Chapitre 3 : La Vertu du Marquis
-Mais enfin, non ! s'exclama Logan. Je ne me déshabillerais pas !
Les poings sur les hanches, Liliane haussa un sourcil.
-Et comment je fais pour vous examiner, alors ?
-Vous ne m'examinerez pas, voilà tout !
-Ah ! Dans ce cas, vous allez répondre à mon questionnaire, conclut-elle en sortant de derrière son dos un énorme cahier et un crayon.
Coi, le Marquis considéra le grand sourire trop innocent de Liliane.
Quand le Duc de Karth avait annoncé qu'il s'occuperait lui-même des intrus de Finiance, il avait pensé se débarrasser de l'un de ses problèmes. Néanmoins, il aurait dû se douter que son plus gros souci, ce n'était pas la Foudre du Nord. Mais sa petite sœur et sa fausse innocence !
Bloqué dans son bureau, la jeune femme debout devant la porte, il ne voyait pas comment s'enfuir. Elle était déterminée, la bougresse !
-Je vous ai déjà dit que je ne répondrais à aucune de vos questions, soupira-t-il en se rencognant dans son fauteuil.
-Je vous ai déjà dit être très patiente, rétorqua-t-elle. Alors, dites-moi, depuis combien de temps êtes-vous maudit ?
La tête penchée sur son questionnaire, la pointe de son crayon déjà sur le papier, elle était prête à tout noter.
Bon sang. Il devait être vingt-trois heures. Pour lui, c'était le début de sa journée, mais pour elle... Il pouvait voir qu'elle était fatiguée. Ses lunettes rondes sur le nez, ses cheveux ramenés en un chignon lâche, elle portait une robe simple et confortable. Rien ne pouvait laisser penser qu'elle était la sœur chérie d'un Duc immensément riche et puissant.
-Je vous ai dit que je ne dirais rien.
Elle releva les yeux. L'éclat de fourberie qu'il y lut lui fit dire qu'un âpre combat allait avoir lieu. Installé derrière son bureau dans son étude, environné de documents et de livres, il se prépara au premier assaut.
-Cette malédiction est-elle donc si problématique, pour que vous ne souhaitiez pas en parler ?
-Je ne peux pas sortir le jour, évidemment, que c'est problématique.
-Pourquoi ne pouvez-vous pas sortir le jour ?
-Parce que je... Mademoiselle Liliane ! Qu'est-ce que j'ai dit !?
-J'imagine que ce doit être très invalidant, alors, continua-t-elle avec un grand sourire. Vous êtes brulé par le soleil ?
-Non.
-Des envies de sang ?
-N... Vous me prenez pour un vampire, ou quoi !?
-Ce ne serait pas la première fois que ça arrive, rétorqua-t-elle en barrant quelque chose. Vous vous transformez au lever du jour ?
-Mademoiselle Liliane, gronda-t-il. Ça suffit.
Cette fois-ci, elle planta son regard dans le sien.
-Susceptible, hein ? Je suppose que j'ai vu juste. Vous vous transformez en quoi ?
-Je ne me transforme pas, bordel !
-En grenouille ?
-Je...
-En cochon ?
-Mademoiselle...
-En cloporte ?
-Bordel ! Ça suffit !
-Vous aviez raison, gloussa-t-elle. Vous avez les nerfs fragiles.
Elle allait le rendre dingue ! Horrifié à la perspective des prochains jours à lutter contre cette femme, il se passa une main lasse sur le visage.
-Je vous dis que je ne me transforme pas. Je suis incapacité par la lumière du jour, voilà tout.
-C'est-à-dire ?
-Mademoiselle de Karth, j'ai beaucoup de travail. Je reste le Marquis de ces terres et j'ai tout à gérer en pleine nuit. Alors, si vous voulez bien...
-Soit. Je vais attendre votre pause pour continuer notre conversation, dans ce cas.
Plait-il ?
