Chapitre 14 : Tripoté à Tâtons


Jamais Josepho n'avait vu Logan dans un tel état.

Assit près du lit de Liliane, sa main dans la sienne, il restait tête basse, à attendre le verdict. Inconsciente, la jeune femme avait visiblement pris le retour de la malédiction de plein fouet. Le Grand Mage Maxwell, penché sur elle, sentait la colère et l'angoisse irradier du Marquis.

De toute sa vie, Josepho n'avait jamais vu un tel désespoir chez lui.

Ni quand sa mère était morte. Ni quand il avait contracté sa malédiction. Ni quand son père avait été assassiné.

Il avait toujours fait face, avec la volonté de fer qui était la sienne.

Mais en cet instant...

C'était comme s'il pouvait se briser en milliers de morceaux.

Adossé à la porte de la chambre, Josepho observait la scène, avec une intuition enflant en lui. Liliane de Karth... Quand il avait envoyé la magicienne auprès de Logan, jamais il n'aurait imaginé qu'elle réussirait aussi bien. Il avait voulu améliorer les relations entre le Duc et le Marquis en usant de ce biais. Un pari risqué, qui était en passe de devenir plus fructueux que prévu.

Quand Liam devait-il rejoindre la capitale, déjà ? Demain, après demain ? Il allait devoir avoir une sérieuse discussion avec lui.

Enfin, si sa sœur allait mieux. Sinon, il allait devoir le mettre aux arrêts avant qu'il ne massacre tout le monde. Jospeho ferma les yeux. Après les évènements de Finiance, il ne fallait surtout pas sous-estimer Liam de Karth. Et s'il tenait Logan pour responsable de la mort de la jeune femme, d'une façon ou d'une autre... Alors, ce serait la guerre. Ou alors il le tuait avant. Ce serait plus simple.

Mais, vu comme le Grand Mage, un grand échalas aux joues glabres, poussa un soupir en ce dépliant d'au-dessus d'elle, ils resteraient en temps de paix.

-J'ai stabilisé sa magie.

Les épaules de Logan s'affaissèrent de soulagement. Jospeho vint poser une main sur son épaule, en signe de soutien.

-De plus, j'ai dressé un bouclier pour la protéger, donc vous devriez être tranquilles. Monsieur le Marquis... Votre malédiction doit être très puissante, pour réussir à la choquer de la sorte.

Le Grand Mage considéra la jeune femme.

-La magicienne de Karth n'aurait pas dû tomber dans les pommes si facilement.

Logan releva soudain la tête.

-Vous la connaissez ?

-Bien sûr. Elle était l'une des plus puissantes magiciennes de Finiance, en dépit de tout.

Interdit le Marquis considéra Maxwell, avant de se tourner vers l'Empereur.

-Tu étais au courant ?

-Tu crois que je t'ai envoyé la première venue pour t'aider ?

*

En ouvrant les yeux, Liliane découvrit à ses côtés le Marquis. Cela devenait une telle habitude qu'elle lui sourit en se roulant en boule dans les draps, avec un petit soupir de contentement. Ses doigts frais effleurèrent son front, la soulageant aussitôt d'une fièvre qu'elle n'avait pas réalisée avoir.

Réveillée d'un coup, elle fronça les sourcils.

De la fièvre ?

Attendez...

-Elle s'est réveillée !?

Derrière le Marquis apparut le blond Empereur Jospeho. Mais qu'est-ce que...

-Oh bon sang ! s'exclama-t-elle en s'asseyant dans le lit. Logan ! Tout va bien !?

-Oui, murmura-t-il en l'attrapant par les épaules, en la voyant vaciller. Mais vous avez encaissé un grand choc, mademoiselle. Vous sentez-vous de vous déplacer ?

-Si c'est dans vos bras, bien sûr.

Il haussa un sourcil, avant de secouer la tête avec un petit sourire.

-Je vais vous porter, dans ce cas. Josepho ? Crois-tu pouvoir faire en sorte que personne ne nous voit ?

Quoi ? Pardon ? Confuse, Liliane cherchait à faire le point. Elle savait qu'elle s'était évanouie. Mais suite à quoi ? Ah... Elle avait embrassé le Marquis, qui allait très mal à cause de sa malédiction... Il avait mal, atrocement mal, à cause de son corps à la limite de la transformation, qui se déchirait sans le faire. Et elle s'était retrouvée face à un ricochet, à une onde de choc qui lui avait fait perdre connaissance. Mais c'était étrange...

-Monsieur !? glapit-elle en étant soudain soulevée du lit.

Un bras sous ses jambes, l'autre sous ses épaules, Macklar lui adressa un petit sourire.

-Vous vouliez être dans mes bras. C'est chose faite.

-Mais ce n'est pas ce que je...

-Arrêtez donc de râler. Je vous portais tous les soirs sur mes terres.

-Ah...

Il était vrai qu'avant qu'ils commencent à dormir ensemble, pour les bienfaits de sa malédiction, elle sombrait toujours sur son canapé ou dans la salle des mages.

