Chapitre 39

110 jours

Je me réveille, l'esprit embrumé. Je ne sais pas où je suis en regardant l'étendue verte qui s'offre à moi mais le sentiment qui prend place en moi ne me rassure pas. Mon ventre se tord et mes sens sont soudainement en alerte. Le danger est à deux pas, là, tout près de moi, prêt à bondir dès que je me détournerai, j'en suis certaine.

Alors je pose les yeux partout, l'appréhension à son paroxysme. Je m'attends, à tout moment, qu'il sorte une bête monstrueuse mais non. C'est pire. Une ombre apparaît soudainement devant moi, le sourire jusqu'aux oreilles.

Lui.

Bonjour Léa. Ah, pardon, je devrais dire Léana, non ?

Je me tais, la gorge nouée, incapable de faire un seul geste pour me défaire de son imposante présence qui ne me tord que plus les boyaux.

— Magnifique menteuse, rajoute-t-il.

Il s'accroupit à mon niveau tandis que je suis toujours au sol et passe la main pour ranger une mèche qui dépasse sur mon front. Son toucher me donne des sueurs froides sur chaque partie de ma peau et comme un ordre qu'il me fait passer silencieusement, tout mon corps se tend considérablement, tel un ressort.

— Ne me touche pas, je grogne mais je ne suis pas sûre qu'il ait compris tellement mes mots ont été soufflé.

— Ce n'est pas toi qui décide, ma Léana.

Son ton mielleux me donne qu'une seule envie : vomir. Je sais que je n'ai pas tellement de courage mais je ne supporte pas sa main sur moi, sur ma joue, telle une caresse douce, en totale contradiction avec le monstre qui vit en lui. Mais je suis dans mon rêve, il m'appartient, je refuse qu'il m'asservisse ici, comme partout. Alors malgré le stress qui s'agite violemment en moi ; la colère que j'éprouve en le voyant et le dégoût ne font qu'une pair pour repousser brusquement sa main.

Et sa réaction ne se fait pas attendre. Ébahi pour mon geste, il reste si surpris qu'il ne bouge pas tout de suite quand je me lève en tremblant pour m'éloigner le plus de lui. Malheureusement, il me rattrape en un rien de temps et vient serrer mon bras avec une force qui me fait gémir de douleur.

Je darde mes yeux pleins de colère dans les siens. Je déteste le fait qu'il me touche, qu'il me fasse mal, non, je veux qu'il me laisse tranquille, que tous ces problèmes, toutes ces mises en gardes s'éteignent aussi facilement que la nuit vole le jour.

— Lâche-moi, je siffle entre mes dents.

— Sinon quoi ? ricane-t-il. Tu te trompes d'ennemi Léana. Je ne suis pas celui à éliminer.

L'entendre me mentir, tenter de me prendre sous son joug ne fait qu'alimenter la colère qui fait rage dans tout mon corps et mon esprit. Le brasier qui brûle m'aveugle et je ne suis pas certaine de vouloir contrôler l'émotion qui prend possession de moi. Elle est celle qui va me libérer.

— Lâche-moi ! je hurle de toutes mes forces avant de me débattre pour me soustraire à ses mains pleines de sang.

C'est un monstre et il le restera. Néanmoins, tout en serrant les dents, il consent à me laisser tranquille et je recule pour ne plus ne serait-ce qu'aperçevoir un bout de ses cheveux. Je me détourne pour courir le plus loin possible, peu importe où j'atterirai. Après tout, ce n'est qu'un rêve et j'ai le droit à la paix, même ici.

— Attends, m'arrête-il en comprenant ce que je vais faire. Tu vas le regretter si tu n'écoutes pas ce que je vais dire.

Je me fige, le souffle court. Mon cœur bat de tout son soûl, infreinable et bientôt, je n'entends plus que lui, mon pouls qui s'élève furieusement dans mes tempes.

— Je ne suis pas ton ennemi Léana. Je ferai tout pour que tu m'appartiennes mais je ne compte pas te tuer. Alors que lui...

Je me retourne, furieuse.

