Chapitre 24

135 jours

J'arrive bientôt à ma destination. Depuis quelques jours, une sensation bizarre revient souvent. Je me sens comme étrangère à mon propre corps. Comme si parfois, le temps s'arrête et je deviens détachée de tout ce qui m'entoure, comme un brouillard devant mes yeux.

Une simple spectatrice de ma vie. Plusieurs fois, j'ai paniqué, incapable de reprendre le contrôle de mon corps. Je ne saurais pas l'expliquer mais j'ai un très mauvais pressentiment. Et j'ai peur que Léo soit derrière tout ça, ce qui m'a valu une énième crise d'angoisse dans ma salle de bain que je me suis empressée de cacher tant bien que mal.

À midi, personne n'a rien remarqué. Alexia était bien trop engagée dans sa discussion avec ses trois frères pour remarquer mon changement de comportement. Rodric, lui, n'était pas vraiment là, comme d'habitude. Son travail d'Alpha lui prend tellement de temps qu'il a du mal à être là à tous les repas.

La dernière fois que j'ai ressenti cette sensation, c'était il y a deux jours. Depuis, tout cela s'est calmé. Je suis plus rassurée même si je ne cesse d'observer tout autour de moi. La peur ne me laisse pas tranquille et je m'endors le cœur serré, incapable de penser à autre chose.

Ça empoisonne mon esprit et m'empêche de me concentrer sur quoi que ce soit. Je ne peux plus lire, plus manger, plus dormir sans que ces pensées ne me parasitent. Chaque jour, je me demande ce qu'il se passe, sans n'avoir aucune réponse.

Je sais qu'il faut que j'en parle à quelqu'un, pour comprendre ce qui se passe et ce que je peux faire. C'est pourquoi je me retrouve dehors à me diriger vers la maison de la chamane. Elle seule saura m'aider, j'en suis certaine.

J'ai plusieurs fois entendu des membres de la meute louer ses prouesses et son talent pour guérir et protéger les membres. Je n'ai aucune raison de douter. Elle me permettra de savoir si cette sensation n'est que le fruit de mon imagination ou si, au contraire, Léo s'y cache.

On m'a dit de continuer de marcher vers la forêt. Apparement, la chamane apprécierait la solitude et le calme de la forêt au brouhaha de la meute, ce que je peux comprendre. Au bout d'un moment, je m'arrête, incertaine quant au chemin qu'on m'a indiqué.

Je ne suis pas sûre d'avoir un bon sens de l'orientation mais autant continuer puisque je n'ai pas d'autre repères. Je prie juste pour ne pas me tromper, car il est bien plus facile d'entrer dans la forêt que d'en sortir. Je finis par repérer une petite maison au fin fond des bois.

Enfin...si l'on peut appeler ça une maison. On aurait plus dit une cabane recouverte par des milliers de couvertures colorées posées sur le toit. Je distingue aussi, devant la porte en bois, une petite table, elle aussi en bois, usée et vieilli par le temps.

Pas très joli...

Mais à ma surprise, l'aspect de la maison ne semble pas délabrée, juste traversé par le temps. Tout est propre, les vitres reluisent sous la lumière du soleil et des grigis accrochés sur la devanture se balancent sous la brise légère du vent. À peine je pose le pied devant la porte qu'une chaleur m'atteint.

Je fronce des sourcils, décontenancée par cette émotion soudaine et sent que l'endroit est chaleureux, sans même l'avoir vu. Je ne comprends toujours pas mais j'essaye de mettre de côté cette réaction étrange et toque sans plus attendre.

— Entrez ! me crie une voix féminine.

Je déglutis, car je ne suis pas certaine de faire bonne impression. Je ne suis ni louve ni magicienne. Mais je ne peux pas faire marche-arrière donc je suis bien obligée de rentrer. J'avais oublié rapidement que je n'avais pas le choix si je veux pouvoir me débarrasser de l'étrange sensation qui m'a collé à la peau.

J'ouvre la porte et je risque déjà de me prendre le mur en plein visage. Je grimace en me baissant. La porte fait ma taille, je suis donc aussi obligée de me baisser pour aller dans la cabane. En soupirant, je traverse.

L'aspect intérieur de la cabane est époustouflant ! Et très sans dessus-dessous aussi... Ses gadgets que je n'arrive pas à identifier, plusieurs boules de cristal sur les étagères d'une bibliothèque à ma droite. Il y a aussi pleins de livres aux reliefs anciens et poussiéreux, qui semblent tout droit sorti d'un bouquin de fantasy. Des crânes ornent les meubles - en bois eux aussi -. Un vrai repair de chamane !

