Chapitre 45

Je suis comme plongée dans une immensité d'eau dont je n'arrive pas à mesurer l'étendue tellement elle est grande. Tout est flou, mes oreilles bourdonnent malgré le fait que je me concentre pour entendre mieux les bruissements qui se pressent à côté de moi. Tous mes efforts sont en vains jusqu'à ce que je discerne mieux ce qui m'entoure et les voix qui se démarquent dans tout ce brouhaha.

— Elle commence à se réveiller, ça y est, putain !

— Arrête de jurer Alexia.

— Roh ça va, papa, j'ai bien le droit, je l'ai vu s'évanouir je te rappelle.

— Et tu ne sais même pas pourquoi ?

Elle n'a pas besoin de répondre ; mon gémissement passe la barrière de mes lèvres pour s'élever dans l'air de la forêt. Aussitôt, je prends conscience qu'Alexia est à ma gauche, le visage plissée par une grande inquiétude qui déforme son visage. Pourtant, d'autres mains m'entourent.

Ce n'est qu'après, quand je vois vraiment les visages qui sont juste à côtés de moi que je comprends qu'Alex est juste derrière moi. Il me tient doucement, son torse contre mon dos et je sens mon cœur rater un battement, puis partir à toute vitesse, conscient de l'infime espace qui sépare nos deux cœurs, bientôt mangé. Puis tout me revient. La rage qui m'a envahit quand je l'ai vu avec cette fille qui n'est autre que devant moi, tantôt souriante et complètement niaise à ses paroles. Son sourire à lui qui m'a brisé le cœur alors que j'ai pris tellement de temps à le gagner, à gagner son amitié, sa confiance et cette intimité qui nous relie.

Rodric m'observe avec les sourcils froncés, mue par l'inquiétude mais je n'en n'ai que faire. Mon cœur me fait déjà mal, mal, si mal. Je me tends entièrement maintenant que j'ai retrouvé l'esprit clair, que ma tête me tourne un peu moins mais peu importe, je ne peux pas et je ne veux pas rester ici.

La fille, quant à elle, me regarde sans comprendre ce qui s'est passé mais se mord la lèvre. Je retiens un rire amer en voyant qu'elle s'inquiète elle aussi. La bonne blague ! Je le sais, je suis injuste, doublée d'une méchanceté mais je ne peux pas retenir la fureur qui a pris possession de mon cœur.

Ja-mais, me souffle la voix venimeuse de Léo.

Je bouillonne. Je fulmine. En quelques secondes, le poison vicieux et perfide de la jalousie sillonne mes veines pour rejoindre mon corps déjà débordant de haine. Je ne peux pas rester là, à sentir la respiration d'Alex et de savoir qu'il a sourit à la jeune femme devant moi tantôt. Je ne peux pas supporter leurs regards ; ils me brûlent, m'étouffent, je veux sortir.

Sans même lui jeter un coup d'œil, malgré le fait que je sens ses yeux sur moi, je me relève et rejette toute aide pour me relever. Le visage stoïque, je les dépasse non sans forcer un peu le passage auprès de la jeune femme qui se décale avec un hoquet de stupeur. Je mentirais si je disais que son air outré ne me booste pas, me donnant le goût d'une satisfaction sans précédent mais je la dépasse, les poings serrés.

J'ignore les appels de mes amis, et en sentant l'envie de disparaître, je me mets à courir. L'adrénaline se déverse dans mes membres inférieurs et je cours, je cours jusqu'à m'épuiser, face à la porte de la maison. Cependant, au moment d'y rentrer, le cœur qui bat aussi qu'un vite marathon, j'entends des pas retentirent derrière moi et quelqu'un prononcer mon nom.

— Léa.

Alex.

Je ne dis rien et feins de ne pas l'avoir entendu mais il n'est pas idiot. Je rentre dans la maison avec la ferme intention de l'ignorer jusqu'à ce que je puisse lui faire face sans sentir mon cœur se désagréger à la manière du sable glissant entre les doigts. En refermant la porte derrière moi, je prends mon élan pour me pénétrer dans le salon pour me ruer dans les escaliers mais le fils de l'Alpha va plus vite que moi. Il a déjà ouvert la porte qu'il a la main sur mon bras et me retourne vers lui pour le regarder yeux dans les yeux.

— Léa, croasse-t-il.

— Lâche-moi, ordonné-je d'une voix peu amicale.

