Chapitre 26

Darrow ne me regarde pas dans les yeux et ça me dérange plus qu'autre chose. Comme s'il avait quelque chose à cacher. Cependant, ma question est peut-être déplacée. Je n'en n'ai aucune idée, j'ai juste demandé.

— Désolée si c'était déplacée, je m'excuse en grimaçant.

Loin de moi l'idée de vouloir le mettre mal à l'aise. J'ai ressenti tellement de fois ce sentiment ces trois dernières semaines que jamais je ne souhaiterai donner ce sentiment à quelqu'un d'autre.

— C'est pas grave, c'est pas vraiment déplacé. Tu es juste très curieuse.

— Et c'est un crime ?

— Non, mais fais attention. C'est déplacé dans certaines situations, explique-t-il en me jetant un coup d'œil rapide. Pour te répondre...

Il soupire une nouvelle fois. Il n'a clairement pas envie d'en parler, et ce qui le trahit n'est autre que sa mine tracassée ainsi que le tic qu'il a de serrer la mâchoire à chaque fois qu'il est stressé ou gêné.

— Ne le répète à personne, c'est bien clair ?

— Oui, bien sûr !

— Non, je veux que tu me le promettes. Si tu le dis à quelqu'un, je peux en pâtir alors que ce n'est que mon avis personnel.

Il me fixe avec insistance et cela ne me rassure pas vraiment. Je peux comprendre qu'il veuille que je lui promette de n'en parler à personne mais je trouve qu'il insiste bien trop. Je déglutis, le cœur quelque peu tremblant. C'est tout mon torse qui suit le mouvement mais j'espère que ça ne se remarque pas.

Je ne suis pas rassurée. Pas du tout. J'exagère peut-être mais sa peur me laisse stressée. Que pourrait-il subir s'il disait vraiment ce qu'il pensait sur Alex ? Sont-ils méchants ? Non, impossible. Je souffle... Pourquoi un rien me met-il dans tous mes états ?

Je ne comprends pas vraiment. C'est pourquoi je lui réponds :

— Promis. Je serais aussi muette qu'une tombe.

— Bien, fait-il en hochant de la tête. Je déteste Alexander. C'est un fait et je ne peux rien changer. Je ne l'aime pas parce que je sens qu'il n'est pas sincère et qu'il cache quelque chose. Plusieurs anciens ont entendu parler des cauchemars de Alex mais Rodric refuse d'en parler, prétextant que ce n'est rien. Il est aussi froid, il ne sourit jamais. Je suppose que c'est son caractère mais ça m'empêche grandement d'être ami avec lui. Il ne se bat jamais. Il a toujours évité les combats et je te le dis, pour un futur Alpha, il est mal parti.

Pour bien appuyer ses propos, il vient donner un coup de poing contre un mur, les veines gonflés et les sourcils froncés en une moue colérique. Quant à moi, je serre les dents. Je ne sais pas ce qui m'arrive mais ses propos sont profondément injustes ! Je n'aurais pas dû poser cette question. Non. Parce que maintenant, je sens la rage monter dans mon corps peu à peu. De quel droit critique-t-il cela ? Tout le monde n'est pas forcément une grosse brute ! Les mains toujours, tremblantes, j'attends qu'il termine.

— Ça m'énerve rien que d'y penser parce qu'il fait la poule mouillée. Il est lâche et ne veut jamais se battre, même quand c'est lui qui provoque les problèmes. Il part toujours on ne sait où et il n'est pas forcément gentil avec son père. Alexander n'est pas forcément honnête. Enfin, ça c'est l'impression que j'ai. Bref, tout est réuni pour que je puisse pas l'apprécier. Et ne t'inquiètes pas, lui non plus visiblement.

Je me lève précipitamment. Je ne connais peut-être pas Alex depuis longtemps mais je l'ai vu sourire. Je l'ai vu sortir un peu de sa froideur et parler alors qu'il aurait très bien pu m'ignorer comme semble si bien le dire Darrow. C'est sûrement à cause de personnes comme Darrow qu'il ne s'ouvre pas !

— Tu te trompes. Il n'est pas si froid que tu le crois !

— Qu'est-ce que t'en sais ? s'esclaffe le jeune blond. Évidemment qu'il a été moins froid avec toi. Ça se trouve, c'est parce qu'il a un faible pour toi. Mais tu n'as pas vu le reste. Après, tu fais ce que tu veux mais moi je le pense.

— Ce n'est pas...