— Qui lui ? Je ne te crois pas, sale menteur ! Depuis le début, tu me fais du mal et tu crois que je vais croire le poison qui sort de ta bouche ?

Je ne peux pas m'arrêter. Non, je ne le veux pas. J'ai besoin de sortir ce que je pense. Je n'appartiens à personne et sûrement pas à lui, ce monstre immonde, ses mains pleines du sang qu'il a versé dans les meutes et celle du Sud... Celle d'Alex. Celle où sa mère est morte. Je vois encore plus rouge que l'instant précédent.

— Tu as tué des milliers d'innocents !

— Pour te récupérer, jubile-t-il.

Son sourire ne fait qu'accentuer la haine incommensurable qui m'anime et le dégoût qui court le long de mes veines jusqu'à atteindre mon cœur, le haut-le-cœur qui me prend à la gorge. C'est toujours la même chose. À chaque fois qu'il est prêt de moi, avec ses paroles abjectes, son sourire perfide et ses crimes, le dégoût est plus fort. Il ruine tout et n'attend qu'une chose dans l'ombre : me mettre à terre.

Il cogite dans mon ventre et je crois que si je ne m'enfuis pas sur le champ, je risque vraiment de vomir. Mais je suis obligée de continuer. Ici, dans mon rêve, je ne peux m'échapper nulle part, coincée tant que je ne me réveille pas.

— Tu as tué la mère d'Alexander ! Je te hais ! Tu ne m'auras jamais Léo. Je préfère encore crever que d'être à tes côtés, être à côté d'une bête telle que toi, aussi tarée.

Ses yeux se rétrécissent, soudain animés d'une fureur qui ne me laisse pas indifférente mais je ne montre rien. Je suis dans mon rêve, il ne peut rien me faire. Oui, j'en suis en sécurité...

— Tu ne sais pas ce que tu dis, idiote ! crache-t-il. J'aimerais être là quand tu sauras la vérité. Moi, je ne te tuerai jamais. Je t'aimerais du plus profond de mon être et tu ne pourras rien dire. Tu seras en sécurité, il ne pourra pas te toucher. Je te le promets, mon père ne sera même pas capable de t'approcher, ni lui. Tu te trompes de putain d'ennemi, putain ! Tu seras à moi, rien qu'à moi, tu as entendu ?

Il éclate d'un grand rire et ses yeux écarquillés lui confèrent un aspect que je connais très bien : le psychopathe, le taré qu'il est. Il fait les cents pas devant moi et semble presque à ça de s'arracher les cheveux. Je recule un peu, cette fois, la peur qui menace de s'installer et de balayer tout pour faire son petit cocon chaud. Il marmonne je ne sais quoi, des paroles incompréhensibles et je comprends que je viens bien de lui faire perdre le peu de raison qu'il avait.

— Tu seras à moi ! Rien qu'à moi ! Tu ne lui appartiendras jamais, tu m'entends ? Il ira crever, lui et mon père ! Ton corps et mon esprit seront mieux et j'en ai vraiment rien à foutre que tu ne sois pas d'accord, car c'est le seul moyen pour que tu sois en sécurité, toute extatique et surtout, mienne, crache-t-il avec véhémence.

Je manque de tomber en reculant encore, toujours plus car il ne m'effraie plus, il me terrorise. Puis il se retourne de nouveau vers moi, sourit et s'avance. J'inspire un grand coup, paniquée quand je comprends qu'il revient vers moi mais il n'a pas le temps d'ouvrir la bouche que le noir nous recouvre et que mes yeux s'ouvrent.

La respiration saccadée, je me relève, le corps encore secouée par la panique qui a pris mes tripes plus tôt dans mon rêve. Ils sont toujours aussi réels et rien que pour ça, penser que Léo a été à seulement quelques mètres de moi me donne la chair de poule. Mes poils se hérissent et je frissonne avant de sortir des couvertures.

Il est hors de question que je donne du crédit à n'importe de ses paroles ; même le vent, je l'écouterai plus. Malheureusement, une fois dites, il est plutôt compliqué de s'en débarrasser. Un autre ennemi... Ses mots me font peur, ils me terrorisent. Penser que non pas seulement Léo cherche à m'avoir ou à me faire du mal fait exploser dans mon cœur une douleur que je ne veux plus avoir à ressentir ni à supporter.

