Chapitre 35
La tension est à son comble.
Je redoute le pire en m'apprêtant à désobéir à un ordre : celui de ne pas revenir en un seul morceau. Je ne sais pas ce qu'il va se passer derrière cette barrière et ne pouvoir rien contrôler me met dans un état de stress second. Mon corps commence à trembler quand je franchis à mon tour l'autre côté du dôme pour rejoindre Alexander et sa sœur. Je prie pour qu'ils ne remarquent rien et souffle plusieurs fois pour tenter de faire disparaitre cette tension insupportable qui esclavage tout mon être.
Après tout, j'ai bien deux loups avec moi pour m'aider s'il n'y a ne serait-ce qu'un problème mais je ne peux pas nier que Léo peut sévir à tout moment, surtout que cela ne fait que quelques jours qu'il m'a prévenue de ce qu'il me ferait. L'effroi me serre considérablement le cœur comme s'il n'était qu'une minable éponge à essorer. Je suis loin d'être sereine et cette douleur sourde qui se fond dans mon palpitant me le confirme.
Sitôt que le passage se referme, le silence qui nous entoure devient pesant, refermant sûrement de lourds non-dits. Lesquels ? Je ne sais pas et je ne chercherai pas à savoir. Ça ne me regarde en aucune manière. Alors je les suis bien sagement, telle une automate, et me force à taire en moi mes états-d'âmes. Après tout, je suis déjà là par dépit.
Au fur et à mesure que nous avançons dans la forêt, que nous dépassons des centaines d'arbres, d'arbustes aussi verts que le sol à nos pieds, que nous voyons de discrets animaux vaquer à leurs occupations, le visage d'Alex dépêrit, comme s'il mourait à petit feu. Il passe rageusement plusieurs fois sa main droite dans ses cheveux en soupirant, agacé. Mais je sens bien que ce sentiment de façade en cache un autre, plus profond.
Je ne peux affirmer que celui de sa sœur soit plus serein. Ses sourcils sont froncés et elle est semble très perdue dans ses pensées. En cet instant, il n'y a que la solitude qui m'accueille, ses bras grand ouverts, chaleureux au possible quand ceux qui m'accompagnent sont très loin, partis par delà tout, là où je ne peux pas les suivre. Pour faire passer ce temps qui me pèse considérablement sur les épaules, je fixe le sol en balançant mes jambes pendant que je marche. L'ennui qui m'enserre en ce moment est éprouvant et j'ai comme l'impression d'être invisible.
Rien ne se passe pendant quelques minutes qui me paraissent interminables mais imperceptiblement, Alexia se rapproche de moi et me demande d'un regard et d'un main vers mon bras, si elle peut s'accrocher au mien. Je hoche la tête avec un sourire qui se veut rassurer et nous finissons bras sans-dessus sans-dessous, loin derrière Alex.
— Il est encore plus fermé que moi quand nous allons voir maman, commente-t-elle la mine affaiblie.
Je ne réponds pas grand chose car je ne sais pas quoi dire mais je ne veux pas encore sentir ce malaise qui nous a précédé plus tôt alors j'essaye de dire quelque chose qui pourrait l'aider.
— C'est nor... normal, bredouillé-je, ce que vous avez vécu est dur.
— Et encore, tu ne sais rien..., avoue-t-elle la voix tremblante. Avant ça, mon frère était beaucoup plus ouvert... Il n'a pas vraiment changé, si ce n'est qu'il est plus las, plus fatigué, moins patient et parfois, ça me rend folle.
— Il...tenait beaucoup à votre mère.
— Oh oui. Comme nous tous. Nous ne pourrons jamais l'oublier. C'était un rayon de soleil. C'est elle qui a appris mon frère a développé son amour pour le dessin, qui lui a acheté des pinceaux, des crayons et ils dessinaient souvent ensemble. Alex se raccroche beaucoup à ça, c'est ce qui le rallie beaucoup à sa mère. Elle adorait dessiner elle aussi.
