Jour 2
Je me retournais sans cesse, troublé par de terrifiants cauchemars dans lesquelles les événements de la soirée se répétaient en boucle. Tantôt si ancrés dans la réalité que je me demandais si je rêvais toujours. Parfois si fantasques qu'il ne pouvait en être autrement.
Le lustre brisé, les bourdonnements, la grêle soudaine. Emilie, cette fille que je ne connaissais ni d'Eve, ni d'Adam, cette prétendue messagère qui me bassinait avec ses « vérités ». Ces tantes hypocrites et leur progéniture sournoise. Et Vince. Je revis son pied ensanglanté et son visage tordu par la douleur.
Je me demandai si même dans les méandres du sommeil, mes lèvres esquissèrent un sourire en rappel de sa peine.
Et puis la scène changeait encore.
Je fuyais dans toute la maison sans trouver d'échappatoire. J'étais poursuivi par ses habitants dont le visage était dissimulé derrière un masque, le masque accroché au mur du salon. Ils semblaient tous me narguer, pris au piège comme un vulgaire rat. Je me sentis m'entortiller dans mes draps, étrangler des cris qui ne demandaient qu'à sortir. Seule la chute du haut de mon lit me permit de ne pas succomber. Je me demandai toutefois si la souffrance qui irradiait mon dos en valait vraiment la chandelle.
Du sous-sol, je ne pouvais pas savoir ce qu'il se passait dans la maison ou ailleurs. Je devinai néanmoins que c'était déjà le matin. Un coup d'œil sur mon portable me le confirma. Bientôt sept heures. J'étais assez surpris. Je m'attendais à me réveiller beaucoup plus tôt avec tous ces cauchemars. J'étouffai un bâillement en tombant à nouveau sur le lit étonnamment confortable. Si j'avais eu un frigo et une connexion internet potable, j'aurais pu passer tout mon séjour dans cette pièce.
Je pouvais rêver.
Toutefois, je savais qu'en remontant à la surface, je ne manquerais pas de quoi me sustenter. Surtout que je n'oubliais pas quel jour nous étions. Le vingt-quatre décembre. Les hostilités commenceraient tôt. Et justement, mon ventre grognait déjà. Même si tout ce que je souhaitais était de me terrer dans cette cave, manger restait encore une des raisons essentielles de vivre.
***
Une fois habillé, je sortis de ma « chambre » et immédiatement, un parfum de pâte vanillée cuite et d'omelettes envahit mes narines. Je me laissai porter jusqu'à la cuisine où je trouvai mamie Helena et ma mère aux fourneaux. Sur la table qui servait de présentoir, il y avait déjà une pile conséquente de gaufres et de pancakes, de bacons déjà grillés, une omelette géante et d'autres trucs qui pourraient me donner cinq kilos rien qu'en les regardant. Comme si je n'en avais pas vraiment besoin...
- Bonjour.
- Ah, bonjour, Nath, répondit ma mère, déjà debout ? D'habitude, il faut une tronçonneuse pour te réveiller.
Je me retins de lui dire pour la énième fois que j'avais du mal à me réveiller parce que la nuit était mon moment préféré pour écrire. A la place, j'haussai les épaules. Même avec mon pull doublé et mon jean, je frissonnai un peu et filai me servir une tasse de café.
- Depuis quand tu bois du café, toi ? s'étonna ma grand-mère.
- Ça fait un moment déjà.
J'ajoutai un peu de lait dans ma tasse avant de me servir du liquide encore chaud dans la cafetière. J'attrapai discrètement deux gaufres.
- Ils grandissent trop vite...
Son murmure m'accompagna tandis que je quittai la pièce pour rejoindre le salon. J'y trouvai le couple Fisher et mon père, des tasses fumantes entre leurs mains. Je leur lançai un « bonjour » général avant de faire semblant d'examiner de plus près la bibliothèque. Mes yeux parcoururent les étagères tandis que mon oreille se tendit vers les trois adultes qui conversaient.
- Heureusement que ce n'était rien de grave. Je me demande comment ça a pu arriver.
Je devinais aisément de quoi ils parlaient. L'inquiétude de Joy semblait sincère. Je grignotai mes gaufres pour m'empêcher de rire. Elle ne pouvait pas se douter qu'elle plaignait un serpent.
- Papa garde toujours une tonne de médicaments avec lui. Traiter une plaie de ce genre et administrer un antitétanique n'est pas bien compliqué pour lui, rassure-toi. C'est un bricoleur, il a l'habitude. Laisse un peu reposer ton serment d'Hippocrate, tu veux ? Mais je me demande quand même comment ce clou a fait pour arriver là. T'en sais quelque chose, Nath ? Les gosses font toujours traîner un tas de choses bizarres.
Je m'attendais à être interpellé à ce sujet.
- Non, pas du tout.
Le trio glissa rapidement sur un autre sujet, pour mon plus grand soulagement. Il semblait que personne ne se posait beaucoup de questions à ce propos. « Encore un autre accident », devaient-ils se dire. Mais je me doutais que si en ce moment même je n'étais pas déjà couvert d'invectives, ça voulait dire qu'ils n'étaient pas au courant de mon altercation avec Vince. Ce dernier aurait pourtant très bien pu m'accuser de quelque chose. Ça lui ressemblerait bien. Dex et Phil n'avaient-ils pas parlé de la fenêtre soudainement ouverte alors que tout avait été bien fermé ? Je tirai un livre des étagères et les lettres se mirent à danser devant mes yeux. Soit, mon cerveau refusait d'être assez concentré pour lire deux mots.
- Alors programme de la journée : décoration, cuisine, animation et échange de cadeaux.