Avec force, je me concentre sur autre chose et me rappelle de mon rendez-vous. Je ne sais pas quelle heure il est mais j'espère simplement ne pas être en retard pour aller avec Alex chez la chamane.

Pour ma blessure.

Elle ne me fait plus mal, c'est déjà ça et je ne peux pas m'empêcher de la regarder toujours avec un air confus. Qu'elle ait pu cicatrisé en si peu de temps m'a laissé perplexe, surtout après avoir continué à me picoter quelques fois. Mais je n'en suis pas à la première fois. Tant de choses gravitent autour de moi que je n'arrive pas à expliquer que une de plus ou une de moins, qu'est-ce que ça change ?

Je m'habille rapidement dans la salle de bain sans croiser une seule fois mon regard, je ne suis pas sûre de vouloir d'y voir mon reflet dans le miroir. Ai-je pleins de cernes ? Une sale tête ? Si c'est le cas, ça ne m'étonnera même pas. Ces rêves que je fais maintenant depuis presque un mois et demi m'épuisent à tout va, même si j'arrive à tenir le rythme, difficilement mais je ne suis pas encore tombée.

Quand je relève enfin les yeux vers la glace, mon moi de l'autre côté du verre ne me surprend pas, avec ses yeux las et fatigués. Je soupire, comme si j'avais pris cent ans en un seul instant et termine d'enfiler mon jean et mes chaussures pour descendre à pas de loup les escaliers de l'étage. En bas, je croise Alexia aux fourneaux, coincée dans ses pensées car elle ne m'entend ni me remarque arriver. Je ne préfère pas la déranger, ni son apparente tranquilité ni ce qu'elle prépare. Pas loin, l'un de ses frères, Jam, est assis sur le canapé et suit tranquillement des yeux l'émission à la télé.

Je passe devant lui en souriant et lui dit bonjour, et il esquisse un sourire lui aussi tout en me retournant ma politesse, ses yeux gris qui pétillent. Ils me rappellent quelqu'un... Je me mords la lèvre car ce n'est pas le moment, surtout si je vais le rejoindre. Mais je mentirais si je disais que je ne pense pas souvent à Alex. Depuis la dernière fois où il m'a soignée, notre relation a de nouveau pris un nouveau tournant. Il n'hésite plus vraiment à commencer la conversation et arrive même à me surprendre en me faisant un joli sourire qui remue toujours mon palpitant à chaque fois.

Je déglutis difficilement car rien de me souvenir de lui, en train d'étirer ses lèvres, me laisse un sentiment plutôt étrange coincé dans la poitrine. Mais ce n'est pas le plus important. Aujourd'hui, je vois la chamane, aujourd'hui je pourrais démêler peut-être plus les chaînes qui entourent inlassablement mes questions. Je passe alors la porte où Alex, sortit sûrement beaucoup plus tôt que moi, m'attend sagement, lui aussi coincée dans ses pensées.

Quand il m'aperçoit en retard, il affiche un sourire moqueur.

— Alors comment ça va, la lève-tard ?

Je rougis face à sa petite taquinerie. Mais elle est si rare que ça ne me touche pas tant que ça ; au contraire. Au moins, en quelques jours, il a retrouvé une certaine sérénité même si j'ai de nombre fois eu l'occasion de le constater.

— J'ai eu du mal à m'extirper de mon sommeil.

— Je vois très bien ça, fait-il, moqueur. Mais c'est pas grave, c'est pas si comme nous avions donné une heure pile à la chamane.

Effectivement, il n'a pas tout à fait tort. À cette heure de la journée, le soleil est à son zénith, signe qu'il est bientôt l'heure de manger mais pour nous, ça attendra plus longtemps.

— La chamane sait que nous arrivons ?

— Ouais, je l'ai prévenue mais de toute façon, sans qu'on lui dise, elle l'aurait senti, rétorque Alex dans un soupir. Au fait, du nouveau pour ta blessure ?

