Chapitre 18 : L'Effet Josepho


L'irascible Liam de Karth s'entendait étonnamment bien avec l'Empereur. La soirée se fit dans la bonne humeur, qui vira à l'hilarité éméchée lorsque Josepho entraina le Duc dans un concours pour savoir qui tenait le mieux l'alcool. Connaissant parfaitement les capacités de son ami, le Marquis déclina la proposition. Lui et Liliane assistèrent alors au spectacle d'une Foudre du Nord totalement désinhibée, qui riait désormais à toutes les blagues cochonnes du souverain de Kashar.

Souverain qui roula sous la table deux secondes après que Liam se soit écroulé, vaincu dans ce concours de beuverie.

Liliane ne savait pas si elle devait s'amuser du spectacle ou être complètement atterrée. Voilà un moment qu'elle n'avait pas vu son frère se détendre en présence d'autres personnes, aussi avouait-elle que cela était agréable. Néanmoins, elle ne s'était pas attendue à ce que sous l'emprise de l'alcool, il devienne aussi... pervers que Josepho.

-Je crois que je ne le regarderais plus jamais de la même façon, remarqua-t-elle en repoussant en arrière les cheveux de Liam, pour aviser son visage endormi.

La joue écrasée contre la table, il avait déjà été plus à son avantage, elle devait l'avouer.

-Mmh, il est normal que votre frère ne vous montre que son meilleur jour, remarqua le Marquis. Herald, pouvez-vous m'aider à les coucher, s'il vous plait ?

Le chevalier, un brin éméché lui aussi, car l'Empereur avait réussi à l'entrainer dans la soirée, hocha la tête. Ils parvinrent à transporter les deux alcoolisés dans leur chambre respective, avant qu'Herald ne disparaisse dans la sienne pour décuver. L'effet Josepho, selon Macklar. Il avait appris à résister, mais c'était diablement difficile, avec ce beau parleur ! Liam finirait par se méfier de la résistance à l'alcool du souverain de Kashar.

-Monsieur, fit doucement Liliane alors qu'ils remontaient le couloir, pour se diriger vers leurs propres chambres. Puis-je vous poser une question ?

-Je crois que c'est la première fois que vous me demandez l'autorisation, rit-il.

-Mmh... Dites-moi... Votre malédiction, pourrait-elle être héréditaire ?

-Bien sûr. Ma mère en était affligée.

Elle en resta comme deux ronds de flancs. Il savait et il...

-Vous n'avez pas pensé que cette information pouvait être d'importance !? s'exclama-t-elle. Dire que je l'ai découvert tout à fait par hasard !

-Hé bien... cela fait longtemps que j'évite de trop penser à mes parents. Attendez... vous étiez déjà au courant, avant de me poser la question !?

Prise sur le fait. Grimaçante, Liliane détourna le regard face à celui, inquisiteur, du Marquis.

-Comment ?

-Je... La grande bibliothèque...

-Ne mentez pas. C'est une information confidentielle dont même Josepho n'a pas connaissance. Liliane de Karth, vous avez intérêt à me dire la vérité !

-Que... D'accord, d'accord !

Deux minutes plus tard, Macklar fermait brutalement le carnet de son père en rougissant. Mince, il avait ouvert pile sur le marque-page. Si elle se souvenait bien, elle s'était arrêtée au moment où son père expliquait avoir couché avec la Marquise sous sa forme masculine.

-C'est bien son écriture, grogna-t-il en se pinçant l'arête du nez. Mais ça, j'aurais bien aimé l'ignorer.

-Ils cherchaient une solution pour guérir votre mère, expliqua-t-elle, le rouge aux joues.

-En quoi la sodomie peut-elle guérir d'une malédiction ?

-Et pourquoi pas ? Vous trouvez ça moins logique que de prendre la virginité d'une femme, vous ? Ou que le tendre baiser d'un amour sincère ? Franchement, je ne vois pas en quoi cela serait moins crédible. Après tout, ils l'ont fait avec consentement et sentiments amoureux. Cela aurait très bien pu être la solution. L'acceptation de ses deux formes, de son être entier, par l'homme qu'elle aime, mais aussi par elle-même. Malheureusement, l'auteur de la malédiction n'était pas aussi romantique.

-Vu comme ça...

-En plus, à ce stade ils avaient testé beaucoup de choses déjà, et votre mère commençait à avoir peur.

-Ma mère ? Peur ?

Elle lui expliqua alors ses craintes quant à une éventuelle grossesse, ainsi que le dévouement sans faille de l'ancien Marquis pour son épouse. Il l'aimait sincèrement, au point de tout tenter pour la guérir. Mais si elle comprenait bien, rien n'avait fonctionné.

-Ils ont réussi.

-Pardon ?