Une table est en plein milieu de la pièce où sont éparpillés des cartes et des pierres ainsi qu'un verre à moitié plein. Derrière, deux grands canapés noirs l'un en face de l'autre avec au milieu, une table basse en face d'un grand écran noir.

Visiblement, l'hôte est occupé et j'ai dû le déranger. Aussitôt l'ai-je pensé qu'une femme sort d'une pièce. Vêtue d'une longue robe blanche, elle détonne avec ses cheveux noirs de jais qui encadrent son visage ovale. Des pupilles vertes me fixent sans ménagement.

— Léa c'est ça ? demande-t-elle avec un sourire mystérieux.

Je hoche la tête car sa présence est assez intimidante. Encore une fois trop belle. À croire que toutes les femmes les plus belles du monde se sont mises d'accord pour venir dans cette meute. Dehors, dans mon monde, les femmes ne sont pas aussi jolies, aussi raffinées, et évidemment j'en fais partie. Je me recroqueville intérieurement sans cesser de le regarder.

Ses côtes se voient à travers le tissu sombre et elle semble très mince, je dirais même trop. Mais je détourne la tête, car je ne suis pas la mieux placée pour juger, vu ma silhouette à la limite d'être maigre.

—Je t'en prie, assis-toi, m'invite-t-elle d'un geste de la main. Tu veux quoi à boire ? J'ai du soda, des jus de fruits, ou de l'eau, si tu préfères.

—Du...du soda s'il-vous-plaît.

— Bien, je reviens ! prévient-elle d'un sourire.

Elle repart dans ce qui semble être la cuisine et me laisse seule dans son salon. Je remarque que les tapis, la couverture qui recouvrent la table sont aussi des motifs enroulés, leurs formes colorées. Je retrouve aussi des colliers posés sur la table et accrochés aux lampadaires.

Mais qui les mets là ?

L'hôte, revenue, a suivi mon regard et a compris rapidement à quoi je pensais. Avec un sourire, elle me répond délicatement :

— Je les enchante pour éloigner les mauvais esprits qui sont dans notre monde. Ils influencent les loups avec leurs mauvaises ondes.

Je déglutis de nouveau, pas vraiment rassurée à ce qui puisse y avoir des mauvais esprits par ici. Je jette un coup d'œil discret autour de moi mais je me rends compte que ce n'est pas nécessaire. Comment pourrais-je voir les esprits ? Même si je ne connais presque à rien ce monde qui est tellement nouveau pour moi, cette maison est rassurante.

La sensation qui m'a prise de plein fouet quand je suis entrée n'a pas disparue et j'en viens à me demander si quelqu'un y est pour quelque chose. Je devrais avoir peur que des esprits puissent trainer ici mais je ne ressens rien de tel.

La jeune femme a posé son plateau contenant les verres et le soda et m'en sert un verre presque plein avant d'en faire de même avec le sien.

— Alors, commence-t-elle en s'éclaircissant la gorge. Souhaites-tu tirer les cartes ?

J'allais lui dire que je me sentais souvent étrangère à mon propre corps mais elle me coupe net dans mes réflexions. Je fronce des sourcils en l'observant.

— Tirer les cartes ?

— Oui. Elles répondront à tes questions.

Je devrais sûrement lui dire non et lui expliquer mon problème mais je suis terriblement tentée de dire oui. Je pourrais poser une question et les cartes me répondraient. Avec tout le temps que j'ai eu chez moi, j'ai beaucoup appris d'informations concernant les cartes et j'y crois dur comme du fer. Après tout, je suis dans une meute. Si cela, je n'y croyais pas alors les cartes encore moins.

Pour mon problème, je pourrais toujours lui en parler plus tard. Je meurs d'envie de voir mon avenir et l'excitation prend le dessus..

— C'est d'accord, j'accepte.

— Parfait, fait-elle en hochant de la tête.

Elle ramasse son paquet de cartes au dos bleu-nuit avec un œil au milieu - plutôt dérangeant car j'ai l'impression qu'il m'observe - et met une pierre violette dessus. Mon coeur bat à tout rompre en attendant qu'elle agisse mais elle se contente simplement de mettre la main dessus. Le coeur douloureux, je ne comprends pas et je ne tiens pas debout.