Je déglutis, la gorge nouée. Je me souviens parfaitement quand il m'a dit que sa mère lui avait appris pour le dessin, et l'aveu de sa sœur jumelle serre mon cœur. Je ne veux même pas imaginer la douleur que cause la perte d'un être cher. Je ne pourrais jamais comprendre totalement et ça me rend folle mais je suis là. Même si c'est interdit, je suis avec eux, et c'est tout ce qui compte. Finalement, je ne regrette pas d'être venue, car j'espère être un soutien. J'enlève doucement mon bras et lentement, un peu hésitante, je serre les épaules d'Alexia en guise de condoléances. Ma meilleure amie me fait un petit merci discret.
Après ça, aucune de nous deux ne brise le silence qui s'installe dans cette atmosphère un peu terrifiante. Même s'ils sont avec moi, je ne peux pas m'empêcher de jeter quelques coups d'œils en espérant qu'aucun loup, et surtout pas lui, ne viendront gâcher tous nos plans et mettre à mal nos chances de rentrer sains et saufs à la meute sans que personne n'ait remarqué notre absence.
Quand Alexia frisonne contre moi et serre des dents, je comprends que nous sommes arrivés sur le lieu. L'arrêt d'Alexander devant nous me le confirme. Il a la tête baissée et la mâchoire crispée, le corps aussi tendu qu'un ressort. J'allais avancer de nouveau mais la main de mon amie m'en empêche.
— Laisse-le faire, murmure-t-elle.
J'obéis sans esquisser un geste de plus et quand il s'abaisse pour faire je ne sais quoi, je lis les inscriptions sur la tombe.
« Rebecca Williams, épouse de Rodric Williams, fille de feu Illian Hall, fille de feu Océane Hall, mère de feu Alexander Williams, mère de feu Alexia Williams, mère de feu Kaïn Williams et mère de feu, Jam Williams.
1975-2010
Notre bien aimée Rebecca, éteinte dans cet incendie meurtrier. À jamais dans nos cœurs. »
Incendie.
C'est comme si un voyant s'allumait dans mon esprit embrumé, le rendant plus clair. Je revois tout : les mains d'Alexia quand elle a parlé de ce feu qui avait ravagé la meute, ses yeux qui me fuyaient. Je me mords instantanément la lèvre quand je comprends qu'au final, tout est lié. Tout est bien trop lié.... Je ferme les yeux.
N'y pense pas, n'y pense pas.
Je reviens sur terre quand Alex se dirige vers nous et dit à sa sœur qu'elle peut y aller. Je fais un petit sourire pour l'aider et m'attend à ce qu'elle y aille mais elle prend ma main et m'entraîne vers la pierre tombale de sa mère sans un mot de plus. Elle finit par lâcher ma paume et s'accroupit, les cheveux devant les yeux. Alexia caresse les inscriptions et sa main tremble légèrement.
— Maman..., chuchote-t-elle avec une voix implorante et déchirante, une voix que je ne peux pas ignorer.
Mes genoux fléchissent un peu car je meurs d'envie de presque m'assoir, moi aussi, sur le sol et la réconforter avec une caresse dans le dos. Je hais la voir comme ça ; mon cœur a beaucoup de mal à le supporter et je me mords encore une fois la lèvre car cette vision est tellement... poignante. J'ai comme cette impression que quelqu'un s'empare de mon cœur pour le serrer de toutes ses forces et je détourne un peu les yeux.
— Tu sais Léa, je comprends ce qui t'arrives.
Aussitôt, je remets mes yeux sur elle quand je vois son visage strié de larmes silencieuses qui sillonnent ses belles joues.