Ma gorge se bloque. Darrow se met vraiment à raconter n'importe quoi ! Tout d'abord, je suis sûre que Alex ne se laisse pas marcher sur les pieds et qu'il n'est pas faible. Ne pas se battre ne veut pas dire qu'il l'est ! Et...non, nous ne connaissons depuis seulement trois semaines, comment pourrait-il avoir déjà des sentiments pour moi ? Impossible. Je n'y crois pas. Darrow ne peut pas s'empêcher de débiter des bêtises depuis tout à l'heure. Il semble prêt à prendre tout ce qui s'offre à lui pour justifier le comportement qu'à Alex envers moi et appuyer ses propos.

Je n'aurais jamais dû poser la question. Maintenant, j'en suis certaine.

— Arrête Darrow. Ce n'est pas parce qu'il ne veut pas se battre qu'il est faible.

— Je n'ai jamais dit ça ! s'exclame soudainement Darrow. Seulement, s'il pouvait éviter de créer des problèmes pour se casser après, ça irait à tout le monde. À chaque fois, c'est son père qui s'en charge à sa place. Ça commence à me gonfler.

J'expire bruyamment. Qu'est-ce qu'il peut être chiant ! Je ne peux pas le laisser dire ça. Une envie irrépressible de le remettre à sa place pointe en moi mais je perds tout un coup mes mots. Rien ne me vient. Il m'est impossible de lui dire ses quatres vérités et l'injustice qu'il distribue gratuitement.

Je ne reconnais plus mes propres sentiments. Je ne comprends pas pourquoi je me mets autant en colère en sentant cette boule chaude dans mon ventre. Mais qu'il s'en prenne à Alex m'énerve à un point que je ne peux exprimer. Et si Alex était simplement comme moi ? Incapable de montrer ses sentiments ? Je me reconnais mais cela n'explique pas ma colère.

Tout à coup, une idée perce dans mon esprit. Et si ? Et si Léo s'y cachait derrière ? À amplifier tes sentiments ? Non ! Non non ! Je palpe quasi-instantanément mon ventre et quand je le trouve, le collier attaché autour de mon ventre, je me détends rapidement. Je suis encore en train de paniquer pour rien... Mais cette fois, cette colère débordante vient bien de moi.

Je dois me calmer et ce ne sera pas possible avec Darrow dans les barrages, toujours en train de m'observer, les sourcils froncés en me voyant faire.

— Ça va ? demande-t-il, consterné.

Je respire un bon coup avant de lui offrir un regard noir. Je le pensais plus gentil, ou du moins, moins à cheval sur cette bêtise qui stipule qu'un alpha doit forcément se battre. Je suis sûre que Darrow prend pour de la lâcheté ce qui est tout autre. Je respecte son avis mais ça frise la méchanceté.

— Je vais prendre l'air, dis-je avant de prendre le chemin de la forêt.

— Léana, attends ! Je ne voulais pas te blesser, excuse-moi.

Il aura beau le faire plusieurs fois, je ne veux pas y faire attention. Son avis ne m'intéresse pas plus que ça et je refuse de continuer à entendre — à tolérer — ces absurdités sur Alex. Sur le coup de colère, je brûle d'une envie irrésistible d'aller dire tout à l'Alpha ou même au concerné mais j'ai promis, je suis donc obligée de m'abstenir...

Je m'en vais le plus loin possible, loin des cris de Darrow qui me vrillent les oreilles. Je ne sais pas où me diriger mais le chemin par lequel est passé Alex m'apparaît... Je fronce des sourcils. Je ne devrais pas mais une petite idée me chatouille l'esprit et me souffle de le suivre. Ma curiosité me pousse à franchir les bois. Je me dirige, sans même savoir comment. Simplement mon instinct qui me conduit. Il est presque impossible de se repérer dans ces bois, à perte de vue, quand on connaît pas très bien le chemin. Mais du bruit me fait tendre l'oreille et je m'approche.

Je finis par déboucher sur un petit endroit tranquille où le silence règne en maître. J'observe mais ne vois rien. Il y a simplement une petite cabane au loin et une rivière s'écoulant tranquillement. Seules des branches nous entourent et on n'y voit que du vert. J'écarte quelques mèches derrière mon cou avec la chaleur qu'il fait. Non pas qu'elle soit étouffante, mais avec les cheveux lâchés, j'ai l'impression d'être toute chaude.

Toujours aucun signe qu'Alex soit là. En soupirant, je me dis que je me suis sûrement trompée, vu mon talent indéniable pour le sens de l'orientation... Cependant, au moment où je m'apprête à retrousser chemin, j'entends des rires discrets vers la cabane. Je m'arrête et me retourne pour me diriger discrètement vers celle-ci. Je ne préfère pas me faire avoir...

