Bonus : La Rencontre
Alexander
Nous courons aussi vite que nous le pouvons. Chaque pas qui nous éloigne du lieu nous éloigne de la mort prématurée que nous pourrions subir. Mais ces pourritures de loups n'en démordent pas : ils veulent nous tuer, sous ordre du « grand Léo » et ne s'arrêteront pas tant qu'ils n'auront pas eu ce qu'ils veulent.
Mes pattes tapent durement contre le sol et à chaque fois que je sens la terre racler sous moi, la présence du livre dans ma gueule me revient à l'esprit. J'aimerais pouvoir maudire Nëta de m'avoir demandé de le prendre mais on ne se met pas une déesse à dos. Qui sait ce qu'elle pourrait me faire si je l'insultais.
Surtout parce que c'est la sœur de Léana, hein.
Je voudrais rugir de frustration face à cette petite voix qui me déstabilise mais le livre me gène plus que je ne voudrais l'admettre. À mes côtés, ma sœur Alexia maintient le rythme sous sa forme humaine et je sais qu'en ce moment elle a peur. Elle n'a aucune raison, car mon secret pourrait tous nous sauver mais je ne suis pas certain d'être prêt à le montrer, surtout devant l'Ancien qui nous accompagne, Balek. Malgré le fait qu'il ait le double de notre âge, la jeunesse ne l'a pas quitté et il est bientôt plus rapide que moi.
Des hurlements résonnent derrière nous et je sais que si nous nous n'atteignons pas rapidement la barrière qui protège notre meute des scélérats comme Léo, je devrais les renvoyer ; sanglants.
Mais un espoir surgit devant moi quand la barrière n'est plus qu'à quelques mètres. Alexia n'a pas besoin que je l'interpelle, elle agit bien plus vite que moi.
- Papa ! crie-t-elle désespérément.
La voix de ma sœur jumelle retentit comme un glas dans toute la meute. Mon père comprend, en un clin d'œil, l'urgence de la situation. Les gardes qui surveillent l'entrée l'ouvrent précipitamment, par peur que nous ne puissions franchir cette barrière invisible. Des cris étouffés s'élèvent parmi la population qui peuple notre communauté et en un éclair, nous sommes déjà là. Transpirant et la respiration saccadée, je m'arrête en même temps que l'Ancien, une fois dedans.
- FERMEZ LA PORTE ! VITE ! crie ma jumelle.
Ils obéissent tout de suite et je grogne en voyant les hommes de Léo bientôt au pas de la porte qui n'est toujours pas complètement fermée. Ils pourraient encore passer et je montre les dents, prêt à cette éventualité malgré l'appréhension qui vient mordre violemment ma gorge. Heureusement, ils ne viennent que s'écraser sur la porte et repartent la queue entre les jambes, la seconde d'avant menaçants et bourrés de fureur.*
Je peux enfin respirer et aussitôt, je cours derrière l'arbre où j'ai mis mes affaires plus tôt pour me changer convenablement. Il est hors de question que tout le monde me voit nu, j'aurais bien trop honte. Mon museau s'applatit, mes poils disparaissent, mes membres deviennent des bras et des jambes et je recouvre instantanément forme humaine. Je soupire avant d'enfiler tout de suite tous mes vêtements sans plus tarder avant de rejoindre le reste de ma famille.
En sortant, je remarque que l'Ancien s'est changé lui aussi, sûrement peu enthousiaste à l'idée que tout le monde l'observe dans son plus simple appareil. Je cache le grimoire sous mon tee-shirt discrètement et fais comme si de rien n'était. Mais je n'ai même pas le temps de faire un pas que mon père se jette sur moi, ma sœur juste à côté.
- Que s'est-il passé ?
Alexia grimace et semble sur le choc mais la situation ne lui laisse pas le temps de s'en remettre. Elle se passe la main sur le visage tout en se mordant la lèvre. Quant à moi, je baisse la tête avec une envie de jurer tout haut. Je reconnais très bien cela chez ma sœur : son stress. Elle ne sait pas ce qu'elle doit dire ni faire devant tout le monde qui scrute chacun de nos pas, de nos mots, de nos gestes, dans l'attente d'une simple erreur pour la critiquer avec plaisir.
