Chapitre 30

Tout est magnifique. Un vrai paradis. Des fleurs par milliers, de toutes les couleurs, parsèment le jardin immensément grand et le parterre est aussi vert que les feuilles des arbres qui me surplombent de leur hauteur. Une brise légère passe sur ma peau et me fait frissonner mais c'est agréable.

La journée est remplie de soleil, les oiseaux chantent leurs plus belles mélodies et les lapins gambadent gaiement dans l'herbe. J'entends des froissements au sol, signe qu'il y a d'autres animaux qui traversent le jardin. La nature semble en plein éveil dans ce lieu et avec un sourire, je me dis que si il y avait une maison, je pourrais vivre dans ce petit coin.

Je traverse cette étendue verte et me promène aussi lentement que possible pour prendre le temps de respirer, de sentir, d'être vivante. Je me sens tranquille et je crois bien que c'est la première fois que je ne suis pas tiraillée par quelque chose, ou par quelqu'un.

Finalement, je me laisse sur le sol pour m'évader, m'imaginer autre part, rêver d'autres mondes. C'est doux, c'est cotonneux. La tranquillité s'étend dans tout mon corps et je me prélasse, les paupières fermées, les muscles détendus et la respiration contrôlée. La plénitude qui m'a prise plus tôt dans ses bras me laisse rêveuse, insensible à tout danger qu'il pourrait y avoir.

Je me sens sourire doucement et me tourne vers le côté, le coeur empli de joie. Les minutes défilent sans que je ne pense rien d'autre qu'à ce qui me rend calme. La nature, les animaux, j'ai toujours aimé ça sans même savoir pourquoi. Peut-être est-ce dû au fait que j'ai passé ma vie coincée entre quatre murs. Mais ça ne me fait rien.

C'est comme si ce paradis n'existait que pour faire s'évanouir nos peurs, nos doutes, tout ce qui nous empêche de bien dormir le soir. J'essaie de penser à tout ce qui me rend heureuse mais à part lire un bon livre, Alexia toute souriante, Alex les yeux brillants, Rodric toujours gentil et les deux jumeaux, je ne trouve rien d'autre, rien d'autre qui ne me transporte de joie ou qui ne me fasse vibrer de bonheur.

Pourtant ça ne me touche pas, non. Rien ne cogne, ne siffle, ne pique dans ma poitrine. La douleur n'existe plus et j'accueille ce fait avec les bras ouverts. Mon coeur est vide de tout malheur car rien ne remue pour me faire mal. Le temps défile encore sans que je ne puisse le compter. Après tout, le temps a-t-il une valeur ici ?

Des bruits furtifs, non loin de moi, me font tendre l'oreille. Mais je n'ai pas peur. Mon corps ne se crispe pas, mon instinct ne crie pas au danger et mes tempes ne tambourinent pas de peur. Je suis sûre que ce n'est rien d'offensif.

Les bruits, que j'assimile maintenant à des pas, se rapprochent doucement, comme pour ne pas me brusquer. Pourquoi me ferait-on du mal ? La peur, le danger, la douleur, rien ne subsiste. Il ne reste que la douceur, celle qui guide mon esprit en ce moment même.

- Ça fait plaisir de te voir ici, murmure une voix très familière.

Je rouvre les yeux. Je sais déjà à qui appartient l'ombre à mes côtés. Je tourne la tête pour revoir ses beaux cheveux blancs étincelants qui lui descendent jusqu'aux hanches. On la reconnaitrait partout avec sa chevelure. Difficile de passer inaperçue avec cette couleur de cheveux et rien qu'en y pensant, ça me fait sourire. Néanmoins, je fronce un peu des sourcils.

Léana Ier n'est pas censée être ici mais...nulle part non ? Même si ça ne me fait plus rien ici, je n'oublie pas l'horreur qui m'a traversée quand je l'ai vu s'embraser. Mon coeur ne grogne pas mais je suis rassurée qu'elle soit là. J'attendais qu'elle revienne et une part de moi, celle qui est empathique, pourrait même pleurer de joie mais ici, rien ne sort.

