Chapitre 23

C'est toi qui a fait tout cela, Alenscia ?

— Tout juste, Léana.

L'endroit est magnifique. Nous sommes dehors, dans la forêt, dans une cabane perchée au milieux des arbres et de leurs branches. Au centre de la cabane en bois, une bougie éclaire doucement l'endroit maintenant tamisé. Il y a des coussins dans les coins, pleins livres posés sur les étagères et une couverture blanche recouvre le sol entier.

Alenscia m'avait parlé d'aménager notre cabane en une planque douillette mais je n'aurais jamais pensé à cela. Elle vient tout juste de m'époustoufler. J'observe tout avec la bouche grande ouverte. Mais elle ne me laisse pas plus de temps pour m'extasier sur la décoration et me presse, d'une main, de m'assoir.

Je m'éxecute et prend un coussin pour me caller dessus.

— Alors, que penses-tu de tout cela ?

— C'est incroyablement génial, Alenscia. Tu t'es surpassée.

La peau diaphane de son visage devient aussi rouge qu'une tomate. Le compliment lui fait visiblement plus que plaisir et par les déesses, comme elle le mérite ! Ce petit coin de paradis est un vrai nid, la chaleur règne en maître et l'envie de s'assoupir est très tentante. Pourtant, je me force à garder les yeux ouverts. Ma meilleure amie ne m'a pas fait venir pour que je lui fausse compagnie en m'endormant.

Juste au moment où je relève les yeux, je remarque qu'elle se mordille la lèvre en m'observant. Elle tourne vivement la tête mais pas assez vite ; je l'ai déjà vue. Je me redresse en sachant que quelque chose ne tourne pas rond.

Cette dérangeante impression que je suis en train de passer à côté de quelque chose m'assaillit et l'expression à la fois honteuse et soucieuse de mon amie n'arrange rien. J'inspire doucement et prie pour ne pas faire quelque chose de travers ; je ne veux pas encore sentir mon coeur se serre, car cela m'est insupportable. 

— Alenscia, dis-moi, que se passe-t-il ? Pourquoi tu es si effrayée ? Aurais-je fait quelque chose de mal ? Qui t'aurait mis mal à l'aise.

— Non ! Bien sûr que non, s'exclame-t-elle, mais elle s'arrête aussitôt.

J'ai le coeur au bord des lèvres, en attendant, avec une impatience et peur, qu'elle parle, qu'elle dise ce qui ne va pas. Elle porte la main à ses lèvres et avec un soupir mal dissimulé, se rapproche de moi, jusqu'à ce que nos genoux se touchent. 

— Je m'inquiète pour toi, avoue-t-elle en baissant la tête. Je sais que Léo est revenu et...

Mauvaise réponse. Mon coeur déclenche une pique de douleur dans mon plexus solaire et j'essaie de repousser cette affreuse sensation d'une grimace douloureuse. Ce n'est pas le moment d'avoir mal....de se souvenir le mal qu'il m'a fait quand il m'a abandonnée, sous le joug de ma mère, mon bourreau. Mais le pire n'est pas ça. C'est ce qui survient après, comme un tsunami.

Les rires, nos conversations et nos chagrins, tous ces souvenirs intacts maintenant tachés de tristesse. Quand il est parti, il a tourné le dos à notre passé, à moi et il est impossible de retourner en arrière ou de ne serait-ce que pardonner. Je ne peux oublier, ce jour où mon meilleur ami a brisé mon coeur en milles morceaux. Et Alenscia me le rappelle. Je les serre les dents du mieux que je peux, en priant pour qu'elle ne remarque que mes mains tremblent. Rien que pour ça, j'ai le besoin de me détacher de la situation. Oui de partir loin, de ne plus y penser...

— Je sais. C'est Alexander qui te l'a dit ? je réponds, froide comme la glace. 

La jeune femme me regarde avec peine, je le vois au fin fond de ses yeux noirs. Je n'ai pas besoin de pitié, pas de celle-là ! Mais Alenscia sait, elle n'est pas crédule. Elle sait justement, ce par quoi je suis passée, après des nuits à lui avoir racontée et se doute que je désapprouve le fait que Alex lui en ait parlé.

Bon sang... Si seulement quelques fois, je pouvais mettre mes sentiments de côté, surtout quand il s'agit de lui. Même quand il rôde dans mes pensées, tout sentiment négatif s'envole et ne reste que la chaleur. Mais cette fois, pas de chaleur. Rien. Absolument rien qui ne puisse remplacer la douleur sourde que m'a fait vivre Léo. C'était la première fois de ma vie que je connaissais le mot " trahison" et je ne l'oublierai pas de si tôt. 