Après tout, c'est un vrai plaisir d'être soumis à une pression sans borne quand on est enfants d'Alpha. Homme ou femme, tout le monde attend de l'aînée - donc moi - qu'il devienne le futur Alpha, viril et sans peur et que le reste des enfants, s'il y a, soit aussi exemplaires que possible. J'envoie à mon père un regard que j'espère aussi noir que possible. Il ne fait rien pour changer ça et c'est insupportable. Mes tripes se serrent.
- Merde, fait Ale en fixant sur ses doigts le sang qui coule, tantôt, de ses lèvres.
Je prends mon mal en patience mais ça ne durera pas bien longtemps, surtout quand je vois ma sœur être si mal qu'elle en saigne. Mes points se serrent et je souffle plusieurs fois en m'intimant le calme. Aucun mots, aucun sons ni le moindre chuchotements traverse la meute. Tout le monde n'attend qu'une seule chose : que l'Alpha parle. J'en souris amèrement en voyant combien c'est ridicule.
- Mais que s'est-il passé bordel ? hurle mon père, sa voix brisant enfin ce silence étouffant qui avait pris place dans l'atmosphère plus qu'électrique.
Ma sœur ne sait pas quoi répondre. Elle balbutie, essaye mais je ne le supporte plus, alors je viens à son secours. C'est ma sœur et il est hors de question qu'elle soit sans défense devant tout ce beau monde qui n'attend qu'une seule chose : qu'elle se ridiculise devant son père. Malgré le fait que la meute l'apprécie plus que moi, nous sortons trop du cadre qui convient aux enfants d'Alpha - même si elle ne voit pas avec son caractère solaire -. Soyez marginaux et la société vous rejettera. Sur ce point, nous ressemblons tellement aux humains.
- Calme toi papa, Je vais tout t'expliquer.
- Alors explique moi ! Ta sœur me stresse énormément, rabroue l'Alpha.
- Nous étions avec l'ancien, Balek. Nous marchions, histoire de lui montrer les limites de la meute, seulement...quelque chose nous a attirés. De l'autre côté du dôme.
Je vois aussitôt la flamme du doute s'allumer dans les yeux de mon père et il a raison. L'Ancien ne vient d'arriver qu'au début de l'été mais il en connait déjà assez sur les lieux de par sa longue longévité de lupin mais je ne peux tout simplement pas avouer devant tout le monde ce qu'il s'est passé réellement dans les bois. Qui me croirait si je disais que la déesse de la nuit, Nëta en personne - malgré l'absence de visage - m'avait confié le grimoire de sa sœur, dans l'optique d'un avenir prochain où elle en aurait besoin. Même moi, j'ai encore du mal à y croire. Elles ont disparu depuis pas mal de temps et ne viennent plus sur terre alors pourquoi moi ?
Tu te languis d'elle.
Je resserre mon bras sur le grimoire sous mon tee-shirt en maudissant cette voix traitresse. Personne ne doit savoir et mon père ne le saura que plus tard. Je ne l'ai pas quitté des yeux et malgré sa suspicion, il ne fait pas de commentaire, du moins sur ça. Il préfère, après tout, m'enguirlander.
- Tu as traversé le mur ? crie-t-il, fou de colère. Comment tu as pu ?
- Je le devais. L'ancien a dit qu'il avait enfin trouvé ce qu'il cherchait. Alors nous sommes sortit deux minutes et des loups de la meute du Nord en ont profité pour nous pourchasser.
Je résiste à la tentation, aussi rapide que le vent, de faire un geste qui trahirait mes mots. Mon père a des soupçons et ce n'est pas le moment d'en éveiller parmi ceux qui nous regardent. Tout le monde n'est pas idiot et ils pourraient comprendre que je ne dis pas du tout la vérité ; mon père le premier.
- Le dôme est là pour nous protéger de tout envahisseur et tu défies la seule règle. Pourtant, les limites de nos terres sont bien spacieuses. Je m'en fous de cette chose, je vous veux en vie. C'est tout ce qui compte. Tu es le futur alpha, comporte toi comme tel.
La rage qui coule en moi à chaque fois que je suis près de lui se réveille d'un seul coup, bien chaude et prête à se battre. Je le jauge pendant un temps avant de fermer les yeux pour me retenir de laisser ma colère remonter à l'air libre, sous peine de ravager ce qu'il se passe autour de moi. La tension en moi enfle et grossit pour grogner sur ce père que je hais autant que j'aime. De toute façon, depuis la mort de ma mère, il ne fait même pas un effort pour nous comprendre, nous, ses enfants. Tout ce qui compte : que je devienne Alpha et ça commence à m'être insupportable.
