Chapitre 44
98 jours.
— Ça y est, on peut sortir ? s'exclame ma meilleure amie, toute enjouée.
— Mais ouiii, attends deux minutes que je termine de mettre mes chaussures.
— Mais Léa, geint-elle. Ça fait déjà dix minutes que je suis bêtement plantée devant toi.
Je m'esclaffe un peu devant son empressement. J'aurais pensé qu'elle n'allait peut-être pas très bien due à son envie de sortir si rapidement mais au contraire, je ne l'ai jamais vu aussi respirante de vie. Presque, elle pourrait bondir en plein milieu de notre chambre, le cœur débordante d'une joie sans pareille. Je souris, contente que les choses se soient arrangés mais je n'oublie pas ce côté noir, qui s'est infiltré depuis quelques jours, dans un côté de mon cœur.
Alexia doit remarquer mon soudain air grave plutôt suspicieux puisqu'elle me tire le bras une fois mes lacets terminés pour sortir de la pièce. Nous descendons rapidement les escaliers et passons dans le salon et la cuisine pour sortir de cette maison que j'ai appris à considérer comme une sorte de maison avec le temps, non sans une certaine nostalgie qui me secoue encore le cœur, parfois.
Les lieux sont vides de toute vie. Nous sommes donc les seules qui sont restés dans la bâtisse puisque je n'ai pas entendue les jumeaux à l'étage. Mon cœur s'accélère et je déglutis quand je m'apprête à poser la question qui me brûle de l'intérieur, ressentant le besoin de la sortir le plus vite de moi pour en avaler aussitôt la réponse donnée.
— Alexander n'est pas là ?
— Non, il est sorti, m'informe Alexia. On va sûrement le rejoindre mais pas tout de suite, j'ai envie de t'emmener voir plus loin que d'habitude.
La porte passée, je tourne vers elle un regard étonné. Que manigance-t-elle donc ? J'aurais aimé voir Alex mais je suppose que ce sera pour plus tard, le cœur presque au bord de l'implosion à cette simple pensée.
— On va où ?
— Tu te rappelles de la cascade ? sourit-elle mystérieusement.
— Bien sûr.
Comment ne pas m'en rappeller ? J'avais failli y laisser la vie. Un frisson glacé court sur ma peau quand j'y songe de nouveau. Je ne saurais jamais ce qu'il s'est passé réellement là-bas, simplement que je suis tombée à cause d'une force inconnue et que j'aurais pu ne jamais me réveiller. La gorgée nouée, je hoche la tête mais je ne suis pas sûre d'avoir envie d'y retourner car il y a le pire des souvenirs qui réside près de la cascade. Le souffle court, la poitrine brûlée, je me souviens de tout.
— Léa ?
— Oui, oui, excuse moi, dis-je en reprenant mes esprits. Mais...on va aller à la cascade ?
— Non, on ira plus loin, dans les plaines. Tu vas voir, ça va être génial, je vais te faire monter sur mon dos.
— Quoi ? hoquèté-je de stupeur. Tu es sérieuse ? Me porter sur toi ?
— Bien sûr ! Tu vas voir, on va adorer, ça procure un tel sentiment de liberté.
Mon cœur se gonfle d'une excitation qui me donne envie d'arriver encore plus vite à notre destination, dans les plaines. Je me souviens encore de la fois où je suis montée sur Alexander, du bonheur que ça m'a procuré et la vitesse hypnotisante et sensationnelle à laquelle on allait. Alex... Mon palpitant, sourd à ma raison, se remet à battre plus que d'habitude, dénotant le calme que je suis sûre d'afficher à l'extérieur.
— Dans ce cas, j'ai hâte ! couiné-je.
Alexia rit, fière d'avoir pu me donner envie à mon tour mais ça ne m'étonne pas. La présence de celle-ci, même si je ne l'avoue pas souvent, est comme un baume sur ma peau, me révélant des sentiments que je ne connais pas trop. Elle m'aide toujours, envers et contre tout et ça suffit. C'est bien ma meilleure amie.
Je prends spontanément son bras et continue de marcher, collée à elle, le palpitant grand ouvert et d'une joie dont je ne saisis pas les limites. Pour une fois que je suis bien, sans être assaillie par la peur ou la mélancolie, je me laisse sombrer dans cette sensation belle et douce.
