2 - Wendy


Thérésa, notre gouvernante, nous avait préparé notre lunch, à Fabrice et à moi et Joseph nous avait préchauffé le Porsche Macan pour aller à Bishop, la fac de Sherbrooke, qui disposait aussi d'une antenne à Knowlton, près du manoir. Avec moins vingt-cinq dehors, on appréciait une voiture chaude pour rouler. Il est gentil Fabrice. Je ne dis pas ça par ce qu'il est mon frère. C'est vraiment une crème. Je peux toujours compter sur lui. Il est juste un peu vieux jeu et à cheval sur les principes. Il se croit obligé de remplacer notre père lorsqu'il est absent alors que je suis son aînée de deux ans.

Fabrice prit le volant sous un ciel plombé de nuages enneigés et nous longeâmes avec prudence le lac gelé sur notre petite route tordue. Il roulait doucement tandis que des flocons tapissaient le bitume abîmé d'un voile glissant. Sur le chemin de l'université, Fabrice me demandait comment se déroulaient les leçons conduites. Je lui répondis que j'avais peur de rouler sur la glace et que du coup, j'avais espacé les sessions nécessaires à la validation finale de mon permis.

Nous arrivâmes à la fac. J'ouvris précipitamment la portière du Macan en apercevant Wendy. Fabrice eut à peine le temps de me dire :

— Attention ! Le...

Boum ! Les quatre fers en l'air. Le stationnement était complètement gelé et mes pieds avaient valsé.

— ... parking est glacé, finit-il sa phrase tandis que Wendy avait patiné sur ses Doc Martens jusqu'à moi pour m'aider à ramasser mes affaires. Je me frottais les fesses et repartis sans décoller mes semelles du sol comme si de rien n'était.

— Tu l'as vu ? demandai-je à ma chum.

— Qui ça ? Quentin ?

Je la grondai de mes yeux noirs, l'air de dire « Oui, et tant qu'à y être, siffle le bien haut et bien fort, que tout le monde entende ! ». Elle me comprit tout de suite et reprit presque en murmurant :

— Non, je viens d'arriver. Je ne l'ai pas vu.

Je cachai ma déception tandis que nous allâmes en cours de maths. Je hais les mathématiques. Je m'arrachai les cheveux pendant le cours de statistiques et trouvai la matinée très longue, alors je m'évadai dans mes rêves avec Quentin. Vous ai-je dit qu'il était blond ? Oui, c'est un Suédois. C'est tout ce qu'il avait bien voulu lâcher de personnel pendant les cours. Il a de grands yeux bleu très clair ourlés de cils chauves. Et sa voix. Chaude et grave, comme celle de Léonard Cohen. Je l'écouterais parler pendant des heures...

Wendy m'envoya tout à coup son coude pointu dans les côtes.

— Aïe, mais... j'allais gronder Wendy, mais je m'interrompis en regardant les billes noires du professeur de maths planté sur moi.

— J'attends mademoiselle Petersen !

— Heu...

Le trou. Bon sang, qu'avait-il bien pu demander ?

— Alors, ce théorème de Poivre-Laplace, vous le connaissez oui ou non ? insista-t-il.

Je pâlis.

— Non, m'étranglai-je,

— Je n'ai pas bien entendu !

— Non, répétai-je à mi-voix. J'étais devenue écarlate.

— Bien, vous resterez en retenue ce soir !

Sérieusement? On était à la maternelle ou quoi? Pour qui se prenait-il ce charlot? Pensait-il que je n'avais rien d'autre à faire? ne pus-je m'empêcher de marmonner.

Wendy regarda ma moue d'un sourire navré. Mince, pour couronner le tout, ma tante allait me tuer. Éléanore m'avait bien fait préciser que je devais être rentrée à 5 h 30 pour une conversation des plus importantes. Et on ne désobéissait pas à Tante Éléanore.

— Je vais prévenir Fabrice, me proposa Wendy pendant que je textais la nouvelle à Tante Molly.

— Je crains que cela ne soit pas suffisant, dis-je en finissant mon texto à la plus gentille de mes tantes. On voit bien que tu ne la connais pas. C'est une terreur ! Au moins Molly essaiera de lui faire passer la pilule...

— Allons donc, tu vas avoir dix-huit ans. Tu as peut-être l'âge de commencer à résister à ta tante Éléanore, non ?

Elle s'était mise à tapoter sa joue avec son index.

