Partie 2 : Assyr - Chapitre 1 : Errance

Un tapis de quartz fin, chaud, soyeux. La sensation est agréable. Si l'on omet le sable qui fourre ma bouche. Je me redresse pour le cracher et chasser les derniers grains traîtres.

Où suis-je ?

Le soleil cogne avec une violence rare. Son poids tombe sur l'arrière du crâne et me donne l'impression de m'être réveillé sous un grill. Même en plissant mes paupières en fentes minuscules, le paysage m'apparaît comme un amas de blanc et de rouge. Vide.

La panique monte.

Je me lève, tourne à trois cent soixante degrés. Rien. Il n'y a absolument rien aux alentours. Juste l'infinie étendue rouge du Fayeh. Je prends conscience de ce qui s'est passé.

— Hussein !

Je hurle, une fois, deux fois, à en perdre le compte. Les mains en coupe, tournant en rond comme si quelques mètres supplémentaires allaient me permettre d'apercevoir son corps au loin. Quand ma gorge parcheminée rend l'âme, je cesse de m'époumoner et retombe dans le sable, terrassé par le désespoir.

— Qu'est-ce qu'il t'a pris, imbécile ? Pourquoi tu t'es pas protégé ? Et maintenant, je vais mourir ici ! Seul.

Parce qu'il est de notoriété publique que nul ne tient plus d'une journée dans le Fayeh, sans eau et sans équipement. À en croire l'horizon plus que dégagé, je suis à des kilomètres de marche de toute civilisation.

Déjà, le soleil impose sa blessure lente et impitoyable. J'ôte mon manteau, hésite à l'abandonner, puis me rappelle que les nuits du Fayeh sont froides. Il m'encombrera un moment, mais je serai heureux de l'avoir plus tard. À condition de survivre jusque-là. Quant au foulard qui me servait d'écharpe, je le noue autour de ma tête. Il est encore imbibé de sang frais. Mon sang qui a ruisselé sur la stèle... D'un frisson nerveux, j'essuie les traces sur mon cou et ne parviens qu'à les étaler.

Puis j'entame la marche. L'espoir est ridicule, mais inexistant si je reste ici à me morfondre.

Je m'estime en milieu d'après-midi. Un coup d'œil vers le ciel et je prends la direction de l'est. Un, cela me permet de ne pas avoir le soleil de face ; deux, l'est mène à la côte et les caravanes fréquentent davantage cette partie du désert. Car mon unique chance de survie est de tomber sur une route commerciale.

Un projet d'une prétention risible. Cela devient de plus en plus évident, à mesure que le soleil poursuit sa course et son acharnement sur mes bouts de peau à vif. Le pire reste la soif. Ma langue pèse lourd sur mon palais, granuleuse et desséchée. Lorsqu'une bourrasque souffle une gifle de quartz, j'ai l'impression que mon corps va s'effriter avec. À chaque nouveau pas qui s'enfonce dans la gangue sableuse, la tentation de rester dans son étreinte carillonne dans mon esprit. Je résiste, je m'en arrache et le processus recommence ; encore et encore ; à l'infini.

Ma vision se trouble. Par moments, je crois voir danser des silhouettes devant mes yeux. Rien que des cailloux lointains. Quand la luminosité baisse, que la chaleur impitoyable cède place à un froid mordant, je m'emmitoufle dans mon manteau et m'effondre entre deux rochers pour rester à l'abri du vent. Je n'ai pas le temps de prier pour que les scorpions me laissent en paix que la fatigue s'empare de moi.

Le lendemain est pire. Ces quelques heures de repos ont surtout aggravé ma soif. Un mal terrible comprime mon crâne et endolorit les muscles, comme si l'on essorait les dernières réserves d'eau de mes cellules. Je me concentre alors sur l'aria.

Les brides d'énergies négatives de l'haiwa s'accrochent encore à moi, mais les vents du désert les nettoient petit à petit. Étrangement, cette zone du Fayeh n'a pas l'air infestée par l'outre-monde. Peut-être puis-je puiser de nouvelles forces dans cette source ? Je n'ai pas l'impression que c'est efficace. Cela m'aide néanmoins à affronter les heures de marche alors que mon esprit s'égare dans cette étrange méditation, et, sans même que je le réalise, mes pieds usés butent sur du dur.

Une route.

Du moins, une piste où le sable a simplement été tassé. Cela suffit à réveiller l'espoir dans ma carcasse résignée à mourir. Mes yeux fous s'agitent dans tous les sens. Aucun passage à l'horizon, aucune idée de la direction à prendre. Sud ? Cela revient à jouer à pile ou face... Un rire nerveux me secoue ; que ma faiblesse étouffe aussitôt.

Les hallucinations empirent. Les murmures du vent se confondent à des grondements plus inquiétants. Au début, je tournais la tête, paniqué de me retrouver nez à nez avec un mas. Maintenant... À quoi bon ? Si un monstre décidait de me pourchasser, cela abrégerait mon calvaire.

Le grondement s'intensifie. J'arrive à ma limite. Je vais m'écrouler là et peut-être qu'une caravane trouvera mon cadavre calciné dans quelques mois. Peut-être. Mon regard se porte une dernière fois sur l'horizon.

Est-ce de la poussière que je vois là-bas ?

Un nuage ensablé sur la route, des vibrations... Pincez-moi, j'hallucine encore. Une voiture ! Je me redresse d'un coup, tente de courir, de lever les bras... Mon corps ne suit pas. Je retombe. Je me relève. Allez Nafi, rien qu'un petit effort...

Deux 4x4 déguisés d'un camouflage militaire et un camion dont la bâche déchirée claque au vent. Même avec une insolation, je ne pourrais pas imaginer ses détails. J'use mes dernières forces pour balancer mes bras en l'air. Les voitures s'arrêtent, et le noir m'emporte à ce moment-là.

Je me réveille à l'arrière du camion. Un linge humide posé sur le front ; la meilleure sensation de ma vie. Des mains essayent de me faire boire, d'abord quelques gouttes sur des lèvres crevassées, puis une gorgée entière. Si je me manque de m'étouffer avec la première, la seconde me ressuscite. Pas assez pour remercier mes sauveurs.

J'entends vaguement des conversations, des questions que je ne comprends pas. Ce n'est que lorsque l'homme répète en gyssien avec un accent à couper au couteau, que je réalise qu'il parlait en assyrien.

— Quoi tu faire dans la désert ?

Je reconstruis le puzzle et le sens, mais ma gorge encore déshydratée ne peut s'ouvrir pour répondre.

— Tu être seul ?

Je hoche la tête. Les silhouettes se regardent, perplexes. Combien sont-ils exactement ? Trois ? Un quatrième homme s'avance, il semble flotter dans une longue djellaba noire ; un uniforme de sahir.

Je frissonne lorsqu'il pose deux doigts sur mon front.

— Sihr seī me āgeh.

Ma maîtrise de l'assyrien est abyssale, mais, à force d'avoir entendu Farouk et Jarir s'écharper, je peux comprendre ces simples mots : « C'est un aria-sil. »

Et je me rappelle qu'il ne fait pas bon d'être un aria-sil parmi les Assyriens.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top