Chapitre 25
130 jours
— Je suis vraiment désolée Léa. Je n'aime pas trop lire.
Je suis assez déçue, mais je n'ai pas vraiment besoin de lui dire, je crois bien que ça se voit sur mon visage. Alexia fait en réponse une moue peinée et je sais qu'elle s'en excuse. Depuis quelques temps, je suis en manque de lecture et je n'ai emporté que quelques livres dans ma valise que j'ai relu et relu jusqu'à en faire une overdose. Maintenant, je ne supporte plus de voir ne serait-ce que leur couverture.
— C'est pas grave, je vais m'y faire.
— Ça se voit à ta tête que t'es déprimée Lélé.
Au début, ce nouveau surnom m'a beaucoup surprise. Je n'ai pas spécialement l'habitude qu'on m'appelle Lélé, surtout quand la personne ne connait pas mon vrai prénom... J'ai fini par m'y faire et je dois avouer que je l'apprécie. Après nos soirées à discuter, nos journées dans la forêt, Alexia et moi sommes plus proches que jamais.
C'est ma deuxième meilleure amie — rien ne remplacera Sophie — et je l'aime beaucoup. Heureusement, je ne peux pas la tuer, sinon je ne crois pas que je l'aurais supporté une seconde fois. Avec elle, j'apprends le sens d'une amitié puissante.
— Ouais mais on fait comme on peut. Je peux pas sortir, j'aurais dû prendre deux secondes pour réfléchir...
— Je ne vais pas te le cacher, me répond-t-elle sans masquer sa grimace apparente.
Elle a bien raison. Je vais devoir prendre mon mal en patience pendant plusieurs mois, peut-être plus. Je ne sais pas vraiment combien de temps je vais rester ici mais au bout du compte, je ne suis pas sûre que j'aurais envie de partir. Quelques fois je ne me sens vraiment pas à ma place mais l'endroit est chaleureux et magnifique. Peut-être que je viole cet endroit de ma présence.
Je secoue la tête. Je ne veux pas le sentir submergée de nouveau par cette culpabilité empoisonnante. Je suis arrivée ici par obligation. En quoi suis-je coupable ? Pourtant...Je dirige mon regard vers la fenêtre et vois une maman et ses deux enfants passer. Je me mets à sourire sans même m'en rendre compte quand l'un de deux enfants s'arrête et ramasse son jouet.
Le coin est vraiment tranquille et on a vraiment de tout. C'est un vrai paradis et rares sont les problèmes. Même si ça fait seulement trois semaines, je me suis beaucoup attachée à cet endroit, à ces gens et ces alentours. Si seulement je pouvais me sentir complètement à ma place à leur côté.
— Votre meute est vraiment génial.
Alexia sourit doucement et se tourne elle aussi vers la fenêtre.
— Je sais et j'en suis fière. Je me vois vivre nulle part autre.
Elle baisse un peu la tête et semble déglutir, cherchant sûrement les mots qu'elle m'adressera.
— Je sais que je ne devrais pas dire ça mais j'espère vraiment que ce sera aussi le cas pour toi. Je sais que tout ce que tu veux, c'est retrouver ta famille et moi, j'aimerais que tu restes ici, avec nous.
Avec sa main droite, elle se masse le front. Je ne peux pas m'empêcher de sourire en ressentant cette sensation familière. Celle d'une chaleur se logeant dans mon cœur. Alexia est tellement tournée vers les autres et donne le meilleur d'elle et rien que pour ça, je l'admire. Moi je ne pourrais jamais faire cela. En tous cas, pas à ce point... À ce moment-là, sa gentillesse et son amour me touche profondément et je focalise mes yeux sur sa main.
J'hésite. Je ne sais pas pourquoi. Comme si une barrière invisible, dont je ne sais d'où elle provient, se met juste devant moi. Mais je le veux. Je désire prendre sa main et lui montrer que son attention n'est pas vaine.
Allez, tu peux le faire !
Je déglutis, la gorge sèche. Comme à chaque fois, mon insociabilité me revient en plein visage et malgré toute l'affection que je me porte, c'est comme si faire un pas égalait un marathon. Mais je dois dépasser ça...Je le sais, je ne peux pas vivre définitivement sans pouvoir être toucher ceux que j'aime. Alexia ne peut pas mourir de ma main et elle ne pourra jamais. Puis, je dois bien aller vers les autres...Je respire un grand coup.