— Ma mère... Elle avait constamment des visions... Elle ne parlait jamais de quoi il s'agissait. Seul mon père le sait mais il n'a jamais voulu nous le dire. Je sais juste que... qu'elle avait peur et qu'elle répétait qu'il arriverait. Quelques mois après, la meute a été attaqué et les loups ennemis ont piégé ma mère et ont brûlé la maison. Elle a pu nous faire sortir, Alex et moi, mais elle, elle n'y a pas survécu.
Sa voix se brise une nouvelle fois, et mes yeux me picotent un peu quand je l'entends m'expliquer. Oui, Alexia semble perdue sans sa mère, comme une enfant qui hurle après sa mère, qu'on lui rende. Mais malgré moi, je ne vois toujours pas où elle veut en venir. Son regard se fait dur. Je l'observe en déglutissant, incertaine de la suite.
— C'était lui... Léo.
Son aveu me coupe le souffle en un instant, un instant si bref, mais intense et j'ai un sursaut de recul, toujours assise. Non... Je la regarde, horrifiée car je ne peux pas croire que Léo soit lui aussi encore lié à cette histoire. Mais pourquoi... Ce que j'avais entendu lors de la réunion m'avait mise très mal en sachant qu'il avait laissé un sillon d'innocent derrière lui mais il s'en est pris aussi à la famille d'Alexia ?
Le haut-le-cœur que je connais si bien depuis maintenant quelques temps menace de revenir en ce moment et je me fais violence pour ne pas montrer que j'ai envie de vomir. Voilà que ça faisait quelques jours, non, quelques heures que je n'avais pas pensé à ce monstre et ce qui s'est passé la dernière fois qu'une autre révélation suffit à me faire goûter la terre. Je me passe la main dans le cou, agitée, aussi agitée qu'une tempête gigantesque.
— Alexia, je souffle mais elle m'arrête avant en s'essuyant le visage de ses mains.
— C'est bon, je voulais juste te dire que je comprenais parce que cette raclure, tout le monde le déteste, et je rêve depuis longtemps de lui faire la peau pour ce qu'il a commis. Pour ce qu'il a détruit. Pas seulement ma famille mais aussi des centaines, qui sait, des milliers de familles. Mais ne parlons plus de ça, c'est bon, ça me suffit.
Sans me laisser rajouter quoi que ce soit, Alexia se lève précipitamment et court bien devant nous, sûrement le cœur au bord d'un gouffre abberhant que je ne pourrais jamais vraiment comprendre ni en saisir la réelle profondeur.
Il ne reste plus qu'Alex et moi et je le suis quand on s'éloigne tranquillement, mais le cœur si lourd, de la tombe de leur mère. La gorge toujours aussi nouée qu'il y a une dizaine de minute, je n'ose pas fissurer le silence qui se présente à moi comme un mur infranchissable. Je cherche des yeux, au loin, mon amie mais elle est sûrement déjà partie bien loin. Je vérifie, non sans une pointe de stress, si personne ne nous a vu ni ne nous a suivi.
— Ne t'en fais pas, il n'y a que nous, m'interpelle de sa voix grave, le jeune homme.
Je le regarde, un sourcil plus haut que l'autre, un peu surprise. Il lit dans les pensées ? Je déglutis, la gorge pâteuse. Ça ne m'arrangerait pas du tout s'il en était capable. Je ne sais pas du tout jusqu'où vont les capacités des loups-garous. Ont-ils d'autres capacités ? Mais je suppose que je saurais tout en temps voulu. Ça fait pourtant plus d'un mois que je suis ici.
— Tu lis dans les pensées ou quoi ? je questionne.
Il lâche un petit rire discret et me répond sans plus tarder :
— Non non, on voit juste ce que tu penses parfois. Et je comprends ton anxiété. Surtout après ce que t'a dit ma sœur...
— Et...tu crois que ça va aller pour elle ?
— Oui, elle sait se défendre, t'en fais pas. C'est plus pour nous que j'ai à m'inquiéter.