Nous nous rapprochons progressivement de la cabane dans la forêt, toujours aussi usée la dernière fois que je l'ai vu. Elle n'a plus rien d'antan, quand Léana Ier et Alenscia la décoraient et passaient leur temps à discuter dedans, leur coin préféré. Ce beau souvenir a été tellement recouvert par ses malheurs que je ne m'en souviens que maintenant, mais je la fuis du regard.
Il est hors de questions que de mauvais souvenirs refassent surface alors que je tente de profiter de la compagnie de ma meilleure amie, en vu d'un moment agréable à deux. Nous la passons et je reprends enfin ma respiration, tantôt le souffle coupé par la vue de la cabane.
— Mais bon c'est pas grave. D'ailleurs, Léana, tu as trouvé Alexander bizarre ces temps-ci ? demande-t-elle.
— Hein, quoi ?
Je cligne des paupières, un peu perdue. Sa question me prend de court et je ne vois pas du tout quoi répondre.
— Tu ne m'écoutais pas ! gémit-elle en feignant de s'indigner.
— Désolée, grimacé-je. J'avais l'esprit ailleurs.
Encore une fois, je me retrouve à ne pas l'écouter tout simplement parce que j'étais plongée, comme bien souvent dans des élucubrations sans fin, insensible à tout ce qui se passe autour de moi.
Je déglutis avec l'horrible sensation de n'accorder jamais ne serait-ce qu'une once de mon attention à la jeune femme à mes côtés. Pour me rattraper, je chasse tout ce qui pourrait détourner mon attention de mon esprit et me focalise sur Alexia.
— C'est pas grave, je te pardonne, sourit-elle. Du coup, je disais, t'as trouvé mon frère bizarre ces temps-ci ?
— Non, pourquoi je le saurais ?
Alexia esquisse un sourire qui est clairement destiné à me faire peur. Je sens mon rythme cardiaque s'élever tandis qu'elle continue à me scruter par dessus ses paupières, où se cachent ses profonds yeux gris. Ma poitrine s'abaisse plus rapidement que d'habitude, sans pouvoir cacher la grimace que j'exécute.
— Quoi ? Dis-moi.
Elle rapproche un peu son visage et cette fois, son air réjoui s'amplifie.
— Tu crois que je ne suis pas au courant de tes soirées avec mon jumeau ?
Quoi ? Mon cœur n'est désormais plus dans la course, partie bien trop loin sous la vitesse à laquelle il bat. Je regarde Alexia sans savoir quoi dire. Je ne lui ai jamais parlé de mes conversations avec Alexander ni de notre rapprochement qui cogite en moi mais en y réfléchissant bien, il n'est pas étonnant qu'elle sache.
— Tu nous entends ?
— Non mais je sais que ça fait trois jours consécutifs que tu descends tous les soirs pour lui tenir compagnie et au final, tu ne remontes jamais...
Mes joues rosissent. Je savais bien que ça allait paraître suspect mais depuis le cauchemar d'Alexander et son aveu sur ce qu'il s'y déroulait, j'ai préféré prendre l'habitude de veiller sur lui dans le salon. Je finis toujours par le réveiller et bavarder avec lui pour l'apaiser et nos discussions, de fil en aiguille, s'éternisent jusqu'à ce que l'un de nous tombe d'épuisement. Seulement, je prends goût à nos soirées, tard dans la nuit et je ne suis pas sûre de lâcher ça un jour.
— Oui bon, on discute beaucoup.
— Tu sais très bien que ce n'est pas de ça que je parle, minaude la jeune femme.
— Alors de quoi ? feins-je de ne pas comprendre.
— Oh tu sais !
Alexia me donne un petit coup de coude et je déglutis en sentant la conversation dévier inévitablement sur ce que je voulais garder pour moi. Je n'ai pas envie, seulement pour l'instant, d'évoquer quoi que ce soit sur ma relation avec Alexander. Nous sommes des amis très proches et ça me réjouit au plus haut point, même quand je sens mon cœur en redemander, sourd à ma raison.
— Non je ne sais pas.
— T'es pas marrante Léa. Tu crois que je ne te vois pas rougir en présence de mon frère ? Vous passez presque tout votre temps ensemble, sauf quand tu es avec moi ou seule dans la chambre, à lire mais c'est tout.
