Chapitre 20
144 jours
Ces rêves, de nouveau, me laissent complètement pantelante et à bout de souffle. Ma poitrine se soulève à un rythme condensé. Je peine à respirer. Les dents serrés et l'esprit embrouillé, j'ai encore du mal à réfléchir. Comme souvent, ces rêves me retournent l'esprit à m'en faire vomir.
Lassée, je ne me pose plus trop de questions sur ce qu'ils représentent et pourquoi je revis l'histoire d'une femme qui me semble si proche de moi et à la fois si lointaine. La nostalgie que me laisse ces songes me laissent mitigée. Comme toutes les fois, j'en viens à me demander ce que j'ai mérité pour revivre une histoire plutôt malheureuse, qui implique Léo. Est-ce mon crime pour être tombée amoureuse de lui ?
Je n'aurais jamais su. Je n'aurais jamais cru qu'il serait ce genre de garçons avec un passé plus que douteux. Le pire de tout ça est qu'il me l'ait caché. Il avait sûrement si peur que le charme se brise qu'il n'a rien dit. Léo n'avait pas l'air du tout de regretter ce qu'il a fait.
Ça me répugne.
Je mets ma main sur ma poitrine. Je dois réprimer un haut-le-cœur. Je crois que je plains cette fille aux cheveux blancs, dont la vie a été brisée. Et pourtant. Elle s'est relevée, a vécu. Mais que lui est-il arrivé ? Ma gorge se serre et dans mon ventre se forme un nœud. Je sens que si je creuse trop la question, ça pourrait me retourner l'estomac. Je n'ose pas m'étaler plus, de peur d'imaginer les pires horreurs.
Je décide quand même de me lever et de m'habiller. Après ça, j'hésite un peu. Je ne me souviens plus trop de ce qui s'est passé. J'ai failli me noyer mais heureusement, Darrow est venu à mon secours. Et rien que pour ça, je lui en serais éternellement reconnaissante. À en juger par le soleil transperçant les fenêtres presques fermées, j'ai dormi jusqu'à l'après-midi.
À ce moment précis, mon ventre grogne comme pour appuyer mes propos. Une faim vient me dévorer l'intérieur du corps. Il me faut descendre, même si j'en n'ai réellement pas envie, pour apaiser cette sensation gênante.
J'entrouve la porte et passe la tête par la mince ouverture. J'entends distinctement des voix enjouées qui viennent du rez-de-chaussée. Je grimace. Ai-je vraiment envie de descendre ? Il me semble même qu'il y a des voix que je ne connais pas.
— N'aie pas peur de descendre, hein.
Je sursaute ostensiblement et retire trop vite ma tête de l'embrasure que je me cogne la tête. Je grogne en me frottant la tête. La douleur pointe sur une partie de mon crâne et m'assomme presque. J'ai l'impression que la chambre tourne. Je reste statique pendant quelques minutes pour reprendre mon équilibre sans manquer de tomber.
Bon sang, qui m'a surprise ?
Je finis par rouvrir la porte et vois Alex qui me regarde, un sourire aux lèvres. Il ne semble même pas cacher le fait qu'il se moque de moi. Je l'observe en plissant des yeux, ce qui augmente son petit sourire tout à fait insupportable. Mais il se reprend et s'approche pour me regarder la tête. Je suis si surprise que je recule naturellement.
Mais il ne le relève pas et met la main sur ma tête pour voir si il y a une bosse.
— Tu vas bien ? Tu ne t'es pas trop fait mal ?
Sa main sur ma tête, son corps si proche fait monter les battements de mon cœur. Mes bras et mes jambes flageolent. Tout autour de moi n'est plus que flou, indiscernable. Je suis fixée par Alex, qui est si proche de moi. Je n'ai pas l'habitude de ça. Je ne fais plus que déglutir, la bouche pâteuse, un arrière goût horrible dans la gorge. Je prie pour qu'il n'entende pas mon coeur.
— Je....
