7 - Ski à Sutton
Le dimanche arriva enfin. Je n'avais pas oublié ce rêve étrange qui m'avait hantée tout le samedi. Un peu avant huit heures, une Jeep se gara dans l'allée. Joseph avait farté mes skis et vérifié mes fixations. Thérésa me tendit un panier avec le petit-déjeuner. Quentin sortit de la jeep pour m'ouvrir la portière droite. Dieu qu'il était beau dans sa tenue de ski rouge Descente ! De mon côté, j'avais enfilé mon pantalon noir et mon blouson en fourrure rose Golbergh. Il chargea mes skis et mes chaussures dans le coffre puis nous partîmes en direction de la station. Pendant qu'il conduisait, je ne pouvais pas m'empêcher d'observer son profil. Rasé de prêt, la mâchoire triangulaire, il avait une petite pâte rectangulaire de cheveux blonds tracée près des tempes. Sentant mon regard sur lui, il se tourna vers moi et ses pupilles transparentes me harponnèrent le cœur.
— Quelque chose ne va pas ? Même sa voix me faisait frissonner.
— Non, non tout au contraire, tout va très bien. Mon sourire niais remontait jusqu'aux oreilles. Je n'arrivais pas à m'en empêcher.
À la radio, ils passaient Ocean Eyes. Je chantonnai les paroles.
— Oh ! tu es fan de Billie Eilish ? me demanda-t-il.
— Oui mais j'aime aussi Leonard Cohen, Coeur de pirate, Charlotte Cardin, Chiara Savasta,...
— Très québécois à ce que je vois....
As-tu faim ? dis-je en ouvrant le panier pour voir ce que Thérésa nous avait préparé. Hum ! Alors tu as le choix entre des scones, des muffins aux carottes ou un BLT ?
— Va pour le salé !
Je lui tendis le sandwich en faisant attention de ne pas faire tomber de bacon ou de tomates puis je me servis un scone à l'érable.
— Hum, Thérésa cuisine les meilleurs scones de tout le Québec !
Il sourit tout en faisant très attention à sa conduite. Une feuille de laitue s'échappa de son sandwich et s'écrasa sur son pantalon en lin.
— Argh ! s'étrangla-t-il tout en gardant les yeux rivés sur la route.
Les autres voitures roulaient trop vite, il n'était pas facile de s'arrêter.
— Oh peut-être que je n'aurais pas dû te donner à manger en conduisant, m'excusai-je, en ramassant la petite feuille verte sur sa cuisse.
Silence embarrassé. La feuille se trouvait proche de l'entrejambe.
— Au moins, il n'y avait pas de mayonnaise ! repris-je pour détendre l'atmosphère tandis qu'il ramassait la feuille en essayant de ne pas aggraver la tache.
Il engloutit le reste du sandwich en deux bouchées. Je lui donnai une serviette en papier pour s'essuyer les doigts et nous éclatâmes de rire bêtement.
La radio rayonnait toujours dans l'habitacle. Bientôt, les informations de huit heures remplacèrent la chanson : « Bon matin. Le téléjournal de 8 h avec Manon Desjardins. La police de Memphrémagog est à la recherche de Rocco Pistouli, un homme de 27 ans, cheveux noirs, yeux bruns, 6 pieds un pouce. Il a été vu pour la dernière fois vendredi soir aux environs du lac Memphrémagog et portait un jeans bleu et un blouson Canada Goosse rouge. Toute personne disposant d'informations à propos de cette disparition doit contacter la régie de police Memphrémagog. Sur un autre sujet, le Premier Ministre... »
— Tu peux changer de chaîne ? Ça me donne le bourdon les infos...
Il m'adressa un regard rapide et caressa ma joue de sa main droite puis changea de chaîne.
— Quentin, c'est super francophone comme prénom pour un suédois ? repris-je.
Un rictus amusé se plaça au coin de ses lèvres.
— Mais c'est quoi ces préjugés, Mademoiselle Petersen ? Je suis né au Québec et mes parents, suédois, ont décidé de me donner un prénom francophone. Ton dernier nom est très anglophone pour une descendante française..., me taquina-t-il.
— Oui je suis française par mon arrière-grand-père du côté de ma mère, mais mon père est anglophone. Le manoir Verlayne porte le nom de mon autre arrière-grand-père, celui qui l'a fait construire. Lui était un loyaliste anglais ! Un comte !
— Oh wow ! donc vous êtes installés ici depuis longtemps... Moi, mes parents sont arrivés en Estrie juste avant ma naissance.
La jeep roulait prudemment sur les routes sinusoïdales qui travaissaient la forêt. Il avait neigé la veille et un voile blanc s'étendait sur le bitume. Le chemin était mal dégagé et Quentin redoublait d'attention.
— C'était rare à l'époque d'avoir des familles mixtes franco-anglaises ! Les discussions devaient être animées autour du feu ! commenta-t-il, curieux.
— En fait, ma grand-mère en parle très peu. Mais je ne crois pas qu'il y ait eu de grands différends à ce sujet. En tout cas, pas que je sache. Ma grand-mère est un pur produit des deux cultures et nous avons tous été élevés bilingues.
La Jeep s'était mise au ralenti derrière une déneigeuse.
— Oh, C't'ostie de charrue ! laissa-t-il échapper d'une voix à l'accent exagéré.
Je m'indignai faussement de son juron québécois.
— Bein, va falloir m'checker ce langage, mon gars. Ton char avance ben assez vite et on s'en crisse d'arriver dix minutes plus tard. Tu veux-tu ben remettre une toune ?
Nous explosâmes de rire. Il lança l'une de ses playlists et baissa le son pour pouvoir continuer à discuter.
— Alors, dis-moi, que comptes-tu faire avec tes études ? Il avait repris la conversation avec sa voix naturelle.
Je fis la moue.
— J'aime tellement de choses. J'ai fait un double DEC musique et sciences de la nature, avant d'arriver à Bishop. J'aime le violon bien sûr, mais je ne suis pas certaine de pouvoir en vivre. J'apprécie aussi la sociologie, l'art, l'anthropologie, les langues, les civilisations anciennes...
— Hum... Je pense que tu vas rester dans les études un petit bout de temps avant de trouver ta voie...
Puis alors que nous arrivions à flanc de montagne :
— Bon, passons aux choses sérieuses. Versant facile ou versant diamond ?
— Diamond!
Le jeep s'enfila en direction du stationnement P5. À première vue, les pistes semblaient immaculées, sans tache marron ou grise, comme c'est souvent le cas lorsque la neige du dessus a été complètement râpée par le passage incessant des skis. J'apercevais des lames brillantes, bien différentes des paillettes étincelantes que l'on observe lorsque la neige est toute fraîche. Les crissements du ski sur les plaques glacées me firent lever la tête en direction de la montagne. Sutton me plaisait. Les sapins donnaient à la station un côté chaleureux. Il se gara puis nous nous équipâmes. Avec le facteur vent, les moins quinze degrés Celsius s'étaient transformés en moins vingt-cinq. Je mis mes chaufferettes dans mes chaussures, mes gants et j'enfilai ma cagoule. Les boucles blondes de Quentin avaient également disparu sous son casque et deux couches de tissus, ce qui faisait d'autant plus ressortir le bleu de ses pupilles. Les skis sur nos épaules, nous nous dirigeâmes vers le télésiège. Les visages entièrement protégés sous nos cagoules et la visière de nos lunettes abaissée, nous regardions les pistes sinueuses et les sous-bois défiler sous nos pieds.
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