Chapitre 6 : Territoires inconnus
Hussein me fit traverser un bloc d'immeubles, d'un blanc à aveugler de jour et à illuminer la nuit. Suspendus à une grappe d'arches, sur les hauts-flancs de la colline, ils semblaient vouloir côtoyer l'empyrée. Quoique la Ziggurat, impétueusement perchée au sommet — sévère sentinelle — ne souffrait d'aucune concurrence.
De l'animation traversait la cour intérieure de faisceaux laser et de vibrations. Un groupe d'adultes sortis du berceau organisait une fête près de la piscine ondoyante de reflets verts.
— Hey, Hussein ! Tu te joins à nous ?
— Pas ce soir, répondit-il en agitant la main.
Personne ne me remarqua. Ils flottaient dans leur bulle d'allégresse, leurs yeux vitreux s'envolaient vers les étoiles, exploraient un monde différent. Je n'ai pas tardé à découvrir que cette ambiance imprégnait l'Esagil presque chaque soir. Une ode à l'épicurisme et à l'insouciante jeunesse. Pourquoi les sahir se priveraient-ils ? On leur servait tout sur un plateau et personne ne leur imposait de limites.
Hussein me tira par la main et me fit monter jusqu'à chez lui.
L'appartement était propre, évidemment plus spacieux que le mien. Je fus presque étonné de n'y voir aucune dorure clinquante ou décoration superflue. Même si le désordre y régnait — à l'image de Hussein — l'ensemble respirait l'aisance et le neuf. J'imaginais presque une odeur de peinture fraîche titiller mes narines en m'attardant sur ces murs impeccables. Bien loin des craquelures qui fendillaient les miens à force du temps trop sec, ou du sable qui abrasait le balconnet de la fenêtre.
La climatisation tempérait l'air ; Hussein y vit un appel à se débrailler davantage : sa chemise vola sur un sofa immense, perdu au milieu d'un salon démesuré. Ses omoplates roulèrent sur un dos trop bien sculpté et il fila vers la cuisine.
— Tu veux quelque chose à boire ? s'écria sa voix de derrière la cloison épaisse.
— Non merci.
J'avais assez bu au restaurant. L'ivresse me donnait des bouffées de chaleur et je me retrouvais contraint, moi aussi, de défaire au moins ma veste. Je titubai un peu en le rejoignant. Du stress, plutôt que de l'ébriété ; voilà ce que me provoquait le fait d'être seul avec cet homme que je ne savais pas comment considérer.
Je me tenais sur le seuil de la pièce, à la lisière de l'indécision, mes mains s'enlaçaient comme des anguilles et mes yeux visaient le carrelage plutôt que son torse nu. Le contenu d'une bouteille cascada dans un verre ; Hussein n'avait aucun problème à les enchaîner, lui.
— Comment... comment tu veux procéder ? finis-je par m'enquérir.
Un rire remplaça le bruit d'écoulement.
— Bon sang, Nafi... Tu n'es pas obligé d'être aussi... technique. Ces choses-là se passent au feeling.
Je levai les yeux sur lui : il descendit son verre d'une traite. Il paraissait minuscule dans sa cuisine aux meubles trop larges et aux lumières trop blanches qui agrandissaient l'espace. Je songeai que cela ne devait pas être très convivial lorsqu'on y mangeait de part et d'autre du comptoir. La petite salle à vivre de mes parents me manquait dans ces moments-là, l'odeur du poisson frit m'envahissait, souvenir évanescent, tandis que nous nous tenions, mes sœurs et moi, assis en tailleur autour du plateau rond sculpté.
— Je ne te sens pas très à l'aise.
Je sursautai alors que la main de Hussein effleurait mon épaule. Il s'était rapproché sans que je le remarque.
— Si tu veux, on peut juste faire comme la dernière fois, soupira-t-il en caressant distraitement mes boucles. Ce serait dommage, mais bon...
— Dommage ?
Intrigué, je restai droit et raide. Ça ne le freina pas pour me voler un baiser. Ses lèvres avaient le goût de l'arak, quelque chose de suave, sucré et enivrant.
— Dommage parce que tu me donnes très envie.
Lui aussi... Je ne pouvais nier la chair de poule que ses doigts soulevaient sur mon bras en l'effleurant, ni l'aria qui crépitait, agitée comme des lucioles enfermées dans un bocal, ni mon érection naissante.
