Chapitre 8 : Tourmente (1/2)

Dès que les rayons du soleil eurent point à l'horizon, Christophe rassembla tous les inquisiteurs pour leur conter les événements de la nuit passée, conviant également les sorcières.

Magdelaine porta une main devant sa bouche pour masquer un bâillement. Elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit et doutait qu'elle pût rattraper le sommeil manqué ce jour-là. À ses côtés, Lison n'avait pas meilleure mine. Ses yeux cernés regardaient dans le vide. Elle piqua brièvement du nez et se redressa aussitôt, semblant soudain plus réveillée.

Quant à Christophe, il semblait en meilleure forme que les deux amies. Il s'était changé, rasé et avait remis sa perruque. Depuis qu'elle l'avait vu sans, Magdelaine ne comprenait pas vraiment pourquoi il la portait : les boucles artificielles déformaient un peu sa tête, bien plus élégante au naturel.

Elle secoua la tête pour chasser ces pensées inutiles de son esprit fatigué et tenta de se concentrer sur ce qu'allait dire le père Claude, qui s'avançait pour prendre la parole. Derrière lui, Anne se tenait droite, la tête légèrement baissée. Elle aussi avait accouru auprès de la victime cette nuit-là et ce qu'elle avait vu l'avait manifestement marquée. L'horreur se lisait encore sur son visage et à l'instar de Lison, son regard était perdu dans le vide.

Le prêtre entreprit de décrire le corps retrouvé cette nuit-là : un visage défiguré par la douleur, une morsure au cou qui en avait arraché une bonne partie au pauvre homme, des brûlures aux bras qui leur avaient fait prendre une teinte et une texture de charbon en deux endroits... Après avoir ramené des bougies supplémentaires pour mieux examiner la victime, ils avaient constaté avec horreur que les marques carbonisées avaient la forme de deux mains.

Magdelaine laissa son esprit vagabonder pendant que le père Claude s'exprimait. Elle ne voulait pas se souvenir, elle voulait penser à autre chose. Cependant, l'atrocité s'imposa une nouvelle fois à ses pensées et son imagination prit le relais, apposant des images sur ce qui avait dû se produire la nuit passée. Elle vit la victime, bien vivante, ouvrir la porte dans un concert de croassements sinistres et avant-coureurs à une femme qu'elle s'imagina le visage masqué par un rideau de cheveux noirs. Elle la vit lui saisir les bras pour l'empêcher de bouger, de la vapeur blanche s'élevant de la peau brûlée de sa victime, la douleur le figeant sur place et lui volant toute possibilité de hurler. Elle la vit planter ses dents dans son cou. Elle vit l'homme s'effondrer, mort, et...

Et après ?

Que s'était-il passé ensuite ? Où avait disparu la Sorcière, alors que Christophe et elle arrivaient dans la rue, derrière la porte ?

― Magdelaine ?

La jeune femme sursauta et tourna la tête vers l'endroit d'où avait émané la voix. Christophe la regardait, l'air étonné. Elle balaya la pièce des yeux et découvrit que tout le monde était déjà parti à l'exception de Lison et de l'inquisiteur. Ils se trouvaient dans le réfectoire de l'abbaye, la salle habituelle n'étant pas suffisamment grande pour les accueillir tous. Des tables et des bancs en bois étaient alignés entre les quatre murs en pierre sobres et austères, percés de grandes fenêtres par lesquelles les rayons du soleil se faisaient plus présents à mesure que le jour se levait.

Christophe soupira.

― Rentrez chez vous et reposez-vous, lui ordonna-t-il. Vous avez une tête épouvantable.

Magdelaine voulut contester, lui rappeler qu'il leur fallait poursuivre les recherches à la Bibliothèque, continuer les rondes, réfléchir à la manière dont la Sorcière avait pu s'y prendre pour leur échapper, mettre au point une stratégie pour éviter que cela se reproduise... Mais elle dut bien se rendre à l'évidence : elle n'avait pas même la force de protester. Lison acquiesça vivement à côté d'elle et la prit par le bras, l'entraînant vers la sortie.

― Je la raccompagne, dit-elle à Christophe.

Ce dernier commençait déjà à quitter la pièce par une petite porte menant à la cour intérieure du monastère. Sans leur accorder un regard, il répondit :

― Je compte sur vous.

Magdelaine marchait machinalement dans les rues sans vraiment regarder où elle mettait les pieds. Son amie lui évita quelques désagréments en la poussant çà et là hors du chemin d'un contenu de pot de chambre ou en la rattrapant quand elle menaçait de tomber, se prenant les pieds dans les pavés inégaux.

Les rues étaient encore peu fréquentées à cette heure matinale et les deux jeunes femmes croisèrent très peu de monde sur leur route.

Enfin, elles s'engagèrent dans la rue de la librairie et Magdelaine sentit un sourire lui monter aux lèvres. Son lit... Elle se redressa à moitié, prête à remercier Lison et à poursuivre seule sur les quelques pieds qu'il lui restait à parcourir.

Elle n'eut pas l'occasion d'ouvrir la bouche.

Une bourrasque de vent vint tout à coup cueillir les deux jeunes femmes et les projeta à terre, quelques dizaines de pieds plus loin.

Magdelaine se redressa aussitôt, cherchant le coupable des yeux. Ce faisant, une douleur vive lui vrilla le dos et elle retint un cri. Lison grimaçait à côté d'elle, une main sur son front d'où coulait un filet de sang.

Quand elle vit son amie dans cet état, son sang ne fit qu'un tour. Ignorant la douleur et la fatigue, elle bondit sur ses pieds, prête à mettre le responsable en pièces.

Ce dernier se tenait à l'entrée de la rue, une main tendue. Sa veste et ses longs cheveux noirs voletaient en tous sens, mus pas le vent qu'il invoquait. Ses yeux gris acier fixaient Magdelaine, non pas telle une proie, mais tel un obstacle.

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