La cabane semble s'effondrer au vu de son aspect plus que usé. Le bois marron est sali et brisé à certains endroits. Je ne suis pas sûre qu'elle pourrait résister à une bourrasque de vent. Un rire soudain m'arrache à la contemplation de la pauvre cabane. Je tourne la tête et ce que je vois me coupe le souffle.

Alexander rit doucement, les jambes croisées, les pommettes hautes, toutes les dents dehors. À cet instant, sous le soleil, il est éclatant, avec ses cheveux gris, ses yeux ternes et son sourire magnifique. Sa beauté ne me laisse indifférente, je le sens à mon cœur qui commence à s'affoler. Le voir ainsi, heureux, me fait plaisir ; surtout quand je pense à ce qu'a dit Darrow. Ma gorge reste coincée. Mais le pire n'est pas là... à ses côtés, un garçon d'à peu près son âge, que je n'ai jamais vu.

Brun, il est plus petit qu'Alex, ce qui fait qu'il lève constamment la tête. Son air est nonchalant, comme s'il était lassé. Il regarde quelque chose que lui tend son ami, ce que je devine être un dessin. Mais je ne peux pas m'attarder dessus car ce qui me serre le ventre, ce qui me gêne n'est pas ça. La raison est assise juste à côté de Alexander, avec ses éternels longs cheveux blancs qui descendent en cascade. Ce même air familier et ces pupilles vertes. Elle est encore là.

Je me recule. J'y crois pas ! Partout où je vais, elle va, décidée à s'accrocher comme moi comme un fantôme. Elle me hantera jusqu'à ce que j'accepte sa demande... Mais c'est non. Je n'ai absolument rien demandé ! Je n'ai pas demandé à ce qu'on m'envoie loin de chez moi, malgré la liberté dont je jouie, je n'ai jamais demandé à sauver tout le monde. Je ne cherche pas les responsabilités.

La jeune femme observe, le sourire aux lèvres, Alex parler. Je vois cette lueur dans ses yeux. Cette lueur d'un amour passionnel. Je déglutis, un pincement me traversant le cœur. Mais pourquoi ? Non seulement elle me veut pour l'aider mais les supposés sentiments du jeune homme sont réciproques... Je ne reste pas là une seconde de plus, non, car ça me pince. Je prie plus que tout pour qu'elle ne me suive pas. Malheureusement, mes prières ne sont pas entendus.

Dès que je me retourne pour marcher le plus vite possible, je jette un coup d'œil derrière mon épaule et remarque sa silhouette blanche me suivre. Je soupire en serrant les dents. Elle ne voudra jamais me lâcher. Quelle idée d'avoir écoutée ma curiosité ! Maintenant je le regrette, en sentant cette boule dans mon estomac. 

— Léana...m'appelle-t-elle doucement.

Mais je secoue la tête. Je refuse de l'écouter et encore moins de lui parler. Je ne suis pas du genre à m'imposer mais je ne veux pas qu'on me dicte quoi faire à ce point. Ma vie est assez dirigée par les autres. Je n'ai pas besoin qu'un fantôme hantant cette meute et mes rêves viennent en rajouter une couche. Je finis par m'arrêter à l'orée des bois mais je ne l'ai pas semée. 

— Pars ! je lui ordonne.

Ma voix est un grognement sourd.

— Je ne peux pas Léana, sursurre-t-elle.

Mon cœur continue son battement éffrainné. Elle... Elle connait mon prénom  ! Le vrai ! Dans sa bouche, il me paraît si étranger... Comme s'il ne m'appartenait pas. Je n'oublierai jamais que je porte son prénom... Comme si cela ne suffisait pas qu'elle me poursuive.

— Si, pars.

— Je ne peux pas, répète-t-elle. J'ai besoin de ton aide. J'ai perdu la moitié de mon âme et je n'arrive pas à la récupérer.

Pourquoi ? POURQUOI ? Voilà la grande question. Je ne suis qu'une humaine pour l'instant. Et je doute même, qu'en devenant une louve comme me l'a dit Alexia, je puisse l'aider. Je n'ai pas de quelconque pouvoirs. Absolument rien.

— Je ne peux rien pour toi ! Allez laisse-moi en paix, une bonne fois pour toutes.

— Ça m'est impossible.