— Elle ne me fait plus mal, murmuré-je. Ne t'en fais pas pour ça.

Il laisse ses yeux parcourir mon visage, son habituel air mystérieux qui revient puis son petit sourire vient incurver le bout de ses lèvres. Quelque chose dont je ne connais pas le nom cogite dans mon ventre et la curiosité enflamme automatiquement mon corps. J'ai terriblement envie de savoir ce qui lui donne cette air réjoui si soudainement mais je crois que je vais devoir attendre car il enchaîne toujours sur ma cicatrice.

— Personne ne l'a vu ?

— Personne, confirmé-je avec un air sûr.

— Tant mieux, comme ça personne n'aura de soupçons.

Je déglutis. Il ne le sait pas mais j'ai cette peur qu'on découvre réellement ce qu'on a fait et les conséquences que cela a causé, celles qu'on ne connait pas. Après tout, je doute qu'avoir tué cinq de hommes de Léo passe inaperçu, surtout auprès de lui. Qui sait ce qu'il prépare, mais s'il se venge, ce sera terrible. Il ne m'en a pas parlé dans son rêve, mais je n'ai pas besoin de chercher, je suis certaine qu'il le sait.

Mais je ne montre rien de ce qui peut me tracasser plusieurs fois et me contente de suivre Alex sur le chemin en essayant d'oublier mes maintes interrogations et doutes qui me passent par la tête. J'en profite, dans le silence le plus total, au fur et à mesure de notre marche, pour observer Alexander. Je me le suis déjà dit pleins de fois mais... Alex est très beau. Sa mâchoire, son nez fin, ses lèvres et sa carrure. Quand il tourne la tête pour me regarder, je rougis et fais comme si de rien n'était, prise la main dans le sac.

J'essaye d'ignorer le poids de son regard sur moi et continue d'avancer en feitant le calme et la sérénité mais c'est peine perdue quand mon cœur bat à une si folle allure que je crains qu'il ne vienne s'échouer sur le sol, complètement fondue. Au bout de quelques minutes à tenter de calmer le rythme effréné de mon palpitant et mes joues très rouges, j'aperçois enfin la maison de la chamane, exactement comme la dernière fois.

Les petits grigris à l'entrée se balancent toujours inlassablement sous la brise légère du vent qui nous traverse quelque fois et nous n'avons même pas besoin d'ouvrir la porte qu'elle l'est déjà, signe que son hôte doit déjà nous attendre. Nous ne la faisons pas plus attendre et nous engouffrons dans l'habitacle. Aussitôt, une paix sans nom vient m'habiter, et je me calme, sereine comme jamais. Mon cœur bat à un rythme normal, je ne me sens pas à mal à l'aise et tous mes tracas ont volé en éclats. Cette sensation, forcée, me laisse quand même perplexe.

Cette sensation vient donc de là... Je comprends mieux la tranquillité qui s'est logé en moi la dernière fois. La chamane a sûrement dû faire un sortilège ou quelque chose qui s'en approche pour apaiser ses visiteurs, seulement elle est forcée, obligée. Je n'ai plus aucun contrôle sur mes émotions et si cette simple pensée devrait me faire paniquer, il n'en n'est rien, comme si ça ne m'intéressait pas ou ne me touchait pas.

Je me disais bien que c'était bizarre.

— Ce sort est là pour éviter de déranger mes cartes ou autres objets qui sont très sensibles aux émotions négatives, nous informe une voix.

Je me fige en même temps que Alex une fois arrivés dans le salon. Nous avons tout juste le temps de voir apparaître la chamane, affublée d'un petit sourire et d'une robe bleue magnifique incrustée de milliers d'étoiles. À la moitié de ses épaules, un tissu fin, transparent, bleutée et brillant descend et enserrent ses poignets, formant un effet bouffant.

Ses épaules sont dégagées et la parure de sa robe, au dessus de son jupon bleu nuit, est lui aussi transparent et vient s'échouer jusqu'à ses pieds. Le haut de son habillement, semblable à un corset, lui sied magnifiquement la taille, agrémenté sur le dessus d'une lune éclatante, accompagnée de ses compagnes éternelles : les étoiles.

