Chapitre 29
— Tu ne veux vraiment pas me dire ? surenchérit Alexia, à côté de moi.
Je suis en train de faire un peu de rangement dans mon coin de la chambre quand je l'entends me supplier. Je soupire, les nerfs à bout. Déjà que mon entrevue avec Darrow s'est mal passée, je n'ai pas besoin qu'elle en rajoute une couche. De plus, aujourd'hui, je ne suis toujours pas au meilleur de ma forme.
— Alexia. Je sais que tu voudrais savoir pourquoi Darrow te harcèle pour me parler mais je ne préfère pas. Je ne veux pas jeter le feu sur votre relation donc je me tais.
— Je doute que notre relation soit atteinte par votre dispute. Enfin, plutôt vos innombrables disputes et différents.
Je lève les yeux au ciel.
— Si tu savais Ale, donc s'il-te-plait. Tu n'as qu'à lui demander, il te répondra.
— Il ne veut pas.
— Tu m'étonnes, m'esclaffé-je. Vu qu'il est en tort, pourquoi il l'avouerait ?
— Lélé, s'il-te-plaiiiiit.
Un nouveau soupir. Je ne lâcherai pas. Je ne peux tout bonnement pas. Je ne suis pas sûre qu'elle apprécierait de savoir que Darrow parle de son frère méchamment dans son dos et celui de l'intéressé. Et loin de moi l'envie de voir Alexia disparaître chaque jour dans la forêt pour revenir aussi mal malgré la promenade. Son mécanisme de défense l'aide mais... J'ai bien l'impression que parfois, ça ne change pas grand chose.
— Désolée Alexia mais non. Je ne préfère pas. Attends que Darrow veuille bien tout te dire.
Je me retiens d'ajouter qu'il ne le fera sûrement jamais. En y pensant, mes mains se serrent. Devant ou derrière Alex, il le méprise mais dès que je suis agacée par son comportement, il fait les yeux doux et s'excuse trop de fois pour que je le prenne sérieusement. Son changement brutal de comportement me dérange tout autant qu'il m'agace. D'autant plus qu'il ne le fait qu'avec moi.
— D'accord...abandonne Alexia.
Elle soupire simplement et j'espère qu'elle ne m'en veut pas. J'en suis rassurée quand elle me fait un petit sourire avant de se glisser sous ses couvertures pour dormir. Elle a raison, il est temps de fermer l'œil. Ale éteint sa lumière quand j'hésite de mon côté. Les cauchemars...
Des tremblements me traversent et ma main qui allait se poser sur l'interrupteur de la lampe commence à trembler légèrement. Je ferme les yeux, le temps que ma respiration subitement saccadée se calme un peu et que la tension qui martèle mon crâne se dissipe. Ils ne me lâcheront jamais...
Malgré tout, j'éteins enfin ma lumière et je me couche, une étrange boule nichée dans le creux de mon cœur. Je ne comprends pas, j'ai peur ? Je stresse ? Je ne sais pas. Cet étrange sensation parcourt mon corps. Rabattue, je triture ma couverture avec des mains tremblantes. Je pensais me heurter à une insomnie mais c'est au dernier moment que je réalise que je sombre dans un sommeil assommant.
Ses questions me brûlent. Il me presse, inconsciemment, de tout lui dire mais ils sont bien trop blessants à prononcer, comme du papier de verre qui me coupe la langue. Profondément, mes souvenirs sont enfouies et je n'ose pas les déterrer pour les lui exposer à nue. Il verrait toutes mes blessures et combien même je l'aime, je ne peux pas lui imposer ça. Ce serait un trop lourd fardeau à porter. Il m'écrase bien assez pour que je le donne à quelqu'un d'autre.
Alexander pose sa main sur la mienne, tremblante. C'est d'ailleurs tout mon corps qui crie grâce lui aussi.
— Léana, tu trembles.