En la voyant s'installer sur l'un des canapés, après avoir chipé un livre de sa bibliothèque, il abandonna. Qu'elle reste donc ici. Au moins était-il parvenu à conserver ses vêtements ! Enfin... Se plongeant dans le travail, il tenta d'ignorer cette présence inhabituelle à ses côtés. Lisant silencieusement, elle semblait respecter son travail, à défaut du reste. Avait-elle l'habitude de voir son frère le Duc à l'ouvrage ?
-Au fait, monsieur, puis-je m'occuper du jardin de plantes médicinales ? demanda-t-elle une heure plus tard.
Il haussa un sourcil, en relevant le nez des factures qui s'étalaient devant lui. Il était vrai qu'elle avait peur de s'ennuyer en plein jour.
-Si ça vous fait plaisir. Avec un peu de chance, vous serez trop fatiguée le soir pour me tomber dessus.
-N'y comptez pas.
Sur quoi elle se remit à lire.
Ce ne fut que trois heures plus tard qu'il sortit des livres de compte du Marquisat. En pleine période des moissons, il devait faire attention à toutes les dépenses, à toutes les entrées et sorties de biens et de consommables, histoire d'être certain de bien préparer l'hiver à venir. Éreinté, il poussa un profond soupir en se dérouillant les épaules. Quelle heure était-il ? Ah... Trois heures du matin.
Mais, Liliane...
Tournant soudain la tête, il la découvrit roulée en boule sur le canapé, son cahier posé sur la table basse devant elle. Bon sang, il ne s'était même pas rendu compte qu'elle s'était endormie. Avec un soupir, il vint s'accroupir devant elle. Son visage détendu dans les songes, elle paraissait calme. Comment penser qu'une âme si dynamique se trouvait dans une femme si belle ?
Lui qui avait, malgré tout, assisté à son comptant de bals, n'avait jamais rencontré une aristocrate qui lisait, savait s'exprimer, et qui de surcroit était magicienne. Cela piquait sa curiosité.
La demoiselle de Karth avait un sacré caractère, sous sa façade innocente.
Mais en attendant, elle bavait sur son canapé.
Vu l'heure, ce n'était pas bien surprenant. Voilà plus de quatre heures qu'elle attendait de pouvoir le harceler de questions. Il s'en voulut quelque peu de s'être plongé ainsi dans le travail, mais d'un autre côté... Si elle dormait, elle ne pouvait rien dire. Mieux valait la laisser au pays des rêves.
Mais il ne pouvait pas l'abandonner dans son étude.
Passant un bras sous ses jambes, l'autre sous ses épaules, il croisa les doigts pour qu'elle ait un sommeil de plomb. Visiblement, c'était le cas. Néanmoins... En la sentant se pelotonner contre lui, avec une naïve confiance, il se sentit troublé.
Comment pouvait-elle être ainsi, après ce qui avait failli lui arriver pendant la guerre ?
La magicienne dans ses bras, il passa dans le couloir. Herald, le chevalier chargé de la surveiller, s'était retiré depuis longtemps. Il avait été plus ou moins viré par sa maitresse, qui lui avait clairement dit qu'elle risquait de rester debout toute la nuit pour étudier le cas Macklar.
De fait, Logan la porta jusqu'à sa chambre. Le visage de la jeune femme avait glissé, jusqu'à ce qu'elle se retrouve le front contre lui. Cette innocence... En entrant silencieusement dans les appartements de mademoiselle Liliane, il vit que les femmes de chambre avaient tiré les draps avant de prendre congé à leur tour, sans l'attendre. Elle les avait elles aussi prévenues qu'elle se coucherait tard. Prévenante, mais aussi organisée.
L'allongeant dans le lit, il lui ôta ses lunettes, avant d'en faire autant pour ses chaussures. Elle poussa alors un soupir en se roulant de nouveau en boule. Hum... Rabattant les couvertures sur elle, Logan sortit discrètement... pour tomber nez à nez avec Herald.
Autant pour lui. Le chevalier n'était pas du tout allé se coucher.