Mais ma voix se casse. Il va s'en apercevoir, que je suis terriblement gênée par notre proximité. Il baisse doucement la tête vers moi. Des mèches de cheveux tombent sur ses yeux, ce qui le rend irrésistible. Ses prunelles grises rencontrent doucement les miennes. Il me regarde. Puissamment. Profondément. Comme s'il voulait me sonder à travers ma peau.
Cet instant semble durer des heures pourtant, dès que ses yeux dévient, il ne s'est écoulé que quelques minutes. Je sens que mes joues deviennent brûlantes. Est-ce son aura qui agit comme ça ? Les loups ont-ils ce pouvoir d'attractions sur moi ? Essaie-t-il de m'attirer dans ses pattes, comme Léo ?
Je baisse les yeux. La dernière fois que j'ai été attirée par quelqu'un, ça s'est mal terminé. Très mal. Je ne voudrais réitérer l'expérience pour rien au monde. Hors de question que je tombe sous son charme. Je ne peux pas me permettre de rougir en sa présence.
Surtout si c'est pour que je finisse mal. Je jette un petit coup d'oeil et je remarque, avec un hoquet de surprise, qu'il m'a laissé plantée là ! Je relève la tête en bouillonnant. Pourquoi ? Je n'en ai aucune idée. Je suis partagée entre de la gêne et une honte monumentale.
Ce n'est pas sûr que je réussisse à le regarder droit dans les yeux. Je serre les poings, mes ongles s'enfonçant dans ma paume.
Je n'ai pas le choix. Il me faut oublier et descendre, comme si de rien n'était. Je passe la porte et finis en bas, où la famille est au complet. Je remarque même, avec une surprise mal dissimulée, que il y a deux nouvelles personnes. Deux grands garçons - géants même - sont plantés au milieu du salon. Impossible de les différencier, ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Je les fixe de haut en bas pour déceler, mi-fascinée, mi-déroutée par cette ressemblance frappante, une différence qui distingue les deux hommes. L'un à un les yeux gris, comme Alex.
Je déglutis et ferme les yeux en soupirant. Après ce qu'il s'est passé, ce n'est franchement pas le moment d'y penser. Je me reprends et observe que l'autre a les yeux marrons. D'où viennent-ils ? Personne n'a dans la famille n'a les yeux marrons. Le gris domine. Alors qui ? C'est là que je réalise que Alexia m'avait vaguement parlé de leur mère... Il se peut que les deux garçons tiennent d'elle ?
Je reporte mon attention sur les deux qui, eux aussi, n'ont pas hésité à me détailler. Le premier, à ma gauche, finit par prendre la parole :
— Une nouvelle tiens ? On l'a jamais vu avant !
Je baisse la tête. Je ne les connais pas. Je ne peux par leur parler. Ça me demanderait trop d'effort de sortir ne serait-ce qu'un mot. Ils sont bien plus grands. Tellement plus imposants, face à moi. Alors je laisse Alexia parler à ma place. Après tout, ce sont ses frères. Moi je me contente de nouer mes mains entre elles et d'attendre.
— Elle est arrivée il y a peu près une semaine. C'est assez récent, explique Alexia, qui s'est mise juste à côté de moi, un sourire radieux sur les lèvres.
Elle est la seule qui s'est rapprochée. Rodric semble plongée dans son esprit qu'il ne fait pas attention à ce qui l'entoure et Alex... Alex est assis patiemment, pas loin de ses frères.
Alexia se tourne vers moi et affiche toujours son air radieux.
— Léa. Je te présente Kaïn, celui à ta gauche, avec les yeux marrons. Jam, c'est celui avec les yeux gris. Kaïn, Jam, voici Léa, la fille de notre ancienne magicienne Sarah.
— Enchantée, répondent-ils en chœur, synchronisés comme des pendules.
Je réponds de même. C'est la première fois que je me rends compte à quel point les Williams se ressemblent tellement. Ils tiennent tous plus ou moins de leur père. Par contre, les jumeaux me déroutent toujours. Ce n'est pas la première fois que je peux en voir d'aussi près mais j'en viens à me demander quand même comment la nature peut doter deux êtres du même visage ? À l'identique, si on ne regarde pas les détails infimes.
