Chapitre 19
— Vous dites être partie de votre meute ? me questionne le jeune homme.
Quand je le regarde, je ne peux pas m'empêcher de le trouver séduisant. Ce n'est clairement pas le moment mais mon esprit n'en n'a que faire. C'est un très beau loup. J'ai appris quelques choses à son propos même si ça fait à peine deux heures que je l'ai rencontré. Il vient justement de la meute du Sud, là où je dois me rendre. Quand je lui ai dit, il m'a regardée, éberlué.
— Figurez-vous que je viens de cette meute.
Un petit hoquet de surprise a passé mes lèvres. Je ne m'attendais pas à ce qu'il ait la même destination que moi. Le hasard fait bien les choses.
— Je suppose donc que vous voulez me suivre.
— C'est très juste, je lui souris.
— Vous avez quel âge ?
— Je viens d'avoir la majorité, quatorze ans. Et vous ?
— J'ai dix-sept ans. Pourquoi voulez-vous aller dans notre meute, si ce n'est pas trop indiscret ?
Je me rembrunis. Je n'ai pas envie d'en parler, ce que mon interlocuteur comprend. Je m'attends à ce qu'il y ait un gros blanc mais il me surprend encore une fois.
— J'espère que vous vous sentirez bien dans notre meute. Nous sommes une grande famille. Vous serez bien, j'en suis sûr.
— Merci beaucoup.
Je le regarde du coin de l'œil. J'ai peur que ce blanc ne s'éternise ; qu'aucun de nous deux n'essaye de le briser. Ça me met terriblement mal à l'aise et me terrifie tellement que je serre les poings.
J'ai parlé rarement à des gens dans ma meute et ma mère ne me laissait rarement la liberté de voir quelqu'un. Seulement Léo venait me voir le soir, en cachette. Il a été ma seule source de réconfort, mon seul confident. Pendant longtemps, il m'a aidée et a essayé de parler de ma souffrance à l'Alpha mais ça tombait dans les oreilles d'un sourd.
Hier soir, il a finit par abandonner. Léo n'avait plus le droit de me voir, au risque de perdre tout ce qu'il avait. Il a préfère m'abandonner lâchement. Quand j'y pense, un étau invisible serre mon cœur. Je ne peux pas ainsi me livrer devant un inconnu, laisser les larmes couler, bien qu'il soit gentil, en apparence...
Je refoule. Tout. Mais ce blanc m'effraie toujours. Je ne supporte pas ce silence oppressant. Je prends mon courage à deux mains et engage de nouveau la conversation.
— Vous n'avez pas peur que des hommes voient la meute ? Au beau milieu de la nature.
Le jeune homme a un petit rire communicatif. Je me demande bien ce qui lui provoque une telle émotion. Je me surprends tout de même à sourire.
— Même si on nous voyait, les hommes ne feraient rien. Ils imagineront juste un conte, quelque chose qui explique ce qu'ils ont vu. L'irrationnel a toujours besoin d'être expliqué par eux. Après tout je comprends. On est au dix-huitième siècle. Ils n'ont aucune technologie, quelques savoirs. Comment pourraient-ils expliquer que des hommes se transforment en des loups et soient plus avancés qu'eux ? Ils criraient au loup.
— Effectivement, nous sommes des loups, commenté-je avec un petit rire.
Il me sourit en retour. Nous continuons à discuter de tout et de rien. Cette fois-ci, comme la première fois que je l'ai vu, je pressens que c'est quelqu'un de bien. Sans savoir pourquoi.
Au bout de quelques heures, nous finissons par arriver à la meute. Je la vois à travers un dôme, rayonnante, pleine de vie. Les arbres, aussi haut que les oiseaux dans le ciel, surplombent l'espace. Des chants parviennent à mes oreilles. Je perçois des bruits furtifs d'animaux. Les feuilles des arbres bruissent sous la légère brise du vent. Toute la nature semble en communion.
Je regarde bouche-bée. Au loin, j'entends l'eau se jetant dans le lac. Tous mes sens sont en éveil, bercés par la nature. Cet endroit est magnifique, un vrai paradis. Et dire que les hommes ratent ça. Si ils connaissaient ce genre d'endroits, ils en profiteraient, au risque de se battre avec d'autres pour.
— C'est magnifique, je murmure.
— C'est notre havre de paix.
— J'adore !
— Tant mieux vu que vous allez y vivre.
— C'est vrai...
Je tourne sur moi-même pour mieux observer ce qui m'entoure. Je ne remarque que trop tard qu'un homme s'avance vers nous, furieux.
