Chapitre 6 : Xir (1/2)

Jean reçut pour mission de transmettre les maigres conclusions de la rencontre aux équipes s'apprêtant à partir sillonner les rues de la ville. Il fit signe aux sorcières et aux sorciers de le suivre et quitta la pièce.

Magdelaine les regarda partir avec appréhension. Elle avait vu les regards qui lui avaient été adressés la veille et les paroles de Christophe étaient à des lieues de la rassurer. Elle fut tentée de se lever à son tour pour les rejoindre, mais l'inquisiteur avait encore des choses à lui dire. Elle serra donc les dents et se tourna vers lui.

― Initialement, commença-t-il, j'avais dans l'idée de former des équipes mixtes composées d'un inquisiteur et d'un sorcier pour mener les rondes. Je vous croyais plus nombreux que cela par ici... Peut-on s'attendre à des renforts de votre part dans les prochains jours ?

Magdelaine faillit se mordre la lèvre, gênée de devoir avouer la vérité à Christophe. Elle se permit quelques secondes de silence pour rassembler ses pensées et se lança :

― Eh bien, la situation n'est pas sans difficultés...

Trois coups secs à la porte apportèrent une vague de soulagement à la jeune femme. Malheureusement, le répit fut de courte durée.

― Monsieur, une femme à la porte souhaite vous parler, expliqua le garde après avoir reçu la permission d'entrer. Ainsi qu'à... elle.

Il accompagna la fin de sa phrase d'un signe de tête en direction de Magdelaine. Cette dernière leva un sourcil, surprise. S'agissait-il de renforts inattendus ?

― Qui est-ce ? s'informa Christophe, tout aussi étonné.

― Je crois qu'elle a dit s'appeler Lison Le Gall... répondit le garde.

L'homme conduisit Magdelaine et Christophe à la porte où les attendait une jeune femme aux yeux rougis et au teint pâle.

Lison Le Gall était le portrait craché de sa mère avec plusieurs dizaines d'années de moins et quelques kilos en plus. Magdelaine et elle se connaissaient depuis la plus tendre enfance, leurs pères respectifs ayant été de grands amis. Ainsi, quand elles avaient rejoint les rangs de l'école et que Lison avait été victime de brimades du fait de son poids bien supérieur à la moyenne ainsi que de ses faibles pouvoirs magiques, Magdelaine avait pris la défense de son amie. Après quelques os cassés, les insultes s'étaient faites plus rares jusqu'à disparaître complètement. Son amie s'était amincie en grandissant et avait travaillé plus dur que n'importe qui jusqu'à devenir l'une des sorcières les plus compétentes et les plus fortes psychologiquement que Magdelaine aient jamais connues.

Aussi fut-elle extrêmement surprise quand Lison se jeta dans ses bras une fois la porte de l'abbaye franchie et éclata en sanglots. La sorcière de l'eau, prise au dépourvu, lui passa une main dans le dos et essaya de la réconforter comme elle le pouvait.

Voyant Christophe s'impatienter à leurs côtés, Magdelaine prit Lison par les épaules et la regarda dans les yeux.

― Lison, que se passe-t-il ? demanda-t-elle d'une voix qui se voulait apaisante mais qu'elle trouva un peu plus pressante que prévu.

La jeune femme essuya ses yeux et les leva vers Magdelaine.

― Ma mère... La Sorcière au Corbeau l'a tuée... glissa-t-elle entre deux sanglots.

Après que Christophe eut récupéré son arme, une lourde épée au pommeau richement ouvragé et décoré, tous trois se rendirent à la demeure des Le Gall accompagnés de deux autres inquisiteurs. Magdelaine en profita pour présenter Lison à Christophe. Son amie, tremblante et chancelante, passa le court trajet appuyée contre Magdelaine, un bras de cette dernière autour d'elle.

Devant le petit hôtel particulier, la charrette était toujours là. Le propriétaire se tenait à côté, béret en main et visiblement embarrassé. Une femme lui tenait compagnie. Elle paraissait effondrée, ses cheveux blancs coiffés maladroitement et ses yeux marron vagabondant à droite à gauche sur la place. Magdelaine reconnut la domestique des Le Gall, Marie. Quand elle vit Lison, ses yeux se remplirent de soulagement.

― Mademoiselle, les Primordiaux soient loués ! s'écria-t-elle avant de se précipiter vers elle.