-J'ai dit : ils ont réussi. Ma mère n'était plus affligée de sa malédiction quand j'étais enfant.

Cette fois-ci, elle crut se décrocher la mâchoire.

-Logan ! s'exclama-t-elle en lui donnant un coup à l'épaule. Pourquoi faites-vous une telle rétention d'information !? Comment !? Comment elle a...

-Du calme, du calme ! fit-il en la saisissant par les poignets, pour l'empêcher de frapper encore. Je ne vous ai rien dit parce que cette solution ne peut pas être la mienne.

-Comment ça ?

-Elle ne peut pas être applicable à ma personne.

Voyant qu'elle ne comprenait pas où il voulait en venir, Macklar poussa un profond soupir en s'asseyant à ses côtés.

-La malédiction de ma mère a disparu le jour où elle est tombée enceinte de moi.

Liliane fronça les sourcils, l'esprit en ébullition.

-Vous voulez dire qu'elle vous a transféré la malédiction par accident ? De fait, elle ne l'avait plus en elle ?

-Non. En fait, ce phénomène remonte à plusieurs générations, chez les Macklar. Nous n'en avons que des traces, car mes ancêtres considéraient cela comme honteux, et nul ne devait le savoir. Néanmoins, mon père a fait un gros travail de recherche, et est parvenu à retrouver d'anciens écrits.

-Mais... Pourquoi ne rien m'avoir dit !?

-Parce que seules les femmes en guérissent. Pas les hommes.

-Quoi ? Comment ça ?

-C'est comme un... un réflexe de survie de la malédiction. Elle a besoin de perdurer. De fait, avec les hommes, aucune difficulté. Mais pour les femmes touchées... Si elles redevenaient hommes en pleine grossesse, elles risquaient de perdre le bébé. Comme il n'y a qu'une seule personne touchée par la malédiction par génération, cette dernière a fait en sorte de pouvoir... assurer sa continuité.

Réfléchissant vite, Liliane fixait le Marquis.

-Vous en parlez presque comme d'une entité à part entière.

-C'est un peu ça. Cette malédiction veut survivre. Alors, les femmes qui l'abritent ne subissent plus les transformations une fois qu'elles tombent enceintes. De fait, me concevoir a guéri ma mère.

-Mais comme vous êtes un homme, cette solution n'est pas applicable pour vous, murmura-t-elle. Car pour sa survie, la malédiction n'a pas besoin de vous guérir. Je comprends mieux...

Muette, elle croisa les bras sous sa poitrine, en pleine réflexion. Elle allait devoir étudier tout ça. Elle devait tout noter, pour être certaine de ne rien oublier. Saisissant son fameux cahier, elle obligea le Marquis à tout lui répéter.

-Votre père avait-il trouvé l'origine de cette malédiction ? Qui était son tout premier hôte ?

-Pas que je sache, avoua Macklar avec un bâillement. Mais je ne connaissais pas non plus l'existence de ce carnet.

Tournant et retournant l'objet dans ses mains, il semblait craindre de l'ouvrir à nouveau. Finalement, il lui demanda de le lire à sa place. Il n'avait aucune envie de tomber sur d'autres passages de la vie sexuelle de ses parents.

-Tout de même, fit-elle en se caressant le menton de sa plume, je trouve tout ça bien étrange.

-Rien n'est net dans cette histoire.

-Nous sommes d'accord. Mais au plus j'y pense, au plus je trouve cette malédiction bizarre. Votre description de son adaptation pour survivre... ça fait vraiment entité... et quand je suis entrée en contact avec, cela semblait presque doué d'une vie propre. Rien à voir avec les maudits que j'ai pu croiser jusqu'à présent.

Au terme d'un petit silence, Macklar porta la main à son cœur, sourcils froncés.

-Vous pensez qu'une vie étrangère à la mienne a élu domicile dans mon corps ?

-Comme un... parasite ?

-C'est immonde, dit ainsi, fit-il avec un frisson de dégout.

-Mmh... Je devrais retourner voir Maxwell, demain. Avec cette nouvelle piste, je vais pouvoir me renseigner différemment. Oh, et je dois finir le carnet de votre père. Et je dois... Logan ?

Elle rougit de la tête aux pieds en le découvrant penché au-dessus d'elle, pour lire ses notes. Une main sur le dossier de sa chaise, l'autre sur le bureau, il était si proche... baissant les yeux vers elle, il lui fit un petit sourire.

-Mademoiselle, ne chercheriez-vous pas un prétexte pour échapper au coucher, par hasard ?

Si direct.

-Je... Je...

-Liliane... Nous n'avons pas eu le temps de discuter, murmura-t-il en effleurant sa joue du revers de la main. Tout va bien ?