- Moi aussi, je souffle doucement, contente qu'elle ne soit pas morte, ce que je suppose donc. Et toi ?

- Il m'est impossible de mourir.

Je baisse la tête en soupirant. J'aurais dû y réfléchir à deux fois mais j'étais si paniquée que Léo l'ait tué que je n'y ai pas pensé une seule fois. Non, pour moi, elle n'était plus que des cendres.

- L'étau se resserre, Léana.

Je fronce des sourcils en sa direction. Que veux-t-elle dire par là ?

- En quoi ?

- Parce que tu es proche de moi. Terriblement proche. Léo ne s'arrêtera jamais et il vient de commencer véritablement. Léana...

Elle se tourne vers moi, droite comme un piquet, une lueur grave dans le regard et les sourcils froncés. Si ce lieu ne faisait pas disparaitre les émotions négatives (je suppose), je serais terriblement stressée en voyant son air lourd de sens. Mais mon coeur ne s'emballe pas, je ne ressens aucune poussée d'adrénaline, simplement un vide qui commence à me gêner, dans une telle situation.

- Écoute-moi bien. L'heure est grave. Je crains que Léo ne redouble d'efforts pour t'avoir en espérant m'atteindre. Alors, entends. Des changements vont survenir. Tu vas évoluer Léana. Autant physiquement que moralement. Tu comprendras tout le jour de ton anniversaire. En attendant, le danger s'accélère alors ne fais à confiance qu'à ceux que ton coeur te dicte.

Une nouvelle fois, je comprends trois quarts de ce qu'elle essaie de me dire mais j'essaie de graver ses mots dans mon esprit pour ne pas oublier. Je hoche la tête pour signifier que j'ai compris et que j'entends, comme elle le souhaite. Elle se remet de côté et observe l'étendue du jardin, en silence puis finalement, prononce quelque chose :

- Il faut se méfier de l'eau qui dort car le plus grand des calmes peut cacher le plus grand des pouvoirs.

Je cligne plusieurs fois des cils, incertaine. J'ai comme une impression que cette phrase cache un sens qui m'est impossible de comprendre. Mais je me pose des questions et je ne suis pas sûre que ce soit une bonne nouvelle. Veut-elle parler de Léo ? J'aimerais ressentir mon coeur craquer comme tant de fois mais ça reste désespérément vide, sans aucun ressenti qui témoigne de la haine et de la frayeur que j'éprouve à l'égard de ce monstre.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Elle sourit amèrement et ferme les yeux. J'attends une réponse qui ne vient pas car la minute d'après, elle disparait dans un nuage de poussière, aussi discrètement qu'elle était arrivée. Comme j'aimerais m'énerver ! Comment peut-elle m'abandonner comme ça juste après m'avoir livré ses inquiétudes ?

Je soupire, mais de toute façon, je ne peux pas m'énerver. C'est comme si un mur imposant et dur bloquait le passage des mes émotions négatives pour m'empêcher de les sortir et même, de les vivre. Alors je ferme les yeux puis je plisse des paupières en sentant quelque chose serrer mon bras fermement. Je bouge un peu mais rien n'y fait puis une voix claire comme de l'eau de roche me parvient et j'ouvre les yeux.

J'émerge visiblement de mon sommeil quand je vois les sourcils froncés de Ale, debout à côté de mon lit. La lumière qui traverse les volets de la fenêtre me gêne un peu alors je me frotte les yeux pour m'habituer au fait que j'ai été si brusquement réveillée.

- Désolée, grimace-t-elle. C'est qu'il est presque midi et normalement tu es déjà debout à cette heure-là. Et puis... Je ne suis pas bonne en cuisine, je voulais donc savoir si tu étais d'accord pour m'aider. Ouh là. Est-ce que ça va ?

Ensommeillée, j'arrive tout de même à comprendre ce que me dit Ale. J'acquiesce en gémissant, les yeux voilés par le sommeil.

