Chapitre 27
125 jours
Assises autour du îlot, dans la cuisine, Alexia me regarde avec une grimace. Mon dos et mes articulations me font mal mais je mets de côté la sensation. J'ai l'impression qu'on m'a tordu dans tous les sens pour me plier à sa guise. Je lui ai expliqué vaguement que ça n'allait plus vraiment entre Darrow et moi quand elle a remarqué la tension qu'il y avait entre nous. Il faut dire que mes sentiments sont bien trop mitigés pour Darrow. Je ne supporte pas qu'il dise du mal d'Alexander, qui ne lui a strictement rien fait mais...
Une question demeure. Et s'il avait raison ? Je secoue rageusement la tête. Et voilà ! À chaque fois, il m'oblige à douter du jeune homme. Tellement que c'en est agaçant. Malheureusement, je n'ai pas pu dérogé à l'entraînement et Darrow a rapidement compris qu'il n'aurait pas dû aller aussi vite pour m'apprendre à me battre.
Il m'a d'abord montré les mouvements à faire puis me les a fait reproduire. Cinq jours que je m'applique à ne pas le regarder tout à fait dans les yeux. Je ne sais pas vraiment si je lui en veux ou bien s'il a eu raison de me mettre en garde. Malgré ça, un malaise subsiste entre nous.
— Ça va aller ? Tu veux que je lui en parle ? Je peux lui dire de faire attention.
Non. La moindre des choses est d'envenimer la situation. Ça ne concerne que Darrow et moi, et peut-être aussi Alexander mais il n'en sait rien.
— Ne t'inquiète pas. Je vais essayer de..., grimacé-je, d'arranger un peu les choses.
Alexia me sourit et pose une main réconfortante dans mon dos pour me soutenir. Je lui en suis reconnaissante même si je ne sais pas comment je vais faire pour tenir tête à Darrow comme la dernière fois. Je crois bien que ça relevait du miracle, moi qui préfère m'écraser lors d'un conflit. Mais cela doit cesser. Je suis certaine qui si je ne m'affirme pas, je ne survivrai pas. Je ne m'attends pas à ce que tout le monde soit à l'écoute de mes désirs, de ce que je ressens, de ce que je pense.
Je souffle un bon coup et souris une dernière fois à mon amie pour ne pas l'inquiéter avant de me diriger pour dépasser la porte. Cependant, avant de la franchir, je cherche du regard une dernière fois le salon pour voir si Alex ne serait pas descendu ou bien s'il se cache. Je me mords la lèvre en me demandant où il peut bien être.
La dernière fois que je l'ai vu, on avait tous fini de manger et je rigolais avec Jam quand j'avais vu qu'il était en train de dessiner. Intriguée, j'étais allée m'assoir à côté de lui pour regarder. Visiblement, ça ne l'avait pas gêné pour un sou. Au contraire, un sourire avait pris place sur son visage et j'observais comment il dessinait les contours d'une cabane, dans les bois. Je me doutais bien que c'était celle que j'avais aperçu mais pourquoi ? Néanmoins, Alex avait un véritable talent pour dessiner et il transportait parfois des pinceaux pour peindre dans la maison.
Je lève les yeux vers les escaliers mais je n'entends aucun bruit à l'étage. Peut-être est-il retourné avec Indrik, celui que j'ai deviné être son meilleur ami. En soupirant, je me dis qu'il est l'heure d'y aller sous peine de réprimande.
Je traverse la place de la meute où certains me regardent d'un œil, d'autres me sourient chaleureusement, pour rejoindre Darrow dans les bois. Mes jambes manquent de fléchir après tout le sport que j'ai fait. Je n'ai franchement pas l'habitude et elles non plus. Je m'empêche de grimacer à chaque pas. Je finis par déboucher et vois Darrow courir. Je souris en pensant qu'il doit se préparer.
Évidemment, lui, n'a pas mal et s'entraine même avant le vrai. Quand il m'aperçoit, il sourit doucement.
— Tout va bien ?
— Oui.
Son sourire part vite. Oui, je ne suis toujours pas aussi gentille qu'avant et cela va durer un petit moment. Je ne vois pas du tout ce qui pourrait me faire changer d'avis. J'ai besoin de temps pour vérifier si Darrow dit vrai mais je penche plus pour Alex. Ma conscience me souffle que c'est le bon choix et que Darrow est peut-être un tantinet...jaloux. Je ne l'espère pas, autrement je serais bien gênée par son attention.
— On commence ?