Le ton avec lequel il le dit me donne l'impression qu'il ironise mais je me fais sûrement des films puisqu'il refuse toute violence. Mais ça ne veut pas dire qu'il ne sait pas se battre, me souffle une petite voix. Je fronce des sourcils. Je crois bien qu'Alexia l'a dit mais après tout, je suis un peu perdue avec tout ça.
De nouveau, pas un bruit entre nous et je grimace. Nous revenons simplement au point de départ après avoir échangé quelques paroles. Je prends un peu de temps pour l'observer. Ses yeux ne laissent passer rien, de même que son visage et il est aussi fermé qu'une porte hermétique, impossible à percer le masque qu'il a revêtit. Il est beau. N'importe, il est toujours bout.
Puis je me prends à rougir aussitôt.
Mais tu racontes quoi ?
J'occulte au possible mon rougissement ridicule et me dit qu'il faudrait peut-être que je dise quelque chose. Le silence me met mal à l'aise et ça me gêne encore plus que de bredouiller quand je lui parle. Je me sens souvent découragée face à ce mur de silence, donc je n'ose pas souvent.
Mais, plus j'avance, plus je suis entourée et plus il m'est facile de briser le silence. J'apprends encore, j'en ai bien conscience mais j'essaye de m'habituer le plus possible à converger avec mes semblables — enfin à moitié —. Alors je respire un grand coup et décide de me lancer :
— Ça..., je m'étrangle et soupire avant de recommencer. Ça va aller ? Je sais que c'est dur de...perdre quelqu'un.
En cet instant, je n'ai envie que d'une seule chose : me frapper. Alors que je tente de relâcher la tension dans l'air, je l'alourdis avec ce genre de commentaires totalement inutiles qui ne font qu'ouvrir la plaie plus qu'autre chose. Lui, me jette un coup d'œil appuyé avant d'ouvrir la bouche :
— Tu sais, tu peux me parler quand tu veux, n'aie pas peur. Je veux juste pas parler de choses qui me peinent. Enfin, ça dépend. Bref.
Bordel. J'ai encore l'impression qu'il voit à ce quoi je pense mais je suppose qu'à son contrario, je suis bien trop transparente pour lui — ou pour tout le monde devrais-je dire —. Je déglutis avec difficulté cette fois. Il ne semble pas très avoir envie de parler, surtout que ma question n'est pas très joyeuse mais je continue, au cas où.
— Oui désolée, enfin, euh, je veux juste pas...faire de bourde.
— C'est pas grave, sourit-il faiblement.
Je ne rajoute rien et lui non plus mais le silence ne me va plus, alors je ne peux pas m'arrêter quand ma voix s'élève :
— Ça va aller du coup ?
Il grimace mais ne semble pas décider à vouloir prononcer un seul son. Je le regarde, espérant qu'il dise quelque chose mais rien ne se passe. Je détourne le regard et rougis, honteuse. J'essaye et voilà à ce quoi je fais face. Faisant abstraction de ma gêne, je finis par soupirer et au même moment où je me dis que je n'aurais pas dû insister, il me répond doucement :
— Je ne préfère pas en parler... Désolé.
Je pivote de nouveau vers lui mais cette fois, sans surenchérir. J'ai bien saisi qu'il ne voulait pas discuter de ce qui lui fait mal. Comme deux minutes avant, son visage ne laisse rien transparaître. Cache-t-il encore cette douleur que je n'arrive pas à apercevoir. Même si j'arrive à cerner quelques fois le jeune homme, parfois, je ne suis pas certaine d'avoir raison. Comme j'aimerais parfois réussir à voir des failles. Ne pas réussir à comprendre me pique un peu.
Je déglutis, le cœur bizarrement serré. Mon désir d'en savoir plus est idiot et ma curiosité malsaine, alors pourquoi j'ai quand même envie de découvrir ce qu'il dissimule derrière ce masque de marbre ? Je me mords la lèvre quand je comprends que nous sommes déjà arrivés à la porte d'entrée de la meute.