- Oui oui.

- Très bien, vingt minutes, ça te va ? Mais tu es sûre, euh... On dirait un fantôme. Si tu ne peux pas, tu as le droit de refuser, hein. Je ne veux pas que tu te forces.

- Ça va aller Ale, t'en fais pas, je confirme, la bouche pâteuse.

Néanmoins je suis touchée par son geste et je lui fais un sourire que j'espère être assez convaincant. Puis elle s'en va sans plus de cérémonie, non sans un coup d'oeil inquiet. Moi je déglutis difficilement. Je crois savoir pourquoi j'ai dormi autant et ça m'effraie. Parce que je ne me suis jamais restée dans un rêve aussi longtemps. Rien qu'en y pensant, j'ai l'impression d'avoir avalé des araignées et je grimace.

Mais j'ai promis d'aider Ale alors je fais tout mon possible pour ne pas penser à l'horrible mise en garde de La Luna. Ne pas y penser, ne pas y penser..., je répète, la tête brumeuse. Une fois les affaires en main, j'entre dans la salle de bain pour m'habiller convenablement. Je ne peux tout simplement pas descendre ainsi, en pyjama et j'en serais bien honteuse.

Ce n'est pas vraiment chez moi, après tout... Mais jamais je ne m'en irai. Dehors, Léo fait tout son possible pour m'atteindre et par mon biais, la déesse. Je m'accroche au lavabo, les traits douloureusement crispés. Je le vois au reflet, les sourcils tordus, mon air abattu et mes yeux un peu rouges, injectés de sang. Pourquoi faut-il que j'y repense sans cesse, à m'en rendre malade ? Je suis épuisée, lasse d'y repenser et mon ventre qui se tord me le fait bien comprendre.

Ça fait seulement un peu plus d'un mois que je suis ici mais je n'ai jamais été aussi hantée par mes cauchemars et acculée mentalement par ce monstre... Aussitôt, je me frappe le front avec la paume de main, Stop. Je ne veux plus y penser, à ça. Sinon ça va me préoccuper toute la journée et ça je ne peux pas. Je suis bien déjà assez déchirée.

Léana Ier ne se rend pas compte de combien ça me détruit de l'intérieur. Il n'y a qu'à voir mon aspect misérable qui se reflète dans le miroir de la salle de bain. Même moi, j'en ai honte, rien qu'en me voyant. C'est ce que je vais montrer de moi... Je frisonne et abandonne. Il est temps de sortir et d'arrêter de me morfondre. Je n'ai même plus la patience pour ça, je crois bien.

Néanmoins, avant de descendre, je prends une éponge en coton et la mouille d'eau pour tamponner la zone sous mes yeux et ferme les paupières. L'eau me fait du bien et j'y vois un peu plus clair. Je reste quelques minutes et réitère le geste le temps que mes yeux aillent un peu mieux. Je souffle quand je trouve que mon visage va un peu mieux et sors de la pièce pour descendre dans la cuisine. Dos à moi, Alexia semble laver quelque chose. Avec surprise, je vois que Jam est derrière le comptoir en l'observant faire.

Quand il m'aperçoit en bas des escaliers, les muscles de sa bouche s'étirent pour former un joli sourire. Jam est sourieur, naturellement plus enjoué que son frère jumeau Kaïn et c'est seulement grâce à ça que je le reconnais. Jamais il ne se départit de son étrange et éternel sourire. Je lui rends faiblement en étirant les lèvres et me poste à côté de Alexia qui lave des légumes.

- Salut Léa, comment ça va ? me demande Jam, poliment.

- Coucou. Ça va plutôt bien et toi ?

- Ouais, à part que cette folle a tapé comme une dingue à la porte de ma chambre.

- Tu vis dans cette maison, il est normal que tu aides ! tranche Alexia, le légume brusquement asséné sur le plan de travail. Tu me prends la tête depuis tout à l'heure Jam, j'en ai assez. Arrête de rechigner.