Je vais pour ouvrir la bouche en m'assurant que la fureur qui brûle dans ma gorge ne ressorte pas au grand jour mais je n'en n'ai même pas l'occasion.
- C'est uniquement de ma faute. Je devais absolument ramener un objet très important, intervient l'Ancien.
- Alors c'est quoi ?
En simple réponse à mon père, Balek sort de sa longue tunique noire - qu'il a tout juste eu le temps d'enfiler après sa transformation - un livre à la couverture noire. Je me retiens pour ne pas toussoter de rire d'un coup en le voyant. C'est un faux, un simple livre qu'il a emporté avec lui mais il est trompeur. Pourtant je peux voir dans la lueur des yeux de mon père qu'il ne sera jamais trompé mais heureusement, il ne le montrera jamais devant tout le monde.
- Simplement ça, je t'expliquerai plus tard.
Nous hochons tous la tête quand l'homme à mes côtés questionne subitement :
- Qui est-ce ?
Intrigué, je suis son regard et découvre quelque chose que je n'avais pas remarqué. Non, pas une chose, quelqu'un. Une belle jeune fille nous observe les yeux tranquille mais elle semble tout de même sur le qui-vive, prête à toute éventualité. Ma curiosité est encore plus piquée quand je remarque qu'elle me fixe sans vergogne, soutenant mon regard pendant de longues secondes, interminables et c'est comme si j'étais aspiré dans ses prunelles marrons.
Sans que je puisse comprendre pourquoi, je sens qu'elle est aussi surprise que moi. Son cœur bat-il fort ? Je manque de m'esclaffer quand je me prends à me demander ce qu'il m'arrive soudainement.
Mais je n'arrive pas à me soustraire à ce duel de regards. Hypnotisante, son beau visage attire les regards et je ne suis visiblement pas le seul à le penser. Je déglutis, déstabilisé.
Qu'est-ce que tu fais ? Il n'y en n'a qu'une seule dont tu rêves, dont tu rêves de percer tous les secrets qui l'entourent.
Je tente de prendre une respiration normale et soupire de soulagement quand ma sœur s'avance vers elle, tout sourire, comme un enfant qui découvre son cadeau de Noël. Au moins, ça me fait plaisir de la voir comme ça après ce qu'il vient de se passer et me permet de mettre de côté ces stupides battements effrénés et étranges de mon pauvre cœur.
- Bienvenue dans la meute ! Je ne sais pas qui tu es, mais il me semble que mon père te connait, fait ma sœur.
- Effectivement, intervient celui-ci. À vous tous, je vous présente Léa, la fille de Sarah. Je vous en avais parlé d'elle. Elle va venir habiter avec nous, sa mère a...un petit problème, disons.
Je fronce des sourcils. Son ton ne me dit rien qui vaille et à le voir, on dirait qu'il s'agit bien plus que d'un petit problème. Ma gorge se bloque quand je sens réapparaître ma curiosité qui me chatouille l'esprit. Mentalement, je prie pour qu'elle se tasse. Après tout, qu'elle que soit la raison de sa venue, elle ne me regarde pas.
- Oh, Sarah ton amie magicienne ?
Mon père hoche de la tête à l'intention de sa fille et celle-ci sourit, toujours aussi excitée. Ses yeux viennent de nouveau se poser sur ceux de la mystérieuse Léa qui ne semble pas si à l'aise que ça, les mains tortillés et son sourire - qui ressemble plus à une grimace - gêné.
- C'est génial ! Tu vas donc venir habiter avec nous ? J'ai vraiment hâte. Trop de garçons chez moi, et pas assez de femmes !
Je réprime un sourire en l'entendant. Typique d'elle, ce genre de commentaire. Mais je me refroidis aussitôt quand mon père s'avance vers ma sœur et Léa, lui aussi le sourire aux lèvres. Mon cœur gémit et se replie sur lui même. Sa plainte est une terrible et insupportable douleur qu'il me lance depuis maintenant des années mais que j'ai toujours refusé de voir.
Je comprends qu'aux coups d'œil qu'on me lance, que je me suis assombris. Mais c'est malgré moi. De quel droit sourit-il alors qu'il nous a abandonné ? Il a préféré se complaire dans sa peine quand toute la famille souffrait - et souffre - autant que lui.
