Chapitre 11 : Le Retour du Maître


Rassemblés dans le hall d'entrée, tous alignés, domestiques, soldats et chevaliers de la maison Macklar manquèrent faire une syncope en voyant descendre, à midi pile, leur maitre.

Accompagné d'un Alfred fier comme un paon, Logan salua l'ensemble de sa maisonnée estomaquée. Il leur expliqua qu'à partir de maintenant, il pourrait se présenter à eux en plein jour, mais que néanmoins, la malédiction n'était pas encore levée. Donc, s'il disparaissait en cours de route, il ne fallait pas s'affoler. Il serait toujours là à la tombée de la nuit.

Il les remercia pour tous leurs efforts de ces dernières années, passées à l'aider à compenser son problème. Puis il ajouta qu'Arlette, sa sœur, était partie en mission au fin fond du Marquisat, et qu'ils ne la reverraient pas de si tôt.

Les spéculations allèrent bon train sur la réapparition miraculeuse de Macklar, en plein jour. Et évidemment, tous les regards convergèrent vers la damoiselle de Karth, qui sourit nerveusement face à cette soudaine attention. Quoi qu'il en soit, la nouvelle provoqua la liesse des citoyens, à plusieurs kilomètres à la ronde. Avant de se propager dans tout le Marquisat, et même jusqu'à la capitale de l'Empire, à une vitesse record.

Mais pour lors, cachée dans l'alcôve d'un couloir, derrière la haute silhouette du Marquis, Liliane essayait de reprendre son souffle. Agrippée à ses bras, elle tentait de ne pas chanceler tandis qu'il prenait possession de ses lèvres.

Depuis deux semaines qu'ils suivaient ce procédé, elle n'était pas parvenue à s'habituer. Elle avait toujours aussi chaud, ses jambes flageolaient toujours autant. Et vu le nombre de fois où ils le faisaient en une journée, elle finissait épuisée. Surtout que le Marquis pouvait arriver à n'importe quel moment, et le nombre de fois par jour était complètement aléatoire.

-Monsieur... haleta-t-elle lorsqu'ils rompirent leur baiser, pour reprendre leur souffle. Si on nous voit...

Il lui coupa la parole en l'embrassant de nouveau, plus fugacement cette fois-ci.

-Je dirais simplement que je vous courtise.

-On ne courtise que sa bien-aimée, voyons !

-Mmh...

Au troisième baiser, elle sentit ses jambes la lâcher. Macklar émit un petit rire en la soutenant, tout en s'excusant. Oh, bon sang ! Cet homme allait la tuer, à ce rythme ! Quoi qu'il en soit, il semblait particulièrement joyeux depuis qu'il pouvait marcher au grand jour sous sa forme masculine.

Elle avait fini par comprendre de quoi il en retournait.

En le sondant avec sa magie, plusieurs semaines plus tôt, elle avait établi une connexion accidentelle avec sa malédiction. De fait, lorsqu'elle l'avait embrassé sur la bouche pour le remercier, la première fois, cela avait provoqué un transfert de sa magie en lui, ou quelque chose du genre. Ce qui altérait le sortilège pesant sur le Marquis.

De fait, ils avaient désormais la capacité de repousser l'échéance d'activation de la malédiction. S'ils s'y prenaient bien. Car parfois, il ne parvenait pas à identifier les effets assez tôt, et il se retrouvait sous sa forme d'Arlette bien malgré lui. Mais fort heureusement, cela arrivait de plus en plus rarement. Et encore, il sentait le changement juste à temps pour pouvoir se cacher quelque part, si la magicienne n'était pas dans le coin pour l'embrasser.

Au début, elle avait eu peur d'incommoder Macklar avec cette « technique ». Mais elle avait constaté qu'il ne semblait pas gêné, donc... elle avait cessé de culpabiliser de lui imposer cela.

En attendant, elle avait dévoré tous les livres de la bibliothèque du Marquis, sans trouver les informations qu'elle désirait. Il n'y avait aucune archive familiale ni aucun livre d'histoire traitant directement de la famille Macklar, ici. Cela commençait à lui poser problème.

Si sa théorie d'une malédiction héréditaire était vraie, alors, elle devait trouver des informations sur leur passé. Absolument. Mais comment ? En restant ici, elle ne trouverait rien, elle en était désormais certaine.