La vieille femme serra Lison dans ses bras, geste que feu sa maîtresse aurait sévèrement puni, le jugeant inapproprié pour son rang. La jeune femme lui rendit son étreinte sans broncher.

Christophe jeta au véhicule un regard étonné et désigna l'homme d'un signe de tête à ses subordonnés. Ces derniers s'avancèrent, le saisir chacun par un bras et l'emmenèrent devant l'inquisiteur.

― Ex... Excusez-moi, je venais simplement aider au déménagement... Je n'y suis pour rien... balbutia-t-il en faisant tourner son chapeau entre ses mains.

Christophe demanda à Lison de lui indiquer le chemin et celle-ci se dégagea de l'étreinte de sa domestique pour se diriger d'un pas chancelant vers la porte située sous le porche entre l'hôtel particulier et le bâtiment voisin.

Quand ils entrèrent dans la pièce à vivre, ils furent saisis par une odeur de brûlé et de sang ainsi qu'un silence de mort. Le jour éclairait faiblement l'endroit à travers les rideaux tirés sans parvenir à en effacer la pénombre. La pièce était sens dessus dessous. Les chaises étaient renversées, les bibelots d'origines diverses habituellement exposés sur les commodes étaient à terre, l'horloge de parquet également. Quand elle vit le pendule tordu qui dépassait des planches de bois brisées, Magdelaine sentit son cœur se serrer. Lison et elle avaient passé tant d'heures à le regarder se balancer quand elles étaient petites, après que le père de son amie l'avait ramené d'un de ses voyages...

Enfin, entre la cheminée et la table repoussée contre un mur, une forme brûlée noircissait le parquet. D'autres marques rouge sombre éclaboussaient l'âtre, les peintures murales ainsi que les meubles. Lison se détourna, prise d'un nouveau sanglot, et Magdelaine posa les mains sur ses épaules pour tenter de la réconforter sans quitter la trace des yeux. Christophe se dirigea vers cette dernière, s'accroupit et passa deux doigts dessus. Il observa un instant leur extrémité noircie avant de s'adresser à Lison :

― Êtes-vous sûre qu'il s'agit bien de votre mère ? Avez-vous la moindre idée de ce qui a pu se passer ?

La jeune femme trouva la force de se retourner, mais ses yeux évitèrent les marques au sol.

― J'étais dans ma chambre, je dormais, expliqua-t-elle. Et puis j'ai entendu ma mère crier... Je suis descendue, je l'ai découverte ici, en feu... J'ai pris le seau d'eau que nous gardons toujours à côté de la cheminée et lui ai jeté son contenu, mais c'était trop tard... Elle est morte sous mes yeux. Je ne savais pas quoi faire alors je suis restée à côté d'elle...

Sa voix s'étrangla sur ces derniers mots. Magdelaine lui serra l'épaule avant de se diriger à son tour vers la marque brûlée à même le plancher. Quand elle fut suffisamment proche, son sang se glaça et elle resta immobile, hypnotisée par la forme noire qui, dans la pénombre, avait des allures d'abîme. Ses contours nets dessinaient très distinctement une silhouette humaine. Elle put distinguer la tête, le buste, les bras... Au niveau du cou se trouvait une chaîne en argent au bout de laquelle étaient éparpillés des fragments de pierre, désormais noirs. Là où s'était trouvé le poignet droit, la jeune femme découvrit une gourmette. Elle reconnut celle de monsieur Le Gall que sa veuve gardait en permanence sur elle depuis sa disparition.

Devant elle se trouvait le lieu où madame Le Gall avait trouvé la mort. Les flammes avaient dévoré son corps, puis la magie qui le composait, le réduisant en poussière. Alors libérée, son âme était retournée à l'Éther, retrouvant l'homme qu'elle avait aimé, laissant sa fille derrière elle.

― Vous nous disiez tout à l'heure que la Sorcière au Corbeau était responsable de ceci, poursuivit Christophe en se relevant et en s'essuyant les doigts sur son pantalon. D'où vous vient cette certitude ?

La jeune femme fut parcourue d'un frisson.

― Juste avant que ma mère ne se mette à crier, je les ai entendus. Les corbeaux. Beaucoup de corbeaux. J'avais entendu les rumeurs, je connaissais les histoires, j'ai pris peur... Tout est de ma faute... Si j'étais descendue immédiatement, peut-être que Mère serait toujours...

Sentant de nouvelles larmes arriver, Magdelaine retourna auprès de son amie et la prit dans ses bras.

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