La voix de tante Janet m'annonça qu'il était temps que je quitte la pièce. Ma matinée avait si bien commencé, je ne voulais pas déjà la gâcher. Elle arriva pourtant sur place avant que je ne puisse m'éclipser. Elle marqua un temps d'arrêt en tombant directement sur moi. Un instant, je crus qu'elle allait me faire un reproche, mais elle se tourna vers les autres à la table.
- Bonjour, tout le monde, lança-t-elle à la cantonade. Où est le reste ? Ne me dîtes pas qu'ils dorment encore ? On a du pain sur la planche ; c'est Noël demain.
Et elle ressortit du salon aussi vite qu'elle était arrivée, laissant là un Vince visiblement grognon. Je posai machinalement mes yeux sur son pied droit bandé. Lorsqu'ils remontèrent vers les siens, je crus qu'il allait dire quelque chose, mais il boitilla plutôt vers la cuisine.
La voix de Lowell s'éleva.
- Qui se charge d'aller couper le sapin ?
Si j'avais su ce qui m'attendait, j'aurais fait la grasse matinée comme les autres.
***
Finalement, ça n'aurait rien changé que je me sois levé plus tard. Après le petit déjeuner. Tante Janet, organisatrice des festivités autoproclamée, avait réparti les tâches. Décoration de la maison, découpage des sapins (parce qu'un seul n'était apparemment pas suffisant), course de dernière minute dans le villagea ville lea plus proche, à une heure d'ici, préparation du repas et planning d'animation.
Dans l'idéal, j'aurais préféré me joindre à tante Janet, oncle Nico et oncle Andy pour aller en ville. Quelques heures loin d'ici m'auraient fait du bien. Mais bien sûr, il fallait qu'on m'inscrive à l'atelier bûcheron avec grand-père, mon père, Lowell et Dex.
Après le petit déjeuner, nous nous sommes habillés plus chaudement et nous sommes engagés dans la forêt. Après plusieurs minutes de marche, les trois adultes commencèrent à observer les sapins que l'on rencontrait. Trop petit. Trop grand. Pas assez fourni. Pas assez beau, pas assez vert. Jusqu'à ce qu'un Dex devenu presque transparent et nerveux à cause du froid... ou autre chose, ne pointe un sapin du doigt.
- Tu as l'œil, fiston, le félicita grand-père en s'approchant de l'arbre. Il sera parfait.
Trois paires de mains se mirent à sonder le tronc de l'arbre et en palpèrent les branches. Je restai en retrait, soufflant dans mes mains gantées. J'entendais Dex murmurer dans sa barbe, le visage renfrogné.
- Tu en aurais vu plus. Pff, cette bande de vieux croulants... C'est clair... Pathétique...
Mes sourcils se foncèrent. Mon incompréhension était totale. La source de cet état des choses ne me prêtait pourtant aucune attention. Ses lèvres remuaient comme s'il s'adressait à quelqu'un.
- Dex ?
Aucune réponse.
C'était quoi son problème ? Il me dépassa pour rejoindre les hommes toujours sans me prêter attention, comme s'il était ailleurs, dans sa bulle. Je frissonnai, mais hypocritement, je mis cela sous le compte du froid ambiant. Je le suivis et rejoignis les autres.
***
Le bruit de la tronçonneuse fit s'enfuir les quelques animaux qui n'hibernaient pas. Lowell avait tenu à le faire. L'appareil ne semblait pas peser entre ses mains, comme s'il avait l'habitude de l'utiliser. Je tournais autour de l'arbre, assez curieux. Je n'avais jamais vu un arbre être abattu. Le métal tournant à une vitesse vertigineuse creusait sans ménagement.
Du coin de l'œil, je vis mon père et le sien discuter en retrait, habitués à ce genre de spectacle. Dex aussi était en retrait, tapant du pied avec impatience. Il n'avait pas envie d'être là. Peut-être pour d'autres raisons que les miennes.
Soudainement, des craquements se firent entendre. Je sursautai tandis que l'attention des autres revenait sur nous. L'arbre était sur le point de céder. Plus rapidement que prévu d'ailleurs. Lowell s'exclama :
- Eloignez-vous.
Ce que je fis. Les craquements se firent plus bruyants et je devinai la trajectoire de la chute du sapin. Nous nous éloignâmes du point présumé d'un accord tacite. Les yeux rivés sur sa cime, nous attendions.
Je ne saurais expliquer ce qu'il se passa ensuite. L'arbre penchait clairement vers un point identifié par moi-même et mes aînés, mais d'un coup, il se projeta du côté opposé. Sous le coup de la surprise, il nous fallut quelques secondes pour réagir. Après tout, nous nous étions tous suffisamment éloignés. Tous, sauf Dex. Je ne savais pas ce qu'il avait en tête à ce moment précis. Sa personnalité restait floue dans ma tête après tant d'années de séparation. De toute façon, comme ses frères, il ne m'inspirait rien de bon. Pour autant, je ne désirais pas ce qui était sur le point d'arriver.
Dans un craquement assourdissant, le tronc se rompit et l'arbre bascula. La scène se passa à la fois en accéléré et au ralenti. L'arbre semblait tomber si vite, alors que nos gestes paraissaient si lents. J'entendis des voix. Celle de mon père, de grand-père Jo, de Lowell. Et d'autres, des murmures insidieux et pourtant indéfinissables et celle de Dex qui hurla :
- LY !
Avant qu'il ne disparaisse sous un manteau d'aiguilles verdoyantes et un tapis d'une blancheur immaculée.
A suivre...
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Si vous croyez que c'est déjà high, vous n'êtes pas au bout de vos surprises. Ça ne fait que commencer. 😈😈
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