— Vous...vous faites quoi ? je demande timidement.

— Je me sers souvent de mon jeu de cartes. Pour que les cartes soient purifiées et que le jeu ne se trompe pas de personne, il faut de l'améthyste.

Je rive mes yeux sur les cartes avec une voracité mal dissimulée. C'est incroyable comme cela me fascine ! Je ne saurais comment expliquer ce que j'éprouve en voyant des cartes de divination.

— Bien. Maintenant, pense fort à une question.

Je m'exécute, pressée et ne pose aucune question.

De quoi est fait mon avenir ?

Je relève les yeux paupières et la chamane étale toutes les cartes devant moi.

— Maintenant, choisis-en cinq puis passe les moi tour à tour.

En déglutissant, je laisse mes mains me guider et prendre les cinq cartes. Lentement, je lui tends peu à peu et elle les retourne jusqu'à les avoir toutes devant elle.

Je m'attends à une visage fermé, presque aussi expressif qu'un mur mais les traits plissés de son visage me désarçonnent aussitôt. L'incompréhension domine sur son visage et elle perd visiblement ses moyens, ce qui n'a pas pour but de me rassurer.

— Je peux savoir ce qu'il se passe ?

— Les cartes...je...c'est impossible ! s'exclame-t-elle. Regarde-les.

Je m'exécute sans poser de questions et les observe. La première, « Âme » montre un visage entouré d'une substance blanchâtre, s'élevant vers le ciel. La deuxième, « Passion » où est représenté un cœur dévorée par les flammes. Puis la suivante, « Mémoire ».

Des fragments d'un miroir se superposent sans parvenir réellement à se recoller. Puis vient la quatrième, « Malheur », où le rouge sang domine, où une figure crache ce liquide rouge, la bouche grande ouverte.

Cette carte m'effraie, surtout si ça concerne ma vie future. Léo me revient en mémoire et je frissonne. Rien de bon ne peut m'arriver, surtout s'il est encore dans les barrages. J'aurais dû demander à la chamane de m'aider tout de suite au lieu de chercher à savoir mon avenir. Car je sais maintenant que je dormirai encore moins que les autres jours, à ressasser ce que les cartes m'ont apprises.

Mais comment j'ai pu être aussi crédule ? Je pose la main sur mon front, soudainement fatiguée et stressée. Mais le regard de la femme en face de moi n'a pas bougé. Elle me fixe, m'obligeant à continuer de regarder.

La dernière. Après c'est fini... Tu peux le faire ! Mais aussitôt dit, aussitôt fait, je regrette instantanément.

La dernière est....non, pas elle. Pas elle ! Inscrit d'une couleur blanche nacrée, le mot « Luna » résonne dans mon esprit. Les dessins sont magnifiques mais n'enlèvent en rien ce que je ressens... Une lune, grosse et ronde au-dessus d'une femme, au front signée par l'astre en forme de croissant. Ces mêmes cheveux blancs, cette même robe virevoltante.

Cette femme me hantera. Dès lors, dès mon rêve, elle a décidé de ne jamais me laisser tranquille tant que je n'aurais pas accepté ce qu'elle m'a demandé. Ce qu'elle m'a supplié, plutôt.

— Mais... qu'est-ce qui est impossible ?

— Cette carte, dit-elle en pointant la carte rouge. La première signifie l'Âme, ajoutée à la Passion, elle raconte que bientôt, tu trouveras ton âme-sœur, qui t'aime passionnément. Plutôt rare vu que tu es encore humaine... La Mémoire signifie, elle, que quelque chose de ton passé va revenir hanter ta vie aujourd'hui et que tu l'as oublié. Ce qui peut aller avec Malheur, une ombre qui menace ta vie. Et la dernière... Ton tirage est exceptionnel. La dernière dit que tu es sous la protection de la Luna, notre déesse. Et ça, c'est incroyable. Mais pourquoi Malheur ? Voilà pourquoi je ne comprends pas.

Évidemment. Sauf que je crois que je deviens encore plus pâle que tout à l'heure. Cette fois-ci, cela surpasse l'étrange sensation de sérénité que je ressentais au début. Car tout a de sens pour moi. C'est bien ça le pire. Je déglutis difficilement et je me sens sur le point de faillir. C'est bien trop pour moi, je ne vais pas tenir. Il me faut partir le plus vite de cet endroit.

— Je...je dois y aller. Je venais juste pour vous demander de m'aider. Je crois être victime d'un sortilège.