— Léana, ne lui en veut pas. Il ne sait pas que Léo était important pour toi. Je te mentirais si je te disais qu'il l'aime bien.

Elle n'avait pas besoin de le dire, je le savais déjà. Alex était quelqu'un de foncièrement gentil, il ne pourrait aimer quelqu'un comme Léo. Je ne m'en étais jamais aperçue mais mon meilleur ami n'était pas celui que je croyais. Cet homme n'était qu'un être abject qui ne rêvait que d'une chose : me posséder. Voilà l'ultimatum qu'il m'avait posé quand je lui avais supplié de nous enfuir.

Mais je ne pouvais l'aimer. Au bout de deux ans, j'avais oublié la douleur de cette trahison mais il avait fallu qu'il revienne pour tout gâcher et raviver cette sensation oppressante.

— Léana ? S'il-te-plait, ne lui en veut pas.

— Je ne lui en veux pas, je te rassure. Je suis juste déçue. J'évite de parler de lui tant que je le peux.

Même son nom m'est désagréable. Tout est fait pour me rappeller mes malheurs. Hors quand je suis partie, j'ai décidé de laisser ça derrière moi. Il est hors de question que je revienne en arrière. Mon ancien meilleur ami est mon passé et même si cela va m'être difficile de le voir dans la meute, je ne veux plus rien avoir à faire avec lui.

Je finis par prendre doucement la main de Alenscia et je la serre tout en la regardant avec un regard qui — je l'espère, de façade — est chaleureux.

— Je l'oublierai.

Après ça, aucune de nous deux ne parle et nous restons prêts de la bougie, enchevêtrées dans les couvertures.

Puis soudainement tout change. Le décor s'efface doucement, comme un dessin qu'on efface. Je ne comprends tout bonnement rien et tout ce que je touche s'effrite, comme de la poussière entre mes doigts.

Mon coeur sursaute ostensiblement en voyant ça, car cette coupure soudaine ne me rassure pas. Loin de là. Je prends soudainement conscience que ce n'est plus Léana, ni ses cheveux blancs qui encadrent mon visage mais bien moi, avec mes mèches brunes.

Ce qui ne fait qu'accroître le malaise qui prend peu à peu, la place dans mon cœur. Je sens, tout autour de moi, que quelque chose ne va pas. Des arbres par milliers m'entourent et de la fumée recouvrent les lieux et s'avance comme un serpent tapis par terre. Quelqu'un se cache. Bientôt, c'est vers moi qu'elle menace de recouvrir et je recule, la terreur tapis dans mes veines.

Mais elle ne s'arrête pas. Elle menace de tout emporter, et moi avec. Je ferme les yeux précipitamment, la fumée blanchâtre prête à me submerger mais quand je rouvre les yeux, surprise que rien ne m'ait touché, elle s'est arrêtée.

Je ne comprends rien. Je suis dans un rêve ? Un rêve plutôt inquiétant et dangereux. A force d'en faire, je crois bien que je finis par les reconnaitre que je nage en plein dedans. En y pensant, je songe à Léo et s'il était encore là. Mon dieu... Je tourne la tête tout autour de moi, de peur de le voir surgir d'un bosquet. Je crois bien que c'est lui, je n'ai plus qu'à mourir sur l'instant ! Il a déjà assez bien hanté mes rêves, je n'ai pas besoin qu'il s'y rajoute une nouvelle fois. 

Mais la personne qui s'avance à cet instant n'était pas du tout celui que je m'étais imaginée. À travers la fumée, je reconnais sa belle robe blanche qui virevolte sur ses épaules et descend jusqu'à ses pieds. Ses cheveux, eux aussi blancs, tels des cascades sur sa poitrine. Sa taille longiligne et grande.

C'est bien une déesse. Dès qu'on la voit, on est émerveillée. C'est la première chose qu'on fait. Tout en elle n'est que beauté et douceur, dont ses gestes ne sont que grâce. Magnifique. C'est le mot pour désigner la jeune femme qui a passé la fumée.

Léana Ier.

C'est bien la première fois que je la vois ainsi, et qu'elle se montre à moi. Mais...ce n'est qu'un rêve, n'est-ce-pas ?

— C'est un rêve. Ton subconscient parle.