La chaleur concentrée dans mes joues s'amplifient et je me racle la gorge, le cœur et le corps en traîtrise. Je ne veux pas le reconnaître. Il ne se passe rien entre le jeune homme et moi, malgré ce qu'en dit Alexia, et ça restera comme ça ainsi. Je ne suis même pas sûre d'éprouver de quelconque sentiments pour lui, enfin, il me semble, malgré mon palpitant qui n'en fait qu'à sa tête et semble se préoccuper que lui. Je ne ressens pas de sentiments. Mais aussitôt, ça me serre.
Si, oh que si, tu en ressens, me souffle ma petite voix intérieure.
— Il ne se passera rien, Alexia, soupiré-je, malgré la piqûre qui me transperce quand je prononce ces mots.
Je reste coite. Je ne veux rien ressentir et surtout pas ce pincement au cœur à chaque fois que je me raisonne, à elle comme à moi. Même si c'est le cas, je ne veux pas regarder cela en face.
— Tu dis ça pour te rassurer mais moi, je n'en serai pas aussi sûre à ta place. Alex te regarde beaucoup, mais là n'est pas le problème, je t'en parle parce que je veux savoir Léa. Si tu es amoureuse de mon frère, alors...
— Je ne l'aime pas ! crié-je.
Je ne supporte pas l'entendre dire ça. Je ne pouvais pas tomber amoureuse, pas maintenant, pas alors que j'étais enchaînée à une meute, en danger. Ce n'était pas le bon moment pour éprouver quelque chose pour quelqu'un et que ferait Léo s'il apprenait que j'avais donné mon cœur à un autre que lui ? Sa fureur sans limites, comme elle l'a été avec la Luna.
Je ne peux pas me résigner aux mêmes sacrifices et à cette fin horrible comme ceux de la déesse de la lune. Alors autant ne pas développer de sentiments pour éviter d'autres problèmes.
Malheureusement, mon cœur se serre avec une force que je n'avais pas vu venir. Je serre le poing tandis que la fureur s'insinue lentement dans mes veines, détestant Alexia pour m'avoir forcé cet aveu qui me malmène, mais plus que tout, c'est moi que je hais.
— Oh, pas besoin de hurler, Léa.
Moi qui voulais un instant de détente avec Alexia, c'est raté. Il y avait toujours des émotions et des mots blessants qui ruinaient la bonne humeur que je voulais conserver chaudement. Je serre les dents en attendant la suite, certaine qu'elle sera d'autant plus coupante que la lame d'un couteau rudement aiguisé.
— Alors...je peux t'en parler ?
— De quoi ? répliqué-je plus sèchement que je ne l'aurais voulu mais je n'ai pas à cœur de m'excuser.
— Je m'inquiète un peu pour mon frère, fait-elle en joignant ses doigts nerveusement. Je pense que mon père a décidé, d'ici quelques temps, sûrement dans un an ou deux ans de léguer le titre d'Alpha à Alex.
— Alex ne veut pas, c'est ça ?
— Non non, enfin... C'est possible mais c'est pas le plus urgent. Un Alpha, pour régner sur une meute, doit obligatoirement être marié. On n'en parle pas parce que notre mère n'est plus là mais... Deux Alphas règnent sur la meute jusqu'à ce qu'ils partent de leur poste. C'est ridicule mais c'est la tradition.
Elle roule des yeux exagérément pour appuyer son propos. Moi, je sens mon pouls s'emballer quand je pense savoir à quoi elle fait allusion mais je ne veux surtout pas imaginer car je sens déjà me tendre entièrement.
— Et du coup ?
Demander me demande un gros effort tandis que je déglutis. Je n'ai pas envie de savoir, surtout quand cela concerne Alexander et son devoir concernant la meute. Après tout, ça ne me regarde pas.
— Et bien, mon père espère qu'Alex va trouver son âme-sœur d'ici là ou bien s'intéresser à quelqu'un. Sinon, il devra attendre encore pas mal de temps à pouvoir lui léguer la suite.
Je grimace en tournant la tête, pour qu'elle ne voit pas. J'aimerais pouvoir comprendre, moi-même, pourquoi j'ai réagit si violemment, pourquoi ça me touche autant. Je connais peut-être la réponse, qui me titille dans un coin de mon esprit mais je ne veux pas la regarder de trop près. Ce que je risquerai d'y découvrir ne me fera pas plaisir, loin de là.