Ses yeux verts me fixent profondément quand elle nous invite à nous assoir d'un hochement de tête. Non sans un sourire que j'arrive pas à décrypter, elle en fait de même et nous demande :

— Je peux voir ta morsure, Léa, s'il-te-plait ?

Je hoquète quand elle me pose la question, très surprise. Je sais bien qu'elle est une chamane mais je ne m'attendais certainement pas à ce qu'elle sache que j'ai été blessée par des loups. Et qui dit morsure dit sortie. Et si elle disait tout ? Malgré mon envie de m'inquiéter, aucune pointe de stress ne perce dans mon corps et son absence me désarçonne même quand j'y connais la raison. Mais un coup d'œil vers Alex me confirme le fait que lui, ça ne le surprend pas.

Il esquisse une petite moue satisfaite, me regardant droit dans les yeux. Il avait raison et il en est fier, en plus. Mais j'hésite toujours à lui montrer les cicatrices qui trônent sur ma peau comme des trophées de guerre, l'air vieux alors qu'ils n'ont que quelques jours. Et si je m'étais en danger les autres ? Malgré le fait que l'inquiétude a totalement disparu, puis-je vraiment me jeter sans y réfléchir ? Mais la Chamane, sentant mon hésitation, rajoute :

— Tout ce qui se passe ici, reste ici, je préfère préciser.

Je hoche alors la tête. Je doute qu'elle me mente alors en jetant un coup d'œil prononcé à Alex, qui me regarde aussi, je relève ma manche pour dévoiler les zébrures qui barrent ma peau, si profondément incrustées dans ma peau que c'en est incroyable en si peu de temps. Je grimace en les voyant.

J'évite au possible de les observer car elles me rappellent juste notre petite sortie clandestine... La douleur qui m'a frappée quand il a refermé sa mâchoire sur mon avant-bras, la peur qui a pris possession de mon corps tandis que je voyais mes deux plus chers amis se battrent contre les hommes de Léo. Que de mauvais souvenirs, que je préfère refouler avant qu'ils ne soient trop puissants à supporter. Heureusement, ici, je ne peux pas les ressentir une nouvelle fois mais que se passera-t-il une fois sorties de là ?

La chamane pose ses doigts fins sur mes cicatrices, ce qui me fait frissonner. Elle est la première personne, à part Alex, à les voir et les toucher et je n'ai pas l'habitude qu'on effleure ainsi ma peau.

— Effectivement, ta blessure est un peu profonde mais totalement cicatrisée, ce qui est anormal, on est bien d'accord. Elle te fait encore mal ?

Je déglutis un peu, quant à ce que va donner cette discussion. Je ne vois pas du tout ce qu'elle pourrait faire. Enlever les traces qui restent ?

— Non, je souffle. Enfin, quelques fois.

— Je vois... Les hommes de Léo, n'est-ce-pas ?

Cette fois, je fuis carrément son regard. Je ne veux pas voir le poids qui trône dans ses pupilles ni un quelconque regard désapprobateur. La situation à elle seule suffit déjà pour qu'on me rappelle à quel point je suis honteuse. Alexander voit bien que je ne suis pas disposée à répondre alors il le fait à ma place.

— Oui, ils nous ont attaqué quand nous allions retourner à la meute. Ils voulaient nous tuer et kidnapper Léa pour l'amener...

Il serre les dents et je le comprends. Chaque fois que j'y repense, mes rêves sans sens... Qui sait ce qu'il m'aurait fait ?

— À Léo.

— Faites attention, nous prévient la chamane. Léo est introuvable, et ça n'annonce rien de bon. Certains de nos loups surveillent les environs et d'autres ont pour missions de retrouver ce scélérat mais cela ne mène à rien. Je vous conseille donc d'ouvrir l'œil, surtout dehors... Il peut être n'importe où. Quant à ta morsure... Je ne peux pas faire grand chose, mais elle n'est pas normale, ça c'est certain. Ils ont dit quelque chose à ce propos, quand ils t'ont mordu ?