Ah, le contact de sa peau... Fermant les yeux, elle se laissa aller à sa caresse. Lorsque ses doigts glissèrent le long de sa nuque, pour s'enfouir dans sa chevelure, un frisson la secoua. Les réminiscences de la nuit remontaient, lui faisant se souvenir de ce dont ces mains étaient capables.

-Est-ce une invite, mademoiselle ?

Son murmure, à un souffle de ses lèvres, la grisa. Battant des cils, elle regarda cette bouche si proche, ces yeux brillants d'un désir faisant écho au sien.

-Et si c'en était une, monsieur ?

-Oh, Liliane... alors je vous croquerais sans attendre.

*

Elle devait absolument se concentrer.

Mais invariablement, elle échouait, ses joues devenant si chaudes qu'elle aurait pu faire cuire un œuf dessus ! Oh, bon sang ! Le simple fait de penser au Marquis la mettait dans un état pas possible !

Cloitrée dans la bibliothèque du Grand Mage de Kashar, elle tentait désespérément de lire les ouvrages empilés devant elle. Malheureusement, à tout ces mots se superposaient les souvenirs de la nuit.

Faisant preuve de la plus grande douceur, Logan l'avait conduite vers des sensations plus intenses encore que la fois précédente. Comment un homme surnommé le Chevalier Sanglant pouvait-il faire preuve de tant de douceur ? Comment pouvait-il être aussi... aussi...

Le regard perdu dans le vague, elle repensait à son corps mince et musclé contre le sien, à ses mains qui la parcouraient, à ses lèvres qui la...

-Mademoiselle, tout va bien ?

Le cri de surprise qu'elle poussa fit hausser un sourcil à Macklar, qui dissimula mal son sourire.

-Désolée, je n'étais pas là, bafouilla-t-elle en portant la main à son cœur.

La vache, mieux valait qu'il ne sache pas à quoi elle était en train de penser. Quoique, à son regard, il semblait en avoir une bonne idée. Oups... Il allait la prendre pour une dévergondée, à force ! Oui, enfin... elle était tout de même une noble dame qui s'était donnée à un homme hors des liens sacrés du mariage.

Elle était une dévergondée.

Cette pensée lui fit froncer les sourcils, avant qu'elle ne la chasse de son esprit. Mieux valait ne pas penser plus loin.

-Vos recherches avancent ? s'enquit-il en s'asseyant à ses côtés.

-Oui. Heu... Non, pas vraiment.

J'étais trop occupée à penser à vous !

-Mmh...

Il l'observa un instant de ses intenses yeux verts, un petit sourire relevant l'un des coins de sa bouche.

-Je vais devoir vous laisser à la surveillance de Josepho. Votre frère et moi avons un problème à régler.

-Quoi ? Vous allez vous battre en duel !? Il a tout découvert, c'est ça !?

-Hein ? Quoi ? Non, enfin ! Rasseyez-vous, tout va bien. Nous avons juste quelques personnes à... interroger. Mais ne vous en faites pas, nous serons de retour pour le bal de ce soir.

-Oh... Attendez, le bal ? Quel bal ?

-Pour affirmer le statut de votre frère au sein de la haute société de Kashar, expliqua Macklar. Mademoiselle Liliane... Je crois aussi que nous devrions discuter de choses sérieuses.

Elle haussa un sourcil. Il semblait moins assuré, soudain.

-De choses sérieuses ? De quoi voulez-vous parler ?

-Plus tard, plus tard...

-Quoi ? Mais pourquoi plus tard ? Nous pouvons...

-Pas avec Maxwell à côté, bougonna-t-il.

Liliane se pencha, pour voir au-delà de ses piles de livres. Le Grand Mage lui fit un signe amical de la main. Hum...

-Cela touche à nos... heu...

-Oui, grommela le Marquis. Bref. Je dois prendre mes responsabilités dans cette affaire.

-Mmh ? Vos responsabilités ? Comment ça ? Vous n'en avez pas déjà assez comme ça ? Oh ! Josepho va faire de vous un Duc !?

Macklar l'observa un instant, comme s'il avait affaire à une sacrée énigme. En vérité, elle ne le savait pas, mais il se demandait comment une femme si brillante pouvait être à ce point à côté de la plaque.

-Non, ce n'est pas cela. Mais nous en discuterons plus tard, mademoiselle Liliane. Ah...

Il se pencha en avant, se glissant sous la ligne de protection des piles d'ouvrages autour d'elle. De fait, Maxwell ne pouvait plus les voir. Et elle rougit joliment.

-Je... heu... oui ?

-Ai-je droit à un baiser, mademoiselle ? Le temps va être long, jusqu'à ce soir...

Oh... Il disait cela pour la malédiction ? Elle eut soudain un gros doute. Avec ce qu'ils avaient fait cette nuit, pouvait-il tout de même tenir jusqu'à ce soir ? Arlette pointerait-elle le bout de son nez, ou...

