Prologue
Elle courait depuis si longtemps qu'elle en avait perdu la notion du temps, recouverte de sa cape qui semblait l'envelopper de ténèbres. Et pourtant, derrière elle, lorsqu'elle se retournait brièvement, elle voyait toujours la lueur des torches de ceux qui la poursuivaient, trouant l'obscurité salvatrice. Ils n'avaient pas abandonné la chasse. Tu ne seras jamais en sécurité nulle part. La peur l'envahit soudain comme une vague déferlant sur des rochers acérés, et elle hoqueta, surprise par la violence de ce sentiment. Mais elle savait où elle devait aller, ce qu'elle devait faire. Elle savait qu'il l'attendrait. Elle pourrait partir sans douleur grâce à lui. Si tant était qu'il eût pu venir.
Le capuchon qui recouvrait sa tête glissa sur ses épaules, du fait du rythme effréné de sa course, dévoilant une longue chevelure rousse qui lui ruisselait jusqu'au bas du dos, rebondissant sur ses épaules et volant derrière sa tête, telle une couronne de flammes attisées par le mistral nocturne.
La femme montait sans signe d'essoufflement ou de douleur la côte – pourtant raide –, poussée par le vent. Soudain, elle s'arrêta brusquement. Elle était arrivée. Le bord de la falaise se découpait à quelques mètres de ses pieds, et le bruit des vagues s'écrasant en contrebas se faisait entendre jusqu'ici, tant elles étaient violentes. Mais aucune trace de lui. Elle espérait de tout son cœur qu'il ne lui soit rien arrivé. Pourvu qu'il ait accompli sa tâche... C'était leur dernière chance.
Elle s'approcha du précipice et regarda longuement la mer déchaînée sous ses pieds,perdue dans ses pensées. Ses cheveux volant autour de son visage l'encadraient d'une faible lueur orangée. Elle n'entendait plus les cris de ses poursuivants, elle ne voyait plus la pleine lune ni le ciel obscur.
Il n'y avait plus que la mer.
La mer et elle.
Un bref éclair de lumière bleutée la détourna de sa contemplation. Elle pivota lentement sur elle-même et rejoignit à pas mesurés celui qui venait d'apparaître – bien qu'elle mourut d'envie de se jeter dans ses bras.
— Je t'attendais, murmura-t-elle, presque pour elle-même, un semblant de sourire étirant les commissures de ses lèvres.
— Je le sais, lui répondit-il sur le même ton en lui rendant son doux sourire.
— Où est-elle, maintenant ?
— Je l'ai confiée à Marjorie.
— Tu as bien fait. Et où as-tu mis mon médaillon ?
— Là où tu m'avais demandé de le mettre.
— As-tu indiqué à Marjorie tout ce qu...
— Fais-moi confiance, la coupa-t-il en posant un doigt sur ses lèvres.
D'un geste délicat, il repoussa une mèche qui s'était posée sur sa joue. Ce faisant, il remarqua avec tristesse que les rides d'inquiétude barrant son front s'étaient accentuées, sur son visage pourtant encore jeune. Que de fardeaux avait-elle pris sur ses épaules, durant ces années...
Elle ferma les yeux et poussa un long soupir, puis laissa aller sa tête contre lui. Il avait tout fait pour l'aider, et s'était lui aussi attiré des ennuis. Par sa faute. Tenaillée par ce sentiment de culpabilité qui ne l'avait jamais quitté, elle releva sa tête et le regarda droit dans les yeux :
— Je t'ai toujours fait confiance. C'est simplement que... Je m'inquiète pour notre fille.
— Tu n'as pas à te faire du souci pour elle. Elle est entre de bonnes mains, et tu le sais !
— Tu pense qu'elle sera heureuse ?
— Mais oui, n'aie crainte, elle s'en sortira, la rassura-t-il avec un air confiant.
— Comment va-t-elle faire ? Sans nous ?
— Elle se débrouillera toute seule. Et puis, nous serons toujours là pour elle, au fond.
— Mais elle ne nous connaît même pas ! Elle ne nous a jamais vus ! Comment saura-t-elle que l'on veille sur elle ? Comment fera-t-elle pour ne pas nous en vouloir de l'avoir laissée ? paniqua la jeune femme.
— Elle trouvera le médaillon. Tu le sais, c'est tout ce qu'on peut faire pour elle ! C'est la meilleure solution, on ne peut pas la mettre en danger plus qu'elle ne l'est déjà. Cesse de parler, maintenant.
Le silence se fit entre eux deux. Les cris se rapprochaient de plus en plus. Ils s'enlacèrent alors, sachant tous les deux que cette étreinte serait la dernière.
Soudain, les premiers paysans en colère surgirent, tenant torches et fourches à bout de bras, et vociférant des injures au couple.
— Ils sont là ! Ils sont coincés !
Ce cri insuffla une force nouvelle aux traînards gravissant péniblement la côte escarpée, qui se dépêchèrent de rejoindre ceux qui étaient déjà en haut, malgré la brûlure de leurs poumons. En apercevant le couple, les moqueries fusèrent de plus belle.
— Ils sont là !
— Ils sont bloqués !
— Et par leur propre faute !
— Ah ! Dire qu'ils croyaient pouvoir nous échapper !
Les deux fuyards ne semblaient pas entendre les railleries de leurs tortionnaires. Ils se parlaient à voix basse, échangeant tout ce qu'ils ne s'étaient jamais dit, insensibles au chaos prenant forme autour d'eux. Quand leurs poursuivants furent tous arrivés, formant un cercle impénétrable autour d'eux, la jeune femme chuchota pour n'être entendue que de celui qui se trouvait face à elle :
— Je t'aime.
— Je t'aime aussi, Margot.
Et alors que le mistral rugissait autour d'eux, que la mer se déchaînait et que leurs poursuivant hurlaient, ils se jetèrent dans le vide.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top