Chapitre 43
C'est bientôt le moment.
Je ne suis pas reposée, ni sereine, loin de là. Même si Alexander est à mes côtés, rien ne pourrait me rendre ma joie et ma tranquillité d'avant, pas après avoir tout perdu à cause d'une seule personne : Léo. J'aurais aimé que personne ne se rende compte que tout mon corps tremble mais rien n'échappe aux yeux de faucons d'Alex, qui les dardent en ce moment même sur moi.
— Nana, soupire-t-il. Dis-moi ce qu'il se passe.
Il se passe que j'ai peur mais je ne peux tout bonnement pas le lui dire, il s'inquiéterait soudainement. J'espère simplement qu'il ne m'en voudra pas quand il saura que nos destinées sont inéluctablement finies. Dans quelques minutes commencera une grande réunion de notre meute puisque nos trois bêtas ont décidé de quitter nos rangs, emportant avec eux de la population pour s'installer ailleurs, en quête d'un peu de paix et d'une vie meilleure.
Cependant, je n'y assisterais pas. Alexander ne le sait pas et c'est bien là ce qui va l'embêter. Il veut montrer à tous qu'il m'a choisie et qu'il ne renoncera pas à moi mais il ne sait pas pour l'instant, que sa bataille est vaine. Je ne peux pas laisser Léo me prendre tout ce que j'ai alors je vais régler un détail majeur. Mes mains se serrent sur ma robe rien qu'en y pensant, au même titre que mon cœur qui se fend en mille morceaux, tranchants comme des ciseaux.
Quand il est temps de rentrer, je sers les dents, le corps tendu à l'extrême tandis que mon mari me propose sa main, confiant. Mon âme pleure à l'idée de lui faire une nouvelle fois du mal mais apparement, c'est tout ce que je sais faire. Je secoue la tête et ses sourcils se froncent.
— Alex.
— Rentrons ensemble.
— Je ne peux pas Alex. Je sais que tu m'en voudras mais j'ai plus urgent à faire. Je te fais confiance, je sais que tu feras le meilleur pour la meute, tu n'as jamais eu à prouver ta qualité d'Alpha Suprême.
Le visage de celui-ci se tord en une grimace apparente et je m'en veux encore plus, le cœur douloureux. Je sais que je lui fais du mal mais je me dois de sauver mes enfants. Je veux qu'ils puissent vivre, sans contraintes, sans malédiction, heureux, malheureusement sans moi. Sans leurs parents pour les guider et mes yeux me piquent à cette pensée affreuse. Pourtant je suis bien obligée de les abandonner, je refuse qu'ils ne voient même pas le jour.
— Léana, s'il-te-plaît, grogne Alex. Tu sais que je déteste ce titre !
Darwin me regarde avec une pointe de stress mal dissimulée. Visiblement, il ne semble pas très certain que je ne sois pas dans la pièce, où je devrais être, au côté de mon mari mais cette fois je refuse. Combien de fois ai-je fait passer la meute, tout, avant moi ? Avant mon propre bonheur ? Il est hors de question qu'il en soit de même, pas pour mes enfants. Je suis certaine qu'Alex se débrouillera tout seul alors je décroche ma main de la sienne, qu'il a tantôt prise.
— Je t'aime.
Brut et pur.
Tout ce que je peux faire, c'est m'échapper pour quelques instants, Alexander essaye de me retenir mais il ne réussit pas. En quelques secondes, je suis déjà dehors à courir de toutes mes forces pour rejoindre mon rendez-vous avec une louve, Mery.
Elle a accepté ce que je lui ai proposé. La jeune femme fait partie de mon cercle d'amis même si nous n'étions pas les meilleures amies du monde et aujourd'hui, elle est prête à me rendre l'un des plus grands services que je n'ai jamais demandés, ce que je n'oublierai pas.
Au bout de quelques minutes, j'arrive enfin à la grande cabane, lieu sacré entre Alenscia et moi. Je n'oublierai jamais, et revoir notre endroit préféré me donne envie de pleurer, le douleur cuisante qui hurle dans mon plexus solaire. J'ai voulu revenir ici pour faire hommage à celle qui était comme une sœur pour moi, et qui le sera pour l'éternité. Je ne pourrai pas l'oublier, nos liens seront toujours aussi forts et personne ne pourra les rompre, même la Mort.
— Léana ?
Je reconnais aussitôt cette voix et me retourne avec un soulagement non dissimulée vers Mery. En temps normal, elle m'aurait sourit mais elle sait ce qu'il se passe. L'heure est bien trop grave pour ne serait-ce qu'avoir un peu de joie tandis qu'une gigantesque épée de Damoclès gît au dessus de notre meute qui va bientôt se fissurer. Je sais tout ce qui nous attend et j'ai abandonné. Oui j'ai abandonné cette bataille là mais pas la guerre.