Mais nulle trace d'Alexia. Quand je regarde Alex dans le but de comprendre mieux, je vois bien qu'il est aussi perdu que moi. C'est à ce moment-là que choisit mon amie pour réapparaître, sous le regard désapprobateur de son frère.
— Allez venez, on rentre.
— Non, le coupe Alexia, le regard droit.
J'y vois cette détermination briller dans ses prunelles comme il y a quelques temps, quand elle s'était décidée à aller voir la tombe de sa mère. Et ça n'annonce rien de bon. Alex lui, déglutit et fronce des sourcils. Je crois qu'il est aussi méfiant que je suis agitée. Je crois que, aujourd'hui, je découvre une nouvelle facette d'Alexia. Celle qui, dans des moments critiques, décidée faire à ce qu'elle veut, envers et contre tout. Et je ne sais pas si c'est une bonne chose.
— Alexia... Tu veux quoi encore ?
Elle sourit et on croirait presque qu'elle va sautiller sur place. Sous nos yeux, elle sort, de son petit sac noir qu'elle a pris tout à l'heure, une liasse de billets et l'agite sous notre nez.
— Je crois qu'on a besoin de s'aérer l'esprit. Il ne s'est rien passé, je pense donc que ça va aller. Je connais une librairie et quelques petits magasins que presque personne connait à cinq minutes de course donc ça devrait le faire.
— Alexia, je te rappelle qu'on devait juste aller voir maman.
— Je sais mais je sais aussi que Léa manque de livre et moi j'ai envie de fureter un peu dans les magasins.
Alexander soupire et je vois à ses poings serrés qu'il garde son sang-froid.
— Je déteste quand tu fasses ça, lui dit-il avec dureté.
Sa sœur lui lance un regard de défi et je me sens de trop dans cette dispute de famille. Je n'ai rien à faire là et quand je vois la forêt, je n'ai qu'une envie : celle de partir par delà les arbres et d'être seule sans qu'on se dispute incessamment devant mes yeux. Je comprends que le comportement d'Alexia n'est pas pour le mieux mais je ne suis qu'une étrangère. Cependant je ne peux pas faire ça... Et si les loups de Léo me trouverait ? Ça en serait fini de ma personne car je préfère mourir que d'appartenir à ce monstre. Tout ce qu'aura accompli ma mère, Rodric, Alex et sa sœur, les jumeaux, tout, absolument tout sera vain si je me fais capturer. Et c'est la dernière chose que je veux ; que je redoute le plus.
Léo hante déjà assez bien mes nuits pour que je l'y invite à ce que cela devienne réel.
Elle a raison, j'ai envie de livres mais je peux attendre. Mais je reste toujours aussi muette, incapable de prononcer ce que je pense. Et si Alexia m'en voulait ? Elle pourrait très bien décider d'arrêter d'être mon amie ou je ne sais quoi. Après tout je suis une étrangère. Ma bouche devient pâteuse et je serre les dents, piquée par du venin. Il arrive que je pense à n'importe quoi mais c'est comme du poison, ça s'infiltre par les pores de ma peau et j'ai toute les peines du monde à m'en débarrasser, même quand ça me pourrit la vie, ou bien l'esprit d'horribles pensées.
— Tu peux toujours repartir à la meute, Alex, rétorque Ale, toujours aussi déterminée à aller plus loin que jusqu'ici. Tu ne veux pas faire comme au bon vieux temps ?
— Non, mais tu crois vraiment que je vais vous laisser toutes les deux ? Mais tu vas le regretter Alexia ! Je sais que tu as besoin de sortir et d'échapper à la douleur après avoir vu maman mais maintenant, ce n'est plus possible. Tu nous mets tous en danger !