Hein ? Je fronce des sourcils car je comprends à moitié ce qu'elle me dit.

— Léana. Un enjeu pèse sur toi. Tout ce décidera dans la meute du Sud. Choisis bien et suis ton cœur. L'avenir est entre tes mains.

Mon coeur s'accélère et je manque de défaillir. Ses paroles me plongent dans un stress dont je n'ai pas les mots pour exprimer son intensité. De quoi parle-t-elle ? Quel avenir ? Le mien ? Celui de l'humanité ?  Mais je ne suis qu'une fille qui connait l'envers du décor de l'humanité. Quel avenir ?

Je ferme les yeux tandis que je me sens souffrir de plus en plus. Ma peau me brûle, je suis chaude. Terriblement chaude. J'ai mal à la tête et je sais que je vais exploser.

Aidez-moi. Qu'est-ce-qu'il se passe ? Dites-moi ! J'ai beau hurler intérieurement, la chaleur m'étouffe et ma tête tourne inlassablement. Mais que m'arrive-t-il ? Je n'arrive plus à réfléchir.

Comme si c'était le moment, la déesse prend la parole et c'est comme ci ses mots tournoyaient dans mon crâne.

— Mes paroles te brûlent. Souviens-toi... On a besoin de ton aide. Sans toi, tout est voué à l'échec. Aide-nous, répéte-t-elle. Aide-le. Aide-toi. Fais le bon choix et observe le chemin de la vérité, là où personne n'entend ni ne voit.

Ses mots tournoient, à l'infini. Ils me font mal et ma peau n'arrête pas rougir, rougir, jusqu'à me faire suffoquer. Je n'entends plus ma propre respiration ; que des rapides pauses saccadées.

Je suffoque encore. Je me réveille soudainement et tout ce que je vois, c'est des points noirs qui dansent devant mes yeux. Le plafond, les objets, tout tourne. Je me relève avec grande peine, sans manquer de tomber. Il me faut fermer les yeux pour calmer cette horrible et écœurante sensation au creux de mon plexus solaire.

En toussant, quelqu'un que j'aperçois sur le côté, se retourne. Je n'arrive pas à distinguer qui mais ça doit être forcément Alex ou Rodric, ou même l'un des jumeaux. La silhouette a une carrure plutôt masculine.

— Léa, tu vas bien ? demande la voix grave. 

Je plisse des yeux pour voir ce qui est mais rien n'y fait. Je ferme et attends quelques minutes que les vertiges s'en aillent. Ils finissent par s'atténuer pour mon plus grand soulagement.

— Léa ? redemande la voix, juste à côté de moi. 

Cette fois, je la reconnais très bien : ce n'est autre que Alex, et ça ne m'arrange pas. La glace n'a pas été brisée depuis l'incident et aller vers lui — comme aller tout simplement vers les autres — m'est difficile. Et ça ne l'a sûrement pas importuné, en tous cas, il n'en n'a absolument rien montré. Malgré le fait que j'aurais vraiment espérer quelqu'un d'autre, la gêne, sa présence m'aide à ne pas m'effondrer au sol. 

— Je...ça va, je coasse, la gorge nouée. 

Il passe la main dans mon dos et me frotte gentiment. Heureusement que je ne peux pas voir ni sa tête et qu'il ne puisse voir la mienne, sinon je me demande ce qu'il en passerait. Je suis sûre que j'ai l'air d'un zombi avec les joues un peu rougies de gêne. J'aurais l'air encore plus pitoyable...Et je ne veux pas qu'il voit ça. C'est amplement suffisant.

— Tu veux de l'eau ? propose-t-il finalement.

Je ne peux pas trop parler sous peine d'avoir encore plus mal à la gorge, néanmoins, je hoche la tête et je le sens se lever pour aller ouvrir le robinet. Je me masse le front pour tenter d'enrayer la douleur, qui je le sais, est due au rêve. Comme si ça ne suffisait pas, les rêves reviennent et ont des incidences sur mon corps.

C'est insupportable. Depuis quelques temps j'étais tranquille, mais plus pour longtemps. Qu'est-ce qui aurait pu déclencher ça ? Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Et ce qu'a dit la déesse... Je ne sais plus quoi penser. Je suis prisonnière de mes songes et attachée par je ne sais quelle force. Mais ça, je ne pourrais pas raconter ça à Alex.