Doucement, la main un peu tremblante, je me penche vers elle et la pose dessus. La tête toujours baissée, Ale relève la tête, assez surprise. Aussitôt, je lui offre mon sourire le plus sincère.
— Ne t'en veux pas. Je crois que c'est normal de vouloir être égoïste. Moi aussi, je commence grandement à apprécier cet endroit même si ça fait seulement deux semaines que j'y suis. Ma maison me manque et mes parents aussi mais ici...Je suis plus libre.
Aussitôt que je l'ai dit, j'en prends conscience. C'est vrai. Chez moi, je n'étais pas aussi libre, je n'avais pas autant d'espace, j'étais seule, seule avec mes parents. Tandis que dans cette meute, je vois des gens, je parle à Alexia et j'entrevois plusieurs fois ce qu'est vraiment une famille. Surtout quand nous sommes tous réunis autour de la table, riant aux blagues de Jam ou aux grimaces de Kaïn. Je ne suis pas très proche de ces deux-là mais j'apprécie leur compagnie. Alexia ne manque pas non plus en racontent ses anecdotes qui n'appartiennent qu'à elle.
Je ne suis pas de cette famille, mais certains moments, j'ai l'impression d'y être et quand j'y repense, je me sens coupable. Comme si je n'avais pas le droit d'être ici. Après tout, ce n'est pas faux, ma mère m'a imposé ma présence dans leur petite famille. Malgré tout, ça ne leur dérange et ils font, sans même se rendre compte, tout ce qu'ils peuvent pour que je m'y sente bien. Jamais je ne suis mise à l'écart ou exclue des conversations.
Je ne peux pas m'empêcher de savourer cette liberté factice et oublier qu'un dangereux psychopathe me traque et cherche à m'avoir pour lui seul. Alors, quelques fois, je me permets de me sentir un peu chez moi et ignorer la culpabilité qui me chatouille l'arrière du crâne. Cependant, il faut que je lui demande.
— Tu es sûre que ça ne vous dérange pas ? Je veux dire, je ne suis pas d'ici, et on vous a imposé ma présence...
Alexia n'attend pas et me prend instantanément dans ses bras.
— Ne dis pas ça ! Tu fais partie de la meute. Tu es importante. Crois-moi, nous serions plus tristes si tu venais à partir qu'à rester. Je pense que ta présence nous fait tous de bien, que ce soit à mes frères ou à moi.
Je la serre un peu plus, maintenant que la roue est lancée.
— Et bien ! Je ne t'ai jamais vu aussi tactile, plaisante-t-elle.
Mon torse vibre doucement contre le sien. Elle a tellement raison ! Moi-même, je suis impressionnée. Et fière. Pour une fois, j'ai réussi à aller aux devants.
— Au fait, commence-t-elle en se détachant. Lundi, tu es rentrée toute bizarre et je n'ai pas osé te poser la question, mais j'avais l'impression que tu avais vu un fantôme !
Mon sourire s'évanouit aussi tôt et je sens la boule d'angoisse revenir prendre le dessus toutes les émotions positives que j'ai pu avoir à cet instant. Elle parle évidemment, d'il y a cinq jours, le jour où je suis allée chez la chamane.... Depuis, j'ai évité de repenser à ce qui s'est passé là-bas. Je continuerai à nier, à éviter ce que cette déesse a décidé pour moi. Il est hors de question que je fasse ce qu'elle m'a demandé. Je ne suis pas un pantin, une poupée qu'on peut manipuler à sa guise dans un plan visant à sauver tout le monde.
C'est une déesse, elle n'a pas besoin de moi. La gorge obstruée, je déglutis mais rien n'y fait. Je me prends encore la tête pour des futilités ! Je ne dois paraître pas au meilleur de ma forme parce que Alexia me demande si tout va très bien. Je ne sais pas quoi répondre quand quelqu'un toque distinctement à la porte.
Sauvée par le gong !
Quand Alexia crit « Entrez », Alexander apparaît à l'embrasure et nous annonce de but en blanc :
— Notre père veut voir Léa.
Je fronce les sourcils. Pour quelle raison voudrait-il me voir ? Le visage de Alex n'exprime rien pourtant je ne peux pas m'empêcher de sentir la boule de stress influer. Et si j'avais quelque chose de mal ? Je noue mes mains entre elles et me lève doucement, mal à l'aise à l'idée de devoir parler à Rodric. Après tout, je ne suis pas chez moi, j'ai pu braver une interdiction. Ou bien ma présence gêne ?