— Maintenant que les présentations sont faites, j'y vais. Je dois aller m'occuper du potager.
— Je t'accompagne ! je lui crie.
J'aurais sûrement dû continuer à discuter un peu plus et il semble bien mal élevé de ma part de ne pas rester un peu plus mais je ne me suis pas à ma place, au beau milieu de cette famille. L'arrivée des jumeaux me le confirme. Qu'est-ce que je pourrais faire ici ? Et pourquoi ?
C'est sûrement les questions sourdes qu'ils se sont posés. Alors je préfère m'éclipser. Passer inaperçue. Je ne veux surtout pas déranger plus.
— Oh, c'est d'accord, me sourit Alexia avant de disparaitre par la porte d'entrée.
Je la suis, en remarquant que Alex aussi s'est levé. Merde. Il va nous suivre ? Non non non. Moi qui voulait rester seule avec Ale et oublier ce qui s'est passé avec le jeune homme, c'est peine perdue. Je sais que je ne devrais pas être autant gênée et pourtant...
Sa présence me rappelle mon rougissement, sa proximité plus que...proche. Je secoue la tête vivement. Tant pis, je ferai avec.
On contourne doucement la maison pour déboucher sur un petit potager rempli de tomates, de pommes de terre et d'autres légumes. C'est plutôt grand et les légumes sont déjà presque mûrs. Alexander me dépasse pendant que je déglutis de nervosité en le sentant, avant de se poser dans un coin.
Alexia, elle, est affairée, accroupie, à s'occuper des plants.
— Il va rester longtemps là ? je chuchote à la jeune femme.
Elle fronce des sourcils et doit sûrement se poser des questions. Mais jamais je n'oserai lui dire ce qui s'est produit dans notre chambre. Elle regarde spontanément son frère puis moi, en se demandant ce qui cloche.
— Sûrement. Pourquoi ?
Je grimace. J'entrelaçe mes doigts entre eux en me questionnant. Qu'est-ce que je pourrais bien sortir comme excuses ?
— Je...euh...
Je n'arrive pas à trouver mes mots et me mordille la lèvre. Bon sang...
— Il me gêne, je lui avoue.
Elle se relève et me regarde avec surprise. Les sourcils haussées, elle me fixe, les mains sur les hanches. Alexia finit par me faire un signe de la main pour que je m'accroupisse de nouveau devant les plants de tomates. Maladroite, je me tiens, enfonçant mes doigts dans la terre.
— Il t'a embêté ? Dis-le-moi si c'est le cas. Tu ne dois pas te sentir gênée en sa présence.
— Quoi ? Non !
Mais j'ai parlé bien trop fort parce que ça attire le regard de Alex sur nous. Il se redresse et fronce les sourcils en nous regardant.
— Léa, grogne sa sœur.
— Je sais, je sais, excuse-moi. Mais non, il n'a rien fait. C'est juste...moi.
Alexia recule, de nouveau surprise. Voyant qu'elle ne comprend pas, je poursuis :
- C'est juste que je ne suis pas tout le temps très à l'aise en sa présence, parfois.
— Pourtant, il me semblait que la glace avait fondu entre vous deux. Vous n'avez pas discuté quand on est allés se baigner ?
— Si mais depuis, on s'est pas vraiment reparlés, tu vois.
Ale, comprenant vite, m'affiche un sourire aussi radieux que le soleil. Cette fille est ravissante sans faire un seul effort. Je me demande combien de garçons elle a dû pulvériser. Mais ce n'est pas vraiment le sujet. Elle me tire de mes réflexions.
— Ne t'inquiète pas. Tu vas voir. Tu te sentiras de nouveau à l'aise. Pour l'instant, ne fais pas attention. Regarde, il s'est endormi !
Je tourne la tête pour regarder derrière moi et effectivement, il dort paisiblement. Son thorax se soulève à un rythme régulier et il ne bouge pas. Quand a-t-il commencé à s'assoupir ? Après tout, je ne vais pas m'en plaindre. Ça m'évitera de regarder tous les secondes derrière moi pour voir si il m'observe ou d'être gênée.