Alexia se retourne le visage un peu plus sévère que d'habitude et visiblement prête à en découdre J'écarquille les yeux en voyant à quel point Alexia sait se faire respecter par ses frères, elle qui est d'habitude si joyeuse et douce. Sa fermeté me frappe aussi fort qu'un ouragan et m'atteint en plein cœur.

Je recule un peu. Alexia semble remarquer qu'elle fait un peu peur. Tout le corps de son frère est tendu et je crois bien qu'il ne rajoutera rien de plus. Elle soupire simplement et s'excuse envers moi puis fait un regard noir à son frère pour qu'il évite toute remarque. Je ne dis rien car ce qu'elle ne sait pas, c'est qu'elle me renvoie à ma propre impuissance. A sa place, je sais que j'aurais simplement balbutié, pathétique.

Un pincement, imperceptible, me traverse et je serre les dents sans même le vouloir. Elle en a de la chance, chose que je n'ai pas le luxe d'avoir. Terriblement tendue, je me mets à côté de Jam qui a commencé à peler un légume déjà lavé. Avant que je ne puisse prendre quoi que ce soit en main, le téléphone sonne. Les deux ont déjà les mains prises donc avec un air suppliant, Ale me demande de bien vouloir prendre le téléphone. Je hoche la tête avant de m'exécuter. Il est écrit « numéro masqué » mais je suppose que c'est normal.

Je décroche et porte l'appareil à mon oreille, sans un dire un mot. Je préfère que la personne en face parle en première. Jam me lance un regard interrogateur quand il remarque que je ne prononce pas un seul son. Sauf qu'au bout de quelques secondes, il n'y a toujours rien derrière, seulement le grésillement de l'appareil. Alors je décide de parler, la voix légèrement tremblante et stressée :

- Allô ?

Aussi clairement que s'il était à côté de moi, j'entends un rire grave et guttural s'élever dans le téléphone. Je frisonne et ma tension monte d'un cran. Je ne sais pas qui est à l'autre bout du fil et je ne suis pas certaine de le vouloir. Mon cœur se fige, dans l'attente. Je sens mon corps prêt à bondir en cas de problème. Mais une question demeure. Pourquoi je reste alors que je pourrais raccrocher et essayer d'oublier ce rire qui me fait froid dans le dos ? Mais qui peut faire ce genre de blague ? Qui est-ce ? Tant de questions auquel je n'aurais pas les réponses. Alors doucement, j'éloigne l'appareil de mon oreille pour le reposer mais la voix s'impose.

- Reposez ce téléphone et vous le regretterez fortement.

Je me fige une nouvelle fois, sur le qui-vive. Je me sens trembler mais je ne veux pas perdre la face. Je ferme les paupières en priant que cela ne soit pas grave, qu'il n'ait aucun lien avec ce que je redoute. Pitié... Les légers tremblements se transforment maintenant en soubresauts incontrôlables. Mais je ne peux pas empêcher mon corps alors je subis la peur, tel un serpent venimeux au creux de mon estomac qui menace de me dévorer entière.

- Oui ? je murmure, la voix qui couine.

L'homme - ce que je suppose - derrière le combiné ricane une nouvelle fois. Sa voix me donne la chair de poule et chaque centimètre de ma peau réagit. Refroidie, les dents serrées, j'attends qu'il continue. Sa voix grave m'évoque la lame d'un couteau : dangereuse, pointue. Oui, elle pique tellement.

- Léa, tout va bien ? questionne Alexia derrière moi.

Mon amie doit bien se douter de quelque chose en me voyant anormalement statique, figée comme une poupée de glace mais je ne peux rien dire, rien faire. Il nous écoute attentivement, à l'affût d'un mauvais pas de ma part.

- Quittez la meute, ordonne soudainement la voix inconnue. Ou bien, Léo...

J'écarquille les yeux, la respiration arrêtée. Mes yeux sont fixés inlassablement sur le sol, dont je ne distingue qu'une forme floue. Non, il revient...

En attendant, le danger s'accélère, m'a dit La Luna.