Il n'a pas besoin de me le dire, je le sais parfaitement. Mes yeux me piquent mais j'ai beau y penser, rien ne coule. Comme si rien ne pourrait sortir, vidée d'eau. À la place, qu'en sortira-t-il ? Du sang ? La mort ? Je sais très bien ce qui m'attend... L'horreur, la mort parsemant ma vie, la douleur des jours sombres qui viendront détruire nos vies à tous. Par ma faute. Léo complote et ce qu'il prévoit... J'en tremble d'effroi. Mes yeux s'écarquillent tandis que je fixe le sol de la cabane d'un air presque absent. Seul mon cœur me rappelle qu'il est là, douloureux et las.
— Pourquoi tu en as autant peur ?
J'ai vu l'horreur qu'il compte divulguer parmi les loups-garous. Une horreur aussi noire que l'est son âme. Il fera tout pour atteindre son but en m'utilisant, moi.
"Je te détruirai, jusqu'à ce que je t'ai". Voilà ses mots, voilà son but. Et il ne s'arrêtera pas avant de l'atteindre. Sauf qu'il ne pourra jamais. À moins que je me force, ou que je meure. La première option m'est insupportable.
— Léana, ne pleure pas, je t'en prie, fait-il en essuyant du pouce les quelques larmes qui descendent le long de mes joues.
Je reste fixée sur le sol, impassible. Je ne peux pas lui dire... Ce que j'ai vu dans ma vision a eu le mérite de briser le peu d'espoir qui subsistait en moi. Il me reste encore du temps mais ce temps me semble bien court, amer, éphémère, tel du sable aussitôt emporté par le vent une fois dans ma paume... La seule chose qui continue de brûler dans ma cage thoracique est l'amour que je lui porte. Et ça ; Léo ne pourra jamais me l'enlever. Je me le promets, je le grave dans ma tête, dans mon cœur, sur mon corps pour ne pas oublier, quoi qu'il se passe.
Je finis par le regarder quand il relève doucement mon menton de son index.
— Regarde-moi dans les yeux... N'aie pas peur, je serai toujours là.
Malgré moi, je grimace car il ne sait pas. Comment pourrait-il ? C'est pour cela que je tais ma douleur, celle qui siffle que je suis incapable de lui éviter notre sort funeste. Liés, nous avons le même destin.
— Je t'aime, je souffle, la voix déchiré par mes sanglots qui ressurgissent.
Je voudrais tant te dire combien je suis désolée, Alexander.
Je me relève d'un coup, le cœur au bord d'une gouffre. Je suis prise d'une soudaine envie de vomir que je rejette les couvertures sans me soucier de réveiller Ale endormie à côté de moi pour courir vers la salle de bain. Au moment où la nausée me fait me pencher au dessus du lavabo, rien ne part. J'ai l'impression que mon corps est martelé de coups mais rien n'y fait. J'ouvre grand la bouche pour enlever cette douleur qui me saccage mais seulement un gargouillis sort de mon gosier. Comme si je vomissais sans vraiment le faire.
Quand la nausée se tait, je plonge la tête dans le lavabo, prise de soubresauts. Les images du rêve se mélangent doucement à sa mort et une nouvelle fois, je ne peux me défaire du tourbillon sanglant qui s'accroît dans mon esprit. Je ferme, ferme et ferme les yeux dans l'espoir que ça s'en aille. Je ne me concentre pas dessus, au contraire. J'essaye d'occulter les images et au bout de quelques minutes à respirer difficilement dans le noir complet, ça se dissout.
Je bouge un peu pour allumer la lumière, tremblante et croise mon regard dans le miroir. Mes cernes n'ont pas disparues et je suis sur le point de m'écrouler au sol. La fatigue affaisse mes épaules et je penche la tête, les paupières sur le point de se fermer quand je me rappelle que je suis dans la salle de bain. Pour m'empêcher de tomber, je rabats le couvercle des toilettes et m'assois dessus.
— J'y crois pas...je souffle. Elle était censée être..., ma voix se craquelle pour finir brisée. Morte.