— Mais qu'est-ce que veut ton frère hein ? questionné-je.
Le regard d'Alexia se tourne vers moi mais cette fois, ses yeux se posent sur les miens de façon plus profonde. Elle semble sur le point de me sonder, de se glisser dans ma peau pour y trouver les sentiments que je cache bien enfoui sous une tonne de faux-semblants. La jeune femme serre les lèvres et finit par étirer, lentement, un sourire qui me fait déglutir.
— Tu sais, c'est un peu trop tard pour me faire changer d'avis. Je suis presque sûre, en tous cas pour mon frère, que tu ne lui est pas si indifférente. C'est presque certain. Et toi non plus.
Je ne dis rien. Prononcer quelque chose, me trahirait, j'en suis certaine. De plus, je ne veux pas vérifier si les mots d'Alexia recèlent d'un fond de vérité, ça me fait bien trop peur de découvrir que je ne fais que nier, depuis le début. Et c'est peut-être le cas mais je ne peux pas regarder. Mon ventre se noue encore plus mais je rejette de toutes mes forces cette émotion si pesante.
Je ne voudrais surtout pas me transformer en boule de nerfs, changée par cette nervosité qui semble omniprésente en moi, sortant chaque fois que j'essaye de l'éloigner. Sans même m'en rendre compte, nous avons énormément marcher et nous nous rapprochons inéxorablement des plaines tant attendues.
— Léa... Ce n'est pas tout.
— Vas-y, soufflé-je.
— Qu'est-ce que tu ferais si je partais ?
— Quoi ? m'exclamé-je.
Je me retourne aussitôt vers elle, le cœur au bord de l'implosion, comme s'il était traqué par un prédateur sanguinaire, ivre de sang. Je l'observe sans comprendre mais son visage fermé m'indique qu'elle n'est pas en train de me faire une stupide blague.
— Qu'est-ce que tu racontes Alexia ?
— Tu ne le sais pas mais Kaïn et Jam ont seulement seize ans puisqu'ils n'ont qu'un an de moins que nous. La maturité lupine est à quatorze ans mais certains parents attendent pour faire le passage de maturité, une sorte de tradition. Mon père ne l'a pas encore fait pour mes deux frères alors c'est cette année. Dans quelques jours Léa.
Mes yeux s'écarquillent sous son aveu. Vraiment ? Pourtant, ni elle, ni personne de la maisonnée n'en n'a parlé et j'apprends qu'Alexia va partir dans seulement quelques jours. Ma gorge se noue quand je vois son air désolé. Elle baisse la tête, consciente de mon effarement et poursuit :
— Normalement, ce sont les deux parents qui gèrent ça mais notre mère n'étant plus là, je vais aider mon père. J'ai déjà passée mon passage et Alexander doit rester ici pour gérer la meute, histoire de l'inciter à prendre ses responsabilités.
— Mais, balbutié-je minablement. Ton père ne te fait pas assez confiance pour gérer une meute ? Il n'y a pas que les hommes, non ?
— Non non, me rassure-t-elle. C'est simplement une question de naissance. Alex est né une minute avant moi, ce qui en fait l'aîné. Si j'avais été la première enfant, ce serait moi qui aurait dû rester ici. On se soucie pas du tout du sexe, ni du genre d'ailleurs, je te rassure. Simplement, je ne peux rien y faire, je dois y aller. Je n'ai pas envie de te laisser seule et je ne sais pas...
Elle s'affaisse et je comprends qu'elle n'a aucune envie d'y aller. Je me rapproche d'elle, consciente qu'elle s'inquiète de partir et de me laisser seule, et lui prend doucement la main, un sourire collé aux lèvres. Alexia me regarde avec un froncement.
— Ne t'en fais pas, Ale. Pars le cœur tranquille, je ne ferai pas de bêtise. Promis. Je ne toucherai pas à ton maquillage, je ne dévaliserai pas tes placards et je me ferai discrète, plaisanté-je.
Elle reste un instant coite, surprise que je rigole puis elle s'esclaffe. Lui redonner un peu de joie de vivre me fait plus plaisir que n'importe quoi. Je n'ai pas pour habitude de plaisanter mais pour la faire sourire, je suis bien contente de le faire, le cœur plus léger que la plupart des jours.
— Merci, Lélé.
Je ris un peu face à son petit surnom tout à fait incongru pour moi, sûrement parce que c'est rare.