Pour répondre sa question, je cherche dans ma mémoire pour me repasser ce qui s'est passé ce jour-là. Je me rappelle très bien avoir couru le plus vite et le plus loin possible sous les ordres d'Alex mais ils m'ont retrouvé... Oui, ils m'ont retrouvé et ils ont voulu quelque chose... Juste avant de me mordre, ils ont dit qu'il fallait réveiller ma partie loup. Oui, c'est ça !

Réveiller mon côté loup.

— Euh, oui je crois, balbutié-je. Ils ont parlé d'une partie loup et qu'il fallait la réveiller en me mordant.

Les sourcils de la chamane se froncent considérablement et elle semble totalement déconcertée par ma révélation. En même temps, je ne comprends pas moi-même, comment les autres pourraient-ils ?

— Ce n'est pas bon du tout mais le problème est que je ne peux rien faire. La morsure restera. Si elle n'avait pas cicatrisé, j'aurais pu la faire disparaitre mais je ne peux changer la peau. Enfin...c'est possible.

Elle soupire.

— Mais ça relève de la magie noire. Je ne peux donc rien faire, je suis désolée. Toutefois, dis-le-moi si jamais il y a un problème avec la cicatrice.

Je hoche la tête avec un mince sourire. Je pensais qu'elle allait pouvoir m'aider plus, au moins effacer ces traces horribles mais visiblement, elle ne peut pas le faire à moins de violer ses principes de magicienne. Je ne connais pas leurs règles, malgré le fait que ma mère en soit une mais je me rappelle très bien Alexia m'expliquer que celles qui utilisaient la magie noire étaient qualifiées de sorcières car elles défiaient les lois de la nature.

Aussitôt qu'elle a finit de s'occuper de moi, elle se tourne vers le jeune homme à mes côtés en souriant :

— Tes cauchemars se sont arrangés ?

En entendant ça, je me retourne vers Alex, un peu surprise. Je sais vaguement qu'il fait des cauchemars puisque je l'entends souvent descendre dans la cuisine le soir mais je ne pensais pas que la chamane l'avait aidé sur ce point. Alexander, lui, se pince la lèvre inférieure en soupirant.

— Non, ils sont toujours aussi violents et nets, et ils ne changent jamais. C'est toujours le même refrain.

La mine inquiète qui vient tourmenter le visage de la chamane devrait m'alarmer mais je peux pas la ressentir. Je voudrais savoir et comprendre mais je ne crois pas que ce soit judicieux de s'infiltrer dans la vie d'Alexander. Bien qu'on n'en n'ait pas reparlé, il n'est pas venu m'expliquer d'où venait sa force alors je doute qu'il le fasse pour ses cauchemars. La jeune femme soupire.

— Ça me donne vraiment du fil à retordre. Je ne comprends pas pourquoi mon sort ne marche pas. À moins que...à moins que cela soit au-dessus de mes capacités. Tu sais ce que je t'avais dit Alex. Il peut s'agir de rêves prémonitoires ou bien...d'une vie passée. Je...

— Je ne veux pas savoir, coupe Alex. Je ne suis pas prêt à le savoir si c'est le cas.

— Alex...

— Je suis désolée mais je refuse de savoir. Je n'ai pas besoin de vivre en sachant qui j'ai été dans ma vie antérieure. Si ça ne marche pas, tant pis. Je suis juste venue pour Léa.

Sur ces mots, il me lance un regard et je comprends tout de suite qu'il souhaite qu'on parle, ce qui ne me gêne absolument pas. Je me lève et le suis tandis qu'il se dirige vers la porte d'entrée mais une main se pose sur mon avant-bras pour m'arrêter.

— Avant que tu sortes, je te demande de faire bien attention. Parfois le danger est plus proche qu'on ne le croit et les cartes m'ont averties. Les événements qui vont suivre seront compliquées alors surtout, ouvre l'œil et ne te mets pas en danger inutilement, d'accord ?

Je la fixe pendant un temps. Je ne peux pas ne pas prendre en considération ce qu'elle me dit. Mais encore une fois, c'est compliqué de lire entre les lignes car, peut-être qu'elle cache quelque chose... Mais je hoche la tête, car je dois rattraper Alex. Après tout, je verrai bien le moment venu même si je compte bien suivre ses conseils.