Je jure intérieurement. Pourquoi je me mets autant dans cet état ? Ce n'est pas du tout justifié... Peut-être que Rodric veut me voir comme ça. Je descends les escaliers mais me retourne à temps avant que Alex ne ferme sa porte. Depuis la dernière fois, on se parle très brièvement et ça me dérange beaucoup. Je n'aime pas particulièrement cette gêne qui subsiste entre nous et j'aimerais la régler.
Sauf que je ne sais pas comment, sachant que c'est très difficile pour moi de faire un pas...Tout de même, je voudrais le remercier, même pour quelque chose d'aussi futile. Après tout, si on ne se parle pas trop, c'est de ma faute...
— Merci !
— Pas de problème, fait-il en souriant avant de refermer la porte doucement.
Je débouche sur la cuisine où, à mon grand étonnement, Rodric et Darrow discutent calmement. Assis autour de la table, les mains jointes, il semble parler de quelque chose d'important, vu les sourcils froncés de Rodric. Quand l'Alpha me voit, il s'exclame :
— Ah la voilà ! Bonjour Léa, tu vas bien ?
— Très bien, merci Rodric. Et toi ? Salut Darrow.
Le jeune homme me salue en retour et Rodric répond à ma question polie avant d'aborder, ce que je suppose, la raison de ma présence avec eux. Je ne sais pas ce que je fais là mais il vaudrait mieux que je pose la question la première, non ? Aucune idée...Je me lance quand même. Qu'est-ce que j'ai à perdre ? A part une honte si forte que je n'oserai plus croiser ne serait-ce que leurs regards.
— Il...il y a un problème ? J'ai commis une erreur ?
— Mais non, rassure-toi, rit doucement Rodric, comme si ma question était idiote, et je me demande si elle ne l'est pas.
Il reprend un visage grave... Qu'est ce qu'il va bien pouvoir dire, mon dieu ? Je suis pendue à ses lèvres en attendant.
— Comme tu le sais, les hommes de Léo sont toujours près des frontières et ont tenté plusieurs fois de rentrer dans la meute. Ne t'inquiète pas, notre barrière magique tient le coup et rien ne peut la pénétrer grâce à nos magiciennes et notre chamane. Toujours aucune trace de Léo. Il laisse sûrement ses hommes faire tout le sale boulot. C'est pourquoi j'ai pensé, en cas de problème, qu'il serait judicieux que tu apprennes à te battre. Et Darrow est le seul bêta qui n'a pas trop de travail pour s'en occuper correctement.
Je déglutis et me remets à nouer mes mains entre elles, un tic débile dès que je suis stressée. Je le sais à la boule qui se loge doucement dans ma poitrine. Je ne veux pas imaginer ce qui se passera si les loups de Léo parviennent à rentrer dans la meute... Par ma faute, tout le monde mourra et j'aurais d'autres morts sur la conscience. Mais je suis impuissante... Je ne ferai pas le poids contre des loups et finirait dans la meute du nord, où l'homme qui hante mes cauchemars, s'y trouve.
Je ne serai prisonnière et ça, je ne sais pas si je pourrais le supporter longtemps. Déjà, de tas de scénarios défilent dans mon crâne à me le briser en deux. Respire, respire. Ce n'est pas bon pour toi. Leur petite entreprise pour m'apprendre à me battre est vaine. J'ai la force d'une poule, si ce n'est moins et je ne pourrais pas réussir à me battre.
A faire face à des loups. Quels humains le pourraient ? Les hommes morts de la gueule de ces carnivores doivent le savoir mieux que personne, là où ils sont. Mes mains tremblent quand j'y pense. Léo — c'est sûrement lui — a laissé trop de dégâts dans son sillage. Tout cela parce que je n'étais pas loin.
— Je...je ne suis pas sûre que ça marche. Je n'ai pas beaucoup de force.
— Léana, fait Darrow. Tu as besoin des bases et tu peux acquérir de la force, ne t'inquiète pas.
— Oui, confirme l'Alpha. Et l'entrainement commence maintenant. Vas-y Darrow.
Et sans que je puisse ajouter un mot, le jeune blond m'attrape le bras pour me trainer dehors. En quelques secondes, nous sommes dehors, prêts à pénétrer la forêt. Je serre les dents, parce que je n'ai qu'une envie : lui dire ce que je pense ! Mais je n'oserai jamais braver l'Alpha puisque je suis sous sa responsabilité... Mais je sais que je devrais lui dire mais je ne peux pas.