Je soupire. Si ça continue, je sens que je vais perdre le peu de sang-froid qu'il me reste. Je ne peux pas l'aider et je n'ai surtout pas l'envie. Qu'elle me laisse tranquille, à rester autour de Alex.

— Quelqu'un d'autre peut t'aider, ne fais pas semblant.

Elle fronce des sourcils et me regarde d'un air incrédule, ce que je ne comprends tout bonnement pas. Quoi ? Ce n'est pas vrai, ce que je dis ? Elle pourrait se faire aider par d'autres personnes qui elles, seront peut-être d'accord. Je suis sûre que toute la meute du Sud — et même les autres lui vouent un culte sans précédent. Alors pourquoi moi ? Mais ne n'ai pas besoin de lui demander, la réponse choquante me vient tout juste après.

— Tu es la seule à me voir, révèle-t-elle.

Son visage reste stoïque, ne révélant plus aucune émotion. Moi, je me sens mourir de l'intérieur. Non... Je ne peux pas le croire. Je refuse d'être celle, qui, inévitablement, est la seule à pouvoir aider.

— Impossible, je grogne.

Elle offre un air triste car elle sait que malgré mon refus d'y croire, au plus profond, elle a raison. Cela explique pourquoi — je m'en doutais — Alex et son ami ne pouvaient pas la voir. Pourquoi elle s'adresse à moi seule. Seulement, je ne veux pas avoir ce poids. Non ! J'ai déjà celui d'une mort qui pèse sur ma conscience.

— Je ne veux pas, je murmure, la voix cassée.

Elle ne répond rien puis me dit quelque chose qui me laisse de marbre :

— N'oublie pas Léana. Le loup revient toujours vers sa proie.

Je fronce les sourcils, le coeur déjà assez douloureux mais je ne comprends tout bonnement pas ce qu'elle veut me dire implicitement. Veut-elle dire par là que Léo me traquera toujours ? Je me sens pâlir aussi vite qu'un mort.

Léana Ier m'offre un dernier sourire que je sens mélancolique avant que je ne la vois disparaître. Je tends machinalement le bras vers elle mais c'est trop tard. Elle a disparu en milliers de fragments de magie.

— Non ! je crie.

Mais c'est bien trop tard. Cette fois, elle est bien partie. Dire qu'au début, c'est tout ce que je voulais... Maintenant je ne désire plus que de savoir de quoi me parlait elle. Je ne suis pas au bout de mes réponses et je ne le serai jamais. Je ne connaîtrais jamais la vérité, c'est certain... Car tout le monde jugera bon de me tenir loin de la vérité.

— Léa ?

Cette voix est comme un coup de massue. Elle me tire de mes pensées et je me retourne en déglutissant car je sais déjà que c'est Alex et son ami inconnu qui s'avancent vers moi. Une fois en face de moi, je leurs souris. L'ami de Alex fait un grand sourire avant de demander :

— Hé, mais tu serais pas...?

Mais visiblement, il s'arrête en plein milieu, son sourire s'efface et il fronce des sourcils. Je vois Alexander se retenir de jeter un regard incendier à son ami et je me retrouve de nouveau à ne rien comprendre à la situation. Quelque chose m'échappe... Et ça me met mal à l'aise.

Je repense soudainement à ce que m'a dit Darrow, que Alexander cachait quelque chose. Le grimoire aussi me revient en mémoire. Ça ne fait qu'accentuer mon malaise mais je me dis que Alex, ça se trouve, ne fait rien de mal.

Je regarde mes pieds mais je sais que ça ne va rien faire, alors je me décide, en prenant une grande respiration, de me lancer la première.

— Je suis ?

Il retrouve en un clin d'œil son sourire.

— La nouvelle, pardi ! Alexander, que je croise quelques temps à la limite du territoire, m'a dit que tu étais arrivé y'a trois semaines.

— C'est ça, je confirme doucement.

— Nous allions rentrés, tu viens ? me demande Alexander.

Je le regarde mais tout ce qui je revois, c'est son grimoire. Saleté de Darrow... Non. Je veux lui faire confiance. Je suis sûre que c'était pour une bonne raison, même si mon esprit s'évertue à se méfier. Bon sang...

— Ouais je viens.

Je jette plusieurs brefs coups d'œil pour vérifier que la Luna est bien partie même si je connais déjà la réponse... Même si je n'en n'ai toujours pas tellement envie — je peine à savoir ce que je veux —, j'essaierai de comprendre.

D'ici là, je dois prendre mon mal en patience et vivre avec l'idée qu'on me cache des choses. Et que je ne sais rien.

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