Chapitre 7 : Le bain

Je descends à l'étage inférieur et longe un couloir aux murs couleur poil de chameau qui rendent la traversée presque étouffante.

Lamia m'a indiqué une salle de bain. Je n'ai toujours pas pu me laver des empreintes dégradantes que ces hommes ont laissées sur moi, et j'ai besoin d'éclaircir ce nuage dans ma tête, mais le riad est un vrai labyrinthe.

Le silence règne entre ses pierres épaisses, mais n'est pas total. Des bruits évocateurs attirent mon oreille. Je la plaque contre une porte en ferraille froide. Ce ne sont pas des chants d'aria, mais quelque chose de beaucoup plus trivial. Entre les gémissements s'entrecoupent des grognements que je n'identifie que trop bien pour les avoir partagés pendant des mois. Farouk prend son pied.

Un malaise violent m'étreint la gorge, et je me fustige aussitôt de le ressentir. Je m'éclipse dans une discrétion exemplaire.

Arrivé dans la salle de bain, je jette mes vêtements en pagaille. Le sortilège se dissipe et le tissu imaginaire se volatilise. Ne reste que l'imposant manteau de Farouk, savamment chiffonné au sol. Je l'abandonne là. Une douche salvatrice enfouit les horreurs des dernières heures, de ces révélations. Je rase aussi mon début de barbe irrégulière. Je frictionne chaque parcelle de mon corps avec une minutie irréprochable. Quand je pense aux doigts graisseux de ce garde, au crachat de ce sale pervers... la sève du dégoût monte, mais ça, je ne peux pas la décrasser.

Même une fois ma peau rougie, je n'ai pas l'impression d'être entièrement débarrassé du sable et des affres. En prêtant enfin attention à la salle de bain plus que luxueuse, je me rends compte qu'elle jouxte un hammam et que, derrière une baie vitrée, un bassin assez grand pour quatre personnes fume encore.

J'ignore pour qui ce bain a été coulé, mais il me fait de l'œil. Je m'y enfonce. Les vapeurs d'eau s'entortillent autour de mes narines et décongestionnent les tracas. J'essaye de ne plus penser. Ni à Hussein ni à Farouk ni à ce monde sur la sellette.

J'ai assez donné.

La porte s'ouvre. Mes muscles se contractent par réflexe. Un garde, une matraque, un rictus sardonique...

— Je peux me joindre à toi ?

Ce n'est que Farouk. Sa question presque innocente m'arracherait un rire de nervosité après les scénarios du pire qui se rejouent dans ma tête. Mais je reste coi. Il est entièrement nu et la vision de son corps somptueux me surplombant chauffe mes joues d'un émoi incontrôlé.

Il n'attend pas ma réponse et s'immisce dans l'eau chaude. Un soupir contenté s'évade de ses lèvres et ses paupières tressautent en se fermant.

Lui aussi semble avoir des tracas à déliter dans la fumée.

— Je pensais que tu serais allé dormir, me dit-il.

— On a un peu traîné sur la terrasse.

Je ne sais pas si Lamia et Jarir ont déjà fait leur rapport. Probablement pas, vu son occupation avec Isham dans la chambre. Ils le feront demain. Je n'ai pas l'énergie de raconter encore tout ça maintenant.

Un long silence s'installe entre nous. Une stase qui me convient, comme dans la voiture. Mais Farouk franchit la ligne. Il se glisse contre moi et son corps contre le mien réveille le déluge que j'étais presque parvenu à calmer.

— J'espère que je ne t'ai pas contrarié avec Isham.

Son chuchotis hérisse quelques poils sur ma nuque.

— Non, pourquoi le serais-je ? réfuté-je d'une voix robotique.

— Tu aurais le droit d'être en colère que je couche avec lui alors que tu venais à peine d'arriver. Ce n'était pas mon intention à la base, mais... les choses ont dérapé.

Évidemment qu'il sait que je me suis arrêté devant leur porte.

Je m'efforce de conserver mon détachement, et cela épuise mes ressources. Il est cependant indispensable, car je n'ai pas l'énergie d'initier un mélodrame dans mon état.

— Il n'y a pas de problèmes. Tu ne m'as fait jamais fait de reproches quand je couchais avec Hussein.

Je n'ai pas besoin de Farouk pour plonger six pieds sous terre. J'y parviens tout seul, alors que les souvenirs d'une époque révolue me narguent. Les soucis d'antan me paraissent si futiles et si enviables, à présent.

— Même si je n'en montrais rien, ça ne m'empêchait pas d'être jaloux, parfois.

Je n'attendais pas cette confidence. Je me tourne vers lui. Il est si près, si tentant. Ses longs cheveux serpentent à la surface comme des fumées d'encens ; sur son pectoral émergé, un téton luisant goutte et me foudroie d'un désir violent de le presser entre mes doigts. Ou entre mes lèvres. Un feu trop vif, trop brutal se réveille entre mes reins. J'ai envie, je n'ai pas envie, je ne sais plus.

Il se penche sur moi, et m'embrasse. C'est épouvantablement doux. La tentation de lâcher prise, de ne songer à aucune conséquence, me traverse.

Mon aria entre en résonance, comme si elle reconnaissait un maître en lui. Elle file entre ses lèvres et abreuve ses cellules. Je n'ai qu'à m'abandonner...

Je me recule. Le bain l'arrose des gerbes incontrôlées alors que je m'en extirpe.

— Nafi...

— Je suis désolé. C'est juste que... le moment est mal choisi.

Je lui donne le dos, le visage enfoui dans une serviette. Je n'y arrive pas. Je ne peux recommencer avec lui comme si de rien n'était, comme s'il ne s'était rien passé avec Hussein dans cette montagne.

Hussein est mort.

Un tombereau de désespoir m'enterre et je me dépêche de me sécher avant de devoir des explications à Farouk.

— C'est moi qui suis désolé. Tu as raison, le moment était mal choisi. J'ai toujours l'impression que tu as envie à cause de la résonance, mais je ne devrais pas m'y fier. J'espère qu'on parlera quand tu te sentiras prêt. Je ne veux pas qu'il y ait de secrets entre nous. Je peux tout entendre.

Des secrets entre nous... Peut-il ignorer des choses de moi avec sa manie de lire mes pensées ? Peut-être est-il déjà au courant de tout. Je secoue la tête. Il n'agirait pas ainsi si c'était le cas.

Je me contente de hocher la tête à ses paroles pleines de bon sens, puis enfile un peignoir. Sans le regarder. Si je le regarde, je ne résisterai pas une deuxième fois.

Je trouve le chemin de ma chambre et m'enfonce dans un lit trop grand pour moi tout seul. Je pensais que le sommeil s'abattrait d'un coup, mais il fuit face à mon esprit retors. Il ne peut pas s'empêcher de ressasser encore et encore. Il y a autre chose. Ce feu que Farouk a réveillé.

Finalement, je regrette de ne pas avoir succombé. Maintenant qu'il m'a touché, il ne me reste qu'une insupportable et imparable frustration.

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