Elle n'a rien dit. La chamane a juste relevé le nez de ses cartes aussi vite que possible que je n'ai pas eu le temps de la voir et s'est précipitée sur moi. Sans plus d'explications, elle a touché mon front et a fermé les yeux.

À fur à mesure que les secondes s'écoulent, je me sens de plus en plus mal. Je ne peux pas attendre bien longtemps. Quand elle relève les paupières, je vois presque danser des flammes dans ses yeux.

— Reste là, je reviens.

J'acquièsce difficilement. La jeune femme revient avec un simple collier à la main. Elle le glisse dans ma main et referme mes doigts par dessus.

— J'ai entendu parler de Léo et de ce qu'il t'a fait. Surtout n'enlève pas ce collier. Il te protégera et empêchera le sort de sa sorcière de continuer.

La bouche pâteuse, je la remercie vaguement. Elle mérite sûrement plus de reconnaissance mais je dois sortir. Elle me congédie et je me rue dehors. Mais malgré le vent qui danse sur ma peau, l'air frais agréable, rien ne change à ma sensation. Au contraire, elle influe encore plus depuis que je suis sortie de sa maison...

Discrètement, je glisse le collier dans ma poche pour que personne ne puisse me poser de question ou se douter de quelque chose en me voyant sortir de la maison de la chamane. Je marche mais je me dis que je n'y arriverai jamais.

Je finis par apercevoir, après une dizaine de minute, le centre de la meute où il y a un peu monde qui se promène tranquillement. Un froissement passe derrière moi mais je n'y fais pas vraiment attention, focalisée sur le chemin.

C'est quand il se répète, à quelques pas de moi, que je m'arrête, me retourne et scrute les environs mais rien ni personne ne se trouve. Je fronce les sourcils. Pourtant, j'ai cru entendre quelque chose...

Je soupire. J'ai dû rêver, encore une fois. Je suis bien trop paranoïaque. Je ramène mes bras sur moi, pas très rassurée. Je ne sais pas si c'était moi ou la réalités et je ne veux pas le savoir !

Rapidement, j'arrive devant la porte de la maison et je rentre sans faire aucun bruit. Bien trop fatiguée, je monte rapidement les escaliers et je m'apprête à rentrer dans ma chambre quand j'entends du bruit au rez-de-chaussée. Ça ne me fait absolument rien et je ne serais pas restée là, à écouter, si seulement la voix n'avait rien dit.

— Papa, écoute-moi. Je ne rigole pas. Balek, l'ancien, nous a demandé de mentir.

— Mais pourquoi ? C'est ça que je veux savoir ! tonne une voix grave, mécontente.

Je fronce les sourcils et me penche un peu pour une tête brune et l'autre grise. Rodric et Alex. Je tends l'oreille — même si je ne devrais pas —, tentée de comprendre de quoi ils peuvent bien parler.

— On a vu Balek parler avec une femme... C'est elle qui lui a donné le grimoire en lui disant qu'on en aurait besoin. Mais nos magiciennes n'arrivent pas à déchiffrer le langage de la Luna.

— Tu veux dire qu'il n'a pas trouvé ce grimoire par hasard, comme il l'avait dit ?

— Évidemment que non, papa, soupire Alex. Tu l'as vraiment cru ? C'était bien trop tiré par les cheveux. Je ne sais pas ce qui se trame mais quelque chose est en train de changer.

Mon cerveau tourne à deux milles à l'heure. Je ne peux pas arrêter le flot de pensées. Pourquoi ai-je l'impression que quelque chose se trame dans l'ombre ? Tout le monde ment ou cache quelque chose, moi y compris.

J'aimerais écouter plus mais la discussion de Alex et de son père m'a achevé. Je ne me sens pas de taille à continuer de les écouter. Qui sait ce que j'apprendrais en plus ? Je me sens déjà assez coupable d'avoir menti, assez étrangère pour accentuer cette sensation.

Doucement, je rentre dans ma chambre en espérant que toutes ces émotions s'en iront. Je prie plus que tout pour que tout s'arrête.

Bonjour, je m'excuse pour le petit retard, je n'ai pas eu le temps de poster le chapitre hier ! J'espère que ce chapitre vous a plu, et je vous dis à la semaine prochaine pour le prochain !

N'hésitez pas à voter, ça fait toujours plaisir de voir qu'on est soutenu ! ❤️ Merci beaucoup de lire MLL.

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