14 - Dîner de famille - 1
Les mois de février et mars passèrent comme un rêve. Quentin et moi nous entendions parfaitement. Lorsque les neiges commencèrent à fondre au mois d'avril, ma grand-mère me proposa de profiter des dimanches gris de l'intersaison pour l'inviter à venir manger à la maison.
— Oh ! Grand-mère, je ne sais pas, c'est encore un peu tôt ! avais-je protesté.
Mais devant la pression familiale et me remémorant la malédiction, dont je connaissais si peu de choses, je n'eus pas d'autre choix que d'accepter.
Alors je proposai à Quentin de venir manger à la maison, mais ce dernier, surpris, semblait mal à l'aise :
— Aurora, je préfère t'avoir pour moi toute seule, ta famille est grande, je ne me sens pas prêt à affronter toutes tes tantes et tes cousines !
— Oh ! je comprends, ce n'est rien... nous ferons cela une autre fois... En plus, j'ai des tests à préparer, avais-je prétexté.
Je ne voulais pas lui forcer la main, mais chaque soir lorsque je rentrais après les cours, Tante Molly et Tante Éléanore n'arrêtaient pas de me harceler. Mes cousines commençaient à parler de promesse de mariage et cela me mettait mal à l'aise. Un matin de fin avril, j'en parlais à Wendy :
— Ça devient pénible à la maison, mes cousines n'arrêtent pas de me charrier avec Quentin, de parler fiançailles, et tout et tout...
— Oh ? Ses yeux s'étaient arrondis.
Cela va trop vite Aurora ! Vous ne vous connaissez pas encore assez bien. Ne crois pas que tu seras fiancée avant la fin de l'année. Et puis, qui se fiance encore aussi jeune ? Enfin !
— Mais nous sommes en avril, mes dix-neuf ans sont en janvier et un mariage, ça se prépare des mois à l'avance non ? pensai-je tout haut.
— Quoi ? Mais Aurora, allo ! Remets les pieds sur terre ! Tu n'as pas besoin de te marier si jeune. Es-tu certaine que Quentin est le bon au moins ?
— Oui, j'en suis sure. Si tu savais à quel point je l'aime !
Mon soupir et mes yeux de cocker avaient achevé de la convaincre.
— Oui, d'ailleurs, tes notes aussi l'ont remarqué ! Au fait quand est-ce que tes parents rentrent ?
— À la fin du mois !
— Bon, bah, la voilà ton occasion de l'inviter à la maison ! Rencontrer tes parents c'est comme même plus important qu'affronter tes tantes et tes cousines !
Les deux dernières semaines d'avril passèrent rapidement. Quentin et moi dûmes espacer nos rencontres, car les examens de fin d'année approchaient à grands pas et nous devions réviser. À cela s'ajoutaient plusieurs concerts et compétitions de violons auxquels je voulais participer et qu'il fallait absolument répéter.
Le 30 avril, mes parents arrivèrent enfin. Lorsque le taxi les déposa devant le porche, je sautai dans les bras de ma mère.
— Regarde-moi comme tu es radieuse, me dit-elle !
— Oui tu es magnifique ! me complimenta papa.
— Alors ce Quentin ? Quand est-ce que nous pouvons le rencontrer ? Nous ne sommes là que trois semaines ma chérie, ensuite nous devons repartir. Tu sais que nous ne maitrisons pas l'agenda, se désola ma mère.
— Déjà ?
J'aurais dû en avoir l'habitude. Ces projets internationaux financés par le gouvernement avaient des contraintes de dates impératives. Nous le savions tous. Je décidai de me concentrer sur l'instant présent et de profiter d'eux au maximum.
J'aidais ma mère à ranger le contenu des valises dans le dressing de sa chambre. Cela me fascinait de voir à quel point elle adorait ses recherches et s'entendait bien avec papa. Je ne voulais pas l'assaillir de questions à son retour d'expédition, mais tant d'interrogations me brûlaient les lèvres !
— À propos de la malédiction...
J'avais à peine prononcé ces mots que son regard se rembrunit. Elle arrêta de plier un pantalon et m'invita à m'asseoir sur le lit à ses côtés.
— Tu pourrais inviter Quentin à venir souper samedi soir, me proposa-t-elle, me coupant délibérément.
— Maman ! protestai-je.
Elle posa ses mains sur mes cheveux puis sur mes épaules et me regarda droit dans les yeux :
— Je t'assure Aurora que tu ne veux pas savoir ce qui se passera si tu n'es pas mariée d'amour pour tes dix-neuf ans. Tu es amoureuse ! Saisis ta chance, mon trésor ! Ne le laisse pas filer.
Sa voix grave me donna la chair de poule. Jamais elle ne m'avait parlé de cette façon. Une ombre traversa son visage, signe qu'elle avait côtoyé la malédiction bien plus qu'elle ne voulait le dire. Je commençais à me demander si toutes ces expéditions à l'autre bout du monde n'étaient pas le moyen pour eux de fuir ces évènements maudits.
Je me résignai donc à en parler à Quentin. Le lendemain, je l'attrapai au détour d'un couloir de la fac et justifiai de la courte présence de mes parents pour les lui présenter :
— Ils ne seront là que trois semaines, s'il-te plait ! le suppliai-je. Ensuite, ils repartent pour 12 mois !
Il m'avait écouté calmement. Des petites rides s'étaient plissées au coin de ses yeux comme un léger amusement.
— OK ! OK ! je vais venir samedi, connaître un peu ces deux scientifiques qui ont produit une superbe violoniste !
Après avoir rapidement jeté un coup d'œil dans le coin du corridor où nous nous étions isolés, je sautai dans ses bras et plaquai mes lèvres sur les siennes. Il se laissa faire en vérifiant que l'endroit était désert puis protesta :
— Aurora, nous sommes à la fac et je suis encore assistant de cours ! Je ne donne pas le bon exemple !
— Oh ! Je comprends monsieur l'assistant professeur, fis-je, piquée au vif, déçue que mon baiser ne lui ait pas fait perdre tous ses moyens.
La cloche sonna. Je rejoignis Wendy en classe.
— Tu es certaine que Quentin est le bon ? Parce qu'Ethan n'arrête pas de te dévorer des yeux !
Je posai un regard furtif par-dessus son épaule et Ethan m'adressa un de ces sourires extraordinaires dont lui seul avait le secret, avant de détourner le regard, gêné.
— Oh, pauvre Ethan je l'adore, mais je ne l'aime pas comme il voudrait que je l'aime. Non, Quentin est l'homme de ma vie !
Wendy soupira. Elle était un peu agacée de mon histoire qui s'emballait beaucoup trop selon elle. Chaque fois que j'en avais l'occasion, je m'échappai vers le bâtiment des sciences pour aller retrouver Quentin. Même si nous devions rester à distance, le dévorer des yeux ou lui parler cinq minutes me suffisait amplement pour me faire déborder de bonheur.
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