Un silence fait écho dans la pièce. Je rabats ma paume sur mes yeux, la bouche déformée par la douleur qui s'ammoncele sous mes paupières.
— Pourquoi ça revient ? Pourquoi ? Ça va continuer même après sa mort ? J'en ai assez...
Je reste ainsi je ne sais combien de temps avant que je me calme. Je finis par me décider à descendre un peu boire de l'eau, ce qui pourra m'aider. Le moindre bruit pourra réveiller Alexia donc j'ouvre la porte précautionneusement et descends avec autant d'attention les escaliers. Non sans un hoquet de surprise, je vois qu'il y a déjà de la lumière au rez-de-chaussée, ce qui m'arrête. Je penche un peu la tête pour y apercevoir un Alex qui semble marmonner tout seul. Je décide de continuer sur ma lancée et il finit par me voir en tournant la tête.
— Ah, tu es là, constate-t-il.
Je réponds d'un oui discret avant d'entrouvrir le placard du haut qui surplombe le plan de travail gisâtre et immaculé. C'est quelque chose que j'ai remarqué au fil du temps mais tout est très bien rangé et propre, même au centimètre carré. Ca me fait sourire quand je sors le verre où même pas une once de poussière traine. J'ouvre le robinet et remplit mon rêve avant de le boire, non sans lever un oeil vers Alexander.
Il a le front plissé et sa main est crispée. Je m'arrête doucement en réalisant que quelque chose cloche et j'inspire un grand coup en me demandant s'il est nécessaire que je lui pose la question. Il pourrait trouver ça déplacé. Ou dérangeant de ma part. Néanmoins, malgré ma petite indécision, je me dis que le mieux est de m'approcher de lui. De la sueur coule sur ses tempes et il expire bruyamment. Je tends ma main vers lui mais je me ravise au dernier moment. Je ne peux pas.
— Tout va bien ?
En même temps, je me mords la lèvre. Il est bien idiot de lui poser la question quand on voit bien que ce n'est pas le cas mais je ne sais pas quoi lui dire. Il lève une main, ce que je ne comprends pas. Comme s'il m'empêchait d'avancer alors que je suis simplement là pour l'aider. Il la refuse vraiment ?
Un petit pincement au cœur me traverse mais je secoue la tête et recule un peu, puisqu'il me repousse alors que j'ai été gentille. Et il semble bien s'en rendre compte car sa pomme d'Adam remue avant qu'il ne prenne la parole :
— Désolée, je suis juste...j'ai juste fait un cauchemar, rien de grave.
— Tu...tu ne vas pas te mettre à hurler ? dis-je en déglutissant.
Autant savoir s'il compte réveiller la maisonnée entière pour que je puisse l'arrêter à temps. Son cri revient voyager dans mon esprit et je frisonne, soudainement traversée par la chair de poule, en y pensant. Cette journée-là...
Quand j'essayais de l'éviter, j'ai dû me tenir près de lui, profondément embêtée par ses cris et ses larmes, comme si un étau enserrait mon cœur. Je n'ai pas envie que ça recommence, que mon cœur se remette à battre plus fort que d'habitude pour sortir de ma poitrine.
— Non, fait-il avec un ricanement amer.
Un nouveau silence prend place entre nous. J'aimerais pouvoir l'aider plus mais il ne semble pas le vouloir. Un autre pincement, presque aussi imperceptible que la poussière, traverse mon cœur. Je serre les lèvres, agacée par ça. Saleté de cœur ! Et puis... J'ai envie de tenter quelque chose. Mon cœur ne peut s'empêcher de s'accélérer quand je sens que je vais lui poser la question. Il pourrait bien encore me rejeter. Je devrais vraiment lui demander ? Et s'il était gêné ?
Oh et merde. Je pense vraiment trop mais je ne suis toujours pas rassurée, encore moins en sentant ma poitrine trembler. Mais pourquoi je suis aussi stressée ? Mes mains sont moites et la chaleur m'étouffe à pleins poumons. Je dégage un peu mes cheveux mais je peine à respirer, la poitrine s'abaissant rapidement.