Il obéit aussitôt mais me défie de bouger d'un seul centimètre alors que nous nous regardons fixement. Il respire un peu fort due sûrement au footing improvisé qu'il a dû accomplir mais je ne suis pas en reste. Je fais si peu d'efforts que ma poitrine me brûle, les jambes affaiblies, tandis que de la sueur coule dans le dos.

— Léa, qu'est-ce qui ne va pas ?

— Rien. Maintenant laisse-moi partir dans ma chambre.

Je ne supporte pas de le regarder trop longtemps dans les yeux, il me rappelle son sourire près de la cascade, dans la forêt, avec cette fille. La vision est insupportable et je plisse des paupières, le cœur me lançant d'incessantes piques. Je résiste à l'envie de passer ma main entre mes seins, le plexus solaire aussi douloureux que si l'on m'avait mis un coup de poing à cet endroit.

— Dis-moi ce qui ne va pas, insiste-t-il.  Je vois bien à ton visage que tu n'es pas très bien et j'aimerais...j'aimerais savoir pourquoi. Ça m'inquiète.

— Arrête. C'est stupide.

— Quoi ? fait-il en fronçant des sourcils. Mais ? Je croyais que...

— Tu ne croyais rien du tout, cassé-je.

Ma jalousie parle pour moi et je la laisse sortir, entière et bien forte, les remparts érigés de piques pour me défendre autant que possible. Je sais que ce n'est pas très bon de la faire parler pour moi mais je dois me débarrasser de ce sentiment insupportable, maintenant. La douleur qui me terrasse me dérange déjà ; je ne supporte pas de souffrir ne serait-ce qu'un peu et encore moins en voyant les yeux implorant d'Alexander.

Mauvaise fille.

Je ravale ma culpabilité dans un déglutissement et suis décidée à lui tenir tête. Il est hors de question que je lui révèle ce qui me dérange si profondément, bien enfouie en moi. C'est de mon âme que je sortirai cela et il a déjà trop de cartes en mains pour blesser ce palpitant qui git et bat dans ma cage thoracique, déjà bien souffrant et abîmé.

Alexander soupire et je comprends bien pourquoi. Il ne saisit pas. La fois d'avant je suis gentille, solaire et le jour d'après, j'ai la rage au cœur, et je lui en veux pour quelque chose dont il n'est même pas responsable.

C'est son père. Mais tu ne peux pas t'empêcher de lui en vouloir.

Bien sûr et je ne peux pas mentir que ça ne me dérange pas. Cependant je suis incapable d'arrêter ce cœur désireux de grogner, de montrer qu'il peut se défendre et blesser, juste pour se protéger. J'ai bien trop enfouie mon cœur sous clé, pour l'empêcher de crier trop fort, pour que personne ne l'écoute. Tant de fois, depuis que je suis petite, depuis ma malédiction, je me tais et je tais mes émotions, ce qui fait moi. Aujourd'hui, et depuis déjà quelques temps, j'ai décidé de stopper.

Alors je laisse sortir. Laissons, laissons s'exprimer, jusqu'aux tréfonds de mon corps.

— Léa, explique-moi, je t'en prie. Pourquoi tu es comme ça ? Je ne comprends pas.

Évidemment, je suis trop compliquée. Trop ceci, trop cela. Malgré cela, ma colère commence à retomber, malgré mon envie de tout faire sortir, encore plus, toujours plus. Je veux juste me débarrasser de ce qui fait mal, qui touche de l'intérieur, comme un poison qui se disperse peu à peu pour gagner mes organes et les pourrir eux aussi. Cela, je refuse.

— Tu ne pourrais pas comprendre, Alex.

Je ne peux pas lui dire mais au point, je peux laisser libre court ces émotions qui courent sur ma peau, libre comme l'air.

— Je ne veux pas te forcer mais...

— Je croyais que tu savais tenir tête à ton père. Je vois ça, dis donc.

— Pardon ? demande-t-il, les yeux ronds comme des soucoupes.

Il ne comprend donc pas ce que je souhaite lui faire passer. Pourtant, il ne peut pas nier que son père a des projets pour lui. Je suis presque sûr qu'il est au courant, si Alexia elle aussi le sait, ce qu'il lui en a parlé.

— Tu sais très bien ! l'accusé-je. Pour ce qui s'est passé la dernière fois, tu lui as tenu tête mais plus maintenant ! Alors qu'il veut te marier !

