18 - Le deuxième mari - 1




Je me levais d'une humeur massacrante troublée par ce rêve amérindien encore omniprésent dans ma tête. Peut-être était-ce un bien pour un mal. Car si jamais j'évacuai de ma cervelle ces curieux indiens, le visage de Quentin viendrait me hanter. Rien que d'y penser, mes mains se mirent à trembler et les larmes me montèrent aux yeux. Tabarnouche ! Je l'aimais. Pourquoi ne ressentait-il pas la même chose ? Parce que si vraiment il m'aimait, il ne pourrait pas se passer de moi pendant près de trois mois ! Je regardais mon téléphone désabusée. Aucun texto de Quentin.

Au souvenir de notre dernière discussion, des élancements lancinants se firent sentir dans mon ventre comme si des doigts crochus exploraient mes entrailles, mais la douleur me rappela à la réalité. Je chassais mes larmes d'un revers de la main et me reconcentrais sur les Cris. D'abord pourquoi des Cris et pas des Mohawks ? C'est vrai ça. Dans le coin, c'est plutôt des Mohawks ! Je ne pouvais m'empêcher de faire le lien avec la discussion que j'avais eue avec ma grand-mère. J'avais besoin d'en savoir plus. Qui plus est, cela m'évitait de penser aux paroles de Quentin.

Je m'habillai d'un jean rehaussé d'un pull noir en regardant le léger givre de ma fenêtre fondre au soleil, en ce début du mois de mai. Il avait regelé pendant la nuit et une fine pellicule blanche recouvrait le gazon. Le manoir était mal isolé. Grand-Mère parlait de faire changer les vitres et de refaire l'isolation. La demeure avait été construite il y a plus de deux cents ans et il était grand temps d'envisager des travaux de rénovation, mais tante Éléanore trouvait maintes raisons pour dire que ce n'était pas le moment, que les travaux prendraient des mois. Que l'on ne se sentirait plus chez nous ! Alors Joseph réparait ce qu'il pouvait en attendant. Le leg en argent qu'avait laissé le comte de Verlayne s'amenuisait et si ma grand-mère n'avait jamais eu à travailler, les salaires d'Éléanore, de Molly et de mes parents n'étaient pas de trop pour maintenir le manoir tellement immense que l'on utilisait à peine la seconde aile, sauf lors des réceptions. Je vis partir le roadster Tesla d'Éléanore dans l'allée. Elle devait avoir une visite de propriété. Son métier de courtier immobilier lui prenait une bonne partie de ses fins de semaine, le moment où la clientèle était le plus disponible. Spécialisée dans l'immobilier haut de gamme, son listing était court, mais en rendait envieux plus d'un. Elle ne vendait que quatre à cinq propriétés par an, mais les commissions suffisaient largement à tous nous faire vivre. Molly quant à elle travaillait à la bibliothèque à temps partiel. Celui lui convenait très bien pour lui laisser du temps avec mes cousines. Elle était en train de préparer le petit-déjeuner avec Thérésa lorsque je descendis.

Je pris un bol de gruau et Thérésa m'apporta un jus d'orange tandis que je prenais place à côté de ma cousine Ludivine, qui me montrait les dernières blagues qu'elle venait de trouver sous Tik-Tok, mais j'avais la tête ailleurs si bien que je ne lui souris que par politesse.

— As-tu vu Grand-mère ? lui demandai-je.

— Non, mais je crois qu'elle est déjà descendue ! fit-elle sans lever les yeux de son téléphone.

Molly arriva et la réprimanda:

— Ludivine, tu sais que je ne veux pas de cellulaire à table !

Ma cousine retourna son téléphone à l'envers dans un grand soupir et jeta son dévolu sur les pancakes que sa mère venait de lui apporter.

— Elle est dans le petit salon, Aurora, précisa Molly qui m'avait entendue.

Je n'avais plus faim et me levai apporter ma vaisselle à Thérésa qui m'adressa un froncement de sourcils en constatant que je n'avais pas fini mon bol.

— Regarde-moi ça, tu n'auras bientôt plus que la peau sur les os si tu ne manges pas davantage !

Thérésa était de ces cuisinières à qui il fallait régulièrement montrer que l'on appréciait sa cuisine et que l'on finissait ses plats, au risque de la blesser. Je n'étais pas du tout maigrichonne, mes petits bourrelets aux hanches et aux cuisses en étaient la preuve, même si j'étais bien loin d'être aussi ronde et pulpeuse que Ludivine. Alors je lui répondis la seule chose qu'elle accepterait d'entendre :

— Je suis amoureuse Thérésa ! et tu sais que lorsqu'on est amoureuse, on mange moins, même si c'est très bon !

Je lui déposai un baiser sur la joue et elle me laissa partir rassurée. Je me dirigeai ensuite vers le petit salon ou je trouvai ma Grand-mère en train de lire dans un vieux Chesterfield en cuir brun, sa canne appuyée sur l'un des accoudoirs. Je posai ma main sur la sienne, car elle n'avait pas dû m'entendre arriver. Son sourire s'éclaira en me voyant.

(NDLR : Merci de commenter / voter pour que je poste la suite ;-) Merci !!)

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