Arrachant une poignée de mauvaise herbe entre les plans de thym et de romarin, Herald faisant une sieste à l'ombre non loin, Liliane fronça les sourcils.

Il y avait une possibilité. Le Grand Mage de Kashar avait accès à la plus grande bibliothèque de l'empire. Mais il se trouvait à la capitale, avec l'Empereur en personne. Soucieuse, elle s'essuya le front d'un revers de poignet. Elle ne pouvait pas quitter le Marquis comme ça. Elle devait absolument rester avec lui, sinon il se retransformerait en Arlette.

Ils avaient calculé qu'au maximum, il pouvait tenir une demi-journée sous sa forme masculine, sans baiser. Et encore, c'était dans les bons jours. S'il commençait à montrer un tant soit peu de fatigue, cela pouvait durer moins d'une heure.

Non, elle ne pouvait pas partir à la capitale et le laisser ainsi.

Il recommençait tout juste à avoir une vie normale.

Songeuse, elle pensa à trois jours plus tôt, quand il était sorti aux heures de fortes chaleurs, en tant que Logan.

Malgré tous ses déplacements sous sa forme d'Arlette, il avait vécu toutes ces années comme s'il était resté enfermé au fond d'une grotte. Il avait offert son visage pâle aux rayons du soleil, savourant la morsure de la chaleur estivale. Étrangement, cela avait été un moment fort pour lui. Et son sourire, alors qu'il serrait la main de Liliane en la remerciant...

Cela faisait si trop qu'il était maudit.

« C'est la première fois que je sens l'espoir renaitre en moi, Liliane » avait-il dit d'une voix douce. « Merci ».

Assise par terre, sous la protection de son grand chapeau de paille, elle passa les bras autour de ses genoux. Sa reconnaissance lui était allée droit au cœur. Mais... tout cela était accidentel. Ils avaient trouvé une solution, bancale, par pur hasard.

Néanmoins, elle devait trouver une solution définitive, pour lui. Car un jour, il trouverait la personne qu'il aimait, il voudrait se marier. Il ne pouvait décemment pas continuer à embrasser une femme pour qui il n'éprouvait rien ! Son épouse en serait fort blessée, et ce n'était pas agréable de bécoter une autre par obligation, non ?

Quoique... Et si son épouse était capable de l'aider à sa place ?

Sourcils froncés, elle se dit que si elle avait été capable d'établir une connexion avec la malédiction de Macklar, une autre pouvait le faire à sa place.

Une image avec une anonyme s'imposa bien malgré elle à son esprit. Une magnifique femme, avec le Marquis. Lui souriant avec bonheur, les bras autour de sa taille, le tout sous un soleil éclatant, dans un champ de pâquerettes. Ah... était-elle trop romantique ? Dans tous les cas, cela faisait mal.

-Mademoiselle Liliane ? N'avez-vous pas trop chaud, en plein soleil ?

Relevant la tête, elle découvrit Macklar, une main dans la poche de son pantalon de costume. Dont le sourire disparut, lorsqu'il vit les larmes dans les yeux de la magicienne.

-Liliane ? fit-il en s'accroupissant à ses côtés. Que vous arrive-t-il ?

Sa main chaude se posa sur sa joue, sur laquelle elle s'appuya en fermant les paupières, une boule dans la gorge.

-Pourquoi pleurez-vous ?

-Pour... rien. Ne vous en faites pas.

Elle ne pouvait décemment pas lui dire de quoi il en retournait. De plus, cela ne la concernait pas. Qu'il se marie, à l'avenir, était la suite logique pour un Marquis en pleine santé. L'Empereur ne le laisserait pas bien longtemps sans épouse, maintenant que la rumeur de son rétablissement se répandait comme une trainée de poudre.

-Évidemment que je m'en fais, souffla-t-il pour ne pas réveiller Herald, non loin. Dites-moi ce qui ne va pas.

Une excuse. Elle devait trouver une excuse, et vite ! Que dirait une femme normale, en pareilles circonstances !?

-Le... Le mal du pays, bafouilla-t-elle.

Le mal du pays !? C'était tout ce qu'elle avait trouvé !? Bon sang, elle n'y avait pas pensé une seule fois depuis son arrivée ici, tant elle était occupée ! La seule personne qui lui manquait, c'était Liam. Et encore, ce dernier lui envoyait des lettres tous les trois jours pour prendre de ses nouvelles, mais aussi pour lui rappeler de ne pas faire n'importe quoi ! S'il savait...