Enfin, quand je vois son visage pâlir, je sais qu'il a saisi ce que je lui ai dit. Il vient se passer une main sur le visage tout en grognant. Chaque seconde qui passe est un poignard de plus dans mon cœur.

— Mais comment tu.... Alexia c'est ça ? J'en étais sûre, elle ne sait pas se taire !

Mon cœur rugit. Il sait, il sait et il est d'accord, c'est ça ? Lui qui tient tête à son père accepte qu'il dirige ainsi sa vie ? Je n'arrive pas à y croire, je ne peux pas. Mes poings se serrent un peu et mes ongles s'enfoncent dans ma peau, m'envoyant des éclairs de douleur.

— Je vois, grogné-je. Tu acceptes ça ! J'ai bien vu comment tu souriais à cette fille, avec ton père à côté. Ça veut dire que tu es d'accord avec ça. Je croyais que tu ne voulais pas qu'il dirige ta vie ?

Cette fois, il me regarde de nouveau mais d'une autre façon. Une façon que je ne comprends pas mais mon cœur accélère la cadence, sentant le danger venir et je vois une lueur de compréhension s'allumer dans les yeux d'Alexander.

— Tu.... Tu es jalouse ?

Mon cœur s'arrête. Littéralement. C'est comme s'il s'était arrêté de battre, conscient lui aussi que j'ai été percée à jour, nue, sans cette carapace composée essentiellement de jalousie que j'ai brandit pour me protéger de cette douleur qui a pointé à travers ma cage thoracique. J'aurais aimé répondre quelque chose mais j'en ai perdu la voix, maintenant pâteuse. Mes tempes me lancent et je n'entends plus que les battements, tel un tambour, qui retentissent.

— Tu es jalouse ! J'ai bien vu comment tu as regardé Alicia bizarrement, comme si tu la détestais.

— Je...non, bredouillé-je.

Cependant, ce n'était pas nécessaire de mentir, surtout au son de ma voix bredouillante. Les yeux d'Alex se plissèrent et il réduit l'espace entre nos deux corps. Je recule un peu, consciente du peu d'espace qui nous sépare et son corps est trop, trop près de moi pour que je puisse respirer calmement, sans ventiler.

— Pourquoi es-tu jalouse ? souffle-t-il toujours en se rapprochant inlassablement de moi.

J'essaye encore de reculer mais le mur vient rencontrer mon dos et je n'ai plus aucune issue pour me soustraire à son regard, à son corps, qui est un rempart infranchissable, je le sais. Il est d'une telle force que je ne vaux rien face à lui, surtout pas en tant qu'humaine.

— Je ne suis pas jalouse, Alex, fais-je, feignant un calme qui n'existe pas mais je crains de me trahir, ma voix n'est pas totalement stable.

Et ça se confirme quand je vois l'ébauche d'un sourire percer sur son visage. J'ai envie de me lamenter. Moi qui ne voulait pas qu'il sache, on peut dire que c'est peine perdue. Avec autant de facilité que de lire un livre ouvert, il a vu en moi, si facilement que c'en est déconcertant.

— Je ne te crois pas, alors pourquoi ?

Il n'est plus qu'à quelques centimètres de moi mais il ne fait que me fixer. Il ne me touchera puisque je lui ai demandé de me lâcher tantôt et je sais qu'il respectera ça mais aujourd'hui, il est déterminé à avoir les réponses à ses questions, notamment pourquoi la jalousie fulmine en moi tel un dragon enragé, cracheur de feu.

— Je... Tu te trompes.

Pourtant, j'aurais bien me justifier inutilement, avec très peu de crédibilité, il ne s'arrêtera pas, bien déterminé. Ces prunelles me le montrent bien. Je rencontre pour la première fois, sa détermination sans faille et j'aurais dû m'en douter plus tôt.

— Alors ?

J'essaye de me défendre mais je ne peux plus vraiment rien faire, coincée dans une impasse. Soit je réussis à faire dévier la conversation soit je passe à la brochette. La deuxième option est largement la plus plausible et la plus évidente et elle ne me rassure pas du tout, la gorge nouée par des nœuds invisibles, tous empêtrés les uns dans les autres, indémêlables.