Une seconde, je vois une douleur incommensurable se refléter dans les prunelles de sa jumelle avant qu'elle ne disparaisse aussi vite que le vent souffle sa légère brise. Sans rajouter guère plus, Alexia part se cacher derrière un gros tronc d'arbre. J'observe la scène avec perplexité. Mais qu'est-ce qu'elle peut bien faire ? Jusqu'au moment où je vois ses coudes dépasser le tronc et monter, comme si...
Avec effroi, je comprends qu'elle retire son haut quand j'entends un bruit sourd s'échouer sur l'herbe verte. Je pivote aussitôt vers Alex pour l'interroger :
— Elle...elle est vraiment en train de se déshabiller ? bredouillé-je.
— Ouais..., soupire le jeune homme aux cheveux gris qui luisent sous la lumière du soleil. Elle n'écoute jamais ce que je dis dans ces moments là.
— Je vois, je murmure si bas que je ne suis pas sûre qu'il m'entende.
— Je suis désolée, elle est insupportable quand elle est comme ça. Je suis son jumeau et pourtant ça me rend fou.
Je n'ose pas lui poser de questions car j'ai l'impression de m'infiltrer, telle une malpropre, dans leur intimité. Mais je me rappelle de suite qu'Alex, plus tôt, m'a dit de ne pas avoir peur de parler alors je la pose quand même, la gorge aussi nouée que des nœuds indémêlables.
— Est-ce que c'est de ma faute si...vous ne pouvez plus y aller ?
— Pas vraiment, grimace Alex. Au début, nous passions notre temps, avec notre mère, dehors, avec les humains. Ma mère les aimait beaucoup et les trouvait fascinant même si mon père n'était pas trop pour. Après sa mort, mon père s'est effacé dans la famille et a commencé à ne plus être trop là. Il ne restait plus que Alexia, mes frères et moi. Souvent, après être allés sur la tombe, on s'amusait mais...ces quelques temps, un peu avant que tu arrives, Alexia ne voulait plus et préférait être totalement seule.
Ce qu'il me raconte ne laisse pas de marbre mon pauvre cœur déjà malmené depuis tout à l'heure. Leur histoire me touche, et le fait que je vive avec eux n'arrange pas les choses. Je vois bien que Rodric n'est presque jamais là, qu'Alexia se renferme parfois, quand la plupart du temps, elle est aussi solaire que le soleil lui-même. Et Alex... J'ai beaucoup trop de mal à le comprendre. Parfois, il ne veut rien dire et là...
— Ça ne te dérange pas de m'en parler ?
Il tourne son regard vers moi si longtemps que j'en suis déroutée, la gorge aussi sèche qu'un désert aride. Quand il me regarde, je ne peux détacher mes prunelles des siennes et je ne l'explique pas. Cet homme a le don de me décontenancer par je ne sais quel pouvoir et ça me rend tellement pantelante. Mais je n'arrive toujours pas à me soustraire de son regard, cette fois.
— Parce que ce n'est pas de trop mauvais souvenirs. Je ne peux pas blâmer ma sœur quand je fais partis la même chose.
Puis il s'en va lui aussi vers un arbre assez épais pour le cacher en grognant qu'Ale finira par avoir sa peau. Moi, je reste sur place, comme bloquée, figée dans l'espace temps. Encore une fois, je ne comprends pas. En quoi ces souvenirs sont moins tristes que d'autres ? J'aimerais véritablement comprendre.
Aussitôt, non sans que je sursaute un peu, ressort un magnifique loup au pelage gris clair, du tronc d'arbre à ma droite où était plus tôt Alexia. Je comprends tout de suite qu'il s'agit d'elle quand elle me fait face et c'est la première fois que j'ai tout le loisir de pouvoir l'observer sous sa forme de loup.