Lui non plus ne joue pas dans la chaleur. Chaque fois que je me montre simplement froide, il se braque et me traite avec la même façon ; pas que je m'en plaigne mais j'ai bien l'impression qu'il nous sera compliqué de résoudre nos différents. Ce n'est pas parce qu'il est le meilleur ami d'Alexia qu'il est le mien. Même si mon amie passe le plus clair de son temps avec lui — quand il peut —, personnellement, je ne veux pas.
— Oui, je suis prête.
Je lui sers un regard déterminé pour bien appuyer que je peux, malgré les muscles douloureux. De nouveau, je fais mon enchainement et Darrow jauge d'un oeil attentif, d'ailleurs un peu trop scrutateur.
— T'as retenu, c'est bien. Maintenant, tu dois essayer de me toucher, explique-t-il en se mettant face à moi.
Je ne me retiens pas. Je tente plusieurs coups, notamment un crochet mais il les esquive très facilement. Pas très étonnant. J'ai la force d'une crevette...ou d'une plume ! Je pourrais continuer longtemps, que ça ne lui demanderait aucun effort. Nous continuons comme ça jusqu'à épuisement.
J'ai l'impression d'avoir couru un marathon et mes jambes me font aussi mal que la veille. J'hésite entre m'écrouler ou demander à Darrow de bien vouloir m'accorder une pause quand quelqu'un, que je ne reconnais pas, s'avance vers le bêta avec un sourire large. Il me salue d'un hochement de tête puis murmure quelque chose à l'oreille du jeune homme.
Je soupire et leur tourne le dos. À chaque fois c'est la même chose. Ils ne peuvent même pas faire ça plus discrètement. Derrière moi, j'entends Darrow parler dans une langue que je reconnais mais dont je ne comprends rien :
— Yes, it's okay Jude.
Puis son ami repart comme il est revenu. Je reconnais la langue : l'anglais. Cela me fait tellement bizarre d'entendre une autre langue que le français. Et plus que tout, je me sens impuissante face à mon incompréhension.
— Désolée, c'était important, m'informe le jeune homme.
— Aucun problème, c'est normal... Tu parles anglais ?
Il se retourne vers moi avec un demi-sourire mystérieux que je trouve assez ridicule. S'il essaye encore de se la jouer intéressant, ça ne marche pas sur moi. Ses petits sourires enjôleurs, sa proximité, ça ne me fait plus rien. Dès qu'il a commencé à critiquer Alex, ça a été comme une douche froide, et ça fait un bien fou. Je déteste être gênée pour tout et pour rien même si je ne peux pas le contrôler.
— Tu ne savais pas ? Tous les bêtas ainsi que l'alpha et sa famille doivent savoir parler anglais car ça arrive qu'on accueille des nouveaux là pour l'été. On est en paix avec les meutes Ouest et Est — sauf bien sûr celle du Nord — ainsi que d'autres meutes en Amérique par exemple donc parfois on reçoit des loups là-bas qui viennent visiter ou apprendre chez nous.
— Vous faites des échanges c'est ça ? je demande, bouche-bée.
Je trouve ça incroyable que les loups d'autres continents puissent venir ici ! Pouvoir voyager, c'est déjà inimaginable pour moi. Je me demande ce que ça doit faire, de vivre autre part qu'en France, dans un pays différent, avec des gens et des cultures différentes.
— Oui. Quelques uns parmi la meute savent aussi parler anglais mais ce n'est pas obligatoire. Il arrive aussi que des loups quittent leur meute pour venir dans la nôtre.
Je hausse les sourcils. Je ne l'avais pas remarqué, même si je sais que je suis nouvelle.
— Vraiment ? Ils ont le droit ?
— Bien sûr, m'affirme le blond. Tu es libre de quitter une meute ou d'y rentrer. C'est ton choix. C'est ce que j'ai fait.
Je tourne vivement la tête vers lui, surprise qu'il ose dire quelque chose sur lui. Je l'ai entendu rarement évoquer son passé avant d'entrer dans la meute du Sud. Je pense, évidemment, que Alexia doit en savoir plus que moi vu que c'est son meilleur ami alors que je viens à d'arriver il y a presque un mois. Le temps passe si vite...
— C'était il y a sept mois. Ma vie dans la meute de l'Ouest était invivable et il arrive souvent que y'ait des visites d'alphas étrangers. J'étais martyrisé par ma meute...et personne ne faisait rien. Tout le monde voulait qu'on disparaissait et ils faisaient tout pour qu'on soit à bout et qu'on abandonne. Mais nous n'avions rien à part la meute.