Fatiguée, elle laissa retomber sa tête sur son épaule. Peut-être devrait-elle en profiter, après tout. À peine consciente de ce qu'elle faisait, elle se mit à jouer avec le col de la chemise du Marquis. Juste dessous, sa peau semblait douce. Elle l'était, constata-t-elle du bout du doigt, en dessinant le coin de sa clavicule.

-Liliane.

-Oui ?

-Je vous ai déjà dit d'éviter de me tripoter, si vous n'étiez pas prête à en subir les conséquences.

-Les conséquences ? Quelles conséquences ?

Comme il ne répondait pas, elle regarda autour d'elle. Ils se trouvaient dans un long couloir, chargé de décorations, mais dépourvu d'âme qui vive. Ah ? Si. L'Empereur ouvrait la marche. Pourquoi avait-il les oreilles rouges ? Avec ses cheveux blonds, cela ressortait nettement.

-Et puis, je ne vous tripotais pas. Je vous caressais, c'est tout.

-Vous vous enfoncez, mademoiselle.

-Vraiment ? soupira-t-elle en posant de nouveau sa tête sur son épaule.

Elle n'en avait pas conscience, mais son souffle effleurait la gorge du Marquis, qui serrait les dents. Concentré. Il devait rester concentré alors qu'elle se lovait contre lui, ses doigts revenant taquiner sa clavicule. Jamais il n'aurait dû déboutonner sa chemise, alors qu'il attendait que le Grand Mage fasse son travail ! Il allait le regretter, il le sentait !

Non, en fait, il le regrettait déjà.

Car Josepho lui adressa un sourire narquois par-dessus son épaule.

Diantre !

Il allait en entendre parler !

-Monsieur... soupira Liliane, chatouillant sa carotide au passage. Je suis bien dans vos bras. Il resta coi un instant. Avant de baiser tendrement ses cheveux. Vu son état, il y avait beaucoup de chances pour qu'elle ne se rappelle rien, demain matin.

-Je me sens en sécurité...

Se souvenant des propos d'Herald, des semaines plus tôt, il sentit son cœur faire un soubresaut. La seule personne avec laquelle elle se sentait en sécurité, c'était le Duc son frère. Pourquoi... Avec tout ce qu'il lui arrivait par sa faute, pourquoi se sentait-elle en sécurité avec lui ? Soucieux, troublé, il hésitait sur quoi dire, lorsqu'il sentit quelque chose d'humide contre son épaule.

Ah... Oui. Il avait oublié.

Elle bavait en dormant.

*

Le voyage en calèche, elle le passa blottie dans les bras du Marquis. Elle avait vaguement conscience qu'il lui murmurait des mots rassurants, tout en lui caressant le dos. Trop bien installée pour vouloir bouger, elle resta contre lui, somnolente.

Pour se réveiller le lendemain matin, seule.

Soucieuse, elle apprit que le Marquis s'occupait de diverses affaires à l'extérieur. Elle ne le verrait donc pas avant son retour. Contrariée, elle se demanda s'il était toujours sous sa forme masculine. Elle n'avait aucun souvenir de la nuit. Avaient-ils dormi ensemble ?

Elle chercha donc à s'occuper. Visita les jardins. Admira les glycines dont lui avait parlé Macklar. Puis, s'ennuyant ferme dans ce lieu où elle n'avait rien à faire, elle farfouilla dans la bibliothèque. Peut-être y aurait-il quelque chose d'intéressant ?

Il était quatre heures de l'après-midi lorsque, après avoir sorti une vingtaine d'ouvrages qui lui semblaient intéressants, elle tomba sur un vieux carnet en cuir. Elle le considéra sous toutes les coutures, intriguée. Cela ne ressemblait pas au travail d'un imprimeur.

En ouvrant à la première page, elle en eut la confirmation. Tout était manuscrit. Mais qui en était l'auteur ?

« Aujourd'hui, je me suis marié à une femme étrange. ».

Elle battit des paupières.

Debout sur son escabeau en bois, qui lui avait permis d'atteindre les dernières étagères, elle avait trouvé ce carnet caché derrière d'autres livres. Tous étaient barbants, traitant d'héraldique. Personne ne bougerait ce type de bouquin, surtout pas le Marquis qui connaissait par cœur les écussons de chacune des nobles familles de l'empire.

« Après tout, comment pourrait-il en être autrement ? Margareth Macklar, la Chevalière Sanglante ne peut être qu'un peu étrange, non ? Quoique non, je ne devrais pas penser cela. Nous ne devons jamais juger un livre à sa couverture. »

-Putain de merde, lâcha-t-elle, les yeux ronds.

-Eh bien merci, moi aussi je suis content de vous voir.

Elle sursauta du haut de son escabeau, tant et si bien qu'elle serait tombée en arrière, s'il ne l'avait pas rattrapée à la volée. Il... Pourquoi quelque chose de moue se retrouva plaqué contre son dos ? Soupçonneuse, elle se tordit le cou pour découvrir le magnifique visage d'Arlette, dont les bras étaient passés autour de sa taille. Ah. Le truc mou était donc sa poitrine.

-Pourquoi !? rugit Liliane en le saisissant par sa chemise, pour le secouer comme un prunier.