Ses yeux noires m'offrent une peine que je comprends. Elle a peur pour ce qui va nous arriver et je peux tout à fait saisir la profondeur. Ce n'est pas comme si je ne savais pas ce qui m'attendait et que mon cœur ne brûlait pas sous la douleur. Mes mains se crispent et je prends tout mon courage à deux mains pour résister au feu qui monte en moi.
— Tu es toujours certaine ? prononcé-je, la voix brisée.
Les sourcils de la jeune femme se froncent, affichant une moue triste mais je ne peux pas regarder plus. Je ne le supporterai. Je reporte mon attention sur mon ventre, celui qui a accueilli et porte maintenant la vie. Des vies auquel je tiens et que je vais devoir céder. À cause de Léo.
— Oui. Tu es notre déesse et... Léo est un monstre. Si je peux t'aider, je le ferai.
— Très bien.
Mes mains tremblent et bientôt c'est tout mon corps entier qui suit la tendance, conscient du moment qui va suivre. Je n'y fais plus attention, je dois faire vite ou bien je ne pourrais pas réaliser mon désir. Je puise dans ma mémoire et prononce le sort d'un murmure étranglé, que j'ai listé dans mon précieux grimoire de magie.
Mon cœur se déchire mais je continue. Le sort interdit me brûle mes lèvres mais je désobéis aux propres règles de la nature. Personne ne peut enlever un enfant à sa mère, c'est la règle mais moi, je ne peux me résoudre à les porter quand ma vie partira dans une fumée de poussière. Les deux vies en moi se transfèrent dans le ventre de Mery qui plisse des sourcils, amère.
Elle n'accepte pas de bon cœur, je le vois bien mais mon sacrifice est nécessaire. C'est ce que je me répète pour m'empêcher de verser des larmes qui reflètent à quel point je suis dévastée de faire ça. Aussitôt le transfert terminé, je m'écroule les genoux contre terre, le cœur qui crie de douleur.
Mery se précipite immédiatement pour m'aider mais je l'arrête d'une main et me relève toute seule comme je peux. Mes genoux me picotent un peu mais j'y fais abstraction et la remercie à demi-voix avant de m'en aller rejoindre, cette fois pour de bon, Alexander.
Tout le long du chemin, j'ai comme l'impression que la moitié de mon cœur est resté dans le ventre de Mery. Je me sens bien plus fatiguée, terne, un vide qui prend de plus en plus de place dans ce cœur déjà meurtri par la vie mais je dois tenir, au moins jusqu'à ce que je trépasse.
La sueur coule sur mes tempes et mes vêtements sont trempés à cause de la vivacité de ce rêve. Je reste les yeux fixés sur le mur je ne sais combien de temps, incapable d'y croire. J'aimerais que ce soit un simple rêve, un songe qui s'évaporera de mon crâne aussi vite qu'il est arrivé mais c'est impossible. Tout ce qui concerne la déesse reste gravé à jamais sous mes paupières, vestiges d'une vie passée dont je suis la seule à y avoir accès. Et je ne sais toujours pas pourquoi.
Des enfants...
Je passe ma main sur mon visage, le cœur qui commence à devenir douloureux. C'est immonde. Plus j'avance plus je découvre des choses qui me font hurler de tristesse, qui me touchent plus que ce que j'aurais cru. Moi qui enviait la déesse, qui la jalousait, je me sens bien stupide. À cause d'un monstre, sa vie a été réduite en cendres et elle a été obligée de tout sacrifier.
Mes yeux me piquent quand je songe à cette vie... S'en souvient-elle avec amertume, se disant que ce n'était rien ? J'aimerais bien le savoir mais ça ne sert à rien que je lui demande puisque je ne suis pas sûre qu'elle me répondra. Je me frotte les tempes et soupire avec difficulté, la gorge nouée par la peine. Abattue, je finis par me lever pour aller me désaltérer dans la cuisine.
Avec précaution, je descends les marches sans faire le seul bruit. Heureusement, après plus d'un mois et demi, j'ai appris à ne plus déranger personne. La cuisine, attenante au salon, est plongée dans une pénombre mais une petite lumière éclaire faiblement, près du canapé. Je découvre avec effarement qu'Alexander est bien pelotonné contre les coussins et semble dormir profondément.
Il ne faudrait surtout pas que je le réveille. Précautionneusement, je me saisis d'un verre pour verser de l'eau dedans, le tout en vérifiant toujours qu'il dort bien. Je bois rapidement à grande rasade et me décide enfin à remonter après un court instant mais un gémissement m'arrête.
— Non !
Je sursaute, le pied sur la première marche, et me retourne, le cœur qui s'accélère. Qu'est-ce que j'ai entendu ? Je reviens dans la grande pièce et aie tout juste le temps de voir Alex en train de trembler que je me précipite à ses côtés.
