Chapitre 8

- C'est nous ! s'écria tante Janet en poussant la porte, chargée comme une mule. Je crois qu'on a vidé le stock du village.

Si elle fut étonnée de ne pas trouver autant de monde qu'elle aurait souhaité pour l'admirer, elle n'en montra rien. Elle était comme ça, elle aimait les entrées théâtrales. Dommage que son public soit chiche aujourd'hui. Et pour cause, il ne restait plus que Dylan, Joy et moi au salon.

Plus de deux heures s'étaient écoulées depuis l'incident avec Dex et le travail avait tant avancé que la majorité était allée vaquer à d'autres occupations. Bien que la pièce soit désormais métamorphosée avec des guirlandes, des nœuds, des boules, des chaussettes, des anges, des lutins et autres babioles disposés dans un mélange de couleurs chatoyantes, l'atmosphère était froide.

Lowell nous avait pourtant rassuré sur l'état de Dex. Joy avait essayé de garder l'attention de Gwen et de Phil, mais elle n'avait pas pu les empêcher de s'évader pour faire quelque chose de mieux. Chercher encore à capter du réseau pour l'une et regarder un film sur une tablette pour l'autre, par exemple. Kelly veillait son frère à l'étage et aussi étrange que je puisse trouver cet acte fraternel et disons-le, humain, Vince aussi.

Maintenant, les seuls à ne pas savoir ce qu'il lui était arrivé venaient d'arriver et il faudrait bien que quelqu'un se dévoue pour le faire.

- Alors il n'y a plus personne dans cette maison ? héla tante Janet.

Elle y tenait à son accueil.

Je manquai lâcher un rire jaune en tournant une boule colorée entre mes mains quand je vis tante Flora sortir presque en courant de la cuisine en affichant un air faussement alarmé. Une vraie vipère comme à son habitude. Elle aimait annoncer les mauvaises nouvelles aux gens. Secrètement, je pensais que c'était parce qu'elle se délectait de lire la souffrance sur le visage des autres. Peut-être que ça lui donnait l'impression d'être moins misérable. J'aurais dû me douter qu'elle ne laisserait personne annoncer la nouvelle avant elle.

Pratiquer la mesquinerie était son sport préféré.

- Oh, Janet, Nicolas, enfin vous êtes là. Dex a eu un accident, un sapin qui lui est tombé dessus.

J'étais prêt à parier qu'elle s'arrêta à cette partie exprès pour savourer le plaisir de la voir paniquer. Une actrice née. Et évidemment, ça ne manqua pas, Tante Janet laissa tomber ses paquets. Au bruit, j'en déduisis qu'il y avait eu de la casse.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Où est-il ? Il va bien ? demanda-t-elle d'une voix aigüe.

Même dans de telle circonstances, elle gardait don maintien de femme distinguée. Ce côté de sa personnalité me faisait froid dans le dos et m'impressionnait.

- A l'étage, dans la chambre. Lowell l'a ex...

- Pousse-toi, Flora.

Le ton cinglant de tante Janet n'admettait aucune réplique et la belle-sœur perverse fut bien avisée de s'y tenir. La maman inquiète se précipita à l'étage en laissant tout en plan, sacs et mari. Oncle Nico lâcha un rire nerveux.

Contrairement à sa femme, il ne sembla pas vraiment inquiet ou alors il le cachait vraiment bien. Il se contenta de porter les sacs laissés par sa femme et chercha un endroit où les ranger. La pièce devint encore plus silencieuse qu'avant et pour moi qui ne me sentait déjà pas dans mon assiette, c'était un poids de trop.

Je quittai ma place et gagnai l'extérieur pour aider à décharger la voiture. Oncle Andy me lança une barre chocolatée que j'acceptai volontiers. Je l'aimais bien, oncle Andy. Il était gentil. Un poil porté sur le vin et des navets des années 80, mais gentil. Alors que je l'aidais à sortir une caisse pour la poser par terre, il se mit à me parler.

- Alors bonhomme, ça va, toi ? Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu. Quoi de neuf ? L'école, ça se passe bien ? C'est le lycée, non ? Dernière année. C'est pas facile, hein ?

Il enchaînait les questions presque sans interruption. Je pensais ne même pas avoir besoin d'y répondre tellement elles s'écoulaient. On aurait dit qu'il avait plus envie de parler que de converser.

- Ouais, c'est pas trop mal.

Je n'avais pas vraiment envie de lui raconter ma vie au lycée de Penn Hills. Elle n'était pas moche, mais pas super-super non plus. Elle était normale. Ma seule source de fierté était le club de littérature et l'anthologie qu'on avait prévu de produire cette année. Mais bon, ça ne l'intéresserait sûrement pas.

- Et avec les filles ? m'interrogea-t-il soudain avec un clin d'œil.

Cette question sortait tellement de nulle part que je faillis laisse tomber les paquets que je tenais en main. Oncle Andy lâcha un rire tonitruant devant ma réaction.

- Ok, je vois, ce n'est pas encore ça, hein ? conclut-il entre deux rires. T'inquiète pas, va, ça viendra. Si tu acceptes qu'on te débarrasse de ta tignasse.

Il ponctua sa phrase en me triturant sans ménagement les cheveux.

- Arrête, oncle Andy.

