voir ça, tiens, ricana-t-il en ôtant sa veste.
-Moi non, marmonna-t-elle. Il est casse-pied quand il est en colère.
-Mmh, je vois le genre.
-Vraiment ? Vous êtes pareil avec votre sœur ?
Les doigts sur les boutons de son veston, il se figea. Bon sang, il ne s'y ferait jamais.
-Non. Ce serait plutôt dans l'autre sens.
-Elle est votre sœur ainée ?
-Non, techniquement, c'est ma cadette.
-Techniquement ?
-Oui. Bref, mademoiselle Liliane, auriez-vous l'amabilité de procéder, avant que votre chevalier ne nous surprenne ?
Il ôtait chemise et veston lorsqu'elle leva le nez de ses notes. Pour se tétaniser, les yeux rivés à son torse. Ah ! C'était exactement la même expression que tout à l'heure. Croisant les bras, il haussa un sourcil à son adresse.
-Suis-je donc si maigrelet que cela, que vous n'osez pas m'approcher ?
-Vous pourriez être plus bronzé, rétorqua-t-elle en tirant un mètre de couturière de la poche de sa jupe.
-Mmh... Difficile pour un homme qui vit la nuit. Que me suggérez-vous ?
Comme elle s'approchait presque à reculons, il fit un pas en avant pour l'aider dans sa démarche. Les yeux comme des soucoupes, elle les leva vers lui, rouge du bout de son nez jusqu'à ses jolies oreilles. Mmh...
-Il est vrai que vous avez une peau hâlée par le soleil, fit-il en se penchant vers elle pour l'observer. Est-ce votre attrait pour le jardinage, le responsable ?
-E... Effectivement. Et je lis souvent dehors, quand le temps le permet. Heu... Reculez, monsieur.
-Mmh ? Je veux bien, mais comment allez-vous prendre mes mensurations, si je suis de l'autre côté de la pièce ?
Se mordant la lèvre, elle baissa le nez, pour se retrouver face à son torse. Elle prit une telle inspiration qu'il sentit son souffle sur sa peau lorsqu'elle expira. Il était très amusant de l'asticoter. Ses réactions franches étaient très divertissantes.
-Très bien. Ne bougez pas, ordonna-t-elle.
-Je...
-Et silence ! Vous me déconcentrez !
Se retenant difficilement de rire, le Marquis se plia au moindre de ses ordres, pour la laisser prendre ses mesures. Debout au milieu de son bureau, il la vit lui tourner autour, prenant plusieurs mesures qu'elle notait rapidement sur son calepin.
-Vous avez de nombreuses cicatrices, murmura-t-elle en effleurant l'une d'elles du bout des doigts.
-Je suis le Chevalier Sanglant, pas un malade au fond de son lit, rétorqua-t-il.
-On dit qu'une armure spéciale vous a permis de combattre sur le champ de bataille, lors de la dernière guerre. Comment expliquez-vous cela, en dépit du fait que vous m'ayez affirmé être incapacité par le soleil ?
Diantre. Elle avait une bonne mémoire.
-La magie permet bien des choses, mademoiselle. Et un Empereur est prêt à tout pour envoyer son meilleur élément au combat.
-Oh... Pourrais-je examiner cette armure ?
-Un autre jour, peut-être, fit-il en réfléchissant à une solution. Ah, mademoiselle.
Il saisit son poignet, pour l'éloigner de son torse qu'elle effleurait de ses doigts, en suivant le canevas de ses anciennes blessures. Elle commençait à descendre un peu trop bas.
-Quoi ? Ne m'avez-vous pas dit que je pouvais vous examiner ?
-M'examiner, oui, me caresser, non.
À ces mots, il crut qu'elle allait faire une combustion spontanée. C'était très amusant, mais il se demandait si le cœur de la demoiselle allait tenir jusqu'à la fin de la soirée !
-Enfin, je ne vous caressais pas ! J'étudiais simplement le grain de votre peau !
-Une belle excuse que je réutiliserais avec plaisir, mademoiselle Liliane. Mais ne vous approchez jamais ainsi de la ceinture d'un homme si vous n'êtes pas prête à en subir les conséquences, voulez-vous ?
Pour le coup, elle regarda droit vers la zone concernée, ce qui menaça de le faire rougir lui aussi.
-Je me le tiens pour dit, souffla-t-elle en relevant les yeux.
-Bien, fit-il avec un demi-sourire. Votre examen est-il achevé ?
-Non. Asseyez-vous, s'il vous plait.
-Pourquoi cela ?
-Vous risquez d'être secoué.