Surpris, le Marquis ouvrit la bouche, mais elle ne lui laissa pas le temps de répondre.

-Vous êtes si sot que vous n'avez pas pensé à dormir avec moi pour repousser les effets de la malédiction !?

-Mademoiselle...

-Non !

Macklar fut encore plus surpris lorsqu'elle le repoussa de toutes ses forces. Trébuchant en arrière, le normalement imposant Chevalier Sanglant s'écroula sur le canapé, pour voir une magicienne furieuse lui sauter dessus à califourchon, le clouant sur place. Heu... Il avait comme une impression de déjà vu, là.

Sauf que cette fois-ci, lorsqu'elle fit sauter les boutons de sa chemise, ce fut un double problème pour lui qui jaillit par l'ouverture. Non pas qu'il soit particulièrement pudique, car il n'avait pas cette notion propre à la poitrine d'une femme dans la société. Mais le courant d'air lui donna froid, et il haussa un sourcil lorsqu'elle se mit à enfoncer un doigt dans l'un de ses seins, pour ponctuer d'une pression chacun de ses mots.

-Pourquoi !? Alors que vous êtes si révulsé par votre forme féminine, pourquoi reprendre volontairement cette apparence, hein !?

-Mademoiselle...

-Y a pas de mademoiselle qui tienne ! Est-ce donc si révulsant que cela de dormir avec moi, que vous préférez être dans votre forme tant haïe !?

-Liliane !

-Tout va bien !? s'exclama Herald, alerté par les cris, en ouvrant la porte à la volée...

Pour se figer en découvrant la damoiselle de Karth à califourchon sur Arlette, un doigt enfoncé dans le globe charnu d'un sein à découvert. Heu... Il resta immobile une fraction de seconde, les yeux sur le point de sortir de sa tête. Puis il referma précipitamment la porte, rouge jusqu'à ses oreilles, en couinant un « désolé ».

-N'y aurait-il pas un quiproquo, par hasard ?

-Sans déconner ! râla le Marquis. Maintenant, descendez de moi, Liliane. C'est très désagréable d'être dans cette position alors que je ne peux même pas bander !

Haussant un sourcil, la magicienne baissa les yeux sur lui.

-Tout n'est pas une question de pénis, monsieur.

-Mademoiselle, navré de vous dire cela, mais pour un homme qui aime son pénis, c'est très frustrant de s'en retrouver privé au moment où une belle personne est à califourchon sur lui. Maintenant, dégagez de là. Et lâchez ce sein !

-Ils sont dodus.

-Bordel, Liliane !

-Je vous trouve bien grossier quand vous êtes en Arlette, déclara-t-elle en se redressant enfin. Jamais vous ne m'auriez parlé de votre pénis en étant vous-même.

Assis sur le canapé, il la fusilla du regard, tout en reboutonnant son chemisier. Mieux valait cacher tout ça, avant qu'elle ne remette la main sur cette poitrine qu'il détestait tant.

-J'ai les nerfs à vifs, surtout que Josepho me les a brisés menu toute la journée.

-Vous êtes Arlette depuis ce matin !?

-Évidemment !

-Bon sang, est-ce donc si désagréable que cela de dormir avec moi !? Vous voulez recommencer à vivre la nuit !?

-Vous avez failli mourir par ma faute, Liliane !

Macklar n'avait pas prévu de le lui dire. Il avait prévu de s'éloigner, sans peser sur elle, sans rien lui imposer, et de la renvoyer à Karth le plus tôt possible. Mais il avait oublié que la damoiselle était tout sauf conventionnelle. Elle n'allait certainement pas rester dans son coin à se morfondre du pourquoi du comment, sans avoir de réponse. Elle attaquait de but en blanc, comme toujours !

Elle le considéra un instant.

-Logan, murmura-t-elle en venant s'asseoir à ses côtés, en posant une main amicale sur sa cuisse. Que s'est-il passé, hier ?

Il considéra ses doigts, qui auraient normalement été très proches de sa verge dans cette position. Fermant les yeux, il se pinça l'arête du nez, particulièrement agacé par ses propres pensées. Il détestait sa forme féminine. Mais là, tout de suite, Arlette, il la haïssait ! Tout n'était pas une question de pénis, hein ? Bon sang ! Il pensait avec même quand il n'en avait pas ! Elle était en train de le rendre fou !

-Hier, vous avez failli mourir, Liliane. La malédiction vous a repoussé de toutes ses forces.

-Ce n'est pas grave, ça. Et vous-même étiez en très mauvaise condition, monsieur.

-C'est parce que j'étais extrêmement limite sur la transformation. En m'embrassant hier, vous l'avez repoussée in extremis, et mon corps a mal supporté la tension qui lui était imposée et soudain enlevée. Mais vous... Liliane...

Il prit sa main dans la sienne, crispé.

-Liliane, je ne veux pas qu'il vous arrive malheur par ma faute. Donc à partir de maintenant, c'est fini. Nous arrêtons les expériences. Les baisers. Le sommeil commun. Je retourne à ma vie d'avant. Et vous, vous retournez à la sécurité de Karth.


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