Elle me lâche et je file vers Alex qui a déjà passé la porte et qui m'attend. Dès qu'il me voit, il lève le camp et commence à marcher. Son visage est fermé et personne ne parle alors je décide de me lancer tant que c'est plus facile de le faire :

— J'ai bien vu que ce qu'elle t'a dit t'a vexé. Tu n'étais pas obligé de m'accompagner, tu sais.

Il se tourne vers moi, me regarde droit dans les yeux et me force à m'arrêter.

— Léa... Il faut que tu arrêtes de faire en fonction des autres d'accord ? Si j'ai décidé de t'accompagner, c'est que j'étais certain de vouloir le faire. Je sais très bien que tu aurais pu y aller toute seule mais j'ai préféré t'accompagner. Alors ne t'inquiètes pas pour moi d'accord ? Oui ça m'a vexé car elle sait que je ne veux pas en entendre parler, c'est pour ça.

Je ne réponds rien mais je sais bien qu'il ne me dit pas tout. Mais quand le fera-t-il ? Je ne le forcerai pas mais je ne sais pas pourquoi, je me surprends à penser que j'aimerais qu'il se confie à moi, me fasse éperdument confiance et que je sois en mesure de pouvoir le réconforter, que je sois autre chose qu'une amie. Mais évidemment, je ne lui dirai jamais tout ça, car il ne me dira jamais grand chose. Il m'a aidée...et moi ? Je ne peux rien faire pour lui. Pourtant je brûle de vouloir l'aider, l'écouter, tout simplement. J'aimerais....j'aimerais tant de choses quand je plonge dans ses yeux verts.

J'aimerais qu'on soit plus proche. Infiniment plus proche.

Un coup de chaud me prend à la gorge et tout change. Je ressens ses mains sur mes épaules, notre proximité, la chaleur qui s'échappe de son corps, ses prunelles qui m'observent et les miennes qui le dévorent. Je cligne des yeux car je ne sais pas ce qu'il m'arrive. Tout ce que je sais, c'est que je le veux encore plus près de moi...

Puis mes yeux fixent ses lèvres avec une attention que je n'arrive pas à cacher. Qu'est-ce que ça ferait de les sentir se poser sur les miennes ? Est-ce qu'il en a envie ? Je me rapproche de quelques centimètres, décidée à tenter ma chance quand je le vois remuer les lèvres et me fixer, exactement comme je le désire.

Nos corps se rapprochent encore, je ne vois plus que lui, ses lèvres sur les miennes. Naturellement, il vient placer sa main dans le creux de mon dos pour mieux me blottir contre lui, comme si nous n'étions qu'un seul et même corps, faits l'un pour l'autre. Je sens son souffle chaud sur mes lèvres et je m'apprête à les recevoir avec une envie brûlante, celle qui court dans mon corps, dans mon veine, dans mon corps et réduit tout sur son passage mais une douleur si ravageante hurle dans mon bras que je me recroqueville soudainement sur moi-même, le souffle coupé.

Je gémis et tombe au sol, ce qui alarme Alex qui me réceptionne aussitôt.

— Léa, qu'est-ce qui se passe ? Dis-moi, s'il te plaît... Léa.

— Mon bras, dis-je en serrant les dents. J'ai mal à mon bras.

Je gémis encore, la douleur augmentant au fur et à mesure du temps qui passe. Je veux qu'elle s'échappe, qu'elle disparaisse. Elle fait mal, si mal que je veux m'évanouir. Je veux qu'elle s'arrête, pitié.

— Léa, putain...

Alexander grogne et tente de toucher mon bras mais dès qu'il effleure les cicatrices, ma douleur afflue plus fort et il enlève soudainement sa main, anormalement rougie.

— Elle est brûlante, comment...? Merde, faut aller chez la chamane, vite. Merde, merde, merde !

Il est prêt à m'attraper par les cuisses, déjà une main dans mon dos tandis que je souffre de martyre quand une voix crie mon nom.

— Léa !

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