— Tu veux de l'aide ? je propose à mon amie.
Elle acquiesce et nous nous mettons rapidement au travail. Je l'aide à arranger, désherber les mauvaises herbes qui traînent autour du jardin et nous arrosons les plants qui n'ont pas poussés. Nous continuons jusqu'à que ce soit terminé.
Je passe ma main sous mon front après un temps dur labeur et je souris, ravie de moi. Alexia se poste juste à côté de moi, heureuse elle aussi.
— Merci de m'avoir aidée.
— Mais de rien ! C'était normal, vu que vous m'hébergez. C'est la moindre des choses.
— Roh tu sais bien qu'on aime bien t'avoir ici ! fait-elle en me donnant un petit coup de coude dans les côtes.
Je lui rends un énième sourire et nous restons là, à savourer le calme ambiant. Mais ce n'est pas longtemps car un gémissement de douleur nous fait sursauter.
Nous nous tournons, pour voir un Alex complètement chamboulé. Il bouge dans tous les sens et crit :
— Non ! Ne la touche pas !
Soudainement, mon cœur s'accélère sans que je sache quoi faire. Alex qui crit me terrifie. Je reste statique, la gorge terriblement nouée. Que faire ? Devrais-je y aller ? Tant de questions qui se bousculent dans mon crâne et menace de me faire paniquer pour de bon. Je regarde autour de moi pour voir si quelqu'un est là, mais je ne vois personne.
Alexia a disparu dès que son frère a commencé à hurler. Mais que fait-elle ? Je commence à trembler et je ne peux plus tenir en place. Les jambes flageolantes, je regarde, désespérée, Alex se tenir la tête, les paupières toujours fermées.
Il tremble, comme une victime de crise d'épilepsie. Mais je ne sais que faire dans ces cas là et je doute fortement que les loups soient malades. Je n'en peux plus, je ne supporte plus. Je cours jusqu'à lui et m'accroupis tandis qu'il continue à crier à je ne sais qui de ne pas la toucher.
— Alex ? je tente, en tendant la main, effrayée.
Il pourrait très bien me donner un mauvais coup et m'assomer, et pourtant, je le fais quand même. Comme par magie, il se calme, je ne sais comment et gémis :
— Léana...
Mes yeux s'écarquillent. Mon coeur s'arrête. Je reste béate, sans oser bouger. Sans pouvoir faire un seul geste. Parce qu'il a prononcé mon vrai prénom. Je commence à m'imaginer pire scénario.
Comment sait-il ? Comment a-t-il deviné ? Va-t-il me traiter de menteuse une fois qu'il se réveillera. Et puis je me souviens que quelqu'un d'autre porte mon prénom. Cette femme. Celle dont je rêve bien souvent. Parlerait-il d'elle ?
Pourquoi j'ai la forte impression, que malgré tout, il s'adresse à moi ? Mais j'essaye de me raisonner. Peut-être est-ce parce que j'ai besoin d'aide et que Léo continue de me traquer. Je déglutis, avec un goût amer dans le fond de la gorge. Mais je ne peux pas nier la force avec laquelle mon coeur se serre.
Mais Alex n'en n'a pas fini. Il finit par trembler de plus en plus et j'approche mes mains tremblantes. Cependant, il bouge bien trop et il me fait mal en donnant des coups. Puis il recommence à hurler, cette fois à me vriller les oreilles.
Instinctivement, je pose mes mains sur mes oreilles, ferme les yeux et prie le plus fort possible de l'aide. Pitié, que quelqu'un vienne à son secours, parce que je suis impuissante. Je le sens, moi aussi, je commence à trembler.
Je ne vais pas supporter cette situation bien longtemps. Non. Je vais étouffer. Cependant, mes pensées défilent.
Pourquoi Alex est comme ça ? Qu'est-ce qui le déclenche ? Je ne sais pas... Pourquoi c'est si violent ?
Sa voix hurle encore plus et je grince des dents. Pitié. De l'aide.
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