5 - Quentin
Wendy était arrivée en avance. En sachant que j'allais mettre une robe rouge, elle avait opté pour un fourreau noir sobre et élégant. Ses cheveux courts auburn mettaient en valeur l'ovale de son visage et ses yeux en amande. Elle avait retiré ses lunettes et mis des verres de contact pour l'occasion. Je l'emmenai dans ma chambre pour qu'elle m'aide à me préparer.
— Chenoa, Oh my gosh ! Une tornade est passée dans ta chambre ou quoi ? Mes parents me tueraient si je laissais la mienne dans cet état !
Je haussais les épaules dans un grand sourire.
— Tu me connais ! C'est la soirée la plus importante de ma vie ! Je ne peux pas y aller en coton ouaté !
J'avais beau avoir choisi la couleur de la robe, j'avais réessayé la moitié de ma penderie pour vérifier mon choix et sélectionner parmi mes quatre robes rouges, laquelle je prendrais. Mon lit ressemblait à un champ de bataille. Mon linge était éparpillé partout. Et c'était vrai que si jamais ma tante Éléanore passait une tête, je le sentirais passer. Mais c'était provisoire, j'allais bien sûr tout ranger.... Un jour.
— Bon, ma chérie, concentrons-nous sur l'important ! lui dis-je en lui flanquant mon fond de teint dans la main. Peux-tu s'il te plaît me maquiller ? Please, please, please !!! Je lui fis mes yeux de merlan frit et elle éclata de rire.
— Bon allez. Vire-moi ce patras de.. ? Oh, strings madame ?... fit-elle en ramassant d'un pinceau de maquillage les slips amoncelés sur ma chaise, d'un faux air indigné. Assieds-toi là et donne-moi tout ça. Tu sais que je suis une pro du make-up.
Elle fit des miracles. Elle avait éclairé mon teint pour lui donner plus de fraîcheur et de brillance et avait relevé mes paupières avec un léger effet smoky-eyes qui me donnait l'air d'avoir vingt-cinq ans. Un peu de blush sur les joues, de la teinture de rose sur mes lèvres et le tour était joué. Elle m'avait dignement fait entrer au rang des starlettes. Elle me regarda avec contentement. Releva et rajusta l'une de mes petites bretelles rouges qui avait glissé sur l'épaule et arrangea mon chignon en laissant volontairement sortir une boucle rebelle.
— Ta robe est parfaite ! Elle souligne très bien ton buste et tes hanches fines, me félicita-t-elle.
Nous descendirent alors au salon et les copains commencèrent à arriver les uns après les autres. Quentin n'était toujours pas là et je me sentais horriblement nerveuse. En plus mon ami Ralph, mon danseur de rock attitré, n'avait pas pu se libérer.
— Quentin....Et si je ne lui plais pas ? glissai-je, inquiète, à Wendy.
— Mais arrête de dire n'importe quoi ! Un de perdu, dix de retrouvés ! Si ce n'est pas Quentin, ce sera quelqu'un d'autre. Tu as tout le temps !
— Non, justement.
— Quoi ? Que veux-tu dire ?...
Ses yeux verts en amande exigeaient une explication et j'utilisai un sourire embarrassé pour la désarmer.
— Non, heu. Je veux dire que j'en ai marre d'être célibaire. J'aimerais tellement trouver l'âme sœur ! soupirai-je.
— Ah, mais ma belle, ce genre de choses ne se commande pas. Arrête donc de vouloir tout contrôler et profite du vingt et unième siècle ! Tu ne souhaiterais pas revenir à l'époque des colons !
Nous nous dirigeâmes vers la salle de réception du manoir. Des tables avaient été ajoutées le long du mur et Thérésa avait préparé le buffet avec Joseph. Ludiwine avait installé une de ces boules psychédéliques au plafond et au fond de la salle, Joseph avait fait monter une petite estrade sur laquelle se trouvaient nos instruments : un violoncelle, deux altos et nos deux violons électroniques à Ludiwine et moi. La grosse batterie de Fabrice encombrait une bonne partie du coin droit de la scène et une sono surplombait le tout.
