Chapitre 40
Malgré la douleur qui scie mon bras, je reconnais cette voix grave, qui n'est autre que celle de Darrow. Mais en cet instant, c'est la personne que j'ai le moins envie de voir.
Pas quand j'ai aussi mal que j'ai l'impression qu'on m'ouvre la chair de mon bras. Je grince des dents et au fur et à mesure que les pas s'approchent, ma douleur s'intensifie, brûlant tout mon bras comme un brasier incandescent et bientôt, elle arrivera à son paroxysme.
— Léa, j'ai besoin...ouh là, fait-il en voyant ma mine sûrement déformée par la douleur.
— Darrow, s'il-te-plait, pars, ce n'est pas le moment, souffle Alex.
Il hésite, malgré mes yeux entrouverts, je vois qu'il n'est pas certain de pouvoir partir, de me laisser dans un tel état mais avant qu'il puisse dire quelque chose, la douleur hurle si fort que mes yeux se résulvent avant de s'évanouir, aussi rapidement que le vent. Je tousse plusieurs fois avant de réussir à prendre ma respiration.
Alex lui, me tient toujours les bras, de peur que je ne tombe lourdement sur le sol, tremblante.
— Hé, Léa, tu veux qu'on aille voir la chamane ?
— Non, non, j'expulse avec de l'air. Ça...ça va, la douleur s'est arrêtée.
— Tu es sûre ? redemande-t-il.
Je hoche la tête en souriant. Il s'inquiète... Ça me touche terriblement même si je m'inquiète plus de cette douleur ravageante qui pourrait revenir hanter mon bras. Je ne suis pas certaine que je pourrais le supporter une nouvelle fois et je m'étonne que mes dents n'aient pas craquées tellement j'ai serré la mâchoire sous l'élancement.
— Hum, Léa ?
Avec précaution, je me relève et fais attention enfin à l'homme devant moi. Darrow. Je sens me tendre quand je l'observe plus précautionneusement. Depuis la dernière fois, je ne lui ai pas adressé un seul mot et je sais que je ne veux pas me retrouver en sa présence mais visiblement, comme tant de fois, il ne me laisse pas non plus le choix. Et surtout, vais-je réussir à l'affronter ? La dernière fois était différente. Dans mon ventre, je sens revenir une boule d'angoisse et se loger, mais cette fois, elle est moins forte que les précédentes.
Je soupire et inspire un grand coup, prête à me préparer à n'importe quoi. Je ne veux pas subir sa présence et je crois bien que je vais devoir mettre les choses au clair, à contrecœur. Quand on se regarde dans les yeux, une tension invisible passe entre nous. Je n'ai pas le nom mais mes sourcils se froncent tandis que lui semble extrêmement tendu. Je crois que si je le touchais, il pourrait rebondir n'importe où.
— Bonjour, avant tout, Darrow. Tu voulais me parler ?
— Oui, tousse-t-il. Désolé et bonjour.
Puis, aucun de nous ne dit plus un mot. Alexander, lui, semble comprendre je ne sais quoi de cet échange silencieux mais il décide de s'éclipser en nous disant qu'il nous laisse tranquille. Je me crispe et le retiens par sa manche. Le regard surpris que me renvoie Alex me surprend mais je l'implore silencieusement.
Je vois Darrow se durcir quand il voit le mouvement de ma main et ça me conforte dans mon choix. Je ne veux surtout pas me retrouver seule avec lui, je crains que la boule dans mon ventre ne gonfle. Darrow ne m'inspire pas confiance et je ne sais même pas pourquoi, simplement que je ne peux pas rester sans compagnie.
— Tu pourrais rester à proximité, s'il-te-plaît. Si on doit retourner chez la chamane, j'ai besoin de toi, je mens.
Alexander, que je ne pense pas idiot, saisit et acquiesce avec un petit sourire avant de se déplacer en face pour attendre. J'ai toujours les yeux rivés et je sais que même loin, il le voit. Rien que de le savoir près de moi réussit à me rassurer ne serait-ce qu'un peu. Au moins, Darrow ne pourra rien tenter.
