17 - Mariés devant la lune




Ce soir-là j'eus beaucoup de mal à m'endormir. Je me tournais et retournais dans mon lit, hantée par le souvenir des paroles de Quentin pour ne finalement sombrer dans un sommeil plus lourd que tard dans la nuit.

Tapie dans un coin du mikiwap, telle une petite araignée, j'observais un homme amérindien faire l'amour à une jeune femme. Vu l'intensité de leurs ébats, il ne faisait nul doute qu'ils étaient fous amoureux l'un de l'autre. J'aurais dû me sentir gênée, mais à l'abri des regards, je me sentais en paix. La peau mate de l'homme contrastait avec celle, plus claire, de la jeune femme tout comme ses cheveux noirs tranchaient avec le blond de la jeune blanche. Quand ils eurent fini, la jeune femme, nue, se leva, pour aller chercher une tasse d'eau et un bout de viande de bison séchée. Ses longs cheveux clairs lui tombaient jusqu'à la taille dans une ondulation qui montrait qu'ils avaient été étroitement tressés peu de temps auparavant. Elle revint rapidement sur la couche aux côtés de son amant et se mit à le caresser. Alors, il lui parla :

—   Ucheka, petite-étoile-à-la-dent-de-petit-ours ! prononça-t-il en français, tu as toujours faim !

—   Chishey! C'est de toi dont j'ai faim!

Elle s'empara de sa bouche. Alors il attrapa la jeune femme et la retourna sur le ventre. Il fixa la feuille d'érable incrustée dans la dent d'ours au creux de ses seins, fier qu'elle portât sa marque, et recouvrit son ventre de baisers.

Soudain un coup de fusil retentit et une voix d'homme s'écria :

—   Isabelle ! Sors d'ici ! Je sais que tu es là ! Indigne progéniture !

J'observais la scène terrifiée.

—    Nâpêw ! s'affola Chishey.

Elle opina en enfilant maladroitement sa robe, terrifiée. Je me sentais agitée. L'homme entra dans la tente surprenant sa fille en train de finir de s'habiller.

Son regard consterné les balayait tous les deux.

—   Comment osez-vous ? Toi Chishey, je te faisais confiance !

—   Mais wêmistikôsiw ! Ucheka et moi, mariés devant la lune ! son doigt pointait les étoiles.

—   Non ! cria l'homme en agitant son fusil. Un Cri ne peut pas se marier avec une blanche et puis Isabelle va se fiancer  à un lieutenant anglais !

L'amérindien resta interdit.

—   Et toi, s'adressa-t-il à sa fille, es-tu inconsciente ? Cherches-tu à déclencher une guerre ? Comment peux-tu te compromettre ainsi avec un Cri alors que je t'ai promise à un Britannique ? Te rends-tu compte du déshonneur dans lequel tu nous plonges ta mère et moi ?

Ses yeux gris tiraient des éclairs. Il s'approcha d'elle et arracha le lacet qui retenait la dent d'ours autour de son cou entraînant la chute du collier sur le sol du mikiwap.

— Et réalises-tu seulement ce que tu fais courir comme risque  aux Cris si les Anglais l'apprennent ?

Il sortit de la tente en tirant sa fille par le bras. Celle-ci protestait fermement, mais obtempéra malgré tout.

Sa colère avait ameuté tout le campement et le chef de la tribu, une coiffe en peau de castor sur la tête, dévisagea le coureur des bois avec mépris :

—   Tu trouves notre peuple suffisamment digne pour acheter nos fourrures et nous vendre du tabac, mais l'homme blanc ne trouve pas notre peuple digne d'épouser sa fille !

L'homme à la carabine était fou de rage mais sa colère n'était pas dirigée contre les Cris.

Chisheyaakush waashteschiyuu sortit sa hache de colère. Les battements de mon cœur s'accélérèrent.

Le chef Cri reprit :

—   L'homme blanc rompt l'équilibre des Ayis-Iyiniwok et de la nature ! Les accords avec notre peuple sont maintenant caducs ! Toi et ta fille êtes maintenant bannis de notre campement ! Ne revenez jamais !

—   Non ! cria Chishey.

Je le vis courir avec sa hache levée en direction du père et au moment où il s'approcha, je me réveillai en sursaut.

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