Chapitre 2
— Héléna ? Peux-tu aller chercher du thym, du millepertuis et du pavot, s'il te plaît ?
— Oui, mère !
— Rapporte-m'en dix tiges, si tu veux bien.
— D'accord ! Veux-tu aussi de la marjolaine ?
— Non, ce ne sera pas nécessaire, merci.
La jeune fille se leva du vieux fauteuil où elle était assise, faisant grincer les antiques ressorts. Elle y déposa le livre qu'elle lisait et récupéra un panier en osier devant la porte, avant de franchir celle-ci puis d'emprunter le petit sentier de terre qui traversait le village.
La maison était à l'écart de celui-ci, mais en face de la mer, et de ce fait à l'opposé de la forêt d'Irtæ. La jeune fille réfléchissait à ce qui s'était passé la nuit précédente. Cela ne l'avait pas ébranlée, mais elle avait besoin de se confier, et son frère était en mer, cherchant à suivre les traces de son père. De toute manière, Héléna sentait bien qu'elle ne pouvait parler de cela avec lui ; il ne comprendrait sûrement pas. Perdue dans ses pensées, elle salua tous les villageois dont elle croisa la route, mais très peu lui rendirent son salut, et ceux qui le firent étaient visiblement méfiants. Héléna avait appris à s'en moquer, et l'indifférence des paysans ne lui faisait plus ni chaud ni froid. Cependant, quand elle était petite, les regards de ses camarades lui pesaient, et elle admirait la capacité qu'avait sa mère de les ignorer, ces regards suspicieux et méchants.
Arrivée à l'orée de cette forêt qu'elle aimait tant, la jeune fille se sentit aussitôt apaisée. Ici, la tension du village n'avait plus aucune prise sur elle. Les effluves des sous-bois, l'humidité des lieux, les cris et bruits des animaux... Tant de choses qui lui rappelaient son enfance et qui faisaient d'Irtæ son repaire préféré. Même son frère ne connaissait pas toutes les multiples cachettes qu'elle avait, au fil de ses nombreuses escapades, découvertes. Curieusement, lorsqu'elle entra dans la forêt, aucun animal ne fuit. Ils demeurèrent à leurs places respectives et continuèrent à vaquer à leurs occupations, laissant la visiteuse aux siennes.
Elle cueillit les plantes nécessaires à sa mère, et se rendit ensuite à son recoin préféré. Généralement, personne ne s'aventurait si profondément dans la forêt, par crainte de l'obscurité mais également à cause de – disait-on – la malédiction qui planait en ces lieux.
Au centre d'une clairière se trouvait un vieil olivier, chose surprenante car ce n'était pas un terrain propice à son développement. Il était d'ailleurs le seul à pousser dans la sylve. Ses longues branches noueuses s'enroulaient pour former un large cocon de verdure, qui pouvait contenir un être humain de taille moyenne debout. C'était là qu'Héléna se réfugiait, lorsque parfois sa peine était trop intense, et c'est là qu'elle alla se confier. Le vieil et majestueux arbre semblait l'écouter et la comprendre en toutes circonstances.
Elle parla longuement, près d'une demi-heure, avant de retourner chez elle, ramenant les herbes demandées par sa mère. Celle-ci ne s'était pas inquiétée de l'absence prolongée de sa fille, connaissant son goût pour la nature et les animaux. Héléna passa le reste de la journée à préparer avec sa mère des remèdes ainsi qu'à soigner les nombreux malades qui vinrent quérir leurs soins. En effet, malgré la crainte qu'ils avaient – le mot « sorcières » se faisait régulièrement entendre pour les qualifier, bien que prononcé prudemment et à voix basse –, les deux femmes étaient les guérisseuses du village, et peu de gens pouvaient se débrouiller sans elles. Ce jour-là, elles eurent à soigner deux cas de pneumonie et à procéder à un accouchement.
Marjorie, la mère d'Héléna, lui enseignait depuis sa naissance les vertus des plantes ; les mélanges à faire ainsi que les gestes précis à faire, et chaque nouveau patient était pour la jeune fille une nouvelle occasion d'apprendre. Peu à peu, au fil des années, elle acquérait toutes les ficelles du métier. En bonne élève, elle prenait des notes et écoutait attentivement tous les conseils de sa mère. Celle-ci n'en doutait pas : Héléna ferait une guérisseuse de talent.
Dans la grande maison de la famille, une pièce entière était consacrée à l'art des deux femmes – contenant toutes sortes de remèdes confectionnés par elles-mêmes – et une autre était une imposante bibliothèque. Celle-ci comprenait une quantité énorme de livres uniques, les autres exemplaires ayant été brûlés sur ordre du roi. Toute la famille courrait un risque considérable en conservant de tels livres, mais Marjorie savait qu'ils étaient la base de la connaissance. Il y avait des traités de sciences, considérés comme interdits car profanes ; de philosophie, bien que rares ; de botanique, d'astronomie, et bien d'autres... Cette pièce était de loin la préférée d'Héléna. Ainsi, elle avait depuis longtemps accumulé un savoir largement supérieur à celui, regroupé, de la quasi-totalité du village.
Après avoir soigné tous les patients, c'est d'ailleurs là qu'elle se rendit, afin de trouver une explication au phénomène de la nuit, mais elle ne trouva aucun résultat satisfaisant. Elle se coucha donc bredouille, en ayant au fond d'elle l'espoir que la nuit lui apporte quelque réponse et – pourquoi pas – d'autres mystérieux phénomènes...
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