Il serre la mâchoire et baisse la tête pour ne pas avoir, sûrement, à croiser mes yeux. Il a encore ce tic quand il est stressé. Sa voix n'est plus qu'un long murmure entre ses lèvres.
— Puis Rodric est arrivé et il m'a aidé. Je n'aurais jamais cru y arriver mais il m'a permis, à ma sœur et à moi, de quitter la meute. Rodric a essayé de raisonner l'Alpha mais il n'a rien voulu savoir... On n'en pouvait plus, alors on a suivi Rodric et on est parti, sans aucun regret.
Les épaules affaissées, il fixe le sol avec application, les sourcils froncés. Je m'empêche de grimacer et de le mettre plus mal qu'il ne l'est. Personne ne mérite d'avoir souffert autant. Je lève ma main pour l'abaisser sur son épaule en signe de soutien mais je me retiens au dernier moment, incertaine. Quelque chose me retient, sans que je ne sache pourquoi. J'aimerais, mais je ne peux pas.
La main tremblante et la gorge nouée, je le laisse tomber et reste simplement à côté de lui.
— Je préfère qu'on change de sujet... D'ailleurs, je n'ai pas continué ce que je t'avais dit la dernière fois. Tu veux entendre la suite ?
Je cligne des yeux. Le changement très abrupt de la conversation me laisse pantoise et puis... J'hésite. Je sens que cette histoire ne va pas être jolie et Darrow me semble si perdu dans ses pensées que je me demande si c'est une bonne idée. Mais en même temps, j'ai tellement envie d'entendre la suite, de savoir ce qui est arrivé au spectre qui me suit.
— Vas-y.
Ses lèvres s'étirent doucement mais c'est teinté de mélancolie. Doucement, le peu de légèreté dans l'air s'en va et j'ai comme cette impression que l'ambiance s'alourdit. La gêne prend doucement place entre nous et le silence fait office de barrière. Quand je me demande si je dois esquisser un geste, dire quelque chose, Darrow agit avant moi. En déglutissant, je m'éloigne un peu de lui, ce qu'il ne semble pas remarquer — heureusement —. Encore une fois, ne pas le voir chaleureux, gentil, actif, me laisse un étrange goût amer dans la gorge, comme s'il avait enlevé son masque. Sa voix grave est dépourvue de chaleur, remplacée par un vide aberrant quand il murmure.
— La déesse a fini par se marier avec Alexander mais ça a rendu Léo fou de rage et il s'est trouvé une sorcière pour lancer la malédiction sur Léana. Il a maudit la Luna ainsi que toutes les louves de sa famille. Pour elle, la malédiction était beaucoup plus forte, au point que toutes les créatures qui n'étaient pas des loups mouraient à seulement quelques mètres. La végétation n'y a pas échappé non plus et elle a semé la mort.
Je serre mes mains entre elles. Comme je m'en doutais, son histoire est terrible et tellement triste. Mais alors pourquoi mon cœur se serre ? Je ferme les yeux en espérant que la suite n'est pas aussi horrible. Je ne veux pas penser à son spectre qui déambule sans la moitié de son âme. Non... Je ne souhaite pas porter de fardeaux pourtant... Qui pourra aider la déesse ? C'est une déesse ! Comment peut-elle avoir besoin d'aide ?
— Mais c'est une déesse... Elle ne peut pas se protéger de ça ?
Darrow s'esclaffe mais ce n'est que...par pure consternation.
— Les déesses sont simplement au-dessus des loups-garous et des humains, ainsi que de toutes les autres créatures, comme leurs autres dieux. Mais elles ne sont pas au-dessus des lois de la nature et les sorts en font parti. La loi du plus fort. C'est ça la nature.
Darrow, sans qu'il le sache, m'apporte des informations capitales. Je ne réponds rien, dans l'attente qu'il continue ce qu'il a commencé.
— Finalement, Alexander et elle se sont terrés dans leur maison comme des rats. Léo n'a pas aimé. Il voulait absolument Léana pour lui alors il a tué Alexander quand sa sorcière lui a lancé un sort paralysant. Seulement, comme il était certain que Léana était son âme-soeur, il n'a pas pensé au fait qu'elle allait mourir avec lui.
Horrible. Toute sa vie, elle a été battue par sa mère simplement pour sa différence et des pouvoirs, ce qui l'a obligée à fuire. Puis quand elle a enfin rencontré celui qu'elle aimait, on l'a maudite et on lui a tout pris. Sa meute, son âme-sœur, sa vie. Je ne peux que compatir pour cette vie de malheur... Elle qui voulait vivre heureuse sur terre, elle n'a connu que malheur, désolation et mort. Ça me touche, surtout quand je la revois dans mes rêves. Ses blessures, sa rage, tout revient comme un boomerang. Je sens mon cœur se serrer et je baisse la tête. Aurais-je la force de la revoir en face et d'y voir tout ce que m'a raconté Darrow ? Non...je n'y verrai que tristesse dans ses prunelles vertes.