Quelques secondes après, je reporte mon attention sur celui qui me fait face. Ses yeux bleus me transpercent et un sourire vient prendre place.
— Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu, Léa.
Je soupire. Je ne suis pas là pour perdre mon temps face à lui à l'écouter déblatérer des inepties, des mots sans aucune importance.
— Dis-moi ce que tu veux.
— Et si je te disais que tu me manques ?
— Pardon ?
Alex lève un sourcil en m'entendant et je grimace un peu avant de lui montrer que c'est bon. J'ai parlé plus fort que je ne l'aurais dit mais je sens ma boule se resserrer quand je déglutis. Ce qu'il me dit... Je me disais bien qu'il semblait intéressé par moi mais je ne faisais que nier l'évidence. Et maintenant je lui réponds quoi ? Je jette un coup d'œil à Alexander concentré sur ses pieds alors il ne me sera d'aucune aide à part s'il m'entend crier.
Il faut que je prenne mon courage à deux mains, je n'ai pas d'autre choix. Mes mains commencent à trembler mais je m'efforce à ce que cela ne se remarque pas.
— Euh, je, je vois.
— Léa, fait-il en se saisissant soudainement et avec force, ma main. Je pense que tu l'as déjà vu, mais je t'aime vraiment beaucoup. J'aimerais me faire pardonner pour tout ce qui s'est passé et...je t'en prie pardonne-moi. Je ne suis qu'un idiot.
Je grimace tandis qu'il me met terriblement mal à l'aise et je sens la chaleur m'empourprer avec la sensation imminente que je vais m'étouffer. J'essaye de retirer mon membre mais il le garde fermement dans ses mains et me fait presque mal en serrant si fort.
— Écoute-moi, Léa... S'il-te-plaît, laisse moi une seconde chance je t'en prie. Tu es vraiment une bonne personne, je m'en veux sérieusement et je me rends compte que tu es trop bien pour moi mais je suis égoïste, alors je voudrais vraiment sortir avec toi.
— Darrow, je, m'étranglé-je. Arrête, pitié, je ne partage pas...pas tes sentiments, désolée.
— Quoi ?
Alors, d'un coup, l'expression de son visage change du tout au tout et il se durcit terriblement que je me demande si il n'est pas fait en pierre. Il relâche ma main violemment et m'assassine de son regard bleu.
— T'es sérieuse là ? gronde-t-il. Donc depuis tout ce temps, t'as été gentille, tu m'as fait espérée et tu t'es dandinée devant moi avec tes jupes courtes pour me lâcher maintenant ? T'es vraiment....
Je hoquète sous la stupeur qui prend place en moi. Je ne comprends rien, ses mots ne veulent pas rentrer dans mon cerveau et je le regarde en cillant. Je reste coite pendant je ne sais combien de temps avant qu'il se saisisse avec fureur de mon bras pour m'attirer contre lui. Je vois ses dents serrés et quand mon corps tremble, c'est là que je comprends que je ne suis plus stressée. Non, il me fait peur.
Je ne vois plus que ses yeux remplis de rage, sa mâchoire tendue, ses mains prêtent à exploser. Qui sait ce qu'il va me faire maintenant que je suis sous son joug ? J'essaye de me retourner, avec panique, vers Alex mais Darrow m'en empêche avec un sourire dont lui seul à le secret.
— Léa, je ne compte pas te laisser partir. Sois à moi, et ce n'est pas une question.
Dans un nouveau accès de panique, mon cœur surgit de sa cage thoracique et je mets mes mains contre son torse pour le repousser avec force en criant, ce qui alerte tout de suite Alex qui court vers moi avec un regard acéré. Le blond devant moi ne tente plus rien mais je sais qu'il n'a qu'une envie : me faire mal.
— Qu'est-ce que tu fais ? hurle Alex en se plaçant entre mon aggresseur et moi.
