Chapitre 2 : Discorde (1/2)

Quand Christophe prit la parole, tous les yeux étaient rivés sur Magdelaine. Cette dernière tentait d'ignorer la haine qui l'assaillait et de se concentrer sur les mots de l'inquisiteur.

Voyant que personne ne l'écoutait, le jeune homme frappa d'un grand coup de poing sur la table.

― L'heure est grave, messieurs, un peu de concentration, s'il vous plaît.

Quelques inquisiteurs baissèrent les yeux, embarrassés. D'autres soutinrent son regard, visiblement furieux. Quand il fut certain qu'il avait l'attention de tout son auditoire, Christophe reprit la parole :

― La Sorcière au Corbeau est de retour et, pour notre plus grand malheur, c'est ici qu'elle s'est éveillée, en témoignent les événements de la nuit der...

― Excusez-moi, messire, mais qui est cette Sorcière au Corbeau ? demanda une voix timide.

Tous les regards se fixèrent sur un jeune homme roux aux pommettes couvertes de taches de rousseur à qui on ne donnait pas plus de vingt ans. Il rougit quand il se rendit compte qu'il était devenu le centre de l'attention.

Christophe soupira et balaya son auditoire des yeux. Magdelaine fit de même, surprise qu'un inquisiteur en apparence à peine plus jeune qu'elle pût ignorer qui était la Sorcière au Corbeau. À en juger par l'air curieux de certains d'entre eux, celui qui avait pris la parole n'était pas le seul en quête d'informations.

― La Sorcière au Corbeau, commença Christophe d'une voix retenue, est la Sorcière Primordiale du feu, le Corbeau de Feu, Corvus Ignis, appelez-la comme vous voulez. Elle se réveille tous les demi-siècles environ pour une période d'un an au cours de laquelle elle sème mort et désolation. Si nous ne faisons rien pour l'arrêter, nous allons au-devant d'une catastrophe sans précédent.

― Et... comment l'arrête-t-on ? s'enquit timidement le jeune inquisiteur.

― Si nous le savions, la situation ne serait pas aussi dramatique, rétorqua le père Claude en pianotant nerveusement sur la table. Mon Dieu, venez-nous en aide...

Un silence grave s'abattit autour de la table. Même le moine qui retranscrivait les échanges dans un coin de la pièce était blême et tremblant.

Christophe ferma les yeux un instant. Magdelaine comprit qu'il s'apprêtait à entrer dans la partie la plus délicate de la discussion et tenta d'afficher un air serein.

― La Sorcière au Corbeau a deux ennemis : l'Inquisition et l'Assemblée des sorcières, qui la considère comme trop dangereuse pour être ignorée. Ce matin, le pax in bellum, « la paix pour la guerre », a été invoqué par l'Assemblée, annonçant le début de la lutte contre notre ennemie commune. Nous avons cependant décrété qu'une trêve entre nos deux camps n'était pas suffisante pour mettre fin aux agissements de ce démon. Nous allons donc joindre nos forces pour l'éliminer une bonne fois pour toutes !

Ayant compris où leur chef voulait en venir, les visages s'étaient durcis à mesure qu'il avançait dans son discours. L'annonce finale fut accompagnée de cris indignés et colériques. Christophe laissa faire quelques secondes avant de se lever d'un bond et d'envoyer un nouveau coup de poing sur la table. Magdelaine se demanda si la position de chef au sein de l'Inquisition revenait au plus bruyant.

― Ma décision est irrévocable, déclara-t-il. Il est hors de question que je laisse se reproduire dans ma ville ce qui est arrivé à Londres. Je suis sûr que vous partagez tous mon avis.

Les protestations se turent bien que la haine demeurât dans nombre de regards. Les descriptions apocalyptiques de la capitale du royaume d'Angleterre dévorée par les flammes revenaient à l'esprit de tous, même si certains semblaient en découvrir la cause.

― Nous ne sommes pas dans une capitale ni dans une cité d'une importance pouvant pousser le Vatican à y mobiliser toutes ses forces d'Inquisition. Nous sommes livrés à nous-mêmes et si nous n'agissons pas en conséquence, nous ferons face à une année de souffrances et de destruction. Et cela, je refuse de l'accepter.

Personne ne contesta les paroles de l'inquisiteur. Christophe balaya une dernière fois ses subordonnés du regard avant de se rasseoir pour poursuivre.

― Bien. Dans un premier temps, nous allons sortir toutes les archives concernant la Sorcière au Corbeau que nous avons à disposition. Je veux que l'on découvre quelles sont ses habitudes : qui sont ses victimes, quand elle agit, à quoi elle ressemble, comment la trouver. Je veux que des rondes soient menées en ville vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Qu'on ne lui laisse pas un moment de répit. Pendant ce temps-là, trois d'entre vous partiront pour le Vatican, Paris et Londres afin d'examiner les archives entreposées là-bas. Qu'on nous ramène un maximum d'informations. C'est ici que son parcours s'achève, messieurs. Nous débarrasserons nos enfants et nos petits-enfants de ce fléau.

Quelques têtes furent hochées avec détermination. D'autres étaient basses, secouées par la tournure urgente et apocalyptique qu'avait prise la situation. D'autres encore étaient levées et hostiles. Ces dernières, Magdelaine le savait, il lui faudrait s'en méfier. Ces hommes haïssaient les siens plus qu'ils ne voulaient protéger leur propre peuple. Un coup bas de leur part était tout sauf inenvisageable. Parmi eux, le dénommé Victor, qui lui adressa un regard furtif mais débordant d'une rage comme elle en avait rarement été la cible.

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