Chapitre 5 : Xyloglossie (2/2)
1er mars
Le lendemain à l'aube, Magdelaine se rendit en bâillant à l'abbaye.
La veille, Christophe lui avait retourné son message après y avoir ajouté une réponse. Elle avait été soulagée de voir qu'il approuvait son choix d'entamer les recherches de leur côté plutôt que de se joindre aux patrouilles en ville. Il lui avait dans le même temps donné rendez-vous le lendemain avec ses compagnons.
La température glaciale avait pris Magdelaine d'assaut dès qu'elle avait mis le pied dehors. Le crachin n'arrangeant pas les choses, ses dents se mirent rapidement à claquer et elle pressa le pas. La jeune femme eut une pensée de gratitude pour les bâtisseurs du passé qui avaient construit les maisons avec des encorbellements aussi rapprochés : le vent polaire n'atteignait pas la rue. Cela signifiait en contrepartie qu'une odeur de pot de chambre assortie d'un soupçon de pourriture y flottait en permanence, mais on n'avait rien sans rien.
Elle esquiva ce qui devait aller s'ajouter à la pestilence actuelle avant de s'écarter pour laisser passer quelque noble gens bien à l'abri dans une chaise à porteur.
Quand elle quitta les remparts de la Ville Neuve et déboucha sur une place bordée de maisons mitoyennes et d'une petite église, ses yeux se posèrent sur l'hôtel particulier de la famille Le Gall. Sans surprise, une charrette tirée par d'imposants chevaux de trait était arrêtée devant, prête à accueillir les effets personnels qui accompagneraient leurs propriétaires en exil. Le véhicule devait être arrivé à l'instant puisqu'un homme en descendait et se dirigeait vers le mur pour y attacher ses animaux.
Magdelaine soupira et reprit sa route vers l'abbaye. Quand elle découvrit ses amis ainsi que cinq autres personnes devant la grande porte, elle ne put retenir un sourire. Des sept sorcières et sorciers qui s'étaient présentés la veille à la Bibliothèque en réponse au second appel, deux étaient restés dans le Monde d'En Dessous pour continuer les recherches et les autres s'étaient portés volontaires pour accompagner l'Inquisition pendant les rondes. La jeune femme reconnut quelques visages, des marchands dont les familles résidaient en ville depuis plusieurs générations.
Elle les salua un à un chaleureusement puis se dirigea vers la petite porte où elle frappa. Le garde la reconnut, lui fit signe d'attendre et disparut.
Magdelaine l'écouta s'éloigner en se frottant les mains l'une contre l'autre pour les réchauffer. Le froid commençait à saisir ses doigts et la jeune femme souffla dessus, tentant de leur redonner une couleur plus rassurante que le bleu dont ils se teignaient peu à peu. À ses côtés, ses compagnons semblaient tout aussi transits qu'elle.
Le garde revint bientôt en compagnie de Christophe qui les conduisit dans la salle où s'était tenue la réunion la veille. Le père Claude s'y trouvait déjà ainsi que le jeune homme roux aux taches de rousseur et le moine, toujours assis dans un coin avec son tas de feuilles. Les nouveaux-venus s'installèrent autour de la table, contemplant d'un œil émerveillé le luxe exposé autour d'eux.
― Bien, passons en revue ce que nous savons de la Sorcière au Corbeau, commença Christophe sans plus de formalités. Second Dévot Jean, si vous voulez bien.
Le jeune homme roux se leva, un peu intimidé, et se réfugia dans la feuille de notes qu'il avait prise avec lui.
― Alors... Eh bien... Je suis au regret de vous annoncer que les archives de la ville et de ses institutions religieuses possèdent un nombre très restreint d'informations concernant la Sorcière au Corbeau. Nous n'avons pas encore tout examiné, mais ce que nous avons trouvé pour le moment, nous le savions déjà : nous sommes confrontés à la Sorcière Primordiale du feu, elle apparaît régulièrement dans le monde des Hommes pour y semer la destruction, disparaît tout aussi subitement environ un an plus tard, est liée aux corbeaux et a tué plus de gens qu'on ne peut en compter.
Jean se rassit, visiblement gêné de n'avoir aucune nouvelle information à révéler.
Christophe n'avait pas l'air satisfait. Il soupira et posa les yeux sur Magdelaine, l'invitant à parler.
La jeune femme se leva à son tour. Elle n'avait pas eu besoin de prendre sa feuille de notes.
― Tout comme vous, nous n'avons pas encore terminé de consulter nos archives. La quantité de documents à étudier dépasse de très loin ce qu'il est possible de parcourir en quelques heures, je ne suis donc pas inquiète quant à nos prochaines trouvailles. Pour le moment, en revanche, nous ne disposons que de très peu d'informations que nous avons découvertes dans un ancien conte apposé à l'écrit il y a de cela deux siècles. L'auteur y avertit le lecteur que la clameur des corbeaux est signe de la présence de la Sorcière. Si nous voulons la trouver, nous devrons donc surveiller ses animaux fétiches.
Magdelaine se rassit et Christophe acquiesça.
― Cette information va dans le sens de ce que vous me disiez hier, nota-t-il. Nous miserons donc dessus en attendant d'en avoir de plus consistantes.
Il se leva, rencontrant tour à tour les yeux de tous les sorciers et sorcières assemblés devant lui.
― Mesdames, messieurs, vous vous joindrez aux rondes dès la prochaine relève. Le sieur Jean Moreau ici présent vous conduira à nos hommes. Répartissez-vous parmi eux. Notre souhait est de travailler main dans la main avec vous pour occire la Sorcière au Corbeau. Sachez cependant qu'au moindre geste pouvant être considéré comme suspect ou menaçant, mes hommes n'hésiteront pas un instant avant de mettre fin à vos existences.
Il s'arrêta un instant. Devant lui, son auditoire avait pâli. Écrasé comme il le pouvait sur la chaise à côté de Magdelaine, Pierre avala difficilement sa salive. La jeune femme estimait que cette pause dans le discours de l'inquisiteur était un peu trop dramatique et le soupçonna d'admirer l'effet que ses paroles venaient de produire. Elle dût l'admettre : elle aussi se sentit tout à coup moins rassurée.
Au bout d'un moment qui sembla durer une éternité, un rictus narquois se dessina sur les lèvres de Christophe et il déclara :
― Mesdames, messieurs, nous allons chasser du corbeau.
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