Enfin... le Marquis parut gober son excuse, car il hocha la tête.

-Je vous proposerais bien de rentrer chez vous, mademoiselle, malheureusement...

Je ne peux plus me passer de vous, songea-t-il en plongeant dans son regard bleu pâle. Votre absence me serait insupportable.

-Ne vous en faites pas, je remplirai mon rôle, comme convenu, fit-elle avec un sourire contrit. Je ne vous abandonnerai pas en si bon chemin.

Une brise légère tenta de la délester de son chapeau de paille. Plaquant les mains sur sa tête, Liliane grimaça pour le Marquis, dont les courts cheveux roux étaient agités par le vent. Ah... Comment un homme pouvait-il être aussi virilement beau ? Comment pouvait-il apparaitre si brut, avec sa cicatrice, tout en étant d'une si grande douceur ?

Elle ne se rendit pas compte qu'elle rougissait en le regardant. Et Macklar avait de moins en moins de résistance. Accroupi à ses côtés, il l'embrassa tendrement.

Ni l'un ni l'autre n'en avaient conscience, mais de la demeure, la vue sur les jardins était imprenable. Et la domesticité, incroyablement curieuse de la relation unissant la demoiselle de Karth et le Marquis, assista à ce doux baiser avec émoi. La nouvelle fit le tour de la maison avant même que le maitre ne soit revenu à l'intérieur.

Les rumeurs commencèrent à exploser à partir de ce moment.

On tenait mademoiselle Liliane pour responsable de la miraculeuse guérison du Marquis. C'était grâce à leur amour qu'il pouvait de nouveau marcher en plein jour. On disait qu'ayant ouvert le cœur du Chevalier Sanglant, elle était parvenue à guérir son âme blessée.

Bref, des choses rocambolesques fleurirent de partout, arrivant même jusqu'aux oreilles de l'Empereur Josepho, qui prit une décision radicale :

-Vous devez vous rendre à la capitale ? s'étonna Liliane, une semaine plus tard.

-Effectivement, approuva Macklar au diner du soir. Mais vous venez avec moi.

-Heu...

-Josepho souhaite vous rencontrer.

-Moi ? Mais pourquoi ?

Il haussa les épaules en lui tendant la missive, très courte, de l'Empereur.

-Aucune idée. Mais cela nous évitera de devoir justifier votre présence à mes côtés. Et puis, il vous a confié une mission à mon sujet. Peut-être souhaite-t-il entendre votre rapport.

C'était une possibilité, en effet.

Et cela ravit Liliane. À la capitale se trouvait également le Grand Mage ! Elle allait pouvoir mener à bien la suite de ses recherches ! Elle pourrait peut-être trouver une solution pour Macklar !

-Par contre, nous allons devoir prendre nos dispositions, la prévint-il. Je ne suis pas un homme très apprécié, mademoiselle, et votre lien avec moi va faire de vous une cible de choix.

-Certes.

-Je sais que vous avez fait vœu de non-violence, aussi vais-je faire ce qu'il faut pour vous protéger.

Oh...

-Heu... De toute façon, je vous fais confiance, monsieur.

Il haussa un sourcil, avant de sourire.

-Soit. Dans ce cas, il n'y aura aucun souci. Je vais tenir informé votre frère de notre départ.

-Quand partons-nous ?

-Dans une semaine.

Oui, mais... comment allaient-ils faire !? Il ne pouvait pas durer plus d'une demi-journée sans un baiser ! Et si l'Empereur lui demandait de participer à une partie de chasse !? Il ne reviendrait pas avant la tombée de la nuit, et son secret serait trahi !

Paniquée par cette perspective, Liliane passa la journée suivante à chercher une solution. N'importe laquelle, pour être certaine de pouvoir préserver le secret du Marquis. Elle sentait venir les problèmes, avec cette histoire !

Conscient de son trouble, Logan chercha à l'aider, mais n'ayant aucune compétence en magie, il battit en retraite. Il aurait dû se douter qu'il allait y avoir un problème. Maintenant qu'il avait appris à connaitre mademoiselle Liliane, il aurait dû reconnaitre les signes précurseurs.

Néanmoins, lorsqu'elle débarqua tard le soir dans son bureau, il recracha sa gorgée d'eau lorsqu'elle assena :

-Monsieur, couchons ensemble !


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