Chapitre 11 : Une malédiction aux parfums sirupeux (1/2)

Hussein me poussa, le moelleux de son lit me happa et je tanguai. Ses mains assurées me maintinrent en place, la croupe tendue vers un horizon de vices. La danse dura longtemps, s'éternisa, même. Nous changions de tempo comme de position ; à chaque fois, il accélérait le rythme. À ma demande. Je voulais le sentir au plus profond de moi, que son ardeur dévore mes entrailles et me fasse vriller de plaisir.

Tout était parfait : nos cuisses chaudes emmêlées, ses baisers qui dévalaient mon torse quand il me retourna contre lui, sa langue qui vint titiller un bout de téton. Tout était parfait, pourtant, impossible de me laisser aller. J'avais beau me branler, inonder la chambre des chants de l'aria, pousser mon bassin contre lui pour intensifier le coït ; les vagues de la jouissance montaient, et retombaient sans m'atteindre.

La durée n'était pas un problème pour Hussein. Lubrique comme il l'était, il pouvait baiser toute la nuit pour offrir du plaisir à son partenaire. Sauf que plus il persévérait, plus la libération s'éloignait.

Dans un élan de frustration, je guidai sa main et l'appuyai contre mon cou.

— Étrangle-moi.

Une lueur de surprise traversa son regard.

— T'es sûr ?

— Sûr, vas-y.

La malice remplaça la surprise et la pression s'accentua autour de ma gorge.

C'était Farouk qui aimait bien jouer à ça. Et je m'étais effrayé d'adorer, au point de ne plus réussir à m'en passer. Je m'en voulais de demander cela à Hussein, alors que je mettais un point d'honneur à distinguer, séparer, cloisonner ces deux relations depuis un mois.

L'oxygène désertait mon cerveau aussi facilement que la raison. Sous le joug d'un énième coup de boutoir, je partis. Une ondée délicieuse traversa mon corps, de la racine des cheveux à la pointe des pieds, tandis qu'un plaisir coupable glissa sur mes doigts. Hussein jouit peu après et s'écroula sous le fait d'un effort digne d'un athlète professionnel.

— J'ai beau pratiquer la lutte, tu mets mon endurance à rude épreuve, Marmotte.

Je me mordis la lèvre en venant me blottir contre lui.

— Pardon.

— C'était pas un reproche ! J'adore baiser avec toi, je m'en lasse pas.

Il resserra son étreinte. J'aurais tant voulu étouffer ma culpabilité dans notre embrassade, mais les pensées parasites me déportaient sans cesse ailleurs. Elles s'accumulaient, s'alourdissaient sur ma conscience, si bien que lorsque Hussein m'invita à le rejoindre sous les draps pour dormir, je freinai des quatre fers.

— Je suis désolé, je vais rentrer chez moi. Je commence tôt demain et j'ai pas pris mes cours.

Rien à faire. Depuis le début de soirée, j'étais là sans être là.

Ses traits se froissèrent. Je n'avais rien de prévu demain. Encore un mensonge stupide. J'avais beau tasser mes pensées au maximum, je me savais très mauvais pour les dissimuler. Farouk ne se gênait pas pour me le prouver. Même s'il avait cessé de l'afficher sans vergogne depuis que je lui avais demandé d'arrêter de fouiller dans ma tête, je le soupçonnais de continuer. Hussein, en revanche...

— T'es sérieux, Marmotte ? Tu veux pas juste prendre un taxi pour repasser plus vite chez toi demain ? Je te le paye.

Hussein faisait toujours mine de ne rien savoir. Cette mascarade était intenable. Il fallait que je prenne l'air. Immédiatement.

— C'est pas ça... Je suis stressé avec l'approche des examens. Je dormirai mieux seul. Pardon.

Avec des gestes tremblants, j'avais déjà rassemblé mes affaires et enfilai à la va-vite mon pantalon sur le rebord du lit. J'aurais préféré que Hussein abdique, tombe de sommeil et m'oublie. Au lieu de ça, il enlaça mes épaules.

— Tu sais que tu peux m'en parler si ça ne va pas en ce moment. Je peux servir à autre chose que te pilonner.

Un rire éraillé s'échappa de ma gorge. Un rire peu convaincant.

— Bien sûr, Huss, je sais, répondis-je sans le regarder. Je t'estime énormément. Bonne nuit.

Je déposai une bise sur son front, puis me libérai de ses bras. La porte de son appartement claqua dans mon dos à peine quelques secondes plus tard. Les chiffres de l'ascenseur se floutaient devant le voile embué de mes yeux. Je tâtai, tremblant, à la recherche du bouton du rez-de-chaussée, puis ravalai un geignement.

Je n'avais pas le droit aux jérémiades. C'était moi, le « méchant de l'histoire ». Dire qu'à l'adolescence, je conspuais les hommes infidèles ou malhonnêtes, clamant à Hasna que jamais, au grand jamais, je ne serais l'un d'eux.

D'un geste nerveux, j'essuyai mes yeux et me précipitai dans la cour où les festivités nocturnes battaient leur plein, comme à leur habitude. Les effusions de joie glissaient sur moi sans m'atteindre, inertes sur ma carapace de morosité. Quand j'eus dépassé trois blocs d'immeubles, je sortis mon téléphone :

— Salut. Je peux passer ?