Une trentaine de mes amis se trouvait déjà dans la salle. Joseph naviguait dans mon groupe d'invités avec un plateau de cocktails tandis que Thérésa s'occupait des petits-fours. Wendy et moi saluions chacun de nos amis tandis que je me faisais taquiner de ne pas être descendue plus tôt. Les enjeux de la soirée étaient importants. Toute la fac allait en parler dés le lundi matin. Je devais être à la hauteur de leurs attentes. Cela valait bien cette petite heure de mise en beauté. D'ailleurs tout le monde me félicitait. Une photo par ci, une photo par là. J'étais ravie de pouvoir me cacher derrière le sublime maquillage de Wendy. Sourire. Ne pas montrer de nervosité. Accueillir mes invités et s'amuser. Voilà quelle était la priorité. Pourtant, lorsqu'une voix que je reconnaissais entre toutes se fit entendre, une vague de chaleur m'envahit. J'eus l'impression que mon visage fondait. Quentin avait troqué les habituels jeans qu'il portait en classe par un pantalon en lin beige et un polo blanc. Son regard croisa le mien et il me sembla qu'il s'arrêtait net. Ses prunelles claires parcoururent un instant l'échancrure de ma robe. Je restais figée. J'avais tellement peur de dire une bêtise que je n'arrivais pas à articuler le moindre mot.
— Bonsoir, Chenoa ne finit-il pas dire en souriant. Tu es superbe dans cette robe. Peut-être un peu voyante, mais superbe ! Sa remarque me piqua au vif. Ouch. J'aurais dû opter pour la petite robe noire. Je cachais ma gêne.
— Il s'approcha et m'étreignit poliment.
— Tu sens aussi très bon ! Me chuchota-t-il au creux de l'oreille. Sa voix suave aurait achevé de faire fondre la calotte glaciaire.
— Je... heu merci ! Installe-toi. Joseph va te servir du champagne.
Je regrettai aussitôt ce que je venais de dire. C'était arrogant. C'est vrai que j'avais l'habitude d'être servie.
— Je n'avais pas réalisé que tu habitais un manoir ! Il est impressionnant !
— Oui, c'est le manoir familial. Ceux sont les aïeux loyalistes de mon grand-père qui l'ont fait construire en 1830. Ils se retourneraient dans leur tombe s'ils savaient que mon grand-père a épousé une Française !
Veux-tu que je te fasse visiter ?
— J'aimerais beaucoup, mais peut-être une autre fois, tu ne veux pas faire fuir tes invités, dit-il en voyant John et Ethan se rapprocher de nous.
Il avait vraiment un côté raisonnable et responsable qui m'impressionnait et m'irritait à la fois. Mes tantes et mes cousines montèrent alors sur la scène et entamèrent un remix de Storm, le concerto pour violon en mi majeur des quatre saisons de Vivaldi, sur leurs instruments électroniques. Tout le monde était impressionné devant cette interprétation moderne du classique. Ma tante Molly s'empara alors du micro : « Et maintenant, au tour de Chenoa, viens sur le stage darling, vient leur montrer comment tu manies ton instrument toi aussi ».
Elle me tendit mon violon électronique, je plaçais mon épaulière. Fabrice s'installa à la batterie et nous nous mirent à jouer Roundttable Rival de Lindsey Stirling. Je me laissais entraîner par la musique et je dansais avec mon violon. Je sautais sur la scène et me trémoussais tout en frottant mon archet sur les cordes. À ce moment-là, je laissais la musique m'envoûter et oubliais tout le reste. Essoufflée et transpirante, je plaçai mon dernier accord puis posai mon instrument sur la chaise tandis que Quentin s'approchait en bas de la scène et me tendit un verre de champagne :
— Wôw ! Je suis impressionnée. Tu joues super bien !
— Merci, balbutiai-je en acceptant la coupe.
— Mais c'est vrai que tu veux devenir violoniste pour de bon ?
— Oui, si c'est possible. Tu sais combien il est difficile de vivre correctement lorsqu'on est musicien. C'est pour cela que mes parents m'obligent à suivre des cours de sciences en complément. Filles de deux scientifiques, ils ont du mal à comprendre comment je peux m'évertuer à aller dans une voie artistique !
— Ils n'ont pas complètement tort. Tu joues superbement, mais oui c'est difficile de pouvoir vivre de la musique. Prépares-tu des concours pour te faire connaître ?
— Oui, mes professeurs m'inscrivent régulièrement à des auditions, mais je doute que ma façon moderne de jouer convienne à tout le monde. Le monde des musiciens est très conservateur au fond. Enfin, on verra bien. Une chose à la fois. Tu sais je donne aussi des cours de violon à des jeunes.
— Oh, mais je vois que tu es très occupée, double formation musique, sciences, cours.... Hum, te reste-t-il du temps pour t'amuser en dehors des révisions et des répétitions ?
Je regardai son air amusé.