À personne, à vrai dire. Qui me croirait ? On me prendrait pour une folle, ce serait tout ce que je récolterai. Des pas reviennent dans mon dos et Alex se poste juste à côté de moi tandis que j'ouvre doucement les yeux. Je me rends aussi compte que mon rêve n'est pas arrivé le soir, comme d'habitude mais l'après-midi.

Et si les rêves menaçaient ma tranquilité ? De nouveau, je ressens ce stress poindre à travers mon cœur mais Alex doit remarque que quelque chose ne va pas, car il fronce des sourcils avant de me frotter encore le dos.

— Ne panique pas, tu as dû mal te lever, ça arrive.

— Oui, je réponds, la voix toujours aussi enrouée.

Je sens, à travers notre proximité, la chaleur de son corps et ça me réchauffe. À cet instant, il met doucement la main sur mon front et je déglutis, consciente de notre proximité.

— Tu es un peu fiévreuse, murmure-t-il.

Il pourrait bien y être pour quelque chose ! Le savoir si près n'arrange rien à mon mal de crâne mais je ne souhaite pas qu'il parte. Non. Je crois bien que je préfère qu'il reste... Je n'ai aucune de pourquoi mais à cet instant, je ne peux pas rester seule.

— C'est pas grave, je vais sûrement me rendormir.

L'envie manque même si c'est le mieux. Mais je ne peux pas lui dire que j'ai tout simplement de dormir de peur que Léo revienne ou pire : que la douleur reprenne possession de moi. Il s'inquiéterait sûrement et ça je ne veux pas.

Je me replace sur le canapé quand je remarque que Alex tient quelque chose dans ses mains. Une feuille dépasse et je vois la moitié d'une femme. Je me penche spontanément, les yeux plissés, vers la feuille.

— Euh... C'est juste...

— Je peux voir, si ça te dérange pas ?

Je me tourne vers lui et il semble soudainement gêné par mon rapprochement — ou parce que j'ai aperçu son dessin, je ne sais pas. Sa pomme d'Adam descend avant qu'il ne tire la feuille et dévoile une femme. Bouchée-bée, il faut avouer que je suis époustouflée.

Le dessin est vraiment réaliste et la fille est bien dessinée. Je prends un instant avant de réaliser que la femme m'est étrangement familière. Des yeux verts, une bouche de satin, une robe et des cheveux blancs.

Encore elle.

La Luna revient partout. Dans mes rêves, dans la meute, quand je suis avec Alex, absolument partout. Je n'ai aucune issue pour la fuir. Mais je tâche de me contrôler. Ça ne servirait à rien de paniquer soudainement devant Alex et ne ferait que me discréditer.

— Tu dessines vraiment bien, je murmure en tremblant.

Je prie tous les dieux possibles qu'il ne l'ait pas senti. Il sourit d'un air rêveur et me dit :

— Je te montrerai si tu veux.

— Oui. Tu aimes ça non ?

— J'adore ça, corrige-t-il. C'est ma seule passion. Dessiner est quelque chose que je n'arrêterai jamais de faire.

J'observe son visage. Il me semble que des étoiles dansent ses yeux, et malgré mon mal de tête en arrière-plan, je sens toute la passion qui l'anime, qui anime chacun de ses gestes quand il touche doucement les contours du visage de Léana Ier. Une pointe de jalousie vient me traverser le cœur.

Cette femme a tout pour elle. Elle a eu tout. L'amour des autres, l'adoration, et même simplement Alex, qui semble lui vouer un amour alors qu'elle est morte. Et par dessus tout, elle est belle.

Non. Elle est magnifique. On ne pourrait décrire sa beauté. Je l'avoue, je l'envie. Toute ma vie j'ai été enfermée, sans amis, et en plus de ça, je n'ai jamais su ce que c'est d'être aimée véritablement. Elle si. La Luna a été mariée et a sûrement eu l'amour d'autres hommes. Le monde lui a été offert sur un plateau d'argent.

Ça me désole. Et elle ose me demander de l'aide ? J'aimerais vraiment rester avec Alex mais rien que de savoir qu'il aime un fantôme, une femme qui restera coincée sur la lune en attendant son âme-soeur me laisse un goût amer dans la gorge. C'est pathétique. Je suis sûre qu'elle pourrait demander l'aide de tout le monde. Alors pourquoi moi ? Et pourquoi me tuer avec tous ces rêves ?

Je me lève et essaye d'avancer doucement sans risquer de tomber.

— Léa, attends !

— Je vais me coucher, j'élude.

Il n'essaye pas de me retenir. Et c'est pour le mieux.

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