Il avait un peu bu, j'arrivais à le deviner par son haleine qu'il avait tenté de dissimuler avec du parfum. Il devait sûrement être aussi saoul lorsqu'il avait épousé tante Flora, je ne trouvais pas d'autre explication. L'interroger à ce sujet me brûlait les lèvres maintenant que nous étions seuls, mais je me retins. Les mystères de l'amour étaient insondables, après tout.

Songeur, je tins à bout de bras deux gros sacs en me disant que je ne voudrais pas être dans la même situation que lui, finir avec une femme si amère. Je préférais les filles calmes, un brin énigmatique peut-être, mais enclines à nous faire l'honneur de quelques sourires.

Du genre d'Emilie.

Je souris pour moi-même. J'imaginais montrer à Parker une photo d'elle. Il en serait bouche bée, c'était obligée. Mais mon sourire disparut lorsque tout ce qui ne tournait pas rond dans cet endroit me revint en tête. Je n'avais toujours pas trouvé l'occasion de discuter avec Emilie, de mettre les choses au clair. On aurait dit qu'elle prenait maintenant un malin plaisir à se dérober. C'était frustrant.

- Allez, Nath, il y en a encore beaucoup comme ça à porter.

Je ravalai ma déception et allai ranger les paquets que je tenais en mains.
Il y en avait un nombre conséquent, pourtant personne ne se secoua pour nous aider. Je ne m'en plaignais pas vraiment, ça me réchauffait. Et peut-être que ça sculptera de façon microscopique mes bras de sauterelle. Après deux autres voyages, il ne resta plus que des affaires personnelles de tante Janet. C'est donc tout naturellement que je montai les escaliers pour rejoindre sa chambre. J'entendis cependant une porte se refermer et des pas se rapprocher. Instinctivement, je me stoppai à mi-hauteur des escaliers.

- Je t'assure que je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Je suis désolé, j'aurais dû faire plus attention.

- L'essentiel c'est qu'il aille bien. Merci de t'être occupé de lui.

Je risquai un œil au bout du couloir pour tomber sur Lowell et tante Janet. Ils parlaient de l'accident. Je me dis un moment que j'étais bête de me cacher. Maintenant, je n'arrivais pas à trouver le bon moment pour sortir.

- Je suis vraiment désolé, Janet.

- Ça suffit, ça ne te ressemble pas de t'excuser autant. Tu t'es ramolli depuis le temps.

- Non, je suis juste plus responsable. Tu devrais également le comprendre après quatre enfants.

- Je sais, Lowell, je sais.

Si je ne connaissais pas tante Janet, j'aurais pu croire qu'elle pouvait se montrer affectueuse envers une autre personne que ses enfants. Sa voix, son visage, son allure lorsqu'elle posa sa main sur l'épaule de monsieur Fisher, elle semblait douce... et fragile. Une chose que je ne lui connaissais pas.

Ils se mirent à parler si bas que je n'entendis pas vraiment la suite. Je me sentais mal à l'aise, comme si je n'aurais pas dû voir cette scène pourtant banale.

- Descendons, conclut-elle finalement, oublions tout ça, ça n'en vaut pas la peine.

Je paniquai. Si je me montrais soudainement, ils sauraient que je les avais espionnés. Je pris donc la descendante, les mains encombrées. Une boîte de lotion m'échappa des mains et je dus faire des mouvements digne d'un acrobate pour la rattraper, perdant au passage de précieuses secondes.

J'étais presque en bas, en me décalant un peu, je pourrais leur faire croire que j'arrivais tout juste. Mais c'est là que je le sentis, ce bourdonnement dans mes oreilles. Je l'avais suffisamment expérimenté pour savoir que ce n'était jamais bon signe. Même s'ils ne me parlaient pas comme le prétendait Emilie, je savais que c'étaient eux. Et je n'eus aucun mal à deviner qui serait la cible cette fois.

Je fis immédiatement volte-face, juste au moment où tante Janet s'engagea dans l'escalier.

- Att...

Mon avertissement mourut dans mes lèvres lorsqu'elle trébucha avec un petit cri. Son visage n'exprimait plus que la surprise alors qu'elle basculait irrémédiablement vers une chute qui serait loin d'être agréable. Les paquets que je tenais en main se fracassèrent sur les marches tandis que je me précipitai vers elle, les bras tendus pour l'accueillir.

Je me rendis compte trop tard que j'avais mal calculé mon élan. Tante Janet me heurta violemment et je sentis mon torse craquer sous son poids. Le choc m'entraîna également en arrière et un moment, je crus que nous allions tomber tous les deux. Mais dans un glissement de jambes que je ne pourrais sans doute jamais refaire, je pris appui sur le mur et saisis à la dernière minute la rambarde des escaliers. Ma tête cogna une barre en bois et je vis trente-six chandelles.

Je ne sus dire si c'était dû à la chance ou à autre chose, mais à la fin, j'étais allongé en travers des escaliers, tante Janet complètement sur moi, échevelée, ahurie. Le souffle court, le dos, la tête et le poignet douloureux, une seule pensée envahit ma tête.

« On va tous crever à ce rythme... »

A suivre...

©Tous droits réservés

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Je ne sais pas vous, mais j'ai l'impression que c'est encore trop doux. Il est temps qu'on passe à la vitesse supérieure, non ? 😋

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