Il se poste devant mon compagnon de voyage et le regarde avec l'envie de le tuer. Il me donne froid dans le dos en sa seule présence. D'un seul coup d'œil, je vois bien que je ne suis pas la seule. Le jeune homme à l'air aussi mal à l'aise que moi.
— Tiens, mais qui voilà, Alexander ! Tu es au courant que tout le monde te cherche ? On a remué la meute toute entière ! Surtout ton père.
J'écoute avidement. La curiosité est mon plus vilain défaut, c'est vrai. Alors le jeune homme s'appelle Alexander. Intéressant. L'autre, perd de plus en plus patience et croise les bras sur son torse.
— Norrix, calme-toi. Tu fais peur à notre invitée.
L'intéressé tourne enfin la tête vers moi, comme s'il venait à peine de remarquer ma présence. Son imposante posture donnerait des sueurs froides à n'importe qui. Je perçois ses muscles à travers ses vêtements plutôt communs. Rien de bien spectaculaire.
Il doit avoir l'habitude de soulever des choses. Ses prunelles vertes ne sont plus que deux billes semblables à des jades, cachées par quelques mèches noirs qui lui tombent sur le visage. Il a un visage d'ange. Mais tout est gâché quand il fixe furieusement le dénommé Alexander.
— Excusez-moi, murmure-t-il, plus en une sorte de grognement. Je me présente, je suis Norrix. Je suis le deuxième bêta de la meute du Sud. Je suppose qu'il ne t'a rien dit.
— Dire quoi ? je questionne Norrix.
Nous nous retournons tous les deux vers Alexander, qui se mord la lèvre inférieure. Il respire un grand coup et se lance :
— Je ne t'ai rien dit pour ne pas que ton comportement ne change mais je suis le futur Alpha de cette meute.
C'est alors que je percute. J'ai discuté tranquillement avec un loup qui deviendra plus tard un Alpha. Un manque de respect indéniable de ma part. En cet instant, je ne veux plus que me terrer dans un trou de souris.
— Oh mon dieu...murmuré-je contre mes doigts, la main posée contre ma bouche.
Alexander soupire. Je n'aurais jamais pu croire qu'il serait le futur Alpha. Pourtant, j'aurais dû m'en douter. Son imposante carrure, l'aura mystérieuse qui l'entoure, sa façon d'observer autour de lui. Tant de choses auraient pu me mettre la puce à l'oreille mais j'ai été si fixée sur son physique que je n'ai pas fait attention. J'en rougis jusqu'aux oreilles.
— Ne vous excusez pas, j'ai choisi délibérément de vous le cacher. Ça relève de ma responsabilité. Mais je ne voulais pas que vous vous sentiez mal à l'aise avec moi. Ça me gêne.
— Je comprends, répondé-je.
Il baisse la tête en signe de compréhension et Norrix nous fait rentrer dans le dôme. Ça grouille de monde. Des gens passent avec leurs courses — ce que je suppose — et des enfants courent dans tous les sens. Je manque d'ailleurs de m'en prendre un et Alex me touche le dos encore une fois. Ce seul contact me fait rougir une nouvelle fois mais je cache ça vite fait.
— Voilà la meute, me présente Alex.
— Ça se ressent, c'est très chaleureux.
— Merci, dit-il avec un sourire discret collé sur le visage. Il y a des maisons qui sont vides. On va vous installer là-bas. Et vous fournir des habits aussi.
— Ce serait bien, oui, trempée comme je suis ! Et... Tutoie-moi, je préfère.
— C'est d'accord. Euh...
Il pâlit et commence à bégayer. Un tel changement d'humeur me laisse de marbre. Qu'a-t-il ? Il finit par soupirer en posant sa main sur son front.
— Je me sens bête. J'ai oublié de te demander ton prénom.
Je souris en le voyant faire. Son erreur ne m'a absolument rien fait.
— Ce n'est pas grave. Je m'appelle Léana.
— Très jolie prénom.
Il me fait un petit clin d'œil. J'en rougis une nouvelle fois et je dois me contenir le plus possible pour ne pas sourire comme une psychopathe.
— Suis-moi, ta nouvelle maison est par là-bas.
— D'accord.
Nous naviguons parmi les habitants et finissons par déboucher à l'orée des bois, où une petite maison nous fait face. Très jolie, sa façade blanche réfléchit les rayonnements du soleil et tient donc la maison à l'abri de la chaleur étouffante. Il y a deux fenêtres, l'une au rez-de-chaussée tandis que l'autre à une vue sur le marché. La petite porte en bois semble sur le point de se briser, grinçant sous le soufflement du vent. Sur les murs, des tâches noires de pourritures donnent un aspect un peu crasseux à la maison.