Mon dieu.

Soudain, je porte la main à mon front, prise d'un mal de crâne terrible. Dès qu'on parle de Léo, c'est ça. La douleur est si insoutenable que je m'accroupis, les genoux contre ma poitrine.

- Léa ? s'affole Ale.

- Léo viendra exterminer tout ce que à quoi vous tenez. Et vous lui appartiendrez, de force s'il le faut, corps et âme, termine-t-il avant de partir d'un grand fou rire et de raccrocher.

Je lâche abruptement le téléphone qui vient s'écraser sur le sol dans un bruit sourd et des craquements.

J'ai mal. Je ne sais pas pourquoi je réagis si violemment car on me parle de Léo mais je sens, au fond de mon cœur, que ce monstre m'a fait quelque chose de vraiment horrible. Mon cœur me lance alors pour m'aider, j'enfouis ma tête dans mes cuisses en gémissant. À côté, Ale est visiblement paniquée puisqu'elle me demande sans cesse ce qui ne va pas et Jam me caresse le dos. Je le sens à sa main beaucoup plus large et forte.

Mais je ne regarde personne. Je ne veux pas les voir, absolument personne.

**

Il est sûrement l'après-midi quand je rouvre les yeux. La chambre est plongée dans le noir à cause des volets fermés. Le noir est bien plus accueillant que Léo... Je ressers ma couverture sur moi malgré la chaleur de la pièce. Après l'incident, je suis montée ici et je n'ai laissé personne rentrer hormis Alexia, puisque c'est quand même sa chambre.

J'ai préféré fermer les volets, de peur que Léo ne puisse me voir. Je me masse les tempes, harassée. Je crois que je deviens paranoïaque. Mais qu'importe, même s'il n'est pas là, il trouvera le moyen de me trouver et là... Je ne sais pas ce qui m'arrivera. Je rentre la tête dans mes genoux. Je ne veux pas y penser. Pas à lui. Je me sens terriblement mal, quand je pense à Léo. Comme s'il fallait que je m'arrache la peau pour aller mieux.

Je rumine en silence, la tête noircie de pensées affolantes quand on toque timidement à ma porte. Je me redresse, en alerte.

- Léa ?

Je reconnais instantanément la voix grave d'Alex. Je me mords la lèvre, ne sachant que faire. Devrais-je le laisser rentrer ? Après tout, j'ai refusé tout le monde mais... Je crois que je n'ai pas le cœur à refuser qu'il rentre alors je réponds :

- Oui ?

- Est-ce que je peux rentrer ?

Un silence qui s'étire. Je réfléchis et réfléchis encore car je ne sais pas si je fais bien. J'adore me prendre la tête ! Je soupire et me masse de nouveau les tempes. Finalement, je réponds positivement et la seconde d'après, la porte s'ouvre timidement. Alex montre d'abord sa tête et me sourit avant d'entrouvrir un peu plus pour rentrer entièrement.

- Salut, fait-il.

- Salut...Alex.

Il reste campé devant mon lit, visiblement gêné puisqu'il met sa main derrière sa tête pour stopper aussitôt son geste. Il déglutit et viens doucement s'assoir à côté de moi, le matelas du lit s'enfonçant sous son poids.

- Ca va mieux depuis tout à l'heure ? J'ai entendu ce qu'il s'est passé.

Les genoux toujours repliés contre moi, je pose mon menton sur un de mes avant-bras, détendue. Pour une fois, je ne me sens pas gênée, je n'ai même plus la force pour ça. Comme on dit, le calme vient après la tempête et en ce moment même, je suis plutôt d'accord.

- Oui, j'ai vidé...tout. Je me sens juste épuisée.

- C'est normal, me sourit gentiment Alex. J'espère que ce n'était rien de grave.

Il est vraiment gentil. C'est la premier pensée qui me vient à son égard quand je le vois là, assis à mes côté, alors qu'il aurait très bien pu vaquer à d'autres occupations. Mais non, il vient s'assurer que je vais bien et me tend une perche discrète. Une issue pour me confier. Alors je l'accepte, même si je sais que c'est peut-être la seule fois où je serais capable de dire ce que je veux sans me sentir oppressée.