Alors tandis que je l'observe, ses yeux gris que je trouve si beaux viennent se fixer sur mes lèvres et je me rends au bout de quelques secondes que je fais la même chose. Quelque chose palpite dans l'air depuis déjà quelques minutes et s'amplifie quand une tension monte d'un cran. Je la ressens maintenant étroitement, collée à ma peau, toute chaude.

— Léa...

Je sais ce qu'il veut. Et mon cœur en brûle déjà d'envie, frémissant et désirant. Je n'ai qu'une seule envie, effacer le souvenir de cette fille et lui et graver la mienne sur sa peau, sur ma peau, dans nos cœurs et corps respectifs, pour que jamais je n'oublie pas ce qui remue dans ma poitrine, vribant d'excitation.

— Alex..., soufflé-je.

Il est si près que je peux sentir son souffle sur mes lèvres, ce qui n'arrange pas le désir qui monte en moi. Mon cœur bat lentement, happant chaque seconde qui s'écoule et bien patient quant au moment qui va bientôt arriver. Quant à lui, il regarde avec des yeux dévorants mes lèvres remuer et je les mords pour attiser cette envie. Cependant il ne se décide pas toujours, toujours pendu à ce qui se prépare alors, incapable d'attendre plus longtemps, j'attrape avec fermeté le haut de son tee-shirt pour l'attraper à moi.

Nos lèvres se rejoignent et aussitôt, il prend possession pour les mordiller. Mon cœur se gonfle d'un coup, gémissant, au bord d'un gouffre attirant, celui d'abandonner tout pour se jeter corps et âme dans cette danse sensuelle. Je crochète mes mains derrière sa nuque et il se presse complètement à moi pour nous retrouver peau à peau. Je savoure la sensation de ses mains, timides, douces, qui mettent le feu à ma peau et me font haleter, en si forte contradiction avec ses lèvres qui me dévorent.

J'en fais de même, redemandant encore et encore plus, nos langues liés. C'est si délicieux que je m'oublie et fonce dans cette brume chatoyeuse qui me plonge dans un état commateux. Plus rien ne compte que ses mains sur l'échancrure de mes hanches qui s'enroulent doucement autour de ma taille et nos souffles mélangés. J'y happe tout, jusqu'à ne faire qu'un, deux cœurs dont le fil s'entrelacent, des âmes qui se reconnaissent ; c'est tout ce que je veux.

Il gémit contre ma bouche tandis que j'approfondis le baiser. Je n'en n'ai jamais assez, jamais assez de lui, de son odeur, de sa peau, de son toucher doux, de sa bouche savoureuse. Je ne veux plus que le respirer lui, là, tout près de moi, et m'oublier jusqu'à ce que je ne sache plus où nos corps commencent et se terminent. Je descends les mains le long de son cou, jusqu'au clavicules avant de continuer le parcours le long de son torse ciselé. Je meurs d'envie d'y glisser les mains pour sentir sa peau chaude et son battement de cœur juste là, près de moi.

— Alex, soufflé-je.

Il ne me lâche plus. Nous reprenons plusieurs fois notre souffle effréné de façon brève pour nous perdre encore plus l'un l'autre. Ce moment semble durer des heures et je ne me rends compte que l'on prononce le prénom d'Alexander du haut de l'escalier que quand celui-ci se détache à contrecœur de moi. Aussitôt, il me regarde plus et se fige, les yeux écarquillés.

Je me rends aussi compte de ce qui s'est passé quand je lis dans ses yeux la surprise qui vient de le clouer en face de moi. Je commence à trembler, non pas du peur, mais de ce moment qui m'a rendue complètement pantelante. Mes jambes semblent vouloir s'effondrer et je me sens chauffer sous son regard, qui garde cette étincelle de désir, qui n'échappe pas à mon œil. Malheureusement, il la dissimule et se mord la lèvre avant de marmonner un bref pardon et se rue vers la sortie.

Pendant ce temps, mon cœur n'a pas arrêté de battre si fort que je n'entends plus que lui qui résonne partout. J'essaye de respirer lentement pour ralentir ce palpitant qui course inlassablement mais il n'y a rien à faire : il ne veut plus stopper. Je pose la main sur ma poitrine saccadée, les lèvres pincées quand je sursaute en entendant le prénom d'Alexander crié.

— Alex ! Tu es là ? On t'a vu rentrer.