- Si ça ne te dérange pas Léa, tu vas devoir dormir avec Alexia, nous n'avons pas d'autres chambres mais ne t'en fais pas, sa chambre est gigantesque, fait-il.
- Pas de problème.
- Oui ! s'exclame Alexia. En plus c'est l'été, on va pouvoir s'éclater tous les soirs.
J'aimerais serrer les poings mais la joie d'Ale me soulage quelque peu. Au moins, je suis le seul à sentir mon cœur s'effondrer encore une fois en voyant mon père, ses yeux si trompeurs et son sourire si faux. Personne ne pourrait se douter que derrière cette façade se cache un lâche. Je déglutis quand le dernier morceau de mon palpitant se craquelle et que le tout, brisé, vient s'échouer. La douleur, aussi vive qu'une coupure, n'est néanmoins plus aussi blessante. Après tout, je m'y suis habitué ; à cette blessure ouverte.
- Avant tout, Léa, je te présente (il fait un geste à l'encontre de ceux qui sont restés derrière lui) un des anciens qui logent dans notre meute, puis mon fils, Alexander.
Mon nom me rappelle une nouvelle fois, la dure réalité.
- Alex, corrigé-je le plus froidement possiblement.
Je reçois des regards noirs de ceux qui pensent que je représente l'insubordination pure d'un fils envers son père. Mais ils ne savent pas la vérité et je n'en n'ai que faire, de leurs avis. Je ne supporte tout simplement plus mon prénom dans sa bouche. Dans la bouche de celui qui, au lieu de nous pousser à tous nous serrer les coudes, nous a laissé à notre misère tandis qu'il se soulait en espérant oublier le vide qu'avait laissé notre mère. Oui, personne ne sait que mon père a été un ivrogne, même pas ma sœur ni mes deux frères. Personne à part moi.
Je devais le regarder sombrer tandis que ma propre peine m'engourdissait pour mieux me dévorer, avant de me faire plonger. Je sais que ma mère n'aimerait pas nous voir comme cela, ni ma sœur qui me lance un regard plein de tension. Elle me comprend mais je dois me calmer. J'envoie un regard noir à mon père, qui ne le relève pas, les lèvres serrés puis je plonge dans les yeux de notre invitée.
- Bonjour, fais-je à son attention.
- Salut...
Je sais bien que je suis froid mais c'est pour le moment une inconnue, certes une invitée mais une inconnue quand même. Malgré le fait que je me sens comme aspiré par ses yeux, je détourne le regard tandis que mon cœur bondit. Je prends une grande inspiration. Je dois garder au plus possible mon sang froid et ne laisser personne, absolument personne, deviner le martyr qui se cache sous cette peau. C'est la seule façon d'éloigner les hypocrites qui pensent tout connaître de moi et les personnes susceptibles de me découvrir que pour me frapper plus fort.
La tension est palpable et c'est pourquoi mon père prend la parole tout en s'emparant des sacs de Léa mais je ne l'écoute plus.
- Rodric, je...je peux le porter tu sais.
En revanche, elle, je ne peux pas m'empêcher de tendre l'oreille. Sa douce voix est une belle mélodie à mes oreilles et me déstabilise maintenant que je l'entends clairement.
- Ne t'inquiètes pas Léa, tu es notre invitée et c'est tout à fait normal.
- Il va falloir t'y faire, lui chuchote Alexia. Ici, la femme est très précieuse et parfois chouchoutée.
Je manque de m'esclaffer méchamment. Toutes les femmes ne le sont pas et beaucoup n'ont pas besoin d'un stupide prince charmant qui ne vit que pour les servir. Mon cœur continue de tambouriner et je me passe rageusement une main dans les cheveux.
Ne remets pas ta frustration sur ta sœur.
- Vous avez le droit de vous battre ?
- Bien sûr ! s'exclame ma sœur. Je te rassure, ce n'est pas parce que la femme est chouchoutée qu'elle est considérée comme faible. Nous sommes toutes fortes et nous savons nous protéger. Et nous nous battons aussi, même contre les hommes ! Ici, nous ne faisons pas de différence. Tu n'as pas à t'en faire. Nous ne sommes pas comme les humains, à réduire les femmes à l'état d'objets.
- Ça me rassure, lui répond Léa.
- Je peux comprendre putain.
C'est quand les deux s'arrêtent que je reviens à la réalité. La maison nous fait face et il est temps de rentrer. Au moins, le seul avantage est que je n'aurais plus à croiser mon père, qui est marié à son travail. Un rire tonitruant me sort de mes pensées.