-J'ai simplement envie de t'embrasser, Liliane, murmura-t-il à son oreille, comme s'il avait deviné la raison de son trouble.

Autant dire que du reste de la journée, elle ne fut pas plus capable d'avancer dans ses travaux ! Ce baiser volé lui fit perdre son peu de raison. En dépit de tous les baisers fugaces échangés, pour le bien de la malédiction, celui-ci fut... elle ne saurait dire pourquoi, mais il avait bien plus de saveur que tous les autres. Il avait un gout d'interdit et non de raison, le gout d'un péché si délicat qu'elle en redemandait.

Mais avec le Grand Mage à côté, il s'était contenté de cela, avant de la quitter, un petit sourire aux lèvres.

Confuse, elle se rendit compte qu'elle était incapable de se concentrer sur des ouvrages trop compliqués. Elle se rabattit donc sur le carnet du précèdent Marquis. Elle y découvrit un peu plus le profond amour qui l'unissait à sa femme si particulière. Mais elle constata qu'effectivement, tout s'était passé comme l'avait dit Logan. À l'instant où elle était tombée enceinte, elle ne s'était plus transformée en homme.

L'espace d'un instant, Liliane se demanda si dans le cas de Logan, il ne devrait pas tomber enceinte aussi. Puis elle se dit plusieurs choses : petit un, il tuerait le premier homme qui tenterait de le mettre enceinte, petit deux, s'il restait bloqué sous forme d'Arlette, il en ferait une maladie. Et elle aussi. Autant éviter cela.

Elle songea aux parents du Marquis. Ils étaient allés très loin dans leurs tentatives, ce qui les avait conduits à l'acceptation totale de l'autre. Et d'elle-même, pour Margareth. Car contrairement à son fils, elle avait accepté toutes ses formes. Avec l'aide de son mari, elle y était arrivée.

Mais cela n'était pas la clé de cette malédiction. Pourquoi ? Pourquoi cette acceptation n'avait-elle pas servi à s'en défaire ?

Parce qu'elle était bel et bien une entité ? Si Liliane réfléchissait ainsi, et non plus en termes de malédiction, alors...

Mon fils est affligé de la même malédiction que sa mère »? fit l'Empereur en lisant par-dessus son épaule. Voilà une lecture bien intéressante, mademoiselle.

Cette fois-ci, elle se retint de crier. Néanmoins, elle fit un bond en découvrant Josepho debout derrière elle, un sourire mutin aux lèvres.

-Que lisez-vous donc ?

-Heu...

Devait-elle mentir ? Confuse, elle finit par lâcher :

-Le journal de l'ancien Marquis de Macklar.

Les yeux de l'Empereur faillirent jaillir de leurs orbites, tant il les écarquilla.

-De Gustave ? Mais... comment...

-Vous saviez qu'il écrivait un journal ?

Josepho hocha la tête, en venant s'asseoir à ses côtés.

-Oui. Je vous ai dit que j'avais été pupille de Margareth Macklar, non ? Malgré son assassinat pour m'avoir recueilli, le père de Logan m'a poussé à rester chez eux. Et en vivant avec eux, je l'ai régulièrement vu écrire dans ce vieux carnet. Mais je croyais que c'était comme un livre de compte. Pas un journal intime.

Très intime.

-En fait... Cela relate toute son histoire avec Margareth, expliqua Lilian en caressant la couverture de cuir. Cela inclut la naissance du Marquis et la découverte de sa malédiction.

-Mmh... Gustave était très contrarié par cela. Il disait parfois « je ne sais pas comment faire... Je ne sais pas comment guérir mon fils ». Mais il n'était pas un mage, c'est normal de ne pas savoir cela.

Josepho regarda par la fenêtre, plein des souvenirs du passé.

-Il se tourmentait tellement...

Je comprends, songea Liliane. Lui qui avait réussi à guérir sa femme en la mettant enceinte, il ne savait pas comme faire pour sauver son fils de cette malédiction. Cela devait être un réel tourment pour lui. Il avait affronté une chose impalpable des années durant, avait vaincu, pour découvrir qu'il devait de nouveau la combattre avec des armes tout à fait différentes, cette fois-ci.

-Le Marquis m'a dit que cela avait tué son père, soupira Liliane. De savoir son fils maudit. S'il a tant travaillé pour chercher une solution, alors...

-Ce n'est pas la raison de la mort de Gustave, fit doucement l'Empereur.

-Comment cela ?

Josepho hésita, avant de la regarder, avec une infinie tristesse.

-Son père est mort par ma faute. Tout comme sa mère. Ils ont été assassinés tous les deux parce qu'ils me protégeaient.


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