Chapitre 16

Tout est sombre. Noir. Je ne perçois absolument rien. Un brouillard couvre mes yeux. J'ai peur quand je m'avance peu à peu. Malgré le fait que je bute, que tous mes membres tremblent, je me force à aller par delà cette étrange fumée. Quand je le sens remonter le long de mes bras et m'entourer, je serre les dents et sens mes yeux s'humidifier. Terrifiée, je n'arrive plus à bouger le petit doigt. 

Quelque chose me donne envie de rebrousser chemin sans plus attendre. Mais quand je m'apprête à écouter ma conscience, quelqu'un sort de cet épais brouillard. Instantanément, je reconnais l'élu de mon cœur : Léo.

Sans réfléchir, j'avance pour me blottir dans ses bras mais au dernier moment, je bloque. Je me souviens alors qu'il m'a trahi de la pire manière qu'il soit. Les souvenirs remontent et même son regard langoureux, son sourire qui se veut rassurant ne pourront effacer ça.

Non. C'est terminé. C'est terminé. Cette phrase résonne dans tout mon être et j'ai du mal à l'accepter même si elle s'impose de plus en plus en moi. Comment je peux continuer à aimer un garçon qui est à l'origine de la malédiction qui pèse sur moi ?

Pourtant, j'ai quand même envie de rester un peu avec lui, avec tout ce qui nous entoure. Je sais que je ne le devrais pas, je le sais parfaitement. Mais quelque chose me pousse à le désirer. Quand je tends main tremblante vers lui, quelqu'un me l'attrape et m'attire contre lui.

Quand je sens une main froide contre ma peau, je hurle de peur. Je commence à trembler et j'ai juste envie de m'enfoncer six pieds sous terre. Pourtant, cette main perfide se glisse sous mon menton et me relève la tête.

Un second hurlement passe mes lèvres avant que je pousse ma mère loin de moi, de toutes mes forces. Je ne la reconnais plus. Je recule sans pouvoir m'arrêter jusqu'à ce que mon dos heurte quelque chose. Mais je ne me retourne pas pour regarder, tremblante. J'ai bien trop peur de ce que je pourrais y voir.

Ma mère me provoque déjà assez de cauchemars. Des milliers de petites cicatrices ornent son visage et du sang s'écoule des plais ouvertes qui s'étalent sur ses bras et ses jambes. Elle a les yeux rouges sang et en pleure. Ses lèvres sont gercées et bleutées, comme si elle s'était battue sans relâche dans le froid.

Quant à ses cheveux, ils ne sont plus qu'un amas emmêlé de nœud. Tous ses vêtements sont déchirés horriblement et recouverts de sang.

— Tu m'observes bien ? me fait-elle soudainement.

Je...

Je ne sais pas quoi dire. Elle est quelqu'un d'autre, presque...un monstre.

— Alors regarde bien. Parce que tout ça, c'est de TA FAUTE ! me hurle-t-elle. En aimant ce monstre de Léo, tu me tues. Je pars.

— Quoi ? Non ! Maman ! je lui hurle. Jamais, non non non.

Malgré sa terrible apparence, elle reste ma mère. Sa voix me parle terriblement, comme un écho en moi. Je ne peux pas la laisser partir. Pourtant, même si je je cours vers elle sans pouvoir m'arrêter, elle reste innateignable.

— Maman ! Reviens je t'en prie. Reviens....

Je m'accroupis. Elle ne peut pas m'abandonner une nouvelle fois. Non, je refuse. Je suis bien trop perdue et mal pour qu'elle parte une nouvelle fois, sans moi. Je ferai tout pour qu'elle reste près de moi. Même si je ne peux plus voir Léo, ce n'est pas grave.

Il m'a trahi. Il ne me mérite pas même si j'en meurs d'envie. Alors je supplie ma mère de rester. Je prie de toutes mes forces mais rien n'y fait.

Je la perds de vue et bientôt, elle n'est plus qu'un infime point qui bouge ah loin. Mes larmes me mouillent le visage ainsi que mes vêtements. Je n'arrive pas non plus à arrêter mes pleurs.