— Faisons ça au feeling... Comme tu dis... soufflai-je la voix hachée en m'agrippant à son cou.
Il m'entraîna dans sa chambre. Je n'eus pas le loisir de détailler le décor. De ce moment, je me souviens d'un lit gigantesque et moelleux, de lumières plus douces, quoique moins tamisées qu'à l'Agora. Je me souviens de la sensation exquise de son corps pressé contre le mien, de cette chaleur qu'il me partageait à mesure que nous nous effeuillions.
J'aurais pu me laisser bercer dans ce cocon de douceur si l'aria n'avait pas piaffé d'impatience. La mélodie ténue, aux paroles cabalistiques, m'hypnotisait. J'oscillais en équilibre entre la cime et l'abîme, soumis au bon vouloir de Hussein tenant la corde.
— Oh Nafi, j'ai vraiment envie de te prendre... chuchota-t-il tout bas, mais sans honte.
Je me figeai. La proposition attisa en moi un désir que je n'aurais pas soupçonné de couver. Quelque chose m'accrochait à mes principes, me retenait de lâcher prise.
— Je l'ai jamais fait...
— Je sais, je sais, je serai doux, je te promets.
— Je n'en doute pas, mais... je suis pas sûr...
— On peut faire l'inverse.
J'interrompis nos embrassades et le dévisageai droit dans les yeux, incertain de ce que je venais d'entendre.
— Tu n'as qu'à me prendre, toi, si ça te met plus à l'aise, répéta-t-il.
Mes paupières papillonnèrent. La gorge sèche, je déglutis. Même avec Hasna, je n'avais pas... emprunté cette voie-là. Si envie il y avait, de son côté ou du mien, notre éducation nous empêchait d'en parler. Autre frein purement technique : comment m'y prendre ? Comment ne pas lui faire mal ? Comment lui donner du plaisir ? Hussein lui ne connaissait pas ces barrières, même les plaisirs les plus coupables sonnaient naturels avec lui.
En avais-je seulement envie ? Hussein n'attendit pas un siècle une réponse qui ne venait pas. Il descendit au niveau de mes hanches et rétribua ma verge tendue d'un coup de langue.
Je me raidis. Son geste était doux, mais si soudain...
— Détends-toi.
L'ordre était ferme, suffisamment pour mon esprit dérouté cesse de tergiverser et obéisse. Mes muscles se relâchèrent. Allongé sur ce lit, je laissai la chaleur de sa bouche m'avaler, ses lents va-et-vient exciter mon membre à son paroxysme. Son regard avait cette lueur maligne qui m'effrayait autant qu'elle m'enfiévrait. D'un coup, il m'engloutit. Je défaillis. Mon corps se cabra, il le maintint. J'étais à deux doigts de m'abandonner dans son emprise. Au moment où je sentis la sève affluer, tout s'arrêta.
Il se leva et alla chercher quelque chose dans le tiroir d'une commode. Son vide laissait un froid désagréable sur mes cuisses. Je voulais qu'il revienne, je ne voulais plus quitter sa chaleur. Il exauça mon souhait, mais au lieu de me couvrir, il couvrit mon érection d'un préservatif et me fit basculer sur lui.
— Vas-y doucement, d'accord ? Ça fait longtemps que je n'ai pas laissé un mec me pénétrer.
Je restai coi, comme un enfant à qui l'on mettait le volant d'une voiture entre les mains et qui n'était pas assez grand pour toucher les pédales. Pourtant, je devais y arriver. Je devais cela à Hussein. Cela ne doit pas être plus compliqué que de prendre une fille, songeai-je en chassant l'image impudique de Hasna.
Je le caressai plein d'entrain ; et de maladresse. J'ai honte en repensant à cette première fois. Hussein m'a rassuré, son côté plaisantin rangé au placard contre des encouragements bienveillants. Sur le moment, mes mains s'agitaient d'une envie frénétique, s'égaraient sur sa queue sans oser la toucher vraiment. Même quand je soulevai ses fesses pour les amener à hauteur de mes hanches, je m'y pris comme un manche. Heureusement, sa patience et son expérience compensaient. Il guida mes doigts et les glissa dans son sillon qu'il avait enduit de gel. L'exploration sensorielle était fascinante, surtout lorsque je me faisais spectateur de ses réactions, de ses soupirs et des mimiques qui tordaient sa bouche. Je la capturai dans un baiser et m'immisçai en lui.