- Tu me fumes Léa. Ta réaction est tellement marrante.
Je manque de lever les yeux au ciel. Je ne suis pas vraiment d'humeur et les voir plantées là me donne envie de foncer dans la maison et de claquer la porte pour ne rester qu'avec moi, et moi seul. Même Indrik ne saurait me calmer, sur ce coup-là. Mais avant que je ne puisse le faire, ma bouche me dépasse :
- Tais-toi. Papa est déjà monté alors fais pareil.
- Nan mais je rêve ! rispote-t-elle.
Heureusement, elles s'en vont dans la maison depuis qu'Alexia s'est mise dans la tête de lui faire visiter intégralement notre demeure. Je m'apprête à mon tour à rentrer mais quelqu'un m'arrête. Quand je me retourne, le visage de Balec me fait face.
- Alex... Juste. Je voulais te dire que je comprends que tu sois sur les nerfs. Ton père m'a raconté, je sais tout. Et je comprends aussi ce que tu ressens, en tous cas de ce que j'en vois. Je te conseille tout simplement de museler ta rage le temps que ton père est Alpha. Ton père risque de partir bientôt, et quand tu le remplaceras, tu pourras te faire entendre.
Mais se rend-t-il de compte de l'absurdité qu'il sort ? Alpha ou non, mon père ne comprendra jamais son erreur, même après bientôt huit ans depuis la mort de notre mère. Je pourrais lui dire la vérité : que je ne serai jamais Alpha. Je ne compte pas le devenir si c'est pour être tellement pris par les responsabilités d'Alpha que ma famille ne sera plus qu'un fantôme que j'aurais oublié par derrière mon épaule.
Non, je ne reproduirais pas les erreurs de mon père. Mais je vais me taire, comme tant de fois. Non pas parce que je ne rêve pas de découvrir sa tête quand je lui cracherai ça mais simplement parce que dire la vérité équivaudrait à resserrer les solides chaînes qui ceignent mon corps. Ils n'en seraient que plus déterminés à ce que je prenne la place de mon père et ça c'est impossible.
- Très bien, je l'entends, mens-je.
Il hoche la tête en signe de compréhension avant de partir. Quand je rentre dans la maison, je comprends au son de leurs voix que la visite touche presque à sa fin. Je serre le poing, tremblant. Ma sœur ne doit surtout pas se rendre compte de ce qu'il se passe en moi et pour ça, je dois feindre être froid et nonchalant. Il n'y a qu'un moyen. Je monte à mon tour le début des escaliers quand elles se retournent, toutes les deux.
Mon regard rejoint aussitôt celui de Léa un bref instant avant que je le quitte. J'ai bien trop peur de découvrir quoi que ce soit ou plutôt, l'image qu'il me renverrait de moi-même. Un garçon si froid de l'extérieur mais si détruit à l'intérieur et qui s'intéresse subitement à une inconnue sur le point d'emménager chez lui. Quelle blague stupide.
Pour masquer le trouble qui continue de faire des ravages, je lève un sourcil et fais ce sourire qui, je sais, embêtera ma sœur. Elle déteste quand je sors ce petit sourire arrogant et c'est exactement ce que je compte faire. Finalement, la taquiner ne fera de mal à personne.
- Vous avez l'air de deux folles qui rigolent toutes seules. Ça fait peur à voir, vous savez.
- Oh mais on t'emmerde toi, rétorque ma sœur.
Je couvre aussitôt mon sourire fade et fonce dans ma chambre sans un regard de plus. Je soupire. Personne n'a vu le subterfuge, le masque qui aurait pu se craqueller si j'étais resté quelques minutes de plus. J'attends quelques minutes que les deux restent dans la chambre pour descendre rapidement au sous-sol : mon repère par excellence.
Des dessins par milliers m'entourent et je soupire assistôt, le cœur allégé. Ce lieu a un don : celui de m'apaiser. Entouré de dessins, je peux souffler et laisser libre court à mon imagination, plongé dans le monde des rêves. Je tressaille subitement quand je pense à mes propres songes, que je tente d'arrêter mais ça ne marche guère.
Enfin soit, je m'avance et me saisis d'une feuille vierge pour commencer à esquisser quelques coups de crayons. Néanmoins, je relève la tête pour regarder les dessins si particuliers que je fais de la déesse de la lune. Sur tous, elle est magnifique, digne de tous les égards et louanges qu'on lui voue. Sa beauté n'a d'égale que son statut.