— Nana...soupire quelqu'un.

Estomaquée et surprise, je relève la tête d'un coup, à m'en faire mal. Ma bouche s'ouvre en grand. Un garçon me regarde tendrement et me sourit. Malheureusement, je ne vois que ses lèvres et le reste de son visage est blanc, comme caché.

Je plisse des yeux pour me concentrer mais son visage ne m'apparaît toujours pas. Il se penche soudainement vers moi et m'emprisonne dans ses bras. Je sens sa chaleur tout contre moi et soupire en souriant. Il est réconfortant et l'envie de dormir dans ses bras est plus forte que tout. Mes paupières se ferment quand je savoure l'instant qui s'offre à moi.

— Je ne te laisserai jamais Nana, me murmure-t-il au creux de l'oreille. Que tu aies besoin de moi ou non, je suis là. Léo ne te fera plus jamais du mal.

— Tu t'appelles comment ? je le questionne.

Il se raidit et grogne.

— Tu m'as oublié ? Vraiment ?

— Quoi ? Mais-.

— Tu m'as oublié Léana. Comment tu as pu ? Je te faisais confiance !

Il me prend par les épaules et me secoue comme un prunier. Je cligne des yeux plusieurs fois car je ne comprends tout simplement rien. Je ne le connais pas même si il est gentil. Pourquoi il s'énerve comme ça ?

— Mais je ne te connais même pas, je balbutie.

Il rit jaune et met sa main contre son visage invisible. Je le vois complètement désespéré par sa posture. Il semble complètement retourné parce que je ne sais pas qui il est.

— Je suis vraiment désolée...

— Souviens toi Léana, se redresse-t-il. Tu dois te rappeller, c'est très important. Si tu ne retrouve pas, tu n'arriveras pas à compléter le puzzle de l'histoire.

— Quoi ? De quoi tu parles ?

Mais sans que je ne puisse lui demander plus, il disparaît comme par magie. Mes bras battent de l'air devant moi et je tape du poing. Où suis-je ? Le brouillard a disparu et je suis toute seule.

— Bien sûr que non, tu es à moi, alors je suis là.

Je me fige au dernier moment et me retourne vers la voix mais je ne vois personne. Il me reparle et cette voix rentre dans ma tête comme un poison. Il semble partout, autour de moi, en moi. Il répète ses mots comme une litanie, tout tourne autour de moi.

En un rien de temps, il me rend folle comme jamais et je me mets à hurler de rage et de frustration. Je prie tous les dieux possible d'arrêter ce massacre qui martèle mon crâne. Je n'en peux plus, j'atteins ma limite.

— Tu es mienne, répète la voix. Tu es mienne, pour l'éternité. Tu ne pourras jamais m'échapper.

Ses mots soulèvent en moi un concert de larmes que je ne peux pas arrêter. Je ne le pourrais jamais. J'abandonne tellement je suis fatiguée. Fatiguée de pleurer, de lutter et d'avoir peur.

Je n'écoute pas la voix. Je ne suis l'objet de personne, encore moins d'un inconnu. Pourtant, elle se rapproche et je la sens prête à me faire souffrir. Je ferme les yeux, prête à avoir de nouveau mal mais rien ne se passe.

Quand j'ouvre de nouveau les yeux, je suis assise dans mon lit, complètement en sueur. Ma respiration est saccadée et je sens mon cœur battre cent mille à l'heure sans pouvoir ralentir. Je prends le temps de respirer calmement pour me calmer, sans quoi je frise la crise cardiaque. Mes yeux me piquent quand je sens les larmes tenter de couler mais je ne les laisse pas descendre. Ses rêves sont ma hantise la plus profonde et me hantent, comme ma malédiction, tous les soirs. Ça fait bien quinze ans que je traine ça.

Les mains sur le visage, je me frotte les tempes. Est-ce trop demandé que ça s'arrête ? Je ne comprends jamais ces rêves si étranges, qui me coupent le souffle à chaque fois que j'y pense.