— Ce surnom est vraiment ridicule, asséné-je.
— Tu oses remettre en question mes talents pour en trouver ? Dis donc, jeune fille.
Je la regarde d'un air consterné et elle lâche un rire qui m'entraîne à sa suite. Nous continuons de marcher ainsi en se tenant la main. Je refuse de la lâcher, je tiens bien trop à elle car c'est vraiment la seule qui m'accepte comme je suis et a pris la peine d'apprendre à me connaître sans que je me sache moi-même. Quand nous relevons les yeux dans un même mouvement, de magnifiques plaines nous entourent.
Des fleurs par milliers scintillent sous le soleil, nous éclairant de sa splendeur sans limite. L'herbe resplendit de son beau vert et les animaux vivent dans un havre de paix et de tranquillité qui nous acclament à notre arrivée sur les lieux. Je vois même, à mon étonnement, des renards gambader joyeusement, rapides et aussi discrets que leur ombre, devant nous. Des papillons volent de leurs ailes multicolores et se posent tranquillement sur les fleurs qui leur plaisent.
— C'est vraiment joli, soufflé-je, émerveillée.
Tout ici est beau ; pas de pollution à laquelle je me suis habituée en respirant dans mon jardin, pas de pavés en béton ni de bruyantes voitures qui viennent rejeté des gazs qui obstruent les narines, ni de gigantesques maisons qui sont construites chaque années et viennent détruire nos plus champs et abattre nos plus beaux arbres.
— Oui, heureusement qu'on les garde pour nous.
— Ouais, je comprends avec tout ce qu'il se passe, soupiré-je.
— On y va alors ?
— Bien sûr ! m'écrié-je.
Après cela, la jeune femme me demande de me retourner, probablement un peu gênée que je la vois se déshabiller. Je me racle aussi la gorge, moins à l'aise qu'il y a quelques minutes et je me poste le dos à elle. J'entends ses vêtements tomber au sol dans un bruit sourd et l'instant d'après, des craquements envahissent l'espace. Son corps est en train de changer.
J'essaye de ne pas être paraître trop impatiente à l'idée d'aller courir, de ressentir ces instants qui me procurent la plus enivrante des libertés et je me tiens sans trop bouger mais, malgré moi, me retenir est un peu compliqué. Je veux simplement laisser ce tremblement qui me traverse, et les mauvais souvenirs dans un coin de ma tête pour me concentrer sur l'instant présent. Quand un loup gris passe devant moi, je vois tout de suite les yeux si équivoques d'Alexia et monte sur son dos avec un petit sourire.
Je m'accroche à son cou, non sans sentir mon cœur battre à deux milles à l'heure, shooté à l'adrénaline et l'excitation qui fourmillent dans mes membres. Elle s'élance sans plus attendre et je sens ma chevelure s'envoler sous la vitesse de notre course. Je me laisse aller avec une facilité déconcertante, simplement pour sentir la liberté prendre possession de moi.
Sentir avec émotion le vent sous mes doigts, dans mes cheveux, dans mes vêtements avec cette impression soudaine que je vais m'envoler, tel un papillon qui sort de son cocon une fois transformé. Je ne sais pas pendant combien nous gambadons ainsi dans les champs mais je ne pense plus à rien. Il n'existe plus que dans mon monde un infini de possibilité, plus aucunes attaches qui enchaînent mon corps par milliers. Ne subsiste plus que la joie, la tranquilité qui apaise mon corps entier.
Malheureusement, le rêve s'éteint quand ma meilleure amie s'arrête à l'endroit où elle a laissé ses habits bien cachés près d'un tronc et le temps revient à la normal tandis que je secoue la tête, déçue. J'aurais aimé goûter à un peu plus de liberté mais elle est partie bien trop vite à mon goût. Les responsabilités écrasantes et ma situation me reviennent en pleine figure et je déglutis, le cœur serré plus qu'il ne le devrait.
Nous repartons d'un pas tranquille mais je regrette déjà l'air tranquille dans lequel j'étais plongée dans les plaines. Cependant, je me doutais que je pourrais pas y rester ad vitam eternam. Ma meilleure amie, de son côté, prend la conversation pour deux. Distraite, je ne l'écoute que d'une oreille mais je pars vraiment dans un autre monde quand je vois, près de la falaise que nous avons traversées tout à l'heure, Alexander en bonne compagnie, visiblement.