Je me mords la lèvre plus fort, de peur de leur réaction quand ils vont se rendre compte que quelque chose s'est passé, sans savoir mettre le doigt dessus. Je me décale un peu du mur, prends une grande respiration et sort de dessous l'escalier pour leur faire face. La surprise se peint aussitôt sur les visage de Kaïn et Jam qui ne comprenne pas.

— Léa ? questionne Jam.

Je me racle la gorge, un peu stressée, surtout quand je vois les paupières de Kaïn se plisser. Je serre les dents et prie pour qu'il n'y ait aucun signe extérieur de ce précédent baiser ou alors je suis morte de honte, toute rouge.

— Euh oui, c'est moi qui suis rentrée avec Alexander mais il est reparti. Il...il n'était pas très bien et moi je suis fatiguée alors il est reparti voir Alexia et son père.

Et Alicia.

Je grimace un peu. Comment puis-je y penser alors qu'il vient de m'embrasser, moi, et pas elle ? Malheureusement la jalousie est aussi difficile à éteindre qu'un gigantesque feu ravageant une forêt entière et ça ne fait qu'alourdir mon humeur qui revient à la normale, juste avant le baiser. Sans attendre de réponse précise, je me précipite dans les escaliers et les dépasse, toujours aussi éberlués, comme s'ils avaient été mis sur pause.

J'évite leur regard le plus possible et me réfugie, une fois la porte de la chambre ouverte, derrière le battant, le cœur battant la chamade. Un éclair de lucidité me traverse et j'ai la merveilleuse et bonne idée d'aller voir mon reflet dans la glace. Ce que j'y trouve me sidère. Mes cheveux sont un peu désordonnées, mes lèvres un peu plus épaisses que d'habitude sous l'ardeur de notre baiser et je suis rouge. Je passe ma main sur mon visage en soufflant, parce que je suis presque certaine que ça s'est deviné sur mon visage.

Est-ce pour ça qu'ils étaient si surpris ? Je n'ose pas imaginer la honte qui va envahir mon visage quand je vais les revoir, autant les jumeaux qu'Alexander. Je repense déjà à ses lèvres sur les miennes, la sensation douce dans ma poitrine, mes côtes et plus bas. Je rougis, gémissante, bien trop gênée même après que ce se soit passé.

Mon premier baiser, parfait.

Je m'humecte les lèvres et décide de ne plus y penser ou bien je ressemblerai à une écrevisse une fois devant le repas du soir, qui arrive à grand pas. Je me lave un peu le visage avec de la solution pour la peau et soupire avant de sortir de la salle de bain. Je me dirige jusqu'à la commode blanche et ouvre le tiroir présent dans celle-ci avant de me saisir du livre posé là.

Je souris en le voyant. Je n'ai pas réussi à terminer ce livre de fantasy qui m'a émerveillée dès le début. Gods Of Men, de Barbara Kloss, est un concentré de magie, de musique et d'amour, qui me pousse à terminer ce premier tome. Je l'ouvre vite et me jette presque sur le livre, comme si je brûlais intérieurement. Avec bonheur et impatience, je replonge dans cette magnifique odyssée à la magie, dont la couverture représente une flûte en os, sous un fond noir.

Hypnotisante, je ne suis plus Léana, non, je suis une simple lectrice qui est plongée dans un univers dont je ne trouverai plus jamais la sortie avant de refermer l'unique et dernière page, un monde présent qu'entre celle-ci, faits d'encre. Je ne vois pas le temps passer quand quelqu'un toque doucement à la porte si fort que j'en sursaute. Je me calme quand je vois à l'embrasure de la porte une Alexia toute souriante, accompagnée d'un air goguenard et un chouïa conspirateur.

En cet instant, j'aurais préféré que ce soit quelqu'un d'autre. Ou pire : Alexander. Je connais Alexia et ça ne me dit rien qui vaille, surtout avec ce visage pour le moins pas très discret. Je referme mon livre en prenant soin de ne pas perdre la page que je garde avec un marque-page et soupire quand Alexia vient se jeter comme une brute épaisse sur le lit qui émet un bruit douloureux.

— Tu viens de lui faire mal, rétorqué-je.

— Tranquille, il a vu pire.

Elle sourit de toutes ses dents et se rapproche de moi, comme si elle allait me révéler le plus grand secret de l'univers.

— Alors ? J'ai vu mon frère te courir après et quand il est revenu vers nous, il a prétexté devoir prendre l'air mais j'ai bien vu son air coupable et sa respiration haletante. Alors ? Vous êtes passés à l'étape supérieure ! Je suis certaine !