— Tu..., commencé-je mais ma voix flanche et part dans les aigüs, mal assurée.
Je ferme les yeux pour me calmer et reprends en m'éclaircissant la voix :
— Tu as envie...d'en parler ? Les amis peuvent se confier.
Il se fige, ce qui me met sur mes gardes. Il l'a mal pris ? Il relève ses beaux yeux gris vers moi et sourit doucement, un petit rire qui ébranle son torse.
— On est amis ? demande-t-il.
— Bien-sûr... Si tu ne veux pas en parler, je comprendrais.
— Non...non c'est bon. Je suis simplement content que tu me considères comme ami.
Je souris pour lui montrer que je le pense sincèrement et ça semble porter ses fruits puisqu'il me le rend, mais je sens quand même derrière une pointe d'amertume.
— Mes cauchemars ont changés. Ça ne m'était pas arrivé depuis la mort de ma mère. Je... Je voyais toujours une fille... Une fille aux cheveux blancs disparaître en fumée et moi... Avec du sang sur les mains. À part elle, tout était flou. Mais maintenant...
Il s'arrête, les traits plissés. Je le regarde, un peu étonnée. Je n'aurais pas cru qu'il se confierait vraiment. Est-ce grâce à la chaleur du lieu qui nous entoure, telle un cocon ou bien ma présence réconfortante ?
— Je ne peux pas dire à ma famille que je me rappelle maintenant du jour où ma mère est....morte.
Sa bouche n'a plus rien d'un sourire. Il grimace, le visage hanté par quelque chose que ni lui ni moi ne pouvons arrêter. Je serre les lèvres, touchée par sa peine. C'est impossible à contrôler, mes yeux me piquent un peu mais je ne peux pas me laisser aller alors que je le vois soudainement pâle et terrassé.
Je regarde de droite à gauche car je ne sais pas quoi dire. Comment je pourrais le réconforter ? Quels mots seraient adéquats pour sa situation ? Un pauvre "je suis désolée" ? Ça me semble bien pathétique. Quoi que je dise, ça ne changera rien. J'ouvre un peu la bouche pour dire quelque chose quand il me coupe en murmurant, les paupières fermées :
— Merci. Ta présence suffit.
J'essaie de lui offrir, après ça, un sourire qui se veut réconfortant mais je ne saurais jamais s'il l'était car il s'endort après ça, comme s'il n'avait attendu que ça. Qu'une oreille attentive l'écoute et la chaleur d'un corps le réconforte. C'est horrible. Sa mère... Voir mourir sa mère à un si jeune âge, devant ses yeux. Mes mains tremblent un peu mais je refoule ça en touchant mes cheveux.
Je ne veux pas penser à la douleur qu'il a dû ressentir. Ma mère... Même si ça n'a jamais été une vie heureuse avec elle, sa mort me dévasterait. Automatiquement, je tourne la tête vers la fenêtre, inquiète. Où peut-elle bien être ? Elle va bien ? Je secoue la tête et reporte mon attention vers le jeune homme à mes côtés.
Je crois...une douleur sourde résonne dans mon cœur. Je fronce des sourcils... Ça signifie quoi ? Je le regarde et je crois qu'il ne se rend pas compte de sa beauté, assis là, des mèches grises lui barrant le front. Il est beau. Pas mignon, beau. Ma main s'élève de toute seule mais avant que je me rende compte de ce que je suis en train de faire, je me penche sur lui et j'écarte une mèche en souriant.
Puis je me fige et observe ma main, les sourcils froncés. Mais que... Je recule, comme piquée par les ronces d'une plante. Ça fait mal... Je secoue la tête. Mais je deviens folle. Je me relève d'un coup et éteins la lumière avant de monter l'étage, le cœur toujours bizarre et...dérangé.
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