— Alex, chuchoté-je en saisissant son bras pour le réveiller.
Il ne réagit pas puisque ses tremblements s'amplifient et bientôt, ce sera toute la maisonnée qui entendra ses cris à glacer le sang. Je le secoue plus fort même si je redoute de le faire de la mauvaise manière. Je ne sais pas du tout comment le tirer de ce cauchemar qui le hante.
— Non ! recommence-t-il. Ne fais pas ça ! Léana !
Mon cœur se serre et se serre sous une force incroyable.
— Alexander !
J'ai crié mais pas trop fort en espérant que ceux qui dorment n'aient pas été réveillé. De toutes mes forces, je tire sur son bras sans m'arrêter. Ça finit par porter ses fruits car il se réveille en bondissant, les yeux écarquillés, la respiration saccadée. Quand il se rend compte que nous sommes nul part autre que dans le salon, chez lui, il se prend la visage dans les mains, non sans grogner.
— Alex ?
Il gémit pour seule réponse et je m'en contente, les sourcils froncés d'empathie. Doucement, je viens m'assoir à côté de lui le temps qu'il se reprenne de son cauchemar. Je ne sais pas quel teneur il a mais il semble si sombre en ce moment, si sombre que j'en déglutis d'appréhension. Cependant, je laisse couler, le temps qu'il recouvre ses esprits. Après tout, j'ai toute la nuit puisque je n'ai plus vraiment sommeil après ce rêve pour le moins déstabilisant.
— Désolé que tu aies vu ça.
Je me redresse quand j'entends la voix profonde du jeune homme et tourne mon visage vers le sien, qui grimace. Son beau visage est crispé, ce qui me fait louper un battement. Je n'aime pas le voir comme ça, plus que je ne veux l'avouer. Quelque chose qui n'a pas de nom cogite en moi alors je ressens le besoin, au moins, d'essayer de l'aider.
— C'est pas grave Alex. Ça ne me dérange pas... Moi aussi je fais des cauchemars.
— Je n'aime pas qu'on me voit vulnérable.
Je me mords la lèvre car je le comprends très bien. Quand je pleure, quand je suis mal, je préfère toujours être seule, avec pour seule compagnie moi-même, à me laisser divaguer. Cependant, il a besoin de moi, je crois bien.
— Tu veux en parler ? Peut-être que ça te ferait du bien.
Il soupire silencieusement avant que le silence n'envahisse la pièce. Je m'attendais à ce que personne ne parle pendant un temps, assis dans le calme le plus permanent, mais il le brise :
— Je déteste revoir sa mort.
Mon cœur rate une nouvelle fois un battement. Je ne peux l'avouer mais je me doute de qui il parle mais je ne suis pas certaine de le vouloir. Car quelle explication à ses rêves ? Peut-être a-t-il le même problème que moi.... Je soupire intérieurement. Me voilà en train de m'imaginer tout et n'importe quoi. Il est impossible, je suis bien la seule à parler à la Luna.
— À qui ? demandé-je le plus calmement possible alors qu'au fond, je brûle d'envie de connaître la réponse.
— Je ne sais pas pourquoi...mais je vois la déesse de la Luna, Léana Ier, dans mes songes. Dans un rêve, plus exactement. Enfin, cauchemar serait le plus juste, conclut-il amèrement.
— Je vois.... Est-ce que tu veux parler de ce qu'il s'y passe ?
De sa main gauche, il se frotte la tempe en soupirant, lasse et fatigué. Je me mords une nouvelle fois la lèvre. Il doit sûrement en avoir marre de mes incessantes questions et de mon insistance plutôt lourde. Et pourtant, je continue, parce que je suis trop curieuse. Ça ne m'étonne pas qu'on dise qu'elle est un vilain défaut, car c'est bien mon cas.
— Je n'ai jamais pu comprendre pourquoi et comment je vivais ce rêve. Depuis que je suis petit, je fais ce cauchemar. Je suis grand, un adulte et je vois des loups arriver par milliers pour réduire en cendres cette meute, la meute du Sud. Sans crier gare, des hommes m'encerclent et...
Il serre les dents si fort que j'ai l'impression qu'il va se fracturer la mâchoire sous la force de sa colère que je sens poindre à travers sa peau.
— Léo est arrivé, avec son sourire de psychopathe et il ne dit rien, seulement que je vais tout perdre. Pile à ce moment-là, la déesse de la lune arrive, hargneuse. Elle essaye de se battre contre Léo mais c'est peine perdue, elle a plus trop de force... Tout ce que je vois après, c'est que je suffoque, le ventre transpercé par une épée faite d'un matériau qui peut nous tuer. Le pire c'est après... Quand je vois son regard, remplis de larmes couleur carmin, le sang qui coule de son ventre, à l'endroit où on m'a enfoncé la lame.