— Je t'assure ! J'en ai une peur bleue. Une fois, j'avais sept ans, et je chantonnais à table. Elle m'a dit d'arrêter et je ne l'ai pas écouté. Tu sais ce qu'elle a fait ? Elle m'a arraché ma poupée des mains et lui a crevé la bouche avec des ciseaux. Et elle m'a menacé, en disant que si je chantais encore une seule fois cette chanson devant elle, elle me crèverait les cordes vocales de ses propres mains ! Le pire, c'est que tout le monde était là. Ma tante Molly, mes cousines, Fabrice et mes parents. Personne n'a bronché !

— Je savais qu'elle était folle, mais là ça frôle l'hôpital psychiatrique ! Oups, Pardon. J'avais oublié que tu avais déjà ta tante Antoinette en institution.

— Oui, quelle famille ! Oh, mais ils ont plein de bons côtés aussi. Tu sais, maman m'a expliqué pourquoi elle était comme ça. Éléanore était tombée follement amoureuse d'un chanteur., mais il n'a jamais voulu l'épouser. Le plus tragique, c'est qu'il est mort quelque temps après qu'ils aient rompu. Elle ne s'en est jamais remise et ne s'est jamais mariée.

— Oh, je vois.

Deux accents circonflexes encadraient ses yeux en amande, l'air de dire « quelle famille de timbrés... »

— Néanmoins, elle n'est vraiment pas commode. Je ne sais pas ce qu'elle me prépare si je ne suis pas à l'heure.

La journée se déroula sans qu'aucun autre évènement majeur ne se produise. Mon téléphone bipa. Un nouveau courriel de maman venait de rentrer.

« Ma chérie,

Nous avons enfin réussi à rejoindre une station équipée d'une antenne. J'en profite pour pouvoir te donner des nouvelles. Nous devons déjà repartir demain. Nous avons repéré l'ours polaire que nous recherchions et nous ne voulons pas le perdre. Nous allons nous enfoncer plus au nord avec ton père afin de le suivre.

Je dois te parler de quelque chose que j'espérais te dire de vive voix. As-tu rencontré un garçon ? J'espère de tout mon cœur qu'il est charmant, ouvert et qu'il t'aimera de tout son cœur. C'est forcément le cas. On ne peut que t'aimer lorsqu'on te rencontre.

Je recommence ce courriel pour la quatrième fois., heureusement j'avais sauvegardé le début de mon email. Le courant n'arrête pas de sauter. Je vais devoir faire court. Tes tantes Éléanore et Molly vont te convoquer avant ton anniversaire. Il est très important que tu les écoutes et que tu respectes à la lettre les instructions qu'elles vont te donner. C'est important ma puce. C'est une question de... vie ou de mort... Enfin, ne t'inquiète pas trop et tout se passera très bien. N'en parle à personne.

Papa et moi t'embrassons très très fort et embrasse aussi ton frère pour nous.

P. S. Mets l'une de tes petites robes rouges pour le bal. »

J'étais intriguée au plus haut point. Une question de vie ou de mort ? Mais de quoi parlait-elle ? Ma montre bipa. C'était l'heure de la colle. Je me dirigeai vers la salle de retenue tellement perplexe que je ne reconnus pas tout de suite Quentin lorsqu'il m'interpella ; mais lorsque mes yeux se levèrent sur ses adorables boucles blondes, mon cœur se mit à battre la chamade.

— Chenoa ? Que fais-tu encore ici ? Les cours sont finis !

— Oui, je sais, je suis collée, déplorai-je.

Il sourit et de petits sillons se placèrent au coin de ses yeux. Je trouvais cela effroyablement séduisant.

— Collée, toi ? Je suis surprise. Tu es d'habitude très assidue ! Ce ne serait pas avec M. Monks par hasard ?

Je sentis la chaleur me monter aux joues pendant qu'il me fixait.

— Oui, comment le sais-tu ?

— Ne t'inquiète pas. Il n'y a que lui qui fout autant de retenues. Moi aussi, il m'a collé plusieurs fois. Il ne veut pas rentrer voir sa femme, alors il trouve toutes les excuses pour rester à la fac.

— Oh ! toi aussi ? Ma montre bipa une nouvelle fois.

— Tu ferais mieux d'y aller sinon tu vas te faire recoller la semaine prochaine !

— Oui, j'y cours !

Et alors que je me hâtais vers la salle et qu'il ne restait plus que nous deux dans le couloir, il me cria :

— Au fait, je viens samedi soir. Merci pour l'invitation !

— Super ! lui répondis-je sans me retourner pour ne pas qu'il voie que je rougissais de bonheur.


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