13 - Ethan
Sur le chemin de la fac, je regardais les paquets de neige amoncelés sur les branches défiler à travers la vitre dans une symphonie de blancs et de dégradés de gris alors que le soleil se levait timidement. J'étais perdue dans le souvenir de ma soirée lorsque Fabrice me sortit de ma rêverie.
— Tu sais qu'Ethan a passé son examen d'entrée chez les cadets ?
— Oh vraiment ? C'est vrai que je l'imagine bien dans la police. Toujours prêt à veiller sur les autres !
Ethan était de ces jeunes hommes fiables, fidèles et sincères sur qui l'on pouvait aveuglément compter. Assez carré d'épaule, il était imposant, mais la première chose qui m'avait marquée chez lui, c'était sa rangée de dents blanches qui contrastaient avec sa peau ébène. Je repensai soudain aux nouvelles des derniers jours et demandai à mon frère :
— Tu crois qu'il va travailler sur les dossiers des meurtres qui ont eu lieu dans la région récemment ?
— J'en doute. Son père est peut-être détective, mais pas lui. On verra bien !
Fabrice se concentrait sur la route à peine déneigée et je ne voulais pas le distraire. Alors je replongeai dans mes pensées de la veille. Je revoyais le visage blond de Quentin me sourire avec ce petit froncement qui s'imprimait de chaque côté de ses joues. Au moins Fabrice avait la décence de ne pas m'interroger. Je crois qu'il ne voudrait pas que je le fasse s'il sortait avec quelqu'un. Mon frère fleurtait timidement avec plusieurs filles de la fac, mais j'étais convaincue que la dernière chose qu'il souhaitait était que je le questionne là-dessus.
Nous arrivèrent à la faculté et je me précipitai en direction de ma classe de français en espérant y trouver Wendy. Lorsque j'aperçus sa chevelure carrée et auburn, j'attrapai la chaise à côté d'elle et lui prit les mains.
— Tu ne devineras jamais !
Ses yeux pétillèrent de curiosité.
— Quoi ? Hum, toi tu as vu Quentin ce week-end...
J'opinai de la tête, la bouche scellée comme pour m'empêcher de révéler ce que je mourrai d'envie de clamer au monde entier.
— Et vous avez fait...... des choses ?
Mes sourcils remontés en accent circonflexe me trahirent.
— Plein.. Échappai-je en remettant les mains sur ma bouche...
— Oh les coquins !... Elle me serra la main. Je suis heureuse pour toi, ma chérie. Très heureuse !
Pendant le cours qui suivit, je fus totalement incapable de me concentrer. Comme ma vie d'avant me paraissait soudain si fade ! Des ailes me poussaient. J'avais envie de m'envoler, de crier, de vivre ! J'étais tellement perdue dans mes songes, que je n'entendis pas la cloche sonner et si Wendy ne m'avait pas arraché le bras, je serais encore perdue à rêvasser sur mon pupitre. J'enchaînai ensuite sur mon cours de sociologie sans Wendy, qui était partie assister à sa classe de chimie. J'essayai de me convaincre qu'il fallait me reprendre et me concentrer, la sociologie était une matière que j'aimais bien, mais je n'eus pas plus de succès qu'à l'heure précédente. La peau diaphane de Quentin me hantait. Ses abdos légèrement fuselés m'obnubilaient. Ses cheveux blonds et ses yeux clairs me fascinaient. Ses longs doigts fins et sa voix calme me manquaient.
— Mademoiselle Petersen !
La voix insistante de mon professeur me tira de mes rêveries. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il me voulait.
— Alors ? J'attends !
Mince. Panique à bord. Qu'avait-il demandé ? Oh je n'avais vraiment pas envie de me refaire coller.
Un murmure discret me parvint alors au creux des oreilles et je le répétai bêtement avec toute l'hésitation du monde.
— Harriet Martineau ? fis-je non convaincue.
— Oui, Harriet Martineau née en 1802 fut l'une des premières femmes sociologues avec Catherine Macaulay, Flora Tristan et Beatrice Webb.
Sa voix s'étouffa à nouveau dans le brouhaha de mes pensées. Quel était cet ange gardien à qui je devais mon salut ? Je me serais bien retournée vu que la voix était venue de derrière, mais cela aurait été trop visible. J'attendis donc que Monsieur Rivowsky eût terminé son laïus, et jetai discrètement ma vieille clé USB par terre. Je me penchai alors discrètement pour la ramasser et jetai en même temps un coup d'œil sur les chaussettes Ralph Lauren blanches impeccables plantées, juste derrière ma chaise, dans de longs mocassins noirs cirés. Je reconnus la silhouette athlétique et élégante d'Ethan qui, en croisant mes yeux empreints de reconnaissance, m'adressa un sourire. Rehaussée par le blanc de son polo Hilfiger au col bleu et rouge, je remarquai à quel point sa peau sombre contrastait avec la peau suédoise de Quentin. Né d'un père afro-américain et d'une mère acadienne, son physique affichait la mixité subtile et étrangement belle de ses origines. Je ne l'avais même pas vu s'installer derrière moi. C'est vrai que nous suivions le même cours de sociologie. Il disait que mieux comprendre la société l'aiderait à mieux appréhender les comportements étranges des gens.
Pour le coup, je suivis avec davantage d'attention la fin du cours, d'autant que cela parlait également de féminisme. Quand la fin de la classe arriva, je pris soin de ranger mes affaires en même temps qu'Ethan et l'accompagnait.
— Merci Ethan. Je t'en dois une. Sans toi j'aurais été collée !
— Mais non, mais non ! Protesta-t-il. Ce n'est rien. Tu étais juste distraite. Il m'adressa encore une fois son sourire blanc irrésistible.
— Mais au fait, félicitations ! me rappelai-je. Fabrice m'a dit que tu venais de recevoir ton admission au programme des cadets de la police de Sherbrooke ?
— Oui, à la prochaine rentrée ! Je commence à temps partiel comme stagiaire dans le service de mon père pour m'habituer.
Je décernais la fierté dans son regard.
— Oh, je suis certaine que tu vas bien réussir. Regarde toi, tu es littéralement fait pour ça ! Je détaillai rapidement sa stature plus solide, plus haute et athlétique que celle de Quentin. Oui, il aurait de quoi se défendre en cas de besoin.
Nous parvînmes aux casiers et je le laissai pour ranger mes livres. Ethan avait réussi à me faire oublier Quentin pendant près d'une demi-heure. Bel exploit ! J'essayais de ne plus penser à mon ange suédois. Nous avions convenu que nous éviterions de nous voir à la fac en dehors des corridors, pour préserver sa réputation. Il n'était donc pas raisonnable de le chercher même si à chaque coin de couloir, je balayai intensément du regard chaque tête blonde. Notre prochain rendez-vous était prévu le week-end suivant. Il m'avait réservé tous ses week-ends sauf à l'approche des partiels. En revanche, la semaine, il voulait que je travaille mes cours et que lui prépare les siens. Il avait trouvé « non raisonnable de se voir » pour reprendre ses mots, autrement qu'aux détours des couloirs. Qu'importe ! Je prendrais tout ce qu'il me donnerait ! Je ne pouvais pas lui reprocher de vouloir prendre soin de moi et de m'obliger à me concentrer sur mes études !
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