12 - La pêche au doré
Le week-end arriva et Quentin, comme prévu, vint me chercher pour aller pêcher le doré. Le thermomètre affichait moins quinze degrés Celsius, mais un soleil radieux illuminait le manteau neigeux. Nous nous garèrent aux abords du lac Brome et Quentin répartit avec moi le poids de l'équipement de pêche. Il me donna la canne à pêche, les hameçons et les appâts, tandis que lui portait l'hélice et la glacière.
— J'ai loué une cabane sur le lac, fit-il en désignant les bicoques au milieu de l'étendue gelée.
Je souriai. J'avais de vagues souvenirs d'avoir accompagné mon père une ou deux fois dans ces cabines, mais cela ne m'avait pas marqué.
Seul le crissement feutré de nos pas dans la neige venait troubler le souffle du vent, par moment ponctué de rires lointains d'enfants. Parvenus à la moitié du lac, nous nous dirigeâmes vers une petite cabane qui avait assurément été tractée jusqu'à son emplacement. Comparé aux autres pêcheurs qui avaient juste emporté un siège de camping, c'était le luxe. À l'intérieur, un réchaud avait été installé et un banc de glace avait été sculpté. Quentin ouvrit la glacière vide et en sortit un briquet pour démarrer le réchaud. Au sol, on pouvait encore deviner le contour d'un trou qui avait dû servir un ou deux jours auparavant, mais dont la glace s'était reformée. Il prit sa perceuse à mèche hélicoïdale et perça à son tour la calotte de glace à l'emplacement déjà utilisé.
— 30 cm... pas de risque que ça craque... fit-il en me montrant l'épaisseur de glace.
Il déposa la glace qu'il avait ôtée dans la boite isotherme.
— Tu n'as pas froid ? s'enquit-il.
Je fis signe que non de la tête. Il me passa la canne à pêche et se plaça derrière moi.
— Tiens, comme ça, tout en douceur ! Me montra-t-il.
Il prit ma main et la plaça sur le moulinet pour faire descendre l'appât.
— Voilà.
— C'est tout ?
— Oui, il faut attendre maintenant, mais ne quitte pas la ligne des yeux au cas où un poisson mordrait.
— Oh, et que va-t-on faire en attendant ?
— Hum...
Il se plaça derrière moi et m'enlaça. Je mis de la musique sur mon téléphone et me délectai de son souffle dans mon cou.
— Chut, pas trop fort la musique, tu vas faire fuir les poissons !
Je baissai le volume et pris les nouvelles. Un nouveau texto attira mon attention. « Un étudiant de 22 ans retrouvé poignardé à Bolton-Ouest ».
— Tu as vu ça ? m'écriai-je.
Il regarda le texto. Son visage se raidit puis il me rassura :
— Tu ne devrais pas t'en faire. Les nouvelles sont toujours anxiogènes, pourquoi les regardes-tu ?
— Mais enfin, je ne peux pas faire l'autruche, enfoncer ma tête dans un trou en priant que le monde extérieur ne vienne pas bouleverser ma réalité ! protestai-je.
— Certes, mais c'est NOTRE journée et je ne veux pas que quoi que ce soit puisse la gâcher, me rassura-t-il gentiment en m'enlaçant.
Il s'empara de mes lèvres avec la ferme résolution de me faire oublier ces nouvelles inquiétantes et me fit vaciller. J'en perdis le fil de mes pensées jusqu'à ce qu'il s'arrête brusquement.
— Regarde ça !
— Quoi ? dis-je dépitée qu'il m'ait laissée en plan.
— Ça mord déjà !!
Il sortit un magnifique doré de l'eau. Le poisson gigotait tellement qu'il eut un mal de chien à le détacher de l'hameçon. Je lui tendis le contenant isotherme pour qu'il y dépose le doré. Je me sentais heureuse. Il referma la glacière et s'approcha de moi. Nous restâmes ainsi collés l'un à l'autre près du réchaud pendant de longs instants. En dehors du vent glacial qui sifflait par les ouvertures de la cabane, aucun son ne venait troubler notre intimité. J'appréciais ses mains gantées autour de ma taille et son menton dans le creux de mon cou. Mes pieds commençaient cependant à être engourdis. Maintenant qu'on avait une prise, j'espérais qu'on allait pouvoir rentrer se mettre au chaud.