Tout de suite après, un autre loup, aussi majestueux qu'Ale mais cette fois plus foncé que la jeune femme, apparaît derrière elle. J'écarquille les yeux en le voyant. Il n'a pas pris beaucoup de temps lui non plus et il est déjà là. Peu après, je ne sais pas ce qu'il se passe mais les deux se regardent comme s'ils communiquaient l'un avec l'autre. Mais je n'ai aucune chance — même si c'est le cas — de savoir si je rêve ou non alors j'abandonne.
— Euh, vos habits ? je demande.
Le loup gris foncé — Alexander — secoue le museau vers l'avant pour me signifier que leurs vêtements sont dans leurs sacs respectifs. Je hoche la tête, un peu soulagé à l'idée qu'ils ne vont pas se balader nus en redevenant humains. Je ne suis pas sûre de supporter une telle vue et surtout pas quand il s'agit du sexe opposé. Mes joues rosissent mais je mets de côté et échange un regard interrogateur quant à qui doit me prendre sur son dos.
Le problème est vite réglé puisque Alexia secoue son museau par la négative, prend son sac entre ses dents et commence à s'en aller. Je soupire, les joues toujours aussi rouge. Je fixe devant moi le loup au pelage gris qui attend visiblement que je monte sur lui. Malheureusement pour moi, il peut discerner ma gêne à mon visage tandis que moi, je n'ai aucune chance de savoir ce qu'il pense ou ce qu'il ressent quant à la situation qui se profile. J'avance, me penche pour ramasser son sac ouvert — je lui dois bien ça — et grimpe, non sans me racler la gorge, gênée, sur lui.
Je chevauche Alexander. Mon dieu... Je n'arrêterai jamais d'avoir horriblement chaud.
Le loup secoue sa tête et je le regarde sans vraiment comprendre jusqu'à ce qu'il commence à courir, ce qui m'oblige à m'accrocher à son cou, le sac pendouillant dans tous les sens. Le vent secoue violemment mes habits et mes cheveux, que je ne distingue plus que des formes devant mes yeux, — la vue cachée par mes mèches brunes — et la vitesse à laquelle nous traversons la forêt.
Ses pattes grises tapent durement contre le sol et sa puissance me cloue l'estomac. J'ignorais que les loups-garous pouvaient se déplacer si vite. Mais après tout, ce ne sont pas des lupins lambdas. Tandis que je suis pressée contre lui, tout doucement, quelque chose qui arrive peu à peu, vibre, en moi, lentement.
J'essaie d'ignorer la chaleur de son corps contre le mien, ce qu'elle me procure, de son odeur si caractéristique que j'aime...bizarrement et mon cœur s'accélère sans que j'en comprenne la raison. Oui, on va tellement vite que mon cœur n'apprécie pas. Ça ne peut qu'être ça.
Pourtant c'est tellement déroutant...
Je ressens si bizarrement mon corps, comme si toutes mes terminaisons nerveuses s'étaient décidées à se réveiller et une chaleur douce et plaisante envahit mon être et se diffuse en lui. Je ferme les yeux, et malgré quelques feuilles que je me prends, la vitesse folle, je me sens bien en cet instant. J'occulte tout, absolument tout, sauf la chaleur de nos deux enveloppes charnelles. Je me concentre et je peux bientôt sentir son cœur battre fort, lui aussi. Je souris, imperceptiblement je pense, et je peux pas m'empêcher de me demander s'il ressent la même chose que moi.
Se sent-il bien en ce moment ? Je crois que plus rien ne pourrait m'atteindre. Je me sens en sécurité et c'est plus que déconcertant. Mais pourquoi ?
Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions que le loup freine soudainement, ma poitrine percutant son cou si bien je manquais de basculer par-dessus lui si je ne me tenais pas férocement à son encolure. J'entends des bruits de populations plus loin, des voitures qui roulent sur les routes, des enfants qui crient et l'air qui respire la joie et la vie en société.
Je déglutis, regarde autour de nous, craignant toujours de voir apparaître des loups dans les alentours.
Mais je sais. On est arrivés.
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