Tout doucement, je rejette les couvertures et posent les pieds sur le sol. J'enfile sans aucun bruit les chaussons que m'a prêté Ale et ouvre la porte. Je vérifie une dernière fois derrière moi pour être certaine qu'elle soit bien entrain de dormir et ferme doucement.

Dans les escaliers, je m'efforce de descendre un à un sans faire trop crisser le bois vieilli par le temps. Mais c'est peine perdue, malgré tous mes efforts. Quand j'arrive en bas, je baille en mettant ma main devant la bouche et une fois arrivée dans la cuisine, j'ouvre les placards en espérant discerner dans ce noir profond les tasses de thé.

J'en trouve un et souris en pensant me faire une bonne tisane et retourner me coucher. Mais je n'avais certainement pas prévu de voir une forme noire bouger dans la pénombre du soir. Mon cœur, pour la deuxième fois, sort de sa cage thoracique pour venir saigner sur le sol. Je bondis en arrière sans hurler — un miracle — et fais tomber la tasse qui vient s'échouer et exploser en mille morceaux à même le sol.

— Incroyable. J'ai jamais vu une fille avoir autant peur, commente une voix grave, certainement masculine.

La main posée sur mon cœur, je reprends mon souffle. Je ne peux pas m'empêcher de grogner. D'abord, le rêve manque de tuer et maintenant, je ne sais qui me fait peur. Aujourd'hui, on veut vraiment que je meurs de peur.

— C'est-, je, c'est qui ? je balbutie minablement.

La forme noire bouge nouveau, que je reconnais être une main. Elle s'abat sur le bouton de la lampe et l'allume. Aussitôt, je reconnais Alex, le frère de Ale.

— Mon dieu, je murmure. Tu as failli me tuer ! Tu fais quoi dans le noir à cette heure du matin ?

— J'ai vu ça, sourit-il d'un air arrogant. Je n'arrive pas à dormir, c'est tout. Je te retourne le compliment d'ailleurs.

— Pour la même raison que toi.

— Un cauchemar ?

— Oui.

Je n'aime pas trop en parler, réveiller cette blessure qui s'ouvre chaque soir. Mon meilleur remède jusqu'ici est d'oublier. Jusque là, ça n'a pas marché, c'est sûr... Pour se faire du mal inutilement ? Je ne suis pas masochiste même si je fuis la douleur, ce qui n'est pas mieux.

Je me baisse pour ramasser les bouts de verre en faisant attention de ne pas me couper inutilement un doigt. En les ramassant un à un, je les jette dans la poubelle.

— Tu ne t'es pas fait mal ? me demande soudainement Alex.

— Pardon ?

Je cligne plusieurs fois des yeux en pensant qu'il rigole. Mais non, il me regarde avec le plus grand sérieux du monde. Je crois même voir l'ombre d'un sourire sur son visage mais il s'efface en un clin d'œil que je n'en suis pas si sûre.

— Je te repose la question : tu t'es fait mal ?

— Oh...non.

— Tu t'attendais à quoi ?

— Rien rien, élucidé-je.

Ça me semble bizarre. Je le connais froid, évitant tous les regard et il s'inquiète pour moi ? Mais je n'ose rien dire, de peur qu'il ne se braque. Je me prépare mon thé tandis qu'il me suit du regard. Ça me déconcentre grandement et je hais qu'on m'observe quand je fais quelque chose. Mais ça aussi, je n'ai pas le courage de l'exprimer.

— Tu..., me lancé-je.

J'échoue lamentablement. La honte ! Mais je suis bien trop timide pour lui dire qu'il me gêne.

— Je ?

— Tu, tu pourrais arrêter de... (j'inspire et expire) de me regarder ?

— Désolé.

Il se retourne et se remet dans sa position initiale, c'est-à-dire posé contre le mur, un jambe contre son torse. Il fixe sans sourciller le mur en face de lui. Je déglutis en frissonnant. Il me fout les jetons sans trop rien faire. Ça paraît si glauque de regarder un mur sans bouger un seul doigt.