Je ne sais pas pourquoi mais son sourire qui éclaire son visage provoque quelque chose en moi. Des étoiles par milliers explosent dans mon ventre sans que j'y sois préparée et je déglutis, les mains serrées, furieuse qu'il puisse ainsi avoir main mise sur mes émotions que je peine déjà à contrôler. Mais cette émotion, aussi fugace que le vent, s'évanouit aussi vite qu'elle est arrivée quand je vois sur qui il a les yeux rivés.
Une fille.
Mon ventre se serre de nouveau mais cette fois, pas de joie, non. J'ai comme l'impression qu'on enserre aussi mon cœur dans un étau glacé et que je n'en sortirai jamais. Pourquoi... Pourquoi cet air ? Ce même air que j'ai pris tant de temps à acquérir ? L'étau continue de se resserrer et je ne peux pas en regarder plus mais une forme à côté que je n'avais pas encore vu s'avance aux côtés du jeune homme.
Rodric.
Mon père espère qu'Alex va trouver son âme-sœur d'ici là.
La douleur éclate dans mon plexus comme si elle n'attendait que ça pour s'exprimer son plein potentiel mais je serre les dents, parce que c'est tout ce que je peux faire. Mes paroles me reviennent une à une de ma discussion précédente avec Alexia. Je ne veux pas analyser ce sentiment de trop près, je risquerai de me couper. Alors pourquoi la blessure reste à vive, comme si elle avait ouverte hier ?
La sensation qui me broie les côtes me déchire, je ne suis pas sûre de pouvoir continuer à observer Alexander au côté de son père, quand je sais exactement ce qu'il souhaite pour son fils. Et ça, ça me tue, malgré moi. Malgré mon envie de ne pas y regarder trop près, de ne pas m'y rapprocher inexorablement, de cette brûlure.
Aussitôt, comme commandée, je sens le contrôle me filer entre les doigts. Mes émotions s'échappent, aussi vite que la lumière, et explosent dans une nuée, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Les yeux écarquillés, je me sens peu à peu passer au second plan, de nouveau bientôt bloquée dans mon corps. J'anticipe et me retourne marcher le plus vite possible, tant qu'il me reste encore un peu de contrôle, et échapper à une humiliation totale si mes pouvoirs viennent à blesser à quelqu'un.
— Léa ? m'appelle Ale mais je ne réponds pas, consciente que je ne dois pas me retourner.
Je continue, malgré la gorge serrée, à avancer sans me retourner une seule fois et bientôt, ce n'est plus moi qui effectue les pas mais je suis assez loin pour ne plus faire de mal à qui que ce soit. Mon cœur bat à une allure folle et les lèvres pincées, j'attends dans ce vide, la vision floue, de réintégrer mon corps maintenant contrôlé par la déesse.
Malheureusement, c'est avec effarement que je vois mon corps se poser sur un tronc d'arbre et fermer les paupières tandis qu'une noirceur sans précédent plonge sur moi.
— Léana... Léana... Pourquoi tu es jalouse de cette pauvre fille ? Alexander aimera qui il voudra mais certainement pas toi, ricane une voix.
J'ouvre précipitamment les yeux et mon cœur s'arrête, mes muscles se tendent et un bourdonnement sourd résonne dans ma cage thoracique quand je comprends que Léo, qui s'est invité dans mes rêves, n'est là que pour me plonger plus dans cette peine. Mais le contraire aurait été étonnant, il ne vit que pour maudire et faire souffrir, si ce n'est tuer quand ça ne suffit pas. Amère, la gorge pâteuse, je ne prends même pas la peine de lui répondre. Je l'entends souffler dans mon dos après m'être retournée.
— Sérieusement... Je ne te dis que la plus stricte vérité, pour t'éviter de souffrir. Mais le mal est déjà fait. Tu es amoureuse.
Mon cœur, à l'entente de ce mot, se serre. Je m'attendais à ce qu'il me fasse mais c'est tout son contraire : une chaleur nait, une boule bien chaude, dans ma poitrine. Je déglutis, consciente que cette réaction me trahit mais ce qui suit dans mon esprit me terrorise. Léo pourrait le tuer, simplement parce que je ressens quelque chose que je ne suis pas encore capable de définir. Je peux encore sauver la situation, lui faire croire que tout ça n'est que du vent, un mirage qui loge dans son esprit et alors, le doute germera en lui.