Pardon ? Intrigué, il s'installa sur l'un des fauteuils. Elle s'excusa d'avance, avant de se pencher vers lui, en posant ses deux mains sur son visage. Peu habitué à ce type de contact, il eut pour réflexe de s'y soustraire. Mais elle avait les paumes fraiches, et ce n'était pas là son plus gros problème. Car son front se pressa délicatement contre le sien, alors qu'yeux fermés, elle semblait se concentrer. Ah... Voici une bien belle tentation que ses lèvres si proches des siennes...
Il pensait cela, lorsqu'un brusque influx de magie le traversa de part en part, aussi inattendu que puissant. La tête lui tourna, tandis qu'il s'accrochait soudain aux accoudoirs du fauteuil. Ce fut comme si on le sondait de l'intérieur, qu'un écho se répandait de son front à l'ensemble de son corps, analysant tout au passage. Mais contre toute attente, il sentit quelque chose réagir en lui.
La malédiction qui l'accablait n'apprécia pas l'intrusion.
Le retour fut si violent que mademoiselle Liliane poussa un cri de douleur en se séparant soudain de lui, la tête entre les mains... pour s'évanouir. Merde ! Il la récupéra de justesse avant qu'elle ne touche le sol, tandis qu'Herald faisait irruption comme un diable dans la pièce.
-Liliane !? s'exclama le Marquis en l'allongeant aussitôt sur le canapé. Liliane, vous m'entendez !?
-Que s'est-il passé ? s'inquiéta Herald en le rejoignant.
-Elle m'a analysé avec sa magie, je pense, et la malédiction en moi a mal réagi. Si j'avais su ce qu'elle allait faire... Merde ! Liliane !
*
Le réveil de Liliane se fit dans le plus grand calme. Car elle ne se souvenait strictement de rien. Elle s'étira dans son lit comme une chatte, tout en se roulant sur le côté. Il faisait beau, le soleil se déversait sur elle, et...
-Comment pouvez-vous avoir l'air si détendue, après la frayeur que vous nous avez faite cette nuit ?
La remarque acide la fit se retourner d'un coup. Les pieds sur la table de chevet, assise sur une chaise tenant sur les deux pattes arrière, mademoiselle Arlette la fusillait du regard.
-Heu...
-J'ai passé une nuit affreuse à veiller sur vous, gronda-t-elle en se rasseyant normalement, pour se pencher sur elle, ses yeux lançant des éclairs. Alors, ayez au moins l'obligeance de ne pas paraitre si joyeuse !
-Ne vous en faites pas, cet état s'est évanoui face à votre charmante humeur. Que s'est-il... Oh bon sang ! Le Marquis ! Que... Il...
-Il dort, le veinard, grommela Arlette. Bon, vous vous sentez comment ?
-Très bien. Mais le Marquis...
-Va bien. Vous pouvez me dire ce que vous avez fichu !? Vous êtes une magicienne ! Comment avez-vous pu penser que faire entrer votre magie en contact avec une malédiction était une bonne idée !?
-Je ne pensais tout simplement pas que...
-Vous devriez être plus prudente, bon sang ! explosa Arlette. Vous imaginez à quel point je me suis inquiétée pour vous !?
Stupéfaite de sa colère, Liliane ne trouva pas quoi répondre. Outre un « je ferais plus attention à l'avenir », avant qu'elle ne disparaisse telle une tornade.
Bon.
Elle avait mis mademoiselle Arlette en rogne. Mais ce n'était pas le plus important pour le moment. Se levant en quatrième vitesse, elle remarqua qu'elle se trouvait toujours dans sa tenue de la veille. Décidément, elle dormait rarement en chemise de nuit, en ce moment. Quoi qu'il en soit, ce n'était pas le problème !
Sortant en trombe de la chambre, elle se dirigea droit vers celle du Marquis, de l'autre côté du couloir. Mais elle n'eut pas le temps de poser la main sur poignée de la porte que Herald plaqua la sienne sur le battant, l'empêchant de l'ouvrir.
-Que...
-Mademoiselle, vous n'avez tout de même pas la prétention d'entrer dans la chambre de monsieur Macklar seule, sans chaperon, alors qu'il est en train de dormir ?
-Heu... bafouilla-t-elle face au chevalier en manque de sommeil.
-Je tiens à ma tête sur mes épaules, mademoiselle.
Ah. Il était vrai qu'en l'absence de Liam, il était responsable de sa protection, et de celle de sa vertu.
-D'accord. Mais va-t-il bien ?
-Après avoir passé la nuit à veiller sur vous ? Il était crevé.
-La nuit ? Était-il donc avec mademoiselle Arlette ?
-Arlette ? Non, pas du tout.
Confuse, Liliane resta un instant coite.
-Bref, vous vous êtes évanouie hier soir, continua le chevalier avec un sourire un peu trop beau. Alors, vous allez me faire le plaisir de retourner vous coucher jusqu'à l'arrivée du médecin. C'est clair ?
-Très... Très clair, Herald.