Puis elle part d'un petit rire qui l'a fait rejeter en arrière sa tête avant qu'elle ne se redresse, un peu plus sérieuse. Quant à moi, je suis plutôt consciente que mes joues chauffent à vue d'œil. Quelles traîtresses ! J'essaye de le cacher mais c'est peine perdue puisque rien n'échappe au regard de lynx de ma meilleure amie. Je me demande si elle est vraiment un loup, à cerner aussi facilement ? Son frère et elle se ressemblent plutôt bien !

— Léa, tu ne peux rien me cacher, je le vois d'ici.

— Pas du tout, couiné-je mais même ma voix ne prend pas ma défense, me laissant nue comme un vers face aux yeux de la jeune femme.

— Tu ne sais vraiment pas mentir ! rit celle-ci.

Je soupire en cachant mon visage dans la paume de mes mains. C'était presque certain qu'elle saurait et je suis prête à parier que l'ambiance à table serait pour le moins étrange. Alexia est tout à fait capable de faire des allusions tandis que les jumeaux pourraient ne poser que des questions. Quant à Alex et moi... Encore faudrait-il que je réussisse à la regarder dans les yeux.

— Bon allez cocotte, faut aller manger ! Hors de question que tu te couches le ventre vide.

— Ce serait pourtant préférable, me lamenté-je.

— Roooh ça va, c'était rien non ? Un baiser ? Ou...

— Alexia !

— Bah quoi ? s'exclame-t-elle en souriant. Mais ça m'étonnerait que mon frère ait essayé de faire plus. Tu aurais dû déjà voir sa tête seulement avec un baiser, c'était marrant. J'ai dû me retenir de rire devant Alicia et mon père. Et... Mais d'ailleurs ! C'était quoi cette histoire ? T'as carrément bousculé Alicia.

— Ale. Je t'expliquerai plus tard, marmonné-je les joues rouges.

Je n'avais pas besoin de me regarder dans un miroir pour en être sûre. Et bientôt, tout le monde comprendrait. Cela a beau être l'heure de manger que je suis presque certaine que personne n'a oublié. Ale me fait signe de la suivre d'un coup de tête et je descends avec elle, le cœur tordu par l'inquiétude. À mon grand étonnement, nous ne sommes pas cinq à table mais bien six puisque pour une fois, Rodric nous a rejoint.

— Ah ! Voilà les filles, s'exclame-t-il le sourire aux lèvres.

Alexia lui rend ce qu'il nous a offert et s'en va se placer à côté lui pour le repas. Je ne comprends pas tout de suite l'air goguenard qu'elle me renvoit, les prunelles teintées d'une malice qui me laisse perplexe mais c'est quand je m'avance que je comprends le piège qu'elle m'a tendue. La seule place restante est à côté d'Alexander et je manque de grogner. Je vais la tuer.

Je me le jure, qu'un jour, je le tuerai pour ça ! Sans un mot, le cœur qui s'accélère comme si je me faisais poursuivre par Léo, je m'assois à mon tour juste à côté du jeune homme qui ne m'accorde même pas un seul regard, trop concentré sur ce qui gît dans son assiette. Son manque d'attention pour ma personne me pique tellement que j'ai presque envie de reculer ma chaise de la sienne mais je me retiens. La tête haute mais la gorge serrée et pâteuse, je me sers un peu de viande avec des pommes de terre et l'ignore à mon tour.

Je mange tranquillement mais du coin de l'œil, je vois Alexia sourire en coin qui n'appartient qu'à elle et je me mords la langue, déstabilisée. Elle cache sa moquerie sous sa main mais ça ne leurre personne et certainement pas moi. Jam, assis à côté de son aînée de un an ne comprend rien et m'envoit un regard perplexe mais Kaïn lui, n'est pas si perdu. Ses yeux se promènent silmutanément entre Alexander et moi, ce qui me fait rougir de plus belle.

Je reporte donc mon attention sur mon assiette pour ne plus à voir la joyeuse bande de frères et sœurs — à part Alexander qui ne daigne même pas de lever un œil sur moi — qui me scrute comme si je m'étais changée en monstre avant le repas. Je mastique consciencieusement mais c'est de plus en plus compliqué, au fur et à mesure des secondes qui s'écoulent, d'ignorer les regards pesants sur moi.