— Tu sais bien que c'est faux, je ne l'aime pas.
— Essaye de me faire avaler ça, ouais, ricane Léo.
— Je te dis que je ne l'aime pas !
— Je ne le tuerai pas, soupire-t-il.
Je me fige. Comment a-t-il deviné ? Mais la réponse arrive tout de suite après puisqu'il me lance un regard courroucé.
— Tu vois, j'ai pour habitude de ne jamais commettre deux fois la même erreur.
Quoi ? Les battements de mon palpitant s'amplifient tandis que ses mots résonnent en moi, tel un écho innarêtable. Les yeux écarquillés, j'ai le souffle coupé et pourtant, les paroles qu'il a prononcés veulent absolument tout dire. Une deuxième erreur ? Celle de tuer Alex ? Aussitôt, je porte la main à mes lèvres, la vérité rebondissant en moi comme une balle, effroyable.
— Je vois que tu comprends vite, prononce-t-il un sourire narquois collé au visage.
— Quoi ?
— Tu aurais dû comprendre depuis déjà bien longtemps. Tu ne trouves pas cela bizarre qu'il rêve de la déesse Léana Ier, en particulier le jour de sa mort ?
— Par ta faute ! hurlé-je soudainement.
Je ne supporte pas qu'il parle de ça avec légèreté, sans se soucier de ce que ça a pu causer sur Alexander et sur la déesse. Depuis qu'il est petit, le frère d'Alexia subit ce rêve qu'il ne peut même pas éviter. Pour lui, le tueur, ça ne représente rien. Et je le vois bien quand il hausse les épaules suite à mon accusation.
— Tu sais, ou du moins, implicitement, que Alexander Ier était peintre et dessinateur. C'est lui qui a fait le portrait de Léana Ier dans son ancienne maison qui est aujourd'hui celle de l'Alpha et il adorait dessiner. Même prénom, même passion, réminiscences de son passé. Tu crois vraiment qu'il t'est destiné ? J'essaye de t'éviter une souffrance Léana. Il n'aime que la déesse ou bientôt du moins. Tu as la preuve, tu l'as vu la dessiner, et tu l'as jalousée.
Mon cœur n'y croit pas, d'un seul coup, arrêté. J'ai comme l'impression d'avoir reçu de l'eau froide et je ne réagis même pas à ses éternels sourires narquois qui, d'habitude, me font serrer les poings. Je vais me réveiller, le contraire n'est pas possible. Je vais me réveiller et pour une fois, tout sera faux. Pourtant....Pourtant... Ses paroles ne sont pas fausses. Mon palpitant se recroqueville, tremblant tandis que je sens ma gorge devenir de plus en plus pâteuse, désespérée.
Non. Non.
— Tu mens, assénè-je. Et, mais...comment tu sais ça ?
— Ose me dire que la ressemblance entre l'Alexander de tes rêves et Alexander maintenant n'est pas ressemblante !
Une pique s'enfonce dans ma cage thoracique. Je ne veux pas m'y focaliser, seulement sur le fait qu'il sait beaucoup plus de choses qu'il ne devrait.
— Réponds-moi ! Comment tu le sais ?
Cependant il m'ignore, toujours avec son petit sourire parfaitement ridicule, puéril et provocateur. Je sens ma patience s'effilocher à mesure du temps qui s'écoule pour finir peu à peu, à disparaitre.
— Léo !
— Je t'épargne une souffrance, tu devrais me remercier. Alexander Ier est Alexander Williams, tu peux me croire quand je te dis que c'est sa réincarnation. Il ne sera donc jamais à toi.
Il me regarde droit dans les yeux et sourit, en se passant la langue sur les lèvres.
— Ja-mais. Et j'ai hâte de voir ta réaction quand tu verras que j'ai bien raison Léana. La déesse l'aime, et il aime la déesse, tu n'es que sa descendance.
Son rire grave se répercute dans le vide et vient résonner contre les parois de mon crâne, si bien que je me tords en deux sous l'impact qui explose dans mon esprit. Je gémis, certaine que je vais me mettre à vomir sous la force de la migraine, pliée en deux.
— Souffre ! Souffre comme moi j'ai souffert, Léana ! Et tu seras enfin à moi ! hurle-t-il.
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