- Léo... On en revient toujours au même point...

Alex fronçe des sourcils et je le vois à sa façon de se tenir droit, qu'il est tendu, dans l'attente que je lui explique plus en profondeur. Il se rapproche aussi un peu, et je ne sais pourquoi. Peut-être a-t-il peur que je me mette à pleurer ? Mais non, je ne peux pas. Depuis quelques heures, mes yeux sont vidés de toutes larmes et j'ai beau sondé mon cœur autant de fois que je le veux, je n'y vois qu'un gouffre aberrant, une vide abyssale sans queue ni tête, que je ne comprends pas moi-même. Mais je l'accueille avec soulagement, ce manque de sentiment. C'est toujours mieux que d'avoir le cœur recouvert de lames, saignant de toute part.

- Il...me veut, je murmure. Je n'ai aucune idée de pourquoi il est obsédé par moi mais il ne reculera devant rien.

Alex ne dit rien, les poings et la mâchoire serrés. Je lui mens mais je ne peux pas réellement lui dire la vérité. Alors je continue quand je sens que j'ai besoin d'aller jusqu'au bout.

- Je ne sais pas quoi faire mais je n'en peux plus, c'est trop. Ces temps-ci, je ne me sens pas respirer.

- Je comprends, fait-il, compréhensif. Tu as l'impression que tu es en train de te noyer et que tu te fatigues à rester à la surface en essayant de respirer le mieux possible, c'est ça ?

- Oui, je réponds, touchée par ses paroles.

Je n'aurais pas cru qu'il cernerait facilement mes émotions. Mais il parle comme une personne qui sait de quoi elle parle. Qu'est-ce que cela signifie pour lui ? Mais je ne retournerai pas le couteau dans la plaie en lui posant la question. Mais je dois bien lui demander pourquoi il est là, à m'écouter et à me comprendre, du moins, ce que je ressens.

- Pourquoi....tu es venu m'écouter ?

Plongé dans ses pensées, je crois que mes paroles ont provoqué un vrai choc chez lui. Il retourne la tête vers moi, choqué par la question. Mais il se radoucit rapidement en voyant que je suis sérieuse.

- On... On est bien amis. Les amis, ça s'écoute, non ?

Je hausse les sourcils car c'est à mon tour d'être un peu surprise. Je ne pensais pas qu'il se souviendrait de la dernière fois, quand je lui ai dit qu'on était amis. Alors je souris, car je sens une chaleur inattendue et soudaine prendre la place du vide. Mon cœur remue et je suis quelque peu soulagée de le sentir ressentir, vibrer. Ma peine reste là mais... Qu'Alex me considère vraiment comme son amie me réjouit, moi qui n'en n'ait que très peu.

- Tu as raison. Merci, lui dis-je en souriant sincèrement.

Il me le rend sans aucune réserve, ce que j'apprécie.

- Tu n'es pas avec tes pinceaux ? Je ne te vois qu'avec ça.

- C'est vrai mais parfois, je dois bien les laisser reposer.

- J'aime bien te voir avec... Tu as commencé quand ?

- Depuis que je suis petit. Ma mère...ma mère avait remarqué que j'étais assez doué donc elle m'a aidé à développer ça. J'en retiens un assez bon souvenir. Ma mère était très douce et elle aimait dessiner elle aussi.

Je me souviens bien que sa mère est morte mais ça me fait sourire qu'il se souvienne d'un détail aussi important. Le temps d'un instant, assise avec Alex, j'oublie que j'ai été menacée, que La Luna m'a prévenue d'un danger, que mes cauchemars hantent. Rien ne compte plus qu'Alex et moi, notre discussion et l'intensité avec laquelle il parle de sa passion. Je sais d'avance que cette après-midi, qui avait pourtant si mal commencé, restera gravée dans mon esprit.

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