Quand je la vois, rendue vivante grâce à mes crayons, je ne peux pas m'empêcher de me remémorer sa terrible mort. Cette terrible mort que je revis chaque nuit. Quelque fois, un personnage de plus s'invite. Un personnage qui me manque autant que j'ai besoin d'elle. Ma mère.
Je ferme les yeux en sentant cette horrible boule revenir dans ma gorge et être un poids qui me tend mon corps en entier. Quand je pense pouvoir enfin commencer à dessiner, loin de ces souvenirs qui me hantent même jusque dans mes pensées, quelqu'un rentre dans mon espace privé.
Je m'apprête à demander des comptes à la personne quand je m'aperçois que mon père a le regard complètement fou. Et ce que j'y vois est terrible. Dans ses yeux, j'ai les yeux écarquillés, non pas de stupeur, mais de fureur, comme sur le point d'exploser. Il est comme un miroir, une image de moi-même.
- Qu'est-ce que tu veux ? Tu n'as rien à faire ici.
- Tu ne me parles pas sur ce ton, Alexander Williams ! Je vois, qu'encore une fois, au lieu de t'intéresser au rôle que tu assumeras dans quelques mois, tu perds ton temps précieux à la dessiner.
Comme s'il avait appuyé sur le bouton, je vois rouge.
- Ne parle pas d'elle comme si elle n'était rien ! hurlé-je.
Je ne le laisserai pas parler d'elle comme si elle n'était qu'une moins que rien, une simple obsession de ma part. Il ne sait rien, de ce que je vis, de sa mort que je vois se produire sous mes yeux chaque nuit. Après tout, pourquoi lui dirais-je ? Il ne pourrait jamais comprendre ! Il se fiche de ce que je peux vivre, de la pression qu'il met sur moi et mes frères et sœurs et ne se demande même pas si ses actes avant ont eu des conséquences dramatiques sur nous, sur la personne que nous sommes. Et rien que pour ça, je ne supporte plus sa vie.
- Avoue-le Alex, qu'elle n'est qu'une obsession.
- Tu ne sais rien, absolument rien. Alors va-t-en.
- Alexander Williams, menace-t-il dans l'espoir que je me soumette mais ça fait depuis mes dix ans que je ne lui obéis plus.
Il s'en rend compte simplement trop tard.
- Va-t-en, je t'ai dit !
Ma respiration est entrecoupée, sifflante après que j'ai craché ces derniers mots de tout mon être. Ses yeux à lui lancent des éclairs. Au lieu de partir, il reste là ; pour m'achever.
- Si ta mère était encore là, elle aurait honte de ce que tu es.
C'est sur ces mots qu'il claque la porte du sous-sol. Je me retiens de justesse en m'appuyant sur le mur avant de tomber à genoux. Le sol sous moi est flou et ce n'est que quand je vois les larmes tomber comme au ralenti que je comprends qu'il m'a meurtri d'un dernier coup de couteau.
En utilisant ma mère.
* = À partir de ce passage a été amélioré par rapport au début suite au souci de cohérence avec le reste du livre, à savoir la nudité des loups après transformations et nombre réel de personnages (trois) à ce moment-là. Adapté à la réécriture qui aura lieu, les changements ne doivent pas donc vous surprendre.
Pour ceux qui le savent, ce bonus devait être celui d'un autre auteur mais n'ayant plus de contact avec lui et n'ayant pas non plus son autorisation à publier le chapitre qu'il a fait, j'ai donc décidé d'écrire moi-même, un bonus, qui je l'espère, vous plaira !
Je tenais aussi à vous annoncer très prochainement la réécriture de cette saison, la S1 de LMDLL ! Je me suis posée un ultimatum. Si j'atteins sur cette œuvre les 10k avant juin, dès ceux-ci atteints, je commencerai la réécriture sinon, j'attendrai d'avoir écrit 25 chapitres de la saison 2 pour commencer la réécriture de cette saison.
Surtout, je vous remercie de suivre cette histoire. Savoir qu'elle vous plaît me ravit au plus haut point. Depuis quelques semaines déjà, les vues affluent et c'est vraiment incroyable de voir mon histoire continuer de voyager à travers vous.
Un grand merci, vous êtes tous.tes incroyables ! ❤️
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