Je me mords la lèvre en contre-partie. Encore une fois, je n'arrive pas à changer, à m'affirmer et ça me rend folle. Tout le monde cherche à me contrôler. Ma mère, dont je ne cesse de me demander où elle est, Léo, et maintenant Rodric et Darrow.
Celui-ci finit par lâcher mon bras et je respire enfin, libre — c'est tout à fait factice — de tout mouvement. Je sais bien que Darrow doit écouter les ordres mais il aurait pu le faire plus doucement, au lieu de me trainer comme une vieille carcasse ! Je lui offre mon plus beau regard noir car c'est là tout ce dont je suis capable de faire.
Il semble le remarquer car il finit par s'excuser :
— Je suis désolée Léa mais j'étais obligé. Je ne voulais pas que tu remettes en question la décision de l'Alpha. Sache que c'est vraiment pour ton bien. J'entends ce que tu dis. Si c'est trop dur pour toi, on fera autre chose mais je dois obéir aux autres. On ne sera pas toujours là pour te protéger.
Je fronce des sourcils en une moue colérique. Je le sais bien, il ne fait que me répéter des choses dont j'ai conscience ! Seulement, pourquoi me fatiguer à quelque chose dont j'ai perdu d'avance ? Je n'ai jamais eu beaucoup de force dans les bras, vu la finesse de mon corps et le peu de muscle que j'ai.
— Tu verras, ça en vaut la peine, rajoute-t-il. Et encore désolée pour ton bras.
Au moins, il a l'obligeance de s'excuser. Rien de ce qu'il a fait ne m'a plu mais je peux bien lui pardonner s'il ne recommence pas. Je ne veux pas me voir forcée comme chez moi. Je ne suis pas restée ici pour n'être qu'un pantin. Non, je ne suis pas d'accord et même si je n'arrive pas à m'affirmer par la parole, je peux toujours le faire autrement...
— C'est...d'accord.
Il hoche la tête en signe de compréhension et m'apprend que nous allons commencer l'entrainement au corps à corps. Je déglutis en grimaçant car je sais déjà ce qui m'attend : la défaite. Je ne fais pas le poids contre Darrow qui a une musculature plus imposante que la mienne, dont les muscles sont travaillés. Cependant, on commence donc je n'ai pas d'autres choix.
Il commence doucement mais je me prends plusieurs coups sur les bras et les jambes. Mon cœur s'accélère et j'essaye de le frapper avec mon poing mais il dévie, me fait tourner pour me bloquer derrière. Je sens son souffle chaud dans le creux de mon cou et mon cœur retentit plus vite. Notre proximité est plus que rapprochée. Je sens son cœur battre dans mon dos et lui aussi, il s'affole. La respiration saccadée, je sens mes joues brûler. Pourquoi ? Je n'ai pas le temps d'y penser ni d'y répondre.
— Tu frappes mal. Recommence ! fait-il en me détachant de ses bras.
Je ne vois nulle part une quelconque rougeur sur ses joues et j'en déduis qu'il n'est pas pour le moins gêné. J'en ai la confirmation quand il s'approche de moi pour me taper de nouveau. Il veut absolument que je pare ses coups, enfin du moins, que j'essaie.
Au bout d'un compte, il est plus serein que jamais et il ne transpire pas une seule fois tandis qu'à côté, j'ai l'impression que la pluie m'est tombée dessus. Je suis haletante, effondrée au sol.
Mon cœur se comporte toujours bizarrement surtout quand il me fixe un peu trop. C'est trop demandé de tenir leurs yeux ? Darrow tourne la tête vers quelque chose, qu'à terre, je n'arrive pas à voir. Je relève la tête, le temps de voir Alexander traverser la forêt et aller quelque part. Je fronce des sourcils, me demandant où il peut bien aller. Darrow semble ne pas être très contente et marmonne dans sa barbe.
Une question me vient aussitôt, que je n'ai pas eu le temps de réfréner qu'elle a déjà passé la barrière de mes lèvres.
— Tu aimes bien Alex ? J'ai l'impression que vous vous appréciez pas trop.
—
J'espère que ce chapitre vous aura plus ! N'hésitez pas à voter et à commenter, ça fait toujours plaisir ! On se revoit la semaine prochaine ! ❤️ Et je vous souhaite (pour ceux que ça concerne) une bonne reprise des cours.
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