Je grimace et Alex n'en fait pas moins.
— Va falloir changer certaines choses. On s'en chargera, ne t'en fais pas.
De premier abord, la maison ne me donne pas envie mais je n'ai pas vu le dedans pour pouvoir juger entièrement.
— Rentrons, non ? je propose.
— Ouais...
Je pousse la porte et rentre dans la bâtisse. Je m'attendais à pire en voyant l'aspect simple de la maison. La cuisine prend un quart de la pièce, accompagnée d'un petit réfrigérateur ainsi que d'une table pour manger, partagée avec le minuscule salon.
Il y a très peu de meuble à part une petite table en face d'un canapé gris, usé et effiloché sur les côtés, vieilli par le temps. Le tout, dominé d'une seule couleur : le blanc. Ça me donne la migraine à force d'observer mais je vais bien devoir m'y habituer.
À côté du canapé, un escalier en colimaçon pour accéder à ce que je suppose, la salle de bain et toilettes avec ma chambre.
— Je sais que c'est pas fou...grimace-t-il en se grattant l'arrière de la tête.
Je le sens particulièrement nerveux à l'idée que je vive ici, dans cette maison quelque peu délabrée. Je le rassure d'un sourire.
— Je vais m'y faire et je vais l'aménager, t'en fais pas.
— Tu veux que je t'accompagne pour voir le haut ?
— Non ça va aller...
Alors que nous sortons, une dame plutôt âgé nous interrompt. Sa peau ridée et flasque par le temps lui donne un air fatigué. Elle semble sur le point de s'évanouir tant elle tremble. Je fronce des sourcils. Nous ne vieillissons pas par rapport à d'autres espèces surnaturelles. Alors que fait une femme âgé ici ? C'est là que je remarque qu'elle tient dans sa main une pile importante de vêtements.
— Ah ! s'exclame Alex. Ce sont les vêtements.
— Ils sont plutôt neufs, ajoute la femme.
— Merci infiniment, je lui souris.
— Mais de rien ! Une jeune femme aussi belle que vous, fait-elle d'une voix chevrotante — comme si elle avait mangé des insectes — , agrémentant cela d'un clin d'œil.
Sa voix me dérange quelque peu mais j'en fais abstraction. Dans cette meute, ils aiment beaucoup faire des clins d'œils ! La femme me donne les habits avant de s'éclipser d'un coup de la main.
— Je ne veux pas paraître indiscrète mais, commencé-je.
— Oui ?
— Pourquoi une femme âgé dans la meute ? Personne ne vieillit.
— Ah oui... J'ai oublié de te dire. Ici, nous vivons en harmonie avec les magiciens, qui permettent au dôme de tenir. Et ils nous soignent. En échange, nous leur offrons la protection.
— Je comprends mieux.
Cela m'est totalement nouveau. La plupart des meutes n'ont pas de dôme de protection ni de magiciens. Nous ne sommes pas connus pour être gentils avec d'autres races. Ni avec nos semblables.
— Bien, je vais devoir y aller, excuse-moi.
— Y'a aucun problème Alexander. À plus tard.
— Au revoir.
Je rentre en toute hâte en fermant la porte dans un grincement horrible. Je me pose dessus, le cœur serré. Dès qu'il est parti, la culpabilité m'a étreinte de toute part. Mais je ne peux rien dire.
Ils ne doivent pas savoir qui je suis réellement qu'en cas majeur. J'ai bien trop peur qu'il n'y ait des problèmes. Ils pourraient me haïr, décrétant que je mens éhontement et me bannir. Ou pire, me vénérer, telle la déesse que je suis. Mais ce n'est pas ce que je veux.
Je le jure sur ma vie que je ne révèlerai ce secret que si j'en suis obligée.
**
Deux ans plus tard
Mes éclats de rires emplissent l'air tranquille de la forêt. À côté de nous, pas un bruit. Je pousse plusieurs petits cris surpris quand Alex vient de m'éclabousser. Nous sommes près d'une cascade et Alex se venge après que je lui ai jeté de l'eau dessus. Il est très malicieux et adore embêter les autres. J'aime beaucoup cet aspect de lui et chaque jour me fait l'aimer un peu plus.
Après deux ans de secrets, de moments de complicités, de confiance, je ne regrette pas d'avoir quitté ma meute. Je ne sais pas ce que je serai sans lui, sans son amour, même si il ne le sait pas. J'essaie toujours de savoir mais j'ai peur. Peur qu'il en aime une autre.