Je finis par me rendre compte que mon tisane est prête et je m'assois sur l'une des chaises hautes, en face du comptoir. La tasse à la main, je la porte à ma bouche et le liquide chaud me traverse la gorge. Il me brûle la gorge et je tousse un peu. Du coin de l'œil, je regarde une nouvelle fois le frère de Ale. Il a fermé les yeux et semble apaisé.

J'aimerais lui parler mais je ne sais pas comment aborder la discussion. Mes mains se crispent sur la tasse quand je me souviens que je suis une asociale. Ma gorge se bloque et ne veut sortir aucun mot. Ce n'est certainement pas comme ça que je vais réussir à aligner quelques mots sans balbutier ou avoir le cœur qui s'affole. Je me sens terriblement gênée et j'ai terriblement chaud d'un coup.

Je ne suis pas à ma place dans cette pièce, avec lui. Mes yeux passent de plusieurs endroits de la cuisine, en face du salon, pour chercher de quoi m'occuper l'esprit mais le blanc s'installe progressivement jusqu'à être un poids. Comment fait-il pour supporter ? En soufflant, je serre les poings et prends mon courage à deux mains.

— Tu...(je me mordille les lèvres, il ne faut pas que je flanche), tu es souvent là le soir ?

La tête contre le mur, il se relève un peu et ouvre les yeux. Aussitôt, ses beaux yeux gris viennent à la rencontre des miens et il me regarde un instant sans rien dire.

— Je suis ici tous les soirs, soupire-t-il. C'est plus calme qu'en haut, avec ma soeur qui ronfle tout le temps.

Surprise, je m'étrangle de rire tandis que ça ne fait qu'amuser Alex, qui ne quitte pas son sempiternelle sourire qui aurait fait fondre pleins de filles. Est-ce que j'en fais partie ? Je ne sais pas. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il est terriblement craquant.

— Tu es très sympa avec ta sœur, dis donc.

— Hé oui. C'est ma sœurette, j'adore l'embêter.

À mon tour, je lui offre un sourire que j'espère éclatant. Il ne dit rien et moi non plus. Le blanc revient s'installer tranquillement, bien douillet. Au bout d'un moment, je choisis de partir et de laisser Alex tranquille.

— Bon, je soupire. Je vais retourner me coucher.

— Pas de problème, je suis là si tu as besoin, me prévient le jeune homme.

— C'est d'accord, merci !

En me levant, je range la chaise et laisse la tasse dans l'évier presque vide avant de monter les escaliers un à un, avec la même délicatesse que tout à l'heure. Dans mon dos, je sens la lumière s'éteindre pour laisser place à la noirceur de la nuit. Tout doucement, je tourne la poignet et entrouvre doucement la porte pour m'y glisser. Sans plus attendre, je fonce dans mon lit pour retrouver la chaleur que me procure les couvertures.

Une voix, comme une chuchotement, me parle :

— Léa ?

— Oui Ale ?

— J'ai entendu du bruit en bas, ça va ?

— Oui oui, c'était juste ton frère qui m'a fait peur.

Ale soupire excessivement et réplique :

— J'en étais sûre. Ce crétin passe ses soirées en bas car il n'arrive pas à dormir ici.

— Tu sais pourquoi ?

Un blanc accueille mes paroles. Ale ne semble pas disposer à vouloir me répondre. Peut-être est-ce plutôt intime et moi, comme une idiote, je force.

— J'aimerais bien te le dire mais...je ne suis pas sûre que ce soit le bon moment. Il ne te connait pas assez. Désolée.

— C'est pas grave Ale. Je me recouche.

— Ok.

Je me cogite dans le lit en rabattant les couvertures sur moi pour rester au chaud. Je ne peux m'empêcher de penser à Alex et la raison pourquoi il n'arrive pas à dormir. Cette question ne quitte pas mon esprit pendant que je me sombre doucement dans les bras de Morphée.

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