— Dis donc, vous êtes bien silencieux, commente Rodric, brisant les œillades de chacun sur moi.

— Disons qu'on sait pas vraiment quoi dire hein, répond Jam.

— Alexander ?

Le jeune homme détache son regard qui s'était accroché à celui d'Alexia, ce que je viens de remarquer, pour plonger dans celui, gris, de son père.

— Pourquoi tu regardes ta soeur comme ça ?

— Comme..., s'étrangle Alex avant de reprendre tandis que Ale sort un petit rire. Comment ça ? Je la regarde normalement.

— Vraiment ?

Ale se retient visiblement de rire et fait un visage apeuré, accompagnée d'une grimace plus que d'un faible rire puisqu'elle ne sait pas vraiment le cacher. De mon côté j'attends tout simplement ce qui se déroule devant moi.

— Bien sûr. Pourquoi ?

— J'ai surtout l'impression que vous vous chamaillez encore.

— Ah ça, soupire le jeune homme. Évidemment, elle passe son temps à m'emmerder.

— Tu l'as cherché, rétorque-t-elle en coulant un discret regard vers moi qui n'est destiné qu'à lui.

Je m'empourpre. Ale n'a aucun problème à faire cela devant son père. Je n'imagine même pas la réaction de celui-ci qui cherche une femme à son fils — vraiment moyenâgeux quand on y pense — et mon cœur s'accélère à l'idée qu'il découvre que nous avons échangé un baiser. Peut-on dire que nous avions le droit ? Je ne crois pas. Alors pourquoi fait-elle cela ? En tous cas son petite stratagème marche car les poings d'Alex se resserre, ce qui ne me fait pas de bien, loin de là.

A-t-il vraiment honte à ce point de l'intimité que nous avons eu ? Pourquoi avait-il envie s'il regrette ? En tous cas moi, ce n'est pas mon cas. Je déglutis et sens mon visage se fermer. Au lieu de me faire rire puisqu'ils passent leur temps à se lancer des piques, ça me blesse. Ce geste, à la manière d'une lame de rasoir, vient d'érafler mon cœur, laissant une traînée rouge et pleine de sang.

— Alexia, tais-toi, ça ne me fait pas rire.

Au moins, je ne suis pas seule ; mais pas pour la même raison. Je me recroqueville, les yeux piquants et je prie pour avoir assez de courage pour tenir, pour ne pas m'effondrer en plein repas. Mon cœur me lance, me crie qu'il a mal, que la colère d'Alex exprime pleinement son regret.

— Roh ça va, c'est toi qui a fait une erreur pas moi et c'est mignon, t'en as rougit.

Cette fois, Alex renvoit un regard noir à sa soeur qui ne bouge pas, toujours le même sourire aux lèvres alors que ses yeux pourraient pétrifier n'importe qui.

— De quoi vous parlez ? demande Rodric.

— De rien, assène Alex. C'est juste ma vie privée, privée, hein Alexia.

— Moi aussi je t'aime, grand frère, rit Ale.

Alexander se retient de lever les yeux au ciel.

— À ce propos, vous le savez tous, mais je vous préviens quand même.

Tout le monde tend l'oreille, y compris moi. Alexia perd son sourire et me renvoit un regard lourd d'appréhension. Aussitôt, je comprends de quoi il s'agit.

— J'ai décidé, après avoir réfléchi longtemps, que j'allais faire cette année le passage des jumeaux, avec Alexia. Donc Alexander, je compte sur toi pour veiller sur notre invitée en mon absence et faire mon travail pendant ce temps.

Le visage d'Alex se rembrunit encore plus que tout à l'heure, ce qui n'est pas pour me rassurer. Je déglutis et regarde mon assiette. Je n'ai plus d'appétit, plus aucun, même en voyant le peu de nourriture qui reste.

— Nous partirons pour deux ou trois semaines, peut-être plus je ne sais pas mais normalement, ça ne devrait pas être trop longtemps. Tu comprends Alex ?

— Très bien, acquiesce celui-ci en se levant de sa table, l'air grave.

Peu après, il franchit les escaliers et monte, non sans claquer sa porte au passage. Je me mords la lèvre sans comprendre cette réaction. Rodric lui soupire puis hoche la tête avant de recommencer à manger, suivi par tout le monde, à une exception près.

Pas moi.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top