— Bon, va falloir y aller.
Je ricane.
— Comme ça ? Tout dégoulinant ?
— Tu t'es pas regardé.
— Mais moi je suis belle, mouillée.
Pendant un instant, plus personne ne dit rien. J'en viens à être gênée par ce blanc, jusqu'à ce que Alex acquiesce et détourne le regard, n'en disant pas plus. Je soupire et serre les lèvres.
Je doutais déjà mais maintenant j'en suis sûre. Je ne lui plais pas et ne lui plairai jamais. Sinon, pourquoi ferait-il cette tête ? Le reste du chemin, je le passe mal. Le cœur lourd, j'essaye de ne pas craquer face à lui, ni l'inquiéter.
— Tu veux manger chez nous ? me demande le jeune homme.
— Oh je veux pas vous gêner.
Il passe sa main dans mes cheveux et me les ébourrife. Ce geste me réchauffe brièvement le cœur avant que je n'ai l'impression qu'il me prend pour sa petite sœur. Je déglutis et prie pour chasser ce sentiment qui m'opprime la poitrine loin de moi.
— Arrête Nana. Tu sais bien que mon père t'adore !
Et toi ? demandé-je, muette, au fond de moi.
— C'est vrai.
— Excusez-moi vous deux, nous interrompt une voix.
Nous nous retournons pour voir Norrix, complètement essouflé. Il semble mourir sous la chaleur étouffante de juillet. Il pose ses mains sur ses genoux et, la respiration sifflante, tousse.
— On dirait que t'es entrain de faire une syncope Norrix. Ça va pas ? lui fait Alex.
Je me sens tout à coup pas très bien et de nouveau opprimée. Je pressens, sans savoir pourquoi, que ce que nous dira Norrix ne nous plaira pas.
— Je...je...
Il essaye de parler mais à bout de souffle, il n'arrive pas à aligner plus de deux mots. Nous lui laissons le temps de se reprendre. Après deux bonnes minutes, il semble reprendre son souffle.
— Un homme. À l'entrée. Il dit qu'il vient pour voir Léana, explique-t-il en me jetant un coup d'œil.
Je tressaille, le cœur qui bat de plus en plus vite. Je me sens toute chaude et je crois que je vais m'étouffer. Alors sans attendre Alex et Norrix, je me rue vers le centre de la meute, dans l'optique de voir de qui il s'agit. Derrière moi, les deux autres me suivent en essayant de me rattraper mais Norrix peine à avancer et reste en retrait, Alexander à ses côtés.
Quand je m'avance, je vois un homme encadré par les gardiens de la porte. Je m'arrête, tout comme mon cœur qui manque de bondir une dernière fois. Je sais de qui il s'agit, mon esprit l'a déjà compris. Les larmes que j'ai refoulées plus tôt menacent de descendre.
Non, je ne veux pas. Pas celui qui m'a abandonné. Il se retourne doucement avec les gardes qui m'ont repéré et me regarde distinctement, droit dans les yeux.
— Léana, prononce Léo.
— Toi, je siffle.
— Je suis content de te voir.
— Pas moi ! Sale vermine ! je lui hurle.
Il chancelle, les yeux écarquillés et les tempes mouillées. Oui, il croyait qu'après tant de temps, je l'accueillerai les bras ouverts. Quelle bonne blague ! Je n'accepte pas les traitres.
— Mais enfin Léana.
— Ne reviens pas ici. Je ne veux plus jamais te voir, est-ce clair ?
— J'ai été banni. Pour toi Léana. Pour t'avoir rejoint.
— Je m'en fous, je rétorque. Tu m'as abandonnée quand j'avais le plus besoin de toi. Va-t-en.
— Tu t'es trouvé un autre meilleur ami c'est ça ? s'esclaffe-t-il sarcastiquement.
— Mieux.
Et je lui tourne le dos. Les larmes dévalent maintenant mes joues. À sa seule vue, il a fait tout remontémer. Les coups incessants de ma mère chaque jours, l'abandon de ma meute ainsi que le sien. Ma triste, pauvre et misérable vie jusqu'à mes quatorze ans. Je ne tiens plus. Le besoin de fuir est plus fort que tout alors je cours, en ignorant les cris de Alex et les regards curieux ou déplacés.
Je me terre dans ma maison une fois arrivée et me roule en boule dans mon lit sans pouvoir arrêter de verser mes larmes. Mon cœur me pique incessamment. Quand s'arrêtera-t-il ?
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