Je le sentis gémir, se contracter. Si j'avais été trop brusque, il me pardonna sans doute, car il me poussa davantage en lui. C'était une sensation incroyable. Je ne m'attendais pas à aimer, je me retrouvai au contraire fasciné par ces ondoiements au sein d'un écrin de chair chaude. Avant de le réaliser, j'accélérai la cadence, j'allais venir... Hussein freina mes ardeurs.
Il saisit mes poignets et me bascula. Nos positions s'inversèrent. Une lueur fauve dansait dans ses yeux. Sa respiration ample secouait sa poitrine et la pressait contre moi. Son corps bouillant me fit presque oublier ma queue subitement de retour à l'air libre.
— J'aime beaucoup ce que tu me fais, j'ai vraiment envie de te rendre la pareille... susurra-t-il.
J'hésitai, la proposition fleurait le piège : il avait donné de sa personne ; à mon tour ? Pourtant, je ne le vis pas comme une contrainte. Il me poussait à l'exploration.
Je m'allongeai sur le ventre tandis que ses touchers hérissaient des crêtes d'énergie sur mon dos. L'aria s'enfuyait entre ses mains et m'abandonnait pantelant, fiévreux, à sa merci. Quand il s'approcha de mon orifice, le choc me donna envie tout à la fois de le repousser et de m'empaler sur ses doigts.
— Tout doux, je ne vais pas te faire de mal...
En une caresse sur les cheveux, un apaisement cotonneux détendit tout mon être. J'ignorai quel sortilège vicieux il employait, mais c'était trop agréable pour que je songe à m'en plaindre. Les yeux mi-clos, je lui cédai mon corps. Il me massait avec une dextérité telle que j'en oubliai mes réticences. Les tabous volèrent en éclat et je soulevai même le bassin en quête de meilleurs ressentis.
Hélas, ses doigts cessèrent leurs prodiges. Un instant de vide suivit, trop bref pour que l'inquiétude s'en empare. Hussein revint sur moi et m'enveloppa dans une étreinte de douceur. Puis son membre vigoureux se fraya un chemin en moi. Je gémis, de surprise d'abord, de douleur ensuite. Ses mots frémissaient tout près de mon oreille.
— Prends le temps de t'habituer, bouge sur moi.
Il avait raison : la douleur s'était enfuie aussi vite qu'elle avait point. Il m'offrait une toile vierge sur laquelle peindre ces découvertes. Je me mouvais contre lui. Un déferlement de sensations me happa, à la fois intense et prodigieux. Je me précipitai, inconscient, dans ce vortex inconnu. Hussein me rattrapa.
Il empoigna mes hanches et me rapprocha contre lui. Prisonnier sous son poids, il m'imposa cette fois sa cadence. Le vortex se déchaîna, m'engloutit et m'éprouva de ses puissantes rafales. Du plaisir ? De la souffrance ? Je ne savais plus. Tout s'amalgamait dans un maelstrom auquel je cédai si facilement.
Tout s'arrêta.
— Ça va ?
Sa voix s'habillait d'inquiétude. De mon côté, je ne savais absolument pas si cela allait, mais une chose était sûre...
— Ne t'arrête pas.
Je le suppliai presque. Il m'étala sur le ventre et me chevaucha plus vigoureusement encore. Je défaillis, l'aria s'emballa, nos soupirs rythmèrent la danse. Je la sentis monter, cette chaleur qui m'habita, colonisa mes nerfs et traversa mon échine ; pour exploser comme un éclair crevant un ciel trop lourd d'orage. Puis le déluge. Il délava mes sens, ma jouissance les laissa fébriles, ravagés, apaisés.
Hussein roula sur le côté, mon corps suivit le mouvement, toujours lové dans ses bras, décidé à ne plus en bouger. Je grognai donc quand il attrapa de quoi essuyer la trace visqueuse, mais certainement pas coupable, de nos méfaits.
— Merci...
Qui l'a dit ? Peut-être nous deux, à l'unisson, ou l'un après l'autre. Une chose est sûre : il avait abattu mes dernières barrières. J'avais beau être épuisé, je me sentais fort, capable de tout, y compris de récidiver.
Je l'embrassaiprofondément et scellai le début de quelque chose.
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