Au regard qu'il lui adressa, Logan haussa un sourcil.
-Je ne lui ai rien fait, si c'est ce qui vous inquiète.
-Je la connais assez pour deviner qu'elle a bavé sur votre canapé. Je vous remercie de l'avoir couchée.
Mmh... Cela lui arrivait donc régulièrement.
-Néanmoins, il est surprenant qu'elle se soit endormie, ajouta Herald en considérant la porte close de sa maitresse. Normalement, la seule personne en présence de qui elle dort, c'est le Duc.
-Il faut croire que m'asticoter l'a épuisé, répondit Logan. Allez vous coucher vous aussi, mon grand. Tant que je suis réveillé, rien ne peut arriver à mademoiselle Liliane.
Sans regarder s'il s'exécutait ou non, le Marquis partit vers les cuisines, pour récupérer le repas qu'on lui laissait toujours au chaud. Ainsi, même le maudit qu'il était pouvait manger quelque chose, au cœur de ses nuits solitaires.
*
Les poings sur les hanches, vêtue de sa pire robe trouée, un chiffon sur les cheveux, Liliane était prête. Même si elle s'était réveillée à dix heures, une hérésie pour une lève-tôt dans son genre, elle était prête à décaper ce carré de jardin !
Après avoir choqué le majordome en lui affirmant que le Marquis avait donné son accord pour son jardinage, elle avait décidé d'enfiler sa tenue spéciale. Elle ne l'enfilait jamais quand ils recevaient des invités, au duché, car cela ne faisait pas vraiment sœur de Duc richissime. Néanmoins, elle n'allait pas se mettre à genoux dans la terre avec de la dentelle et des froufrous !
-Je suis un chevalier, gémissait Herald. Pourquoi je me retrouve à désherber tout ça ?
-Je t'ai dit que je n'avais pas besoin de ton aide.
-Comme si j'allais rester à côté sans rien faire, alors que vous êtes à genoux !
-Oh, ça va, hein ! Arrête de râler et arrache-moi cette touffe !
Abrités du magnifique soleil, Liliane et le chevalier avaient nettoyé la moitié de la parcelle lorsque le majordome du Marquis arriva avec des rafraichissements. Elle le remercia chaleureusement, avant de s'enquérir de mademoiselle Arlette. Cette dernière patrouillait quelque part sur le territoire Macklar, mais elle reviendrait sous peu. Parfait. Amusé de cette invitée atypique, Alfred repartit avec son plateau.
Le soir arriva, sans de nouvelle d'Arlette. Pas du tout inquiète, Liliane prit son repas seule, le Marquis n'étant pas encore levé. En cette saison, il faisait jour tard, ce qui expliquait qu'elle n'avait aucune envie d'attendre alors que son estomac criait famine. Ce qui arrangeait aussi monsieur Macklar, dont l'estomac avait du mal à encaisser un vrai repas dés le levé, a priori.
Néanmoins, elle n'abandonnait pas son objectif premier.
De retour dans l'étude du Marquis avec son cahier, elle s'assit directement devant lui, un grand sourire aux lèvres. L'observant avec méfiance, ce dernier refusa de révéler le moindre de ses secrets, avant de l'envoyer se coucher. Elle ne voulait pas, mais il affirma qu'elle était trop lourde pour qu'il s'amuse à la transporter toutes les nuits dans sa chambre. Ce à quoi elle rougit de jolie façon, selon Logan.
-C'est vous, qui m'avez couchée !?
-Vous pensiez que c'était Herald ? susurra-t-il en reposant sa plume.
-Je... heu... je ne me suis pas posé la question, en fais.
-Vous êtes sacrément imprudente, mademoiselle. Qu'auriez-vous fait si j'avais profité de la situation, hein ?
-Ma foi, vous êtes bel homme, j'aurais pu profiter de la situation moi aussi.
Sa répartie le prit tellement au dépourvu qu'elle éclata de rire. Il venait de rougir jusqu'aux oreilles !