Quentin comprit que mon intérêt pour la pêche n'égalait pas le sien et il rangea les affaires. Nous repartîmes avec le matériel en direction de la jeep. La voiture en vue, il lança le démarreur à distance si bien qu'une température acceptable nous accueillit. Là, il retira ses gants, plaça ses mains puissantes sur les miennes et les frotta pour les réchauffer. Puis il se pencha vers moi et commença à m'embrasser sur la joue, dans le haut du cou, sur la bouche. Je ne sentais plus du tout le froid et tout au contraire, une vague de chaleur s'empara lentement de moi tandis que ses mains exploraient mes formes. Puis, à mon grand dam, il arrêta et se rassit correctement sur son siège.
— Quoi ? Le regardai-je.
— Je t'emmène chez moi ? Cela te dit ? On aura du poisson au souper !
Je lui souris et acquiesçai. J'étais prête. Je rêvais de brûler les étapes avec lui. Nous parvinrent à son studio de Sherbrooke. Il gara directement sa jeep dans le stationnement sous-terrain de son immeuble puis rangea le matériel de pêche dans sa cave. Nous montâmes ensuite dans l'ascenseur avec le fruit de notre expédition. Arrivé au troisième étage, il inserra la clé dans la serrure et la porte s'ouvrit sur un appartement assez douillet. Deux grandes bibliothèques ornaient l'un des murs du salon. Il alla déposer la glacière dans sa petite cuisine et se lava les mains.
— Veux-tu boire quelque chose ? Il me regarda par-dessus le bar de la cuisine tandis que je m'étais enfoncée dans son sofa.
— Non, merci.
Mais il était déjà arrivé à ma hauteur avec un verre de vendanges tardives de la vallée d'Okanagan. J'en pris une gorgée et me laissai réchauffer par la douceur de l'alcool.
— Tu veux manger maintenant ? Me proposa-t-il.
— Non. Lui dis-je en lui fermant la bouche avec mon doigt. Tu es la seule chose que je désire en ce moment ! soupirai-je, enhardie.
Alors, il me prit le verre des mains et le posa, me tira par la main et m'emmena vers sa chambre. Il commanda à son haut-parleur intelligent de mettre du jazz, lança la cheminée à gaz, puis s'empara doucement de mes lèvres avant de s'interrompre.
— Tu es certaine ?
— Oui ! Je le suis. Viens là ! Je l'attrapai et commençai à déboutonner sa chemise avec un toupet qui me surprit.
— Mais enfin, tu es étudiante dans ma fac et...
— Oui, et on en a déjà parlé. J'écrasai ses lèvres pour clore la discussion. Je suis majeure et tu n'es pas mon prof, réitérai-je comme pour me convaincre également. Assez parlé ! ordonnai-je gentiment.
Je défis sa ceinture. Il arrêta de résister, retira sa chemise et enleva mon pull. Tout en m'embrassant, il défit mon soutien-gorge, caressa mes seins tandis que mon être entier s'embrasait. Alors il me souleva et me déposa sur le lit. Il ôta ce qu'il me restait de vêtements et je retirai les siens. Il couvrit de baisers chaque parcelle de ma peau tandis que des flammes s'emparaient de mon corps. Alors, il me sembla entendre des murmures. Des sifflements me traversèrent les oreilles et une brume envahit mes yeux. Je m'interrompis et me relevai un instant, perplexe, mais d'une main légère, il me rapprocha de lui. Il m'embrassa de plus belle et je perdis le contrôle. Mes sens s'exacerbèrent et un instant, j'eus la chair de poule. Il me vit frissonner et s'enroula alors délicatement autour de moi. Chaque fois qu'il m'effleurait, un océan entier de vagues déferlait. J'entendais le murmure de l'eau dans le sang de mes veines et le sifflement du blizzard dans son souffle sur mon cou. Le crépitement du feu bourdonnait dans mes oreilles tandis que mes pupilles se dilataient. Des vibrations multiples traversèrent les paumes de mes mains tandis que des ondes rythmées me traversèrent langoureusement. Mes pulsations s'accélèrent et mes sens s'intensifièrent. Le parfum suave et musqué de la peau de Quentin m'enivrait. J'entendais chaque battement de son cœur, chaque battement du mien. Puis je me redressai aux aguets, le renversai sur le lit, et repris le contrôle. Dans un élan plus fort que moi, je me plaçai sur lui et lui fit l'amour dans une danse intuitive et animale, comme habitée par des rites ancestraux.
Ce n'est que trois heures plus tard que mon ventre se mit à gargouiller. En entendant le râlement de mon estomac, Quentin leva ses yeux vers moi :
— Une petite faim ?
J'acquiesçai de la tête, encore chavirée par l'intensité de nos ébats.