— L..la pauvre.., je balbutie, les larmes aux yeux.
— Elle doit se souvenir de tout ça...
— Oui et c'est horrible. Parce que ça ne partira jamais.
— Mais elle reviendra, j'en suis sûre. Tout le monde attend leur retour. Ils sont le symbole des loups-garous.
J'acquiesce mais le cœur n'y est pas. Elle ne peut pas revenir.... Ça lui est impossible car je ne pourrais pas l'aider. Je le sais.
— Hé les gars, comment ça se fait que vous êtes si sombres en cette heure de la journée ? Hé toi chérie, pourquoi tu fais cette tête de frustrée ? Faut pas trainer avec Darrow, il serait du genre à te rendre terne.
À peine je l'ai entendu que je reconnais tout de suite la voix optimiste de Indrik. Il marche vers nous, un grand sourire aux lèvres. Une fois m'a suffit pour savoir que c'est quelqu'un qui aime taquiner pour la simple et bonne raison de nous voir rager. Mais voir Alex derrière lui qui le suit me rassure un peu.
Je ne l'avais pas vu aujourd'hui et je ne vais pas mentir en disant que ça ne m'inquiétait pas, lui qui passe son temps à dessiner dans chaque recoin de la maison. Indrik, lui, continue de nous sourire. Je déglutis difficilement. Il ne s'en rend pas compte, mais sa question n'arrange pas les choses. Je laisse quelqu'un d'autre se charger de répondre.
— Et toi, pourquoi t'es si lumineux ? rétorque Darrow en souriant, pas le moins du monde vexé.
En même temps ce serait compliqué de lui en vouloir. Il ne fait que plaisanter.
— Oh. Ça fait mal que tu me connaissais pas si bien que ça, mon cher bêta ! C'est mon quotidien enfin.
Un sourire narquois est peint sur son visage quand il vient s'assoir à côté de moi.
— Alors, t'as bien travaillé ?
— J'ai mal partout, grogné-je doucement.
— Maintenant tu sais ce que ça fait de bosser.
Parfois, son humour me laisse de marbre, par manque d'habitude je suppose. J'ai toujours été entourée par mes parents qui sont très sérieux alors je ne sais même pas comment réagir. Je souris mélancoliquement en secouant la tête pour éviter qu'il ne remarque mon manque de répartie. Mais je suis un livre ouvert, alors il a dû sûrement déjà me cerner.
— Parce que tu crois que t'es mieux toi ? sourit Alexander.
Je dirige mon regard vers lui, un peu surprise. Ce n'est pas la première fois que je le vois rigoler mais seulement avec les membres de sa famille. Il doit vraiment être très proche — plus que je ne le croyais — de Indrik.
— Ah mais moi, je surveille les frontières.
— Je suis impressionné mon ami, tu peux pas savoir comment.
Je serre les lèvres pour m'éviter de sourire. Ces deux-là ensemble, j'ai bien l'impression qu'ils se battent toute la journée.
— Parfois, vous faites autre chose que de vous amuser à vous lancer des piques ? questionné-je.
— Il n'y a personne au monde que j'adore faire chier plus que Alex.
Je ris doucement tandis que l'intéressé grogne quelque chose à son adresse. Je coule un discret regard vers Darrow mais il est renfrogné, visiblement irrité que les deux loups nous aient interrompus. Franchement, je trouve ça ridicule de sa part alors qu'il pourrait prendre part à la discussion et rigoler lui aussi au lieu de se mettre lui-même de côté.
La journée se termine ainsi. Je reste avec le fils de l'alpha et son meilleur ami, à l'aise tandis que Darrow a fini par lever le pied sans un seul mot, sans un seul regard. Heureusement, ça ne me fait ni chaud ni froid car depuis qu'il a critiqué Alexander, je me sens mal à l'aise à ses côtés.
Le soleil décline quand nous décidons tous les trois de rentrer.
—
Bonjour ! Je m'excuse encore une fois pour le retard 😔 J'espère vraiment que ça se calmera à l'arrêt des notes. Après je vous avoue que j'ai du mal à écrire ces temps-ci, ce qui ralentit mon écriture alors même que je m'y prends à l'avance. Merci pour votre patience. Surtout n'hésitez pas à voter et à commenter, ça me fait très plaisir !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top