-Vous ne savez pas de quoi vous parlez, marmonna-t-il en se passant une main sur le visage.
-Parce que vous, si ?
-Je vis la nuit, mademoiselle. Croyez-vous réellement que cela m'empêche de trouver maitresse ?
Ce à quoi elle nota quelque chose sur son calepin. Il préférait ne pas savoir de quoi il en retournait. Vraiment pas.
-Vous avez une maitresse, actuellement ? s'enquit-elle.
-Non. J'ai un parasite à domicile qui m'empêche de vaquer comme je le souhaite à mes occupations.
Elle leva des yeux pâles outrés sur lui.
-C'est moi, le parasite !?
-Allez savoir...
-Oh ! Bref. Dommage, j'aurais pu poser des questions à cette femme pour en savoir plus sur vous.
-Peine perdue. Mes maitresses ne m'ont jamais vu assez longtemps pour me connaitre, mademoiselle Liliane.
-Hein ? Comment ça ?
Ça, c'était de l'innocence à l'état pur. Avec un sourire en coin, le Marquis retourna à ses livres de compte sans répondre. Mais comme elle refusait de céder, par fierté, elle finit par s'endormir une nouvelle fois sur le canapé.
Et une nouvelle fois, il la porta jusque dans sa chambre, sous le regard surpris d'Herald.
Le lendemain après-midi, couverte de terre et de poussières, une bêche à la main, Liliane se sentait heureuse d'avoir fini de désherber et de retourner la terre de la parcelle médicinale ! Elle allait pouvoir aller en forêt pour chercher les plants qui l'intéressaient !
Joyeuse à cette perspective, elle se dit qu'elle s'occuperait de cela le lendemain. Passant par les cuisines pour prendre un encas, que la cuisinière lui donna avec plaisir, elle partit en trottant vers sa chambre. Elle mit un certain temps à se décrasser, dans l'eau brulante qu'elle avait chauffée un peu trop fort.
Tout en frottant sous ses ongles, elle se demanda comment faire pour examiner physiquement le Marquis. Il ne répondait à ses questions que du bout des lèvres, aussi avait-elle du mal à avancer. Surtout que cela se déroulait toujours le soir, et qu'elle finissait par s'endormir en attendant ses pauses !
Déterminée à trouver une solution, revêtue d'une robe simple et confortable après avoir diné, elle attrapa lunettes et cahier. La nuit était tombée, aussi pouvait-elle entreprendre de chercher le Marquis ! Talonnée par un Herald un brin fatigué de courir de partout à cette heure, elle apprit par le majordome que monsieur Macklar se trouvait sur le terrain d'entrainement.
Le terrain d'entrainement... Mais en voilà une, de bonne occasion ! Au duché de Karth, son frère et ses hommes se retrouvaient souvent torses nus, tant il faisait chaud, en cette saison ! Ravie de cette idée, Liliane trotta vers l'endroit où combattaient les chevaliers de Macklar, même à cette heure tardive. Passant le portique entremêlé de roses jaunes closes, elle alla droit sur la coursive ceignant la large étendue de terre battue... Pour se figer.
Certes, elle s'était dit que c'était une bonne idée. Mais... Mais...
Oh... Bon... Sang.
Sa peau pâle devenant argentée sous les reflets de la lune, torse nu, Logan affrontait ce qui était le chef de sa garde rapprochée. Souple et élégant, il se déplaçait avec une assurance létale, son épée fendant l'air avec assurance. Son dos se contractait sous l'effort, tandis que d'une pirouette dévoilant ses abdominaux d'acier, il désarmait son adversaire. Les chevaliers rirent face à la défaite de leur chef, tandis que Logan tournait aussitôt la tête vers elle, son regard vert se plantant dans le sien.
Une perle de sueur roula de sa tempe jusqu'à son torse, pour glisser le long de ses pectoraux, en un instant où le temps parut suspendu.
Heu... Pourquoi avait-elle si chaud, soudain ?
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