— Je vais te préparer le poisson. Je ne sais pas s'il te fera le même effet que le vin, mais le moins que l'on puisse dire c'est que tu es une fille surprenante !
Un peu honteuse de mon culot antérieur, je me recroquevillai dans ma coquille de timidité. Mais je me sentais bien, tellement bien. Il se leva du lit et enfila un pantalon. J'épiais discrètement son corps, le nez sous les draps. Mince et à peine musclé, il avait le corps d'un intellectuel gâté par la nature bien qu'il ne pratique pas de sport régulier, à ce que j'en savais.
Il découpa les filets et les cuisina aux champignons et aux fines herbes tandis que je me rhabillai.. Nous nous mirent à table dans le salon. J'adorai le soin minutieux avec lequel il avait préparé rapidement une belle table, un vase et des fleurs séchées au milieu et j'appréciais la façon dont il avait apprêté le filet de doré.
Vers 22 h, il proposa de me raccompagner. J'étais déçue, car j'avais secrètement espéré qu'il voudrait me garder avec lui toute la nuit.
— Il est temps que je te ramène sinon tes tantes vont m'arracher le cœur.
— N'aie pas peur, ma tante Molly ne ferait pas de mal à une mouche et même si Tante Éléanor parait froide, elle n'est pas bien méchante au fond.
— Certes, mais ce ne serait pas très convenable. En plus, tu as cours demain.
J'acquiesçai, mais je restais partagée entre son côté raisonnable et mon envie de retourner me coucher avec lui. Je préparai mes affaires et à regret, montai dans la jeep. Il me ramena à la maison dans le silence de la nuit noire.
Les deux ailes du manoir étaient éteintes. Seul l'éclairage extérieur diffusait une ambiance tamisée bienveillante. Tout le monde devait être déjà couché ; après tout c'était dimanche soir.
Il m'embrassa longuement, s'assura que j'avais bien mes clés pour ouvrir puis repartit.
Je rentrai en ôtant mes chaussures — je ne me sentais pas l'envie de décrire ma vie intime dans les moindres détails à mes tantes — quand du bruit attira mon attention à l'étage.
Des éclats de voix venaient de la chambre de ma grand-mère.
— Mais enfin, Eléanore, quand te comporteras-tu en adulte responsable ? Entendis-je ma grand-mère.
— Mère, vous avez pu vous marier d'amour à temps, mais vos filles n'ont pas toutes eu cette même chance! Ne me jugez pas parce que j'essaye de sauver cette famille ! Le suicide de Patricia ne vous a-t-il pas suffi ?
— Comment oses-tu ! Sors d'ici immédiatement !
— Avec plaisir !
Je restai interdite devant ce que je venais d'entendre. Éléonore claqua la porte et je tombai nez à nez, sur ma tante, dans un fuseau noir échancré. Ses yeux portaient un maquillage fumé et une bonne dose de masquara tandis que ses lèvres ne portaient plus que le vague souvenir d'un rouge à lèvres vif. Elle était clairement sortie et ma grand-mère avait dû lui reprocher son absence.
— Et toi ! c'est à cette heure-ci que tu rentres ? M'attaqua-t-elle.
— Et bien il faut savoir ! répondis-je du tac au tac. J'étais avec Quentin !
— Et ...? La relation a-t-elle progressé ?
Elle s'empara de ma main comme pour y chercher une bague. Je la retirai violemment, mais répondit par l'affirmative. Elle me dévisagea et lorsqu'elle me prit le menton comme pour mieux lire dans mes pensées, son haleine alcoolisée incommoda mes narines. Satisfaite de ma réponse, elle se dirigea vers sa chambre en se dandinant légèrement, ses talons aiguilles à la main.
L'instant fugace où ma tante me rappelait le couperet de mes 19 ans s'imposa à moi, mais je balayais la pensée sans effort en visualisant les yeux pétillants de Quentin. Je pris le chemin de ma chambre, un sourire niais aux lèvres. J'étais aux anges. Que m'importait cette histoire de malédiction ! Je réalisais à quel point je me sentais amoureuse. Tout était maintenant possible ! Mon cœur s'emballait empli de promesses d'avenir et mes mains en tremblaient d'excitation. Puisqu'il me fallait précipiter la suite, j'imaginai un instant une alliance autour de mon doigt. Faire ma vie avec Quentin, c'était déjà pour moi une évidence. Je me déshabillai et me lavai les dents en redessinant mentalement chaque parcelle de sa peau. Je me jetai sur mon lit et rejouai cent fois notre soirée dans la tête. Finalement, je succombai à la fatigue que le manque d'heures de la nuit précédente avait accru.
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