J'aimerais être plus courageuse mais tout ce que je peux faire, c'est me cramponner aux tee-shirt du prochain Alpha en me retenant de pleurer quand je sens le coin des yeux me brûler. Tout ce que je veux, c'est que ça s'arrête, que ça cesse, car je ne pourrais pas supporter plus.
— Tiens, t'es là toi, t'sais le prince charmant qui protège sa princesse intouchable c'est ça ? ricane Darrow.
Alexander ne répond rien mais ses yeux ne mentent pas quand je relève le visage. Il est furieux et quand je repense soudainement à sa force phénoménale, je pâlis. Je suis sûre qu'il la contrôle mais je ne peux pas laisser impunément Darrow se moquer de lui, le provoquer, alors qu'il ne fait que me protéger. Je tire alors sur le bas de son tee-shirt pour le prier de partir et de laisser tomber.
— Alex, on peut y aller s'il-te-plait ?
Le jeune homme serre les dents, les prunelles toujours rivées sur celles de Darrow et soupire une nouvelle fois avant de hocher la tête. Darrow, quant à lui, arbore un sourire carnassier, sûr et certain qu'il a gagné.
Il se trompe. Je viens peut-être de lui sauver la vie mais ça, il ne le saura sûrement jamais, absolument sûr que Alexander ne sait pas se battre, qu'il n'assume pas et fuit constamment. Rien que d'y penser, rien que de le voir, ça m'écœure. Je pensais trouver en lui un ami, mais je demande s'il ne m'a pas révélé son vrai visage — hideux — depuis le début tandis qu'il le cache à Alexia, qui ne comprend toujours pas nos différents et certainement pas que son frère ne les aime pas.
Seulement, Darrow n'en démord pas. Il nous regarde, l'air hautain et ricane encore. Je ne l'ai jamais vu aussi méprisant et son masque s'est enfin fissuré totalement. Voilà le vrai Darrow.
— C'est ça, pars.
Puis il tourne ses yeux vers moi, toujours le sourire aux lèvres et une lueur brillante dans son regard aussi bleu qu'un ciel sans nuages, et force de nouveau :
— On se reparlera Léa.
Je préfère ne pas répondre et me contente de fuir son regard. De lui-même, Alexander me prend la main avec un regard toujours aussi acéré que des couteaux en direction du blond et m'entraîne quand nous partons. Tout le long du trajet, nous ne disons rien mais je sais que tout ça l'insupporte. Il n'y a qu'à voir son visage pour le deviner. Je l'observe puis descends mes yeux sur nos mains liées avant de piquer un fard.
Je déglutis en les fixant. Sa paume est chaude, si chaude qu'il n'est même pas venue à l'idée que ça pourrait être désagréable. Au contraire, je n'ai pas envie du tout de le lâcher, et malgré ce qui s'est passé, j'aime être avec lui. J'apprécie que nous nous soyons rapprochés malgré le fait que les circonstances qui nous y aient mené ne sont pas du tout réjouissante. Je m'apprête à lui demander si je peux faire quelque chose qu'un cri perçant s'élevant dans l'air brise le silence dans lequel nous étions.
Je jette un coup d'œil à Alex qui en fait de même, paniqué. Le son provient de notre maison et sans plus attendre, Alexander lâche ma main pour se précipiter là-bas quand je le suis en courant, le cœur recommençant à faire une danse effrénée.
Quand j'arrive devant la maison, j'y rentre par la porte grande ouverte et quand je vois la flamme brûlante danser dans la cuisine, je pâlis. Jam, en jurant, essaye de s'en débarrasser et peine un peu mais il réussit, au bout d'une minute, à l'éteindre tandis que je suis toujours sur le palier, le cœur figé dans ma poitrine. Au milieu de tout ça, un Alexander toujours aussi paniqué essaye de réconforter Alexia qui pleure à chaude larmes, recroquevillée sur elle-même, toute tremblante.