Depuis le début, je me suis figée. Je n'avais jamais vu la mort de la Luna et je suis certaine de ne pas vouloir l'observer, à travers ces rêves tristes. Les mains liées entre elles, je me mords la lèvre, le cœur rongé d'accablement. C'est horrible. C'est... Je n'ai pas les mots. Savoir qu'Alex doit supporter ça chaque jour, me remplit de douleur. Je ne sais pas comment il fait. Il est fort. Très fort.
— Je suis désolée que tu vives ça, murmuré-je, la voix tremblante.
— Quelques fois, après ce rêve, c'est ma mère qui apparaît. Je ne sais pas pourquoi mais elle est là, à me dire que le temps presse. Je ne comprends pas vraiment... Quand j'étais petit et que je faisais ces rêves, c'était la seule qui savait me rassurer...c'était ma mère. Elle me disait que tout s'arrangerait, un jour. Alors pourquoi me dire ça ? Mon cerveau part en vrac.
Je déglutis, les coins des yeux brûlants et je pose délicatement ma main gauche sur son épaule, pour lui signifier que je suis là. De toute façon, c'est bien tout ce que je sais faire. D'un autre côté, je ne peux pas m'empêcher de me poser des questions.
Le temps presse ? Mon cœur commence à battre encore un peu plus quand je comprends que ses paroles font écho à ceux de la déesse. Mais dans quoi est-ce qu'on est embarqué ? Pourtant, c'est impossible qu'il soit dans les mêmes problèmes que moi.
— Je suis sûre que ta mère veille toujours sur toi, Alex. Peut-être est-ce vraiment ton cerveau mais je suis d'accord avec elle, ça va finir par s'arranger.
— Vraiment ? Ça fait quatorze ans que ça dure. Quatorze ans ! Un jour, comme ça, j'ai commencé à faire ce cauchemar horrible.
Quoi ? Quatorze ans ?
Subitement, mon cœur s'arrête. Mon cerveau aussi. Je ne peux plus respirer, je ne peux plus penser, je ne peux plus rien faire. Il n'y a plus que le chiffre quatorze qui résonne dans mon esprit. Il roule dans mon esprit, tournoie, hurle et me dévaste.
Quatorze ans.
Ça pourrait sembler banal pour d'autres. Pas pour moi.
Quatorze ans que je suis maudite. Comme ça, un beau jour.
— Bref, laisse tomber... Je ne veux pas t'embêter avec mes... Léa ?
Je sais qu'il se rend compte que je ne suis plus vraiment là, perdue dans un vide abyssal où seul ce chiffre maudit résonne. Je ne bouge toujours pas, comme bloquée par un temps qui se tend, se distend, pour n'être qu'infini.
— Léa ?
Il me prend par les bras et seulement à ce moment-là, je reprends contenance. Sans réfléchir, j'enroule mes bras autour de sa nuque pour l'enlacer. Il sursaute, surpris puis finit par me rendre mon geste.
— Je suis là pour toi Alex, j'espère vraiment que ça ira mieux. J'en suis même certaine, n'abandonne pas.
N'y pense pas. N'y pense pas.
Je ressers pour m'empêcher de sombrer de nouveau dans ce vide déconcertant, que je crains plus que tout. Je ne veux plus y penser, je ne veux plus faire de lien qui n'existe pas et sombrer dedans, sous le choc.
— Merci, murmure Alexander contre ma peau, ce qui m'arrache un frisson malgré moi.
Je me défais de ses bras et lui fait un sourire réconfortant, qu'il me renvoit. Sans que je ne l'ai vu venir, il remplace une mèche désordonnée et mon cœur bondit. Le souffle court, je le regarde et en cet instant, il est vraiment beau mais je ne peux pas me laisser aller. Rien ne sort de ma bouche tandis que je me lève, prête à remonter mais une main me retient.
Alexander me regarde avec des yeux qui font battre un peu plus fort mon cœur. Trop de sentiments d'un coup, mon palpitant risque sûrement de lâcher mais j'attends ce qu'il va me dire, la respiration saccadée.
— Tu...tu veux bien rester avec moi, ce soir ? Je me sens pas d'être seul.
Il m'ouvre son cœur. Saisis-le entre tes doigts.
Mon cœur bat doucement la chamade et c'en est douloureusement délicieux. Je savoure, malgré moi, ce que ça procure. Lentement, je hoche la tête et il se détend instantanément. Je ne savais pas que je pouvais causer ça chez lui mais ça me plaît. Une chaleur remue dans ma cage thoracique et je souris, en essayant d'oublier le choc que j'ai eu tout à l'heure, pour me reposer à ses côtés.
Je ne veux que profiter de cet instant, avec lui.
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