Une voix ensommeillée maugréa à l'autre bout. Il avait attendu la dernière sonnerie pour décrocher.

— Il est plus de minuit, Nafi...

Un poids tomba dans mon ventre. Farouk m'avait proposé de venir ce soir. Hussein aussi. J'avais choisi Hussein, car j'avais eu envie de rire, de m'amuser, de lâcher du lest. De me sentir aimé. Je l'avais évité ces deux dernières semaines, depuis que j'avais accompagné Farouk à la Ziggurat. Le retrouver s'était avéré aussi merveilleux que douloureux. S'il n'avait pas eu cette liane tenace pour m'éloigner de Hussein encore et toujours...

Finalement, j'espérais que Farouk m'envoie paître, me gronde d'oser l'appeler si tard et me pousse à rentrer.

— Pardon, t'as raison. Je te laisse dormir.

Un long soupir grésilla dans le téléphone que je n'arrivai pas à raccrocher d'une traite.

— Non, non, viens. Mais je suis déjà au lit, et je bosse demain. Il ne se passera pas grand-chose.

Peu importe. J'avais juste besoin de me serrer contre lui, de partager nos énergies, de combler le vide tonitruant dans ma poitrine. Même si je ne méritais rien de tout ça.

Je sprintai presque à travers les rues en tunnel et m'arrachai les poumons dans les escaliers tortillards. Ça faisait du bien. Dépenser toute cette hargne dans l'effort l'apaisait. J'atteignis en nage son palier et rentrai sans sonner. De toute façon, Farouk ne fermait jamais sa porte quand il était chez lui. Il n'y avait pas grand-chose à craindre des voleurs dans l'Esagil, et ce n'était pas comme s'il avait matière à voler dans sa chaumière dégarnie.

Je ruisselais en montant à l'étage. J'aurais dû prendre une douche avant de me faufiler dans sa chambre, mais le besoin de le retrouver me pressait trop. Il était réveillé. Une lumière magique éclairait le lieu. Des tons chauds pour raviver la froideur d'une pièce trop blanche. Les bras tendus en l'air, il pianotait sur son téléphone, le drap impudiquement baissé sur ses hanches dévoilait un torse caramel que je me fustigeais de trouver attirant.

Trop tard. Je m'installai à califourchon sur lui alors qu'il ne m'avait pas encore adressé un regard, et parcourus ses abdominaux du bout des lèvres. Il passa une main sur ma nuque... la retira quand elle s'imbiba de sueur.

— Tu as couru pour venir aussi vite ?

— Oui.

— Tu étais avec Hussein ?

— Oui.

Accaparé par son torse, je ne vis pas son expression changer. Du moins, pas avant qu'il me repousse avec fermeté ; là, impossible de louper son regard noir.

— Quand est-ce que tu vas te décider à lui avouer ?

Je me détournai. Qu'il me confronte à ma propre lâcheté était bien la dernière chose qu'il me fallait. Réflexe puéril et inadéquat : j'appelais l'agressivité en renfort.

— Ne me dis pas ce que je dois faire...

Brusquement, Farouk se redressa, ses mains en étau sur mes joues pour me forcer à l'affronter.

— On en a déjà parlé, et pas qu'une fois. Prends ton courage à deux mains, sinon c'est moi qui irai lui expliquer.

Ma bouche s'ouvrit d'un outrage muet. Ses propos m'estomaquaient, quand bien même il avait raison. Une colère absurde couvait et bondit dans mes entrailles. D'un mouvement sec, je m'arrachai à sa prise.

— Mais de quoi tu te mêles ? C'est entre Hussein et moi. Tu n'es pas concerné, alors je t'interdis d'intervenir !

— Je ne suis pas concerné ? Alors que tu lui as sans doute raconté des bobards pour pouvoir venir chez moi après avoir couché avec lui, je ne suis pas concerné ? Tu penses vraiment que cette situation ne me pèse pas aussi ?

Bien sûr, je l'exaspérais. J'aurais dû en prendre conscience avec le changement de teinte de la lumière magique qui trahissait son humeur : le jaune confiant s'intensifia dans un rouge brûlant. Ces signes me passaient au-dessus de la tête ; je lâchai ce qui me plombait le cœur depuis un mois.

— C'est pas pareil. On n'est pas amoureux toi et moi. Tu ne sais pas ce que je vis, tu n'avais pas d'engagement avant de me rencontrer !

Les mots fusaient d'eux-mêmes, j'aurais souhaité retenir le flot avant qu'il ne saccage tous les efforts que Farouk investissait sur moi. Hélas, j'avais franchi la ligne.

Un silence mortuaire s'installa. La lumière de Farouk s'affadit, du rouge vif à un pâle nimbe d'obscurité. Incapable de lever les yeux vers lui, je le sentis seulement s'extirper du lit. Il n'était pas fâché. Juste déçu.

— De tout Ourane, je suis probablement celui qui te comprend le mieux à ce sujet. Mais soit, si tu tiens à te torturer l'esprit tout seul, fais comme bon te semble. Je vais dormir à côté.

Déçu et peiné. Cela transperçait de ses mots avec une telle évidence que ma colère retomba en futiles flocons de neige. Quand j'entendis la porte se refermer, je me vis tel que j'étais : un enfant capricieux, incapable de grandir et de prendre ses responsabilités.

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