-Bien... Et vous allez m'expliquer pourquoi vous vous trouviez avec un Marquis à moitié nu. N'est-ce pas ?
Elle avait oublié : Herald pouvait faire aussi peur que Liam, quand il le voulait ! Surtout quand il apprit que c'était elle qui avait demandé à Macklar de se déshabiller, afin de l'inspecter de prés. Ces derniers termes ne lui plurent pas du tout, au demeurant.
De fait, elle fut interdite de rester seule avec lui.
Mais elle entreprit de tant gâcher la journée d'Herald qu'il finit par céder sur un dernier point : elle eut le droit d'aller se promener en forêt pour aller chercher les plants pour le jardin médicinal. Le médecin de la ville ayant confirmé qu'elle allait très bien, il ne put s'y opposer. Et l'infortuné chevalier se retrouva donc en route pour la lisière de la forêt, la mort dans l'âme. Lui était épuisé par sa nuit de surveillance, tandis que sa maitresse gambadait comme un cabri.
Un léger vent tentant de lui arracher son chapeau de paille, Liliane le plaqua sur sa tête tout en offrant son visage à la caresse de la brise. La journée était belle. Quel dommage que Macklar ne puisse pas en profiter...
Soucieuse, marchant d'un bon pas vers l'orée des arbres, elle se demanda pourquoi la malédiction avait réagi aussi violemment. Elle n'avait fait que l'effleurer, et pourtant, le retour avait été d'une grande violence. Pour elle, mais probablement pour le Marquis aussi.
Chemin faisant, elle se souvint de son corps qu'elle avait étudié de si près. Rougissant malgré elle, elle attrapa les rebords de son chapeau pour les tirer vers le bas, de façon à cacher ses joues à Herald. S'il la voyait ainsi après l'avoir retrouvée dans une situation potentiellement compromettante, elle ne donnait pas cher de sa peau !
Mais comment pouvait-elle ignorer ce qu'elle avait découvert ? La douceur et la rudesse de sa peau couturée de cicatrices, la fermeté de ses muscles formés par les combats, la pâleur d'albâtre de...
-Le soleil vous tape sur la tête, que vous rougissez ainsi ?
Elle fit un bond en découvrant mademoiselle Arlette, bras croisés, qui lui barrait le chemin entre les arbres. La sœur du Marquis haussa un sourcil en l'observant, avant d'esquisser un sourire narquois. Que... Que lui avait donc dit son frère !?
-Rebonjour, mademoiselle Macklar, intervint Herald. Nous allons chercher des plants pour le jardin médicinal.
-Ma parole, vous ne tenez pas en place, grogna-t-elle en toisant Liliane.
-Effectivement. Je vais ait déjà dit que j'avais besoin de m'occuper.
En l'occurrence, ce sera un très bon dérivatif à votre frère.
-Soit. Je vous accompagne.
-Oh, vraiment ? fit Liliane avec un grand sourire. Votre compagnie m'enchante, mademoiselle !
-Moi aussi, confirma Herald avec un timbre de voix charmeur.
Celui-là... Il voulait vraiment séduire Arlette ! Mais au regard meurtrier que cette dernière adressa au chevalier, elle sentit qu'il avait un long, très long chemin à parcourir. Tout le temps de leur balade, elle parut totalement imperméable aux propos d'Herald, qui pourtant donnait de sa personne. Ce qui avait l'effet inverse. Au plus le temps passait, au plus Liliane pouvait voir la demoiselle serrer les dents, la main crispée sur la garde de son épée. Houlà...
Après plusieurs heures à déraciner des plantes sauvages, qu'elle confia à la besace d'Herald, elle fut ravie de découvrir une rivière sur le chemin du retour. Arlette ne comprit pas cet engouement jusqu'à ce que Liliane, joyeuse, ne décide de se baigner.
-Je vais surveiller les environs, marmonna Herald en s'éloignant, déjà vaincu.
-Moi aussi, déclara la demoiselle, qui se figea en voyant le regard plein d'espoir du chevalier. Heu...
-Restez avec moi ! s'exclama Liliane en attrapant le bras d'Arlette. Nous pouvons nous baigner ensemble !
-Quoi... Quoi ? Mais non, je...
-Pourquoi cela ?
-Mais vous allez être nue et...
-Vous aussi, où est le problème ?
-Mais enfin ! Je suis...
La sœur du Marquis se figea, en regardant son propre corps.
-Heu...
-Vous êtes une femme, conclut Liliane. Ça tombe bien, moi aussi.
-Je... Ce n'est pas raisonnable...
-Mais si, mais si. Et puis, nous sentons fort mauvais, après tous ces efforts !
C'est ainsi que, totalement prise aux dépourvues, mademoiselle Arlette se retrouva immergée jusqu'à la taille dans la rivière, rouge comme une tomate, à tenter désespérément de ne pas regarder une Liliane insouciante.
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