— Et bien, j'ai pratiqué le patin artistique quand j'étais petite et j'ai encore quelques restes et mon frère Fabrice, fait du patinage de vitesse. Alors nous allons souvent à l'aréna ensemble. Sinon je sais skier convenablement.
— Oh ! c'est vrai ? Ski de fond ou alpin ?
— Les deux !
— Oh, je vois ! moi aussi je skie. Si cela te dit, on pourrait se faire une sortie à Sutton ou à Orford un de ces quatre ?
Je sentis la chaleur me monter dans le creux des reins.
— Avec plaisir, acquiesçai-je timidement.
La musique reprit. Mes tantes et mes cousines s'étaient lancées dans du rock.
Quentin se mit à danser et m'attrapa du poignet. Je retirai mes talons, car il m'était impossible de bouger rapidement avec les talons aiguilles que j'avais mis. Il se mouvait superbement bien et je dois dire que c'était un plaisir de laisser le rythme nous entraîner en cadence tous les deux. J'aimais sentir sa poigne ferme et chaude dans ma main, son souffle chaud dans ma gorge. Le morceau finit. Nous transpirions tous les deux, satisfaits de notre performance sans remarquer que nous avions monopolisé l'attention de la salle. Wendy nous apporta deux grands verres d'eau.
— Et bien ! vous avez pris des cours de danse ensemble ou quoi ?
Nous agitions la tête en signe de dénégation tout en buvant l'eau avec avidité.
— Juste des petites soirées de danse avec Ralph McQuaid...
Ralph était un copain de classe dont les parents avaient gagné de nombreux concours de rock acrobatique. Sachant que la pomme ne tombe jamais loin de l'arbre, je n'avais pas hésité chaque fois que Ralph m'avait proposé de venir danser à des soirées. Il n'avait malheureusement pas pu venir ce soir, mais avait fait un point d'honneur à m'entraîner pour ma soirée.
— Ah ! Je comprends mieux, dit Quentin.
— Et toi, interrogea Wendy à l'attention de Quentin, où as-tu appris ?
— Oh ! je n'ai aucun mérite. Ma mère est professeur de rock alors je suis toujours l'assistant de service, car mon père ne danse pas !
Je partis remettre mes chaussures tout en empoignant Wendy avec moi.
— Ma chérie, mon frère Fabrice a besoin d'un de tes merveilleux conseils...
Elle me sourit, loin d'être dupe, et s'engagea volontiers dans une conversation avec mon frère. Je levai les yeux à la recherche de Quentin, mais il avait déjà disparu. Ethan vint me proposer des petits-fours et engagea à son tour la conversation avec moi. Ethan était charmant, toujours très élégant et très serviable. C'était un bon copain de Fabrice. On se connaissait depuis longtemps :
— Chenoa, commença-t-il.
— Oui ?
— Ça te dirait de venir pêcher sur le lac avec Fabrice et moi ce week-end ?
— Oh ! Je.... Je réfléchissais comment trouver une excuse, car j'adorais Ethan et je ne voulais pas le blesser, lorsqu'une voix profonde intervint.
— Non, elle ne peut malheureusement pas. Nous allons skier à Sutton ce dimanche.
— Ah oui ? fis-je en reconnaissant la voix enchanteresse de Quentin.
Mais Ethan ne se démontait pas.
— Moi aussi, j'aime bien Sutton. Fabrice et moi y allons tous les vendredis soir. Tu veux venir ?
— Oh le ski de nuit, répondis-je hésitante, en janvier... j'avoue que c'est un peu froid pour moi.
— Et elle y voit aussi bien qu'une taupe sur les pistes la nuit, ajouta Fabrice qui venait de se joindre à la discussion.
— Une autre fois avec plaisir, Ethan ajoutai-je.
Fabrice embarqua sur un autre sujet avec Ethan tandis que Quentin en profita pour m'accaparer.
— Bien, donc dimanche prochain, je passe te prendre à 8 h cela te va ? Tu as tout ton équipement ?
— Oui, bien sûr ajoutai-je, en pensant à mes skis qui n'avaient pas encore été utilisés cet hiver.
Le reste de la soirée se déroula comme dans un rêve. Quentin et moi avions dansé une bonne partie de la nuit avec les copains. Tout le monde était finalement parti vers quatre heures du matin et je montai m'affaler sur mon lit, sans même prendre le soin de pousser la pile de vêtements qui le recouvrait. Sans surprise, j'avais sombré dans le sommeil, béate, dans les minutes qui avaient suivi, la tête pleine de fantasmes.
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