Ça me sert le cœur car en une seconde, je comprends ce qui l'a touchée.
Je ne peux pas la laisser comme ça. Peu importe sa douleur, j'ai envie de l'aider et de lui montrer que je suis là pour elle comme elle a été tant de fois près de moi. Je m'en vais pour aller la prendre dans mes bras mais en un instant, tout change. Je me retrouve incapable de faire un seul geste, je n'entends plus que mon cœur battre, les sons du dehors, les pleurs d'Alexia mais tout est flou. J'arrive à discerner mais la scène est comme recouverte d'une vitre sale.
Comme la dernière fois.
Je sais aussitôt que l'étrange phénomène qui a pris possession de mon corps la dernière fois est revenu. Ma respiration se coupe mais personne pour le voir, je suis bloquée dans mon corps comme on l'est dans une cage. D'avance, je suis certaine qu'il me sera inutile de m'époumoner à crier pour qu'on m'entende, c'est peine perdue. Je serre les dents et mes yeux commencent à me piquer. Comment je vais m'en sortir cette fois ? Et si je ne pouvais pas sortir ? C'est même certain.
Je sens la détresse poindre le bout de son nez. Je sais que je ne le supporterai si ce problème se manifeste souvent et ne pas savoir pourquoi me rend folle. Pourquoi ça m'arrive ? Quel est le problème avec moi ? La douleur qui fait rage dans mon palpitant finit par sortir, les larmes roulant sur mes joues comme les traîtresses qu'elles sont. Je voudrais taper, crier mais ça ne sert à rien alors je n'ai qu'une envie : renoncer.
Les larmes continuent de s'accumuler tandis que je me pose mille et une questions. Je ne sais pas si je sortirai de là, de mon propre corps. C'est bien marrant, que je sois prisonnière de ma propre peau, du corps qui me permet de me déplacer, de vivre. Comment ? Comment ? Comment, comment, comment ?
Les questions tournent dans ma tête, me torturent inlassablement sans jamais s'arrêter, friandes de ma souffrance tandis que mon corps bouge de tout seul pour venir s'accroupir à côté d'Alexia. Je hoquète tandis que je me vois, sans pouvoir rien faire d'autre que pleurer, la prendre dans mes bras.
Alexia continue de gémir, entourée de mes bras et le décor change de nouveau. Cette fois, je suis mortifiée, les yeux écarquillés.
J'ai tué. Il ne reste plus rien de la vie terrestre aux alentours de moi. Les arbres, les animaux, les fleurs, plus rien n'est là. Il n'y a plus que la mort qui subsiste dans l'air et prend place partout pour me rappeller ce que j'ai fait. Je pleure, je pleure mais rien n'y fait. Rien ne reviendra comme avant. Maintenant c'est trop tard. Tôt ou tard, je savais qu'il allait se venger mais est-ce mal de vouloir aimer quelqu'un d'autre que lui, vouloir faire sa vie ailleurs, et pourtant... Je n'ai rien fait de répréhensible et aujourd'hui, il n'y a plus que destruction dans mon sillon.
Léo m'a maudite, sa sorcière m'a jeté le sort, et me voilà, le sang coulant de mes yeux, aussi rouge que l'est ma détresse. Ma poitrine me brûle, rugit de douleur, quand je contemple l'horreur que j'ai créé. Je suis une déesse, je suis censée apporter réconfort, espoir, vie, au lieu de quoi j'ai tout détruit. Comme je m'en veux, comme j'agonise de douleur.
Je me déplace dans la forêt pour rejoindre ma meute. Je sais ce qu'il se passera quand je franchirai les portes, les yeux rouges, mes vêtements tachés de sang, maudite. On me crachera au visage, on me trainera dans la boue. Je n'aurais plus rien de la magnifique et grande déesse qu'ont vénéré les loups. Non, je ne serai plus que annonciatrice de mort, de douleur, de deuil. Un long souvenir douloureux et agonisant qu'on essayera de jeter le plus loin de soi. Aujourd'hui, la déesse s'est éteinte dans sa malédiction.
Aujourd'hui, elle n'est plus qu'un amas abject.
Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de marcher jusqu'à ma meute en sachant très bien ce que j'ai fait, la désolation qui doit régner là-bas et le traitement que je recevrai. Je marche, je marche, sans vraiment compter le temps, sans vraiment réfléchir où mes pieds me mènent, l'âme détruite.
Au bout d'un laps de temps qui m'a semblé interminable, je sens l'odeur de mes congénères mais aussi la fureur qui les anime. Est-elle dirigée contre ma personne ou bien contre Léo qui n'a utilisé nul autre que moi pour accomplir sa folie meurtrière et passionnelle ? Et que va dire Alex ? Va-t-il me détester ?
Rien que cette idée suffit à réveiller mon cœur mort et un élancement s'éveille dans ma poitrine. Je ne veux pas, non je ne veux pas mais qu'est-ce que ça changera ? Ce que j'ai fait... Je n'ai moi-même pas les mots. Comme je m'en veux mais aucun mot, aucune phrase ne sera assez pour me faire pardonner de ce massacre.
Quand je pose un pied, tous les visages effarés, tremblants, désemparés, haineux se tournent vers moi. Une tension palpable règne dans la meute, si forte que j'ai envie de disparaître pour toujours. Oui... Ça règlerait un problème simple. Je retournerai sur la lune, là où est restée ma sœur, pour l'aider dans son travail qu'est trier les morts, même si elle n'est pas toute seule et on n'entendrait plus parler de moi, la déesse de la lune maudite.
Quand je traverse cette océan humain qui se scinde pour me laisser passer, j'entends tous leurs chuchotements.
— Elle est revenue.
— Comment ose-t-elle ?
— La pauvre, quel taré ce Léo.
— Une déesse qui se laisse prendre par une malédiction, j'en rigole ma chère.
Je ferme les paupières pour ne pas laisser couler de nouvelles larmes pleines de sang. Je savais, je savais que les membres de la meute se mettraient à me mépriser.
— Ma sœur est morte par ta faute, crache une jeune femme quand je passe devant elle.
J'accepte ce châtiment les bras grands ouverts. Je l'ai mérité. Les sorcières qui peuplaient mes terres et ont juré fidélité à Alexander et à moi ne méritaient pas ça et j'ai mis fin à leur vie, même si c'était involontaire. Je serre les poings, oh oui je les serre le plus fort possible pour oublier que j'aurais payé jusqu'au bout le mépris de Léo. Il a réduit ma vie, jusqu'ici heureuse, en cendres. Je le sais ; je viens de perdre tout.
Quand j'arrive devant la porte de ma demeure, je sais ce qui m'attend. Des loups qui sont postés ouvrent les yeux de stupeur quand ils me voient. Je reconnais aisément Darmin, mon beau-frère. Je me mords la lèvre, sûre et certaine qu'il va me mépriser pour le mal que j'ai causé, comme le reste de la famille.
Comme Alex.
Je m'attends à ce qu'ils m'empêchent de franchir la porte de la maisonnée mais avec la plus grande stupeur que je vois Darmin m'offrir sa main pour rentrer. Je le regarde sans comprendre, les yeux de nouveau piquants avant de fixer sa paume.
Non. Mes mains, mes mains peuvent tuer. Je ne supporterai pas de toucher quelqu'un, même s'il ne mourra pas. Je secoue la tête, le visage sûrement maculé de sang. Je ne me suis pas vue et je n'ai pas envie. Qui sait quel reflet j'y trouverai. Celui d'un monstre aux cheveux blancs ?
Ses yeux se révèlent compréhensifs et il ne dit rien, m'invitant simplement à passer le pas de la porte. Je le suis, le cœur au bord du gouffre. Comment vais-je réagir ? Je ne suis pas prête à voir son corps, à savoir que c'est moi qui lui ait volé sa vie.
Sans même le voir, je comprends que toute la famille d'Alexander est réunie et au milieu, sur le canapé, son corps. Celui de ma sœur, Alenscia. Je vois les yeux de sa mère me transpercer, toute la haine dans son regard et ceux du père, qui fuit mon regard.
Alexander n'est pas là et je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou pas. Voir de mes propres yeux sa haine, sa désolation m'aurait achevé, agrémentée de ma haine et de ma douleur. Puis j'arrive devant elle, celle qui a toujours compté pour moi, celle qui a rempli ma vie de moments de joies, de secrets, d'amour.
Mes yeux me piquent mais cette fois-ci, je suis incapable de réprimer toute la peine qui m'accable. Le sang goûte sur le canapé et vient s'échouer sur le sol. Je m'accoupris à son niveau. Sa peau est pâle, ses beaux yeux fermés, et elle ne bouge pas. On pourrait croire qu'elle est endormie mais non, je sais que son âme est allée rejoindre le royaume de ma sœur pour commencer le cycle d'une autre vie, qui j'espère, sera plus heureuse que celle-ci. Voir son corps inerte me tue mais les magiciennes ne peuvent pas tomber en poussière, leur corps est bien trop résistant à la décomposition. La seule chose qui me rassure c'est qu'au moins, maintenant, elle est en paix.
Quand je la contemple, je me souviens de tout. Hier tout allait bien, hier nous étions aussi heureuses que possible. Nous nous sommes baignés avec Alexander et nous n'avons que rire. Elle m'avait confié combien elle était contente à l'idée d'être tante, combien elle était heureuse que je sois avec son frère, que nous soyons des sœurs.
Aujourd'hui, tout a disparu. Je prends sa main en espérant soudainement qu'elle se réveille, qu'elle me dise que tout va bien même si je sais que c'est impossible. Léo m'a tout pris ; oui j'ai tout perdu. Ma sœur, mon âme-sœur, ma famille, le respect, des vies... Je plonge ma tête dans le creux entre son bras et sanglote, brisée en mille morceaux. Je ne suis plus rien.
— Reviens...je t'en prie, reviens, Ale, je gémis.
Doucement, des mains puissantes et réconfortantes viennent m'arracher délicatement au corps encore chaud d'Alenscia. Aussitôt je reconnais son odeur si particulière et je me fige. Il me déteste, il me déteste. Je lui ai pris sa sœur, je lui ai tout volé, surtout la vie heureuse qu'il aurait pu avoir sans moi.
Pourtant, il me retourne et m'enserre pour me plaquer contre lui, ses lèvres sur mon front. Mes sanglots redoublent quand je comprends qu'il ne m'en veut pas du tout. Comment fait-il ? Comment ? Comment peut-on aimer après ça ?
— Alex, je suis déso...
Mais il me coupe.
— Je ne veux pas t'entendre dire ça.
Je vois son visage défait, le deuil qui perce dans chacun de ses traits, ses yeux rouges. C'est moi qui ait causé ça.
Parce que je suis maudite.
J'enfouis ma tête dans son torse, toujours aussi torturée. On m'a prévenue, je sais que tôt ou tard, Léo ne sera pas satisfait, et alors je sombrerai, Alex avec moi. Je ne pourrais rien empêcher et rien que pour ça, j'ai envie de vomir. Il ne mérite pas ça, je ne le mérite pas. Je suis destinée à disparaitre, entraînant avec moi mon âme-sœur dans ma chute.
Oui, je suis destinée à mourir, à cause de Léo. Et je ne pourrais pas sauver Alex, et ça me détruit. Alors je peux au moins faire une chose. Sauver ces vies qui grandissent dans mon ventre, inconscientes de tout danger et innocentes quant à la situation. Ces vies que je ne verrai jamais grandir. Je les sauverai.
Car je ne peux pas le laisser maudire mes enfants.
Mes larmes coulent mais je ne les sens pas vraiment tellement je suis prise dans cette voisin horrifique. Je reviens à moi quand Alexia me bouscule soudainement en pleurant, pour courir hors de la maison avant de muter en loup. À mes côtés, Alexander soupire avant de froncer des sourcils en voyant mes larmes pleines de sang.
Je les essuie du bout du doigt sans être sous le choc. À force de voir ce liquide carmin sortir de mes prunelles, ça ne m'étonne même plus. C'est sûrement un héritage que m'a légué ma mère en bonne sorcière. Mais ce que j'ai vu... J'ai l'impression que mon corps n'est qu'une minable éponge qui se fait essorer à chaque fois que je vois un pan de la vie de la Luna se dévoiler à mes yeux.
Je n'ai pas de nom face à cette horreur, face à cette tristesse. Je renifle, le cœur profondément meurtri, comme si c'était moi qui l'avait vécu. Je me retourne vers Alex qui n'a pas bougé d'un pouce et me regarde toujours d'un œil soucieux.
— Elle est partie....à cause du feu ?
— Oui, déglutit-il. Jam vient de me dire qu'elle n'a pas réussi à maîtriser le feu et ça l'a traumatisée. Normalement, elle ne regarde pas trop les flammes et ça suffit mais là... Impossible de dévier le regard.
Je comprends l'air malheureux de son frère. C'est dur de voir un membre de sa famille toujours aussi traumatisé par un évènement qui a bouleversé leur famille. Je me doute bien que la carapace, celle que j'ai vu au premier abord quand je suis arrivée, est épaisse et qu'elle ne laisse pas grand monde la percer, finalement.
Je resserre mes bras contre moi. Ce midi a été désastreux entre l'impossibilité de la chamane, Darrow et le réveil du traumatisme de ma meilleure amie. Je suis juste épuisée, le moral miné avec qu'une seule envie : celle de pleurer. Voilà presque un mois et demi que je suis et certains jours sont beaucoup plus éprouvants que d'autres.
Je n'oublie pas, non j'y repense constamment à cette épée de Damoclès qui gît au dessus de mon crâne, un annonciateur de danger qui me prévient que je n'en n'ai pas fini. Les événements malheureux s'enchaînent et il n'y a pas une semaine où un problème ne survient pas.
Quand mes yeux recroisent ceux du jeune homme, je ne dis rien. Il me sonde, comme pour savoir ce qui me tracasse réellement mais je secoue la tête et décide de passer le reste de la journée dans ma chambre, à lire. Je n'arrive pas à supporter ce que j'ai vu, ce que j'ai appris.
Je passe l'après-midi sur les livres que j'ai achetés et je les lis sans pouvoir m'arrêter, tant prise dans l'histoire que je me lève à peine. Le soir tombe quand je relève les yeux pour les rares fois. Mon ventre grouille suite au fait que je n'ai pas mangé ce midi et je décide de descendre voir si quelqu'un à préparer le repas ou bien si je peux grignoter un peu.
Je farfouille plusieurs fois dans les placards puisqu'il n'y a personne dans la cuisine et déniche quelques biscuits qui feront franchement l'affaire. Je m'apprête à remonter quand du bruit de l'autre côté de la porte me stoppe net dans mon élan. Je déglutis difficilement, tout à coup en alerte à chaque bruit possiblement inhabituel. La porte bouge un peu, comme si quelqu'un s'affalait dessus alors je décide d'aller voir quand je remarque qu'elle est entrouverte.
Je jette un coup d'œil dans l'interstice avant de reconnaitre le tee-shirt d'Alexander auquel je me suis accrochée ce midi. Je déglutis une nouvelle fois avant de prendre en main ma détermination pour le rejoindre dehors, au pas de la porte. J'ouvre un peu plus et me glisse à ses côtés. L'air n'est pas froid, loin de là. En plein été, il fait bon et c'est plutôt agréable de